Echopraxie – Peter Watts

J’ai bien peur d’être d’accord avec l’auteur…

echopraxie

… lorsqu’il prédit, dans la postface, que Echopraxie va être sa plus grosse gamelle depuis son roman Béhémoth, surtout en comparaison de l’amour dont bénéficie Vision Aveugle (roman précédent se déroulant dans le même univers qu’ Echopraxie).

Il fait cette prédiction parce qu’il pense qu’il va demander au lecteur une suspension d’incrédulité un peu trop grosse pour lui (religion et hard SF, déjà…), mais, tout en ne faisant pas l’erreur d’écarter tout à fait cette hypothèse, je pense que Echopraxie va se planter pour deux raisons beaucoup plus terre-à-terre :

  • La comparaison avec Vision Aveugle.
  • Le fait que les thèmes et l’intrigue sont beaucoup trop obscurs.

Développons :

Echopraxie se déroule dans le même univers que Vision Aveugle. Attention toutefois, il n’en constitue pas une suite au sens strict. Si vous vous attendez à trouver les réponses laissées en suspens par la fin de Vision Aveugle (le sort de Siri, les extraterrestres), vous risquez d’être déçu. Car soit ces réponses ne sont pas du tout là, soit, s’il y en a, elles sont tellement confuses qu’alors que je viens d’achever le roman, je ne suis toujours pas certain d’avoir tout compris. Les événements d’Echopraxie se déroulent donc plus ou moins en parallèle, pas dans une stricte continuité. Pour autant, il me paraît extrêmement difficile de le lire sans avoir lu Vision Aveugle, car l’auteur ne s’embarrasse pas vraiment, comme dans ce dernier, à nous donner toutes les clefs permettant de décoder son univers. En plus, il y a des tas de références au Thésée que vous risquez de ne pas saisir sinon.

Et tout le problème est là en fait : personnellement, j’ai relu Vision Aveugle juste avant, et on ne peut qu’être ébloui par ce roman, tellement qu’en comparaison, Echopraxie paraît trois catégories en-dessous. Vision Aveugle, c’est un surf sur des théories ou des concepts à la pointe de la science, à la Greg Egan mais en beaucoup plus accessible. Et sans les défauts qu’on trouve chez ce dernier : ici, les personnages sont très puissants, et il y a une vraie intrigue, la théorie scientifique et son explication ne phagocytent pas le reste. Ou chez Stross d’ailleurs : il y a du vocabulaire scientifique de pointe, mais nul n’a le sentiment de s’étouffer avec. Vision Aveugle, c’est de la hard-SF (tendance biopunk et Transhumaniste) en état de grâce : thème très original et très puissant, clarté du thème et de l’intrigue remarquables, personnages très fouillés, assemblage de genres osé mais parfaitement réussi (vampires et hard-SF, fallait oser…), extraterrestres extrêmement originaux, univers au bord de la Singularité (technologique / Vingienne) remarquablement fouillé et crédible (et original, en plus), etc. Bref, un des incontournables de la Hard-SF, même si ce roman n’est pas facile (l’auteur ne vous prend pas pour des demeurés incapables de faire l’effort de comprendre une idée ou théorie un peu pointue).

Echopraxie n’a que peu des qualités de son illustre prédécesseur : les grands thèmes du roman ne sont pas aussi mis en avant avec clarté que dans Vision Aveugle (il faut absolument lire la postface, c’est mon conseil) et l’intrigue m’a parue particulièrement confuse (je n’ai pas compris grand-chose à la fin, ni sur les origines de Portia et la façon dont elle est arrivée là où elle est, ni sur cette histoire d’anges d’astéroïdes ou sur le pourquoi de l’expédition des Bicaméraux sur Icare). Certes, l’univers devient encore plus détaillé et fouillé, mais j’ai trouvé que l’auteur avait cédé à des facilités scénaristiques qui me dérangent beaucoup : en gros, tout le début sert à recréer le huis-clos dans un vaisseau spatial de Vision Aveugle, mais avec des personnages différents bien entendu. Et à recréer le « les vampires me foutent la trouille et mènent la danse » de ce premier roman. En gros, j’ai constamment eu l’impression que l’auteur lançait en l’air une dizaine de bouts d’intrigue ou de concepts, tels des boules de jonglage, pour n’en rattraper que 2 ou 3 au final.
Mais bon apparemment, l’auteur a traversé une sale période dans sa vie, ceci expliquant peut-être cela.

Pour autant, tout n’est pas à jeter. Les zombis, le hack de conscience (dans la lignée de la réflexion sur la conscience de Vision Aveugle) sont remarquables. L’idée de l’univers comme programme informatique n’est pas nouvelle, mais la place de Dieu là-dedans, en revanche… chapeau. (ici aussi, la lecture de la postface est un vrai plus).

En conclusion

En lui-même, un bon roman de hard-SF, même si les thèmes centraux et l’intrigue sont assez confus ou pas assez clairement mis en avant (du moins c’est mon ressenti). En revanche, si vous vous attendez à une suite de Vision Aveugle répondant à certaines questions laissées en plan par celui-ci, vous ne pouvez qu’être déçu. Et sur un plan général, Echopraxie ne se hisse pas aux hauteurs vertigineuses de son illustre prédécesseur. Pour autant, le roman reste habité par une vision du futur aux environs immédiats de la singularité impressionnante, et reste d’une qualité supérieure à celle de 99 % de ses concurrents. Et il est rempli d’idées allant d’originales à époustouflantes. Sans compter que si vous voulez voir de la religion, des vampires et des zombis crédibles et dans un contexte Hard-SF, vous allez avoir du mal à trouver ça ailleurs.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Yogo le Maki,

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13 réflexions sur “Echopraxie – Peter Watts

  1. Je l’ai mis sur ma PAL mais je commence à douter sur ce bouquin. J’aime beaucoup peter Watts, Vision aveugle était époustouflant, puis Starfish et Rifteur. Si en dessous que cela ?

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    • A vrai dire, oui. J’ai relu Vision Aveugle (VA) juste avant, ce qui est à la fois un avantage et peut-être une erreur. Avantage parce que comme mes souvenirs étaient frais, il était facile de comparer. Une erreur, parce que justement, il est possible qu’au lieu de juger Echopraxie en lui-même, je l’ai un peu trop jugé en le comparant à Vision Aveugle.
      Quoi qu’il en soit, la grosse différence se fait en terme de clarté : dans VA, on voit exactement les thématiques que l’auteur veut développer, et l’intrigue est limpide. Là… pas du tout. Pour les thématiques, il faut lire la postface pour y voir plus clair, pour l’intrigue, ça m’a paru vraiment très (trop) flou dans Echopraxie. Et bon, comme j’ai lu les deux à la suite, on ne peut pas dire que ce soit une différence de perception qui vienne de moi et uniquement de moi, mon impression est vraiment qu’Echopraxie est en-dessous.

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      • Merci beaucoup. Je vais l’ôter de ma PAL. Il y a tant de choses intéressantes restant à lire que je ne vais pas lire quelque chose ou je m’attends à être déçue. Et puis, l’attente est importante vis à vis de P. Watts, du coup cela risque de faire une double déception.

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