Six months, three days – Charlie Jane Anders

Futur ou Futurs ? 

6_months_3_days_andersCharlie Jane Anders est une auteure américaine qui, si elle n’est pas vraiment prolifique, voit ses textes, courts ou longs, être souvent au minimum nominés aux prix les plus prestigieux (quand ils ne les gagnent pas). Elle est surtout connue pour son roman All the birds in the sky, titulaire du Nebula et du Locus 2017. Elle est aussi la co-fondatrice (avec Annalee Newitz) d’io9, un blog majeur consacré aux littératures de l’imaginaire et au Futurisme.

Six months, three days est une novelette (« nouvelle longue » dans la nomenclature française) qui a gagné le prix Hugo 2012 dans cette catégorie (elle a également été nominée pour le Nebula et le prix Theodore Sturgeon). Elle est disponible gratuitement (en anglais) sur cette page du site de Tor.com, ainsi qu’en format électronique, audio ou papier payant, seule ou accompagnée d’autres textes de l’auteure. 

Contexte, personnages *

* In the air tonight, Phil Collins, 1981.

Doug (qui, au passage, habite à… Providence) possède le pouvoir de voir le futur. C’est ainsi qu’il sait, depuis la puberté, qu’il va sortir avec Judy. Elle aussi peut voir l’avenir, mais à une grosse nuance près : celui qu’elle aperçoit n’est pas unique, figé, mais est un faisceau de futurs possibles. Lui connaissait le moment exact auquel ils allaient se rencontrer ; elle avait vu tout un tas de résultats possibles, depuis une rencontre deux ans avant, des mois après, voire… jamais. Signalons que l’auteure précise que Doug est, à part Judy, le seul autre clairvoyant sur Terre.

Au passage, on a ici une explication de la nature du temps et des futurs alternatifs qui est la plus simple, concise et élégante que j’aie pu voir depuis Les Chronolithes de Robert Charles Wilson : la myriade d’avenirs possibles ressemble à des gouttes de pluie tombant dans une citerne ; avant l’impact, elles sont séparées, mais au moment où elles atteignent la surface, et deviennent le passé, elles deviennent toutes indifférenciées.

Le fait que Doug puisse se « remémorer le futur » ne lui confère pas une connaissance absolue des événements, pas plus qu’il n’a de souvenirs parfaits du passé. Judy sait que certaines épiphanies sont à venir, mais elle ne les comprend qu’au moment où elles ont lieu.

Les deux précognitifs sont d’accord sur une chose (lui est certain, pour elle c’est une probabilité très élevée) : leur relation va durer très exactement six mois et trois jours (d’où le titre du texte), après quoi ils vont se séparer, le cœur brisé. Par contre, ils sont en désaccord sur une chose : pour Doug, il n’y a qu’un seul futur, pour elle, plusieurs potentiels. Le souci étant, évidemment, qu’ils ne peuvent avoir tous les deux raison !

Une amie de Judy lui fait remarquer qu’elle n’a pas à se forcer à vivre une relation qu’elle sait devoir se finir mal, mais la jeune femme lui répond qu’elle sait que malgré la douleur liée à cette rupture (et le fait qu’elle ne voit pas un futur où elle ne déteste pas Doug), cette dernière apportera un grand bien, une révélation cruciale (que, selon l’auteure, « elle ne pourra pas comprendre avant de l’avoir comprise »).

Ils vont donc vivre leur relation, et Charlie Jane Anders va maintenir un doute sur les possibilités de leurs pouvoirs respectifs, si même ils sont différents : Judy va parfois perdre la possibilité de voir les futurs possibles, et elle va essayer de persuader Doug que seul un blocage psychologique le force à n’en voir qu’un seul.

Analyse et ressenti

Comme le mentionne explicitement Judy, Doug est l’incarnation du déterminisme : il n’a littéralement aucun libre arbitre, son destin est scellé et il ne peut que suivre une partition écrite longtemps à l’avance (lorsqu’il a su que son père allait mourir un an plus tard, il a tout essayé, mais n’a pas pu le sauver). Elle, en revanche, est donc, évidemment, l’incarnation du libre arbitre, puisqu’il est aussi explicitement dit qu’elle peut orienter ses choix de vie afin de rendre plus probable tel futur potentiel où elle est heureuse ou plus improbable tel autre où elle ne l’est pas. Le texte oppose donc les deux.

Le déroulement de la relation de Doug et Judy est fascinant : le fait que chacun tente de convaincre l’autre qu’il est dans le faux à propos de son pouvoir, la façon de vivre des événements pénibles alors qu’ils sont connus d’avance, le fait que l’auteure nous surprenne via le côté assez toxique de ladite relation (alors qu’on aurait pu s’attendre au contraire à quelque chose de magnifique, qui jouait sur le positif et pas le négatif), etc. Mais tout ceci est complètement éclipsé par la fin qui, pour un texte basé sur la précognition, est vraiment surprenante (encore que, Charlie Jane Anders lâche un gros indice à un moment). Mais bien plus que le simple fait de surprendre le lecteur, elle va le conduire à réfléchir sur ce qui s’y passe, qui le réalise (et comment), et va remettre en perspective la nature du pouvoir des uns ou des autres. Je vous invite d’ailleurs à lire les commentaires à la suite de la nouvelle, nombre de lecteurs anglo-saxons ont émis des hypothèses, parfois très intéressantes, sur la nature des phénomènes impliqués, la source d’inspiration de l’auteure, voire la couleur émotionnelle de cette conclusion.

Bref, voilà le genre de texte court que j’aime beaucoup : bien écrit, ambitieux, avec de l’émotion, faisant appel à l’empathie et impliquant le lecteur, et surtout auquel on repensera souvent, voire qu’on relira, afin de chercher à en exploiter toutes les strates ou à mieux l’appréhender.

Niveau d’anglais : assez facile.

Probabilité de traduction : sortie en juin 2019 chez J’ai Lu (collection « Nouveaux Millénaires ») sous le titre « Six mois, trois jours ».

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4 réflexions sur “Six months, three days – Charlie Jane Anders

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