L’anthologie Apophienne est une série d’articles sur le même format que L’œil d’Apophis (présentation de trois textes dans chaque numéro), mais ayant pour but de parler de tout ce qui relève de la forme courte et que je vous conseille de lire / qui m’a marqué / qui a une importance dans l’Histoire de la SFFF, plutôt que de vous faire découvrir des romans (forme longue) injustement oubliés. Si l’on suit la nomenclature anglo-saxonne, je traiterai aussi bien de nouvelles que de novellas (romans courts) ou de novelettes (nouvelles longues), qui sont entre les deux en terme de nombre de signes. Histoire de ne pas pénaliser ceux d’entre vous qui ne lisent pas en anglais, il n’y aura pas plus d’un texte en VO (non traduit) par numéro, sauf épisode thématique spécial. Et comme vous ne suivez pas tous le blog depuis la même durée, je ne m’interdis absolument pas de remettre d’anciennes critiques en avant, comme je le fais déjà dans L’œil d’Apophis.
Dans ce treizième épisode, nous allons parler d’une nouvelle et d’une novelette signées Isaac Asimov, ainsi que d’une novella écrite par Charles Stross. Sachez que vous pouvez, par ailleurs, retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles sur cette page ou via ce tag.
L’affreux petit garçon – Isaac Asimov
L’affreux petit garçon est une novelette signée Isaac Asimov, initialement publiée en VO en 1958, et à l’histoire éditoriale compliquée, pour ne pas dire tortueuse. Le texte, aussi bien en anglais qu’en français, a changé plusieurs fois de titre, une fois de fin, et a même été étendu à la longueur d’un roman (L’enfant du temps) par Robert Silverberg en 1992, avec encore une fois une nouvelle fin. Quoi qu’il en soit, Asimov le plaçait dans le top 3 de ses écrits préférés, ce qui, vu la qualité de sa production, n’est pas peu dire ! En VF, vous pourrez le lire dans les recueils Le robot qui rêvait ou L’avenir commence demain.
Je considère personnellement que non seulement L’affreux petit garçon est un des meilleurs textes d’Asimov, mais que, bien plus que cela, c’est une des nouvelles les plus poignantes jamais écrites en SF (j’aurais tendance à croire qu’il faut vraiment avoir un cœur de pierre pour ne pas verser une larmichette en lisant la conclusion, et que la réécriture de Silverberg fonctionne moins bien justement parce qu’elle en atténue l’impact, à mon sens). Ce qui permet d’ailleurs de battre en brèche l’idée répandue selon laquelle Asimov est moins enclin à dévoiler les sentiments de ses protagonistes que d’autres écrivains, et de montrer que lui aussi peut susciter chez le lecteur de l’empathie pour eux.
Je vais en dire le moins possible pour que ce texte conserve le maximum d’impact, mais je peux vous révéler qu’il est centré sur Miss Fellowes, une ancienne infirmière de maternité qui est engagée par une mystérieuse société travaillant dans des domaines technologiques pointus pour s’occuper d’un enfant. On ne lui dévoile rien sur le petit garçon concerné, ni sur la nature des travaux de l’entreprise, mais on insiste sur le fait que la personne chargée de s’en occuper ne doit pas aimer seulement les beaux enfants, sous-entendant que celui-ci est particulièrement laid. Sa curiosité éveillée, Miss Fellowes accepte le poste, et découvre la nature du projet scientifique et celle du garçon. Qui est effectivement particulièrement laid… mais qui est aussi bien plus que cela. Tout le texte est centré sur la relation qui se crée entre la femme et l’enfant, et toute l’émotion, et particulièrement celle de sa conclusion déchirante, en découle (on peut aussi y voir un message sur l’acceptation des différences, le racisme ou l’intolérance, la dictature de la beauté ou je ne sais quoi, mais franchement, la novelette n’est pas axée sur cela mais sur sa capacité à générer en vous certaines émotions).
J’ai relu L’affreux petit garçon pour préparer cet article, et même en connaissant déjà la fin, cette novelette m’a à nouveau cueilli et humidifié les globes oculaires. C’est dire… Il n’est pas impossible que je vous propose dans les mois qui viennent une critique de la version étendue de Silverberg, car même si je connais déjà la nature des ajouts (et que la fin y est moins poignante), il y a des choses dedans que je suis curieux d’analyser. Et de toute façon, disons que, sans dévoiler la nature du petit garçon, plusieurs romans centrés sur des êtres de sa nature seront chroniqués sur ce blog dans les 12-18 mois à venir (aux incertitudes du respect du programme près). Restez sur la fréquence, donc…
L’ultime question – Isaac Asimov
Autre nouvelle signée Asimov (plus courte), autre baffe, mais dans un genre très différent, plus axé sense of wonder qu’émotion. Publiée en 1956, L’ultime question est intégrée aux deux mêmes recueils que L’affreux petit garçon (à ceci près que dans Le robot qui rêvait, son titre est La dernière question). Notez que ce texte fait partie d’une sorte de cycle (très) informel en comprenant quinze autres, sortis entre 1955 et 1983, et mettant en scène un super-ordinateur appelé Multivac, que d’aucuns présentent comme l’ancêtre du légendaire HAL 9000 chez Clarke.
