Quand le ciel nous tombe VRAIMENT sur la tête !
S’il est facile d’entendre parler, dans le milieu SFFF, des dernières nouveautés, il est en revanche plus compliqué de réaliser jusqu’à la simple existence de livres plus anciens (ce qui m’a d’ailleurs conduit à lancer L’œil d’Apophis). Et plus un roman l’est, plus ça devient improbable. Ce qui fait qu’on en vient parfois à lire certains bouquins par d’étranges hasards. C’est en regardant une vidéo sur Youtube, consacrée aux systèmes de propulsion possibles pour une sonde interstellaire, que j’en suis venu à me renseigner sur les derniers développements en matière de propulseurs nucléaires. Ce qui m’a conduit à lire un passage consacré aux réacteurs à cœur gazeux, qui, lui-même, citait un roman d’Harry Harrison utilisant cette technologie, roman dont je n’avais jamais entendu parler. Or, j’ai toujours trouvé que l’auteur américain (mort en 2012) était totalement fascinant dans sa capacité à exercer dans de multiples sous-genres ou registres de la SF (des dystopies type Soleil Vert à la satire du Rat en acier inox en passant par la parodie -d’Heinlein- qu’est Bill le héros galactique, de la Soft à la Hard SF -pour le roman dont je vais vous parler aujourd’hui) et que pour un écrivain aussi doué, le fait que certaines de ses œuvres n’aient pas été rééditées depuis les années soixante-dix (ce qui est le cas de Prométhée en orbite) était pour le moins aberrant. On comprend très mal, par exemple, pourquoi l’excellent L’univers captif ne l’est pas !
Ce qui est étonnant avec Prométhée en orbite est qu’il arrive à concilier les différentes facettes de la bibliographie d’Harrison, puisqu’on y trouve à la fois le ton grave de ses œuvres les plus noires MAIS qu’en même temps, ce roman est un vicieux coup de canif satirique dirigé vers les politiciens, les journalistes et les militaires. Hard SF « à la Clarke », c’est-à-dire compréhensible par toutes et tous, quasi-thriller haletant, non dépourvu d’une dimension sociétale (surtout au début) et centré sur un moteur nucléaire, Prométhée en orbite est un excellent roman, sorte de mélange d’éléments de 2010, de Voyage et de Vers les étoiles (je me suis d’ailleurs demandé dans quelle mesure le bouquin d’Harrison, sorti en VO en 1976 et en VF l’année suivante, avait pu inspirer leurs autrices et auteurs), un livre dont on se demande bien par quelle espèce de malédiction il n’est pas plus connu, reconnu et surtout POUQUOI, bordel de &!#@%, il n’est pas constamment réédité !
Intrigue, structure et personnages *
* Skyfall, Adele, 2012.
Fin des années 80 (d’après une anecdote racontée par un des personnages), c’est-à-dire dix ans dans le futur par rapport à la date de rédaction du roman. Alors qu’il ne reste que deux-trois ans de réserves de pétrole (on remarquera d’ailleurs que l’épuisement des ressources était au centre de Soleil Vert, publié dix ans plus tôt), et que de toute façon, on a besoin de celui-ci pour la synthèse de plastiques et d’autres matériaux, et que la demande en énergie ne cesse de croitre, américains et soviétiques mettent au point un ambitieux projet commun, baptisé Prométhée. Comme son nom le suggère, il s’agit de placer en orbite géostationnaire cinquante satellites devant capter l’énergie solaire (24h/24 et sans être gênés, comme des centrales au sol, par la météo) et la retransmettre sur Terre par micro-ondes. De quoi régler à jamais tous les problèmes d’énergie de la planète, et en fournissant une électricité propre, qui plus est. Rien que le premier va, par exemple, être capable d’alimenter cinq États américains tout en fournissant la majorité des besoins énergétiques de la Sibérie.
L’histoire commence alors que la première de ces stations, Prométhée-1, est sur le point d’être lancée. Et c’est une étape capitale du programme : en effet, ce sont les revenus qu’elle génèrera qui permettront de financer les lancements des quarante-neuf autres. Enfin ça, et le fait que les 18000 tonnes de boosters qui doivent placer les 2000 tonnes de la station en orbite basse soient récupérables (à la Elon Musk ; on peut dire que dans ce domaine comme dans d’autres -voir plus loin-, Harrison était sacrément visionnaire) et puissent donc servir à nouveau pour les lancements suivants.
