De l’Heroic Fantasy… féminine !
Maîtresse du Chaos est le premier tome de la saga de Raven, qui en compte trois en VF et cinq en VO. La série a été co-écrite par Holdstock et son éditeur de l’époque, Angus Wells. Ce tome a été écrit à quatre mains (et initialement publié sous le pseudonyme commun de Richard Kirk), les autres par un seul des deux auteurs (Holdstock a rédigé seul les tomes 2 et 4, Wells a écrit les 3 et 5).
Robert Holdstock (1948 – 2009) était un écrivain britannique connu pour être un spécialiste du monde celtique et de la Fantasy mythique, celle qui réutilise les codes du mythe. Auteur d’une trentaine de romans (sous un grand nombre de pseudonymes), d’autant de textes courts, ainsi que de quelques novélisations (dont celle de La forêt d’émeraude), il a remporté plusieurs prix prestigieux, dont un World Fantasy Award. Ses œuvres les plus fameuses restent le cycle de La Forêt des mythagos et Le codex de Merlin.
Angus Wells (1943 – 2006) était éditeur chez Sphere Books au moment de la genèse du cycle de Raven (il abandonnera ensuite cette activité pour devenir un auteur de Fantasy et de Western prolifique). C’est lui qui fait remarquer à Holdstock que les protagonistes féminins sont rarissimes en Heroic Fantasy, et qui lui propose de s’associer pour écrire un cycle mettant en scène un tel personnage. Raven était née.
Préambule : remettre les choses en perspective
On peut lire un nombre assez effrayant d’âneries dans les critiques consacrées à ce roman sur le net. La plus bénigne, et qui prête le plus à sourire, est la comparaison quasi-systématique avec une célèbre « princesse guerrière » (d’ailleurs, à ce sujet, j’invite les gens qui font cette comparaison à aller voir page 45 du roman : « Maintenant, tu as l’air d’une princesse guerrière ». M’enfin, moi je dis ça, je dis rien, hein…), disant que cette Raven « n’est qu’une sous-Xena ». Seul « léger » souci : Raven a été créée en 1978, Xena… en 1995 ! Bref, ne jamais se fier aux dates de parution françaises (l’édition que je vous présente date de 2006), faute de quoi on peut raconter des bêtises ! Bref, Raven n’est, d’une part, pas inspirée par Xena, et d’autre part, en terme de féminisme ou d’homosexualité, elle n’a pas grand-chose à lui envier (voir plus loin). Bref…
Mon gros problème avec ces critiques est qu’elles jugent ce livre selon les critères ayant cours aujourd’hui, pas en 1978, d’une part, et que d’autre part, elles évacuent complètement les codes de l’Heroic Fantasy (HF) pour l’examiner sous le prisme de critères qui correspondent à la Fantasy d’aujourd’hui. Par exemple, certains trouvent irréaliste qu’en un an « à peine », Raven devienne un maître d’armes, alors qu’elle n’en a jamais touchée une avant ça : c’est faire fi du fait que dans ce sous-genre de la Fantasy, le héros est un guerrier-né, un être pratiquement né les armes à la main et sachant instinctivement tirer le parti le plus meurtrier possible d’elles. Evidemment, dans une autre déclinaison de la Fantasy, un entraînement d’un an, même intensif, ne donnerait pas forcément un résultat aussi impressionnant, mais par contre, en HF, cela n’a rien de choquant.
Enfin, ces recensions négligent complètement le fait que le public lisant de la Fantasy a changé : alors qu’en 1978, ce livre a clairement été taillé pour un public (quasi-exclusivement) masculin (il n’y a qu’à voir les illustrations de couverture des différentes éditions anglo-saxonnes -vous en trouverez quelques-unes dans cet article- pour s’en convaincre, avec notamment une Raven qui a un léger mais systématique souci pour couvrir un de ses seins), il y a de nos jours au moins autant de lectrices que de lecteurs de Fantasy. Dès lors, le fait que Raven soit peu et court vêtue et qu’elle ait une sexualité plutôt décomplexée s’explique, c’est tout à fait dans les codes de l’Heroic Fantasy (si vous regardez bien, vous verrez que Conan se balade également souvent les tétons à l’air et avec juste un slip en fourrure) et dans le plan marketing de l’époque. Evidemment, si ce livre était écrit aujourd’hui, tout le monde crierait au stéréotype, au grotesque, et à un roman plus digne d’un fantasme adolescent que de l’écriture d’un adulte.