L’ultime question commence dans un avenir relativement proche (2061), et s’achève dans un futur inimaginablement lointain. Tellement lointain que si on ajoute à ce facteur l’événement qui se déroule à la fin, on se retrouve devant un texte où Asimov, qu’on n’attend pas forcément dans ce genre d’exercice, met des claques aux Egan et autres Baxter. Si, si. Alors que l’humanité vient de commencer à monter l’échelle de Kardachev en construisant un satellite captant l’énergie solaire, lui fournissant une électricité « illimitée », deux techniciens un peu éméchés car fêtant l’événement se font la réflexion suivante : ladite source d’électricité n’est valable que tant que le Soleil existe. Mais comme toute étoile, il n’est pas éternel. Que faire, donc, quand l’entropie aura eu sa peau ? Ils posent donc à Multivac, l’énorme super-ordinateur qui s’étend sur des kilomètres carrés, la question : comment vaincre ou inverser l’entropie ? Et la machine répond : « données insuffisantes ». Asimov décrit ensuite, via quelques paragraphes à chaque fois, le fait que des humains d’autres époques, à la technologie de plus en plus avancée (grâce aux successeurs de Multivac, qui deviennent à chaque génération plus petits, plus perfectionnés et plus intelligents), posent la même question (et reçoivent la même réponse), tandis que grimpant allègrement l’échelle de Kardachev, notre espèce s’étend dans les étoiles, puis dans toute la Voie Lactée, puis dans d’autres galaxies, avant de coloniser l’intégralité de l’univers et de devenir d’abord une espèce postphysique qui rappelle celle d’une autre nouvelle d’Asimov, Les yeux ne servent pas qu’à voir, puis une sorte de Point Oméga chaperonné par Multivac (avec lequel l’IU d’un certain Dan Simmons présente d’ailleurs quelques suspectes ressemblances). Et toujours, au fil des éons, la question de l’entropie revient, surtout qu’elle se fait de plus en plus pressante, puisqu’aux échelles temporelles dont on parle, même les étoiles disparaissent !
Philosophiquement, cosmologiquement et théologiquement parlant, ce texte est un des plus vertigineux que je connaisse, surtout compte tenu de sa brièveté. Si ce qui vous plaît le plus en SF est non pas qu’on fasse des allégories du monde réel et présent mais qu’au contraire, on vous dévoile, émerveillé et terrifié à la fois, les abîmes du temps et de l’espace, cette nouvelle est faite pour vous ! Et quelle chute, les amis, digne des meilleures fins de Clarke !
Palimpseste – Charles Stross
Dans le genre « sauvons l’Homme, notamment de la mort, un jour lointain, du Soleil », un autre texte (pas si) court se pose en référence : je veux bien sûr parler de Palimpseste de Charles Stross, descendu à sa sortie par certains lecteurs et critiques, mais qui fait pourtant partie des lectures les plus « Apophis-Approved » qui existent, si on me permet cet anglicisme gromovarien. Ce texte, véritable Une heure-lumière bien avant la sortie des premiers titres de ladite collection, n’a pourtant pas été publié par le Bélial’ mais par J’ai lu, dans sa collection Nouveaux Millénaires, en 2011. J’en dirais, là aussi, le moins possible, sinon que Stross avoue lui-même s’être fortement inspiré d’un texte… d’Asimov (ah, ah !), à savoir le très recommandable La fin de l’éternité. Aspect post-apocalyptique, guerre temporelle (la réécriture continue de la ligne temporelle par-dessus la précédente, comme un palimpseste, d’où le nom de ce court roman), transformation complète du Système solaire (ah, le Nécrosoleil !), Palimpseste est une novella extrêmement ambitieuse, certes exigeante mais en rien « confuse », comme on peut parfois le lire, et CERTAINEMENT PAS dispensable. C’est, bien au contraire, un des textes courts les plus ambitieux et à lire absolument (à mon humble avis, hein) sorti lors de la dernière décennie par tout amateur / toute amatrice de SF du vertige et de l’extrême qui se respecte, dans le registre des efforts illimités faits par une organisation (ici appelée la Stase) pour assurer la survie (voire la résurrection) de l’Humanité tout entière face à tout ce que l’univers peut lui balancer, et face à ceux d’une organisation concurrente cherchant à saboter ses opérations…
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Asimov est un de mes auteurs de SF préféré. J’ai dévoré la sage des Robots ainsi que Fondation (préquels inclus). Je suis fascinée par son côté visionnaire et la façon dont il a influencé durablement la SF et l’imaginaire collectif.
J’ai assez peu lu ses œuvres en dehors de ces deux grandes sagas, mais je m’y met au fur et à mesure.
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Oui, c’est un de mes auteurs préférés également.
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Suite à ton article j’ai voulu lire la nouvelle : L’ultime question/La dernière question, mais j’ai lu : La dernière réponse (d’Asimov aussi dans le recueil « Au prix du papyrus ») 😅
Je me demande si les 2 se répondent.
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Ce n’est pas tout à fait impossible. C’est également une excellente nouvelle, en tout cas, dont je comptais parler dans le numéro 14 de l’anthologie apophienne.
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J’avais lu L’enfant du temps il y a un moment et je l’avais adoré. Je vais essayer de faire de même avec la novelette.
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Connaissant les différences introduites par Silverberg, je pense que le texte d’Asimov aura encore plus d’impact 😉
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Ok, merci! 🙂
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Cher Apophis, bon déjà ton blog est génial et tes critiques de très très bonnes qualités. A titre personnel je me sens rassuré de savoir que le Grand Apo est aussi un amateur d’Asimov. Dans la communauté SF je me sens toujours un peu isolé. Bref, je voulais noter que dans le recueil le robot qui rêvait, il y a aussi la nouvelle “les hôtes” qui est de très bonne facture et que je ne vois jamais mentionnée.
Merci pour tout, ton blog est génial!
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Merci ! D’autres nouvelles du Grand Isaac seront évoquées dans l’Anthologie apophienne, notamment le mois prochain (où il y aura aussi du Silverberg).
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Hors SF, il y a aussi « Le cycle des veufs noirs », des nouvelles policières dont la lecture est véritablement un régal !
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