Les plus attentives et attentifs d’entre vous auront remarqué que les boosters chimiques ne conduisent la station qu’en orbite (très) basse, alors qu’elle est supposée se poster en orbite géostationnaire (donc beaucoup plus haut, ce qui nécessite bien plus de poussée, surtout avec 2000 t à déplacer). Une fois à la limite de l’atmosphère, une ampoule nucléaire doit être utilisée, un engin formidable qui est à la fois un propulseur très puissant et un générateur électrique atomique à cœur gazeux. Les plus érudits en Hard SF et / ou uchronie parmi vous auront probablement pensé au formidable Voyage de Stephen Baxter, centré sur un autre type de propulsion nucléaire (par opposition à chimique classique), NERVA (à cœur solide). Et évidemment, le réacteur n’a jamais été testé dans l’espace ni avec un prototype pleine taille…
Dès le départ, la mission semble être maudite (ce n’est d’ailleurs que le premier des nombreux points qui rapprochent cette histoire imaginaire du destin tout à fait réel du Skylab) : le médecin de bord tombe malade et doit être remplacé en urgence, et une alarme, qui devrait normalement conduire à l’abandon du compte à rebours, est purement et simplement ignorée par les politiciens des deux pays, notamment parce qu’un échec compromettrait la réélection de l’actuel président US. Les six membres d’équipage, trois américains (Patrick, pilote et commandant de la mission, Coretta, médecin, et Ely, ingénieur nucléaire) et trois russes (Nadya, copilote, Gregor, responsable du déploiement de la centrale électrique une fois sur l’orbite finale, et le Colonel Kouznekov, également ingénieur nucléaire), vont donc devoir faire face, au péril de leur vie, aux conséquences d’abord désastreuses, puis, dans un deuxième temps, proprement cataclysmiques, de l’inconséquence des dirigeants de leurs deux pays…
Les scènes concernant Prométhée et le contrôle de mission alternent avec des intermèdes (de plus en plus longs au fur et à mesure que l’intrigue se déroule) montrant les politiciens, des scientifiques, de simples anonymes ou des journalistes. Au début, on ne comprend pas trop où l’auteur veut en venir avec ceux qui se déroulent en Angleterre, jusqu’à un point du récit où tout devient beaucoup plus clair.
L’auteur prend son temps pour poser les enjeux et donner un minimum d’épaisseur à certains personnages (pas tous), puisque le décollage n’a lieu qu’après pratiquement un tiers du bouquin (qui est d’une brièveté -300 pages- typique des romans de SFFF de cette époque, bien avant les monstres boursouflés de 500 – 1200 pages d’aujourd’hui).
You know we sent a man to the moon, and before we’re done, yeah we’ll probably send a man to the sun *
* MERICA, Granger Smith, 2016 (à prendre au 127e degré 😉 ).
Premier point, Harrison entretient, pratiquement jusqu’à la dernière minute, un suspense haletant, donnant à son roman un côté à la limite du (techno-)thriller. Il ne va pas ménager ses personnages, et clairement, vous allez trembler pour eux, et, plus encore, pour le monde, quand une première énorme catastrophe va avoir lieu, puis quand une seconde, encore plus terrible, va menacer. La fin est d’ailleurs assez nuancée, ni ultra-noire, ni vraiment heureuse non plus. On remarquera avec intérêt que certes, l’équipage enchaîne les péripéties, mais qu’aucune ne vient « de nulle part » et que leur enchaînement n’apparaît ni abusif, ni artificiel et encore moins irréaliste (rien à voir avec Vers Mars de Mary Robinette Kowal, qui sort en français début octobre).
Outre cet aspect thriller, donc, on retiendra également un aspect Hard SF « à la Clarke », c’est-à-dire suffisamment solide pour être crédible sans pour autant perdre la lectrice ou le lecteur dans d’interminables explications ultra-techniques. Cet équipage américano-soviétique fait d’ailleurs penser (en moins réussi) à celui du Leonov dans (le postérieur) 2010. Pour quelqu’un qui est réticent à lire de la Hard SF, c’est donc parfait, puisque accessible à tous, même si le pur et dur de ce sous-genre (comme moi) est resté un poil frustré en ce qui concerne l’ampoule nucléaire, même si j’aurais dû me douter qu’Harrison n’étant pas Stephen Baxter, il n’entrerait pas dans le même luxe de détail que lui.
On retiendra aussi l’aspect sociétal, surtout présent au début : il y a un cynisme évident chez les soviétiques, qui pour prouver qu’ils sont plus progressistes que les ‘ricains, incluent une femme dans leur moitié d’équipage. Et donc, quand le médecin américain de bord, un homme, est mis hors-jeu par une appendicite (et l’auteur sous-entend clairement que ce n’est peut-être pas naturel, pas un hasard malheureux), le président US fait monter les enjeux progressistes en le remplaçant par une femme… noire. Ce qui mène à un échange avec un journaliste, puis avec ses collègues, où elle montre qu’elle est parfaitement consciente de la manœuvre et joue le jeu, minimisant les inégalités subies par les noirs américains dans l’accès à l’éducation ou à certains postes. Tout cet aspect féminin, qu’il concerne Coretta ou Nadya, rappelle Vers les étoiles de Mary Robinette Kowal, mais écrit quarante ans avant et avec plus de subtilité (c’est-à-dire en ne s’étendant pas sur le sujet au point de parasiter tous les autres aspects, notamment Hard SF, du bouquin).