Bref, et c’est quelque chose que je veux vraiment mettre en avant sur ce blog, il faut toujours, dans une critique sérieuse, remettre un livre dans le contexte de son époque, tout en indiquant, bien entendu, aux lecteurs d’aujourd’hui ce qui peut les gêner par rapport aux standards actuels. Mais dire, par exemple, « le livre est trop court et pas assez développé » n’a aucun sens : l’inflation des romans de Fantasy vers une moyenne de 500 pages n’est, statistiquement parlant, qu’un phénomène relativement récent, la majorité des vieux romans d’Heroic Fantasy ou de Sword & Sorcery (et souvent de Fantasy dans son ensemble) tournant en général autour des… 200-250 pages. Regardez les Hawkmoon, Elric, Terremer et compagnie, les livres écrits avant la mode moderne des bouquins hypertrophiés ne font que la moitié, voire moins, d’un roman de Fantasy d’aujourd’hui. De fait, on se concentre sur l’essentiel, pas de bla-bla qui, si vous examinez attentivement un ouvrage moderne, est très loin d’être toujours utile au world-, magic- ou character-building. Personnellement, j’apprécie beaucoup ces vieux romans courts, faciles à lire, où la moindre scène a de l’envergure, du panache, de la signification et de l’importance.
Univers

Carte du monde de Raven – Cliquez pour agrandir
La géographie du monde dans lequel se déroulent les aventures de Raven est relativement originale : il y a une grande mer intérieure (l’océan-au-cœur-du-monde), comprenant deux grandes îles (Kharwan, l’île des esprits, et Kragg, celle des Loups des mers) et certaines considérablement plus petites, entourée de contrées où les déserts, les savanes, les jungles et les hautes montagnes semblent dominer (sauf dans le nord glacé). Bien peu de terres sont cartographiées ou connues.
Sur le plan politique, c’est un monde de cités-états et de royaumes naissants, dominé par Karhsaam, une nation militariste, par l’île de Kragg et trois cités commerciales rivales du sud-est, Sara, Lyand et Vartha’an. Mon souci, c’est que tout ça est à la fois très flou, sans âme et stéréotypé : on est très loin des créateurs de mondes passionnés et passionnants qui savent donner une âme à leur univers. D’ailleurs, un symptôme ne trompe pas, ce monde ou cette époque n’ont pas de nom : pas de Nehwon ou d’âge Hyborien ici. Bref, le worldbuilding n’est clairement pas le point fort du roman (après, ça s’arrange peut-être dans la suite du cycle, à voir, donc). Au passage, niveau magicbuilding, c’est zéro pointé aussi (on est très loin de Brandon Sanderson ou de Brent Weeks), même si là encore, c’est en très grande partie dans les habitudes de la Fantasy de l’époque.
Raven
Raven (corbeau) est, comme son surnom l’indique (son véritable nom est Su’uan), blonde, avec des cheveux descendant jusqu’à la taille, et des yeux d’une nuance naviguant, selon son humeur et la lumière ambiante, entre le bleu, le gris et le vert (comme quoi, hein, les clichés… Au passage, on sent que l’illustrateur de l’édition française de 2006 a vachement lu le roman, cf l’image en début de critique…). Pour reprendre les mots des auteurs, c’est « une femme à la première floraison de la maturité, mais déjà formée, sensuelle ». Traduisez qu’elle est très belle, et, pour respecter les codes de l’Heroic Fantasy, évidemment court et peu vêtue.
Fille d’esclaves, partageant ce sort cruel