J’en ai déjà parlé, mais Harrison a anticipé, dès 1976, d’une façon bluffante certains points, comme le fait que les boosters doivent être réutilisables pour permettre un vrai développement spatial (ce dont on se rend pleinement compte avec les lanceurs d’Elon Musk), mais aussi (et là j’en reviens à mon progressisme) le fait que le débat public devienne de plus en plus binaire, dirons-nous : Patrick, le commandant de bord, fait gentiment remarquer à Coretta que non, TOUS les mâles blancs ne sont pas des fachos misogynes et racistes. Là encore, on est bien loin des personnages parfois caricaturaux de Kowal (je pense à l’astronaute sud-africain dans Vers Mars…).
Outre l’aspect « sérieux », apocalyptique, Hard SF, sociétal, de la chose, dans Prométhée en orbite (traduction bien peu inspirée du beaucoup plus évocateur Skyfall en VO -j’en profite d’ailleurs pour dire qu’on croise quelques horreurs dans la traduction, pourtant signée par un nom connu dans les années 70-, surtout compte tenu des maigrelettes 300 pages de l’ouvrage ; je pense que j’aurais choisi quelque chose évoquant Damoclès, pour ma part), Harrison ne renie pas l’autre aspect phare de son œuvre, la satire, et en profite pour taper sans ménagement sur la connerie des militaires, sur l’indécence des journalistes (plus intéressés par les catastrophes et souhaitant presque un sort tragique aux astronautes parce que ça augmenterait les ventes) et plus encore, sur celle du président américain, plus préoccupé par les conséquences politiques et le coût financier faramineux de la catastrophe que par la vie des six hommes et femmes en perdition. Et c’est là un point capital du livre : à part les efforts courageux de certains, savants, directeur de mission ou de la NASA, pour les sauver, l’équipage du Prométhée doit se battre à la fois contre des problèmes techniques, contre la physique, contre le Sort, pour le coup bien cruel, mais aussi contre des hommes de leur propre pays qui, loin de vouloir les sauver, font au contraire activement tout pour les conduire à la mort, car celle-ci serait la moins mauvaise des solutions, y compris (et c’est là que ça devient ahurissant) sur le plan politique.
Bref, quel que soit l’angle sous lequel on prenne ce roman, c’est une excellente lecture, dont on peut regretter amèrement qu’elle ne soit plus que difficilement disponible (d’occasion) et surtout qu’elle soit aussi méconnue ! Le hasard a bien fait les choses, et je suis ravi qu’il m’ait permis de prendre conscience de l’existence de Prométhée en orbite : je me dis qu’il y a sûrement d’autres livres intéressants et peu connus dans la bibliographie d’Harrison, et sans nul doute, je l’explorerai à l’avenir à leur recherche.
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Réacteurs à cœur gazeux?
En tout cas, c’est parfois bluffant comme certain vieux bouquin tombe juste dans leur anticipation et interprétation du futur sur certains points/sujets.
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C’est d’autant plus bluffant que souvent, les tentatives d’anticipation se plantent misérablement 😀 D’où le fait que la plupart des auteurs placent leur SF de futur proche à un horizon de 30-50 ans en avant, histoire de ne pas être trop vite contredit.
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J’avais été complètement bluffé par les romans de John Brunner, écrit dans les années 60/70, qui décrivent parfois très exactement les évènements actuels…
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Un visionnaire également !
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Personnellement, je garde beaucoup d’affection pour son « Monde de la mort », au discours profondément et écologiquement original sur le thème « continuer à faire « ch… » la nature, elle vous le rendra bien ! », plutôt troublant de nos jours pour un roman écrit il y a 60 ans…
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Oui, c’était, en de nombreux domaines, clairement un visionnaire.
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Je ne connais pas du tout l’auteur. Je n’ai même jamais entendu parler de lui. Merci de nous faire ces petits rappels.
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Tu as peut-être vu le film Soleil Vert avec Charlton Heston : il est (vaguement) tiré d’un roman d’Harrison. Et si tu ne l’as pas vu, je te le conseille vraiment, il est excellent (et il est supposé se dérouler en 2022, en plus 😀 ). Une effroyable et dystopique projection des effets de l’effondrement écologique, de l’épuisement des ressources et de la surpopulation.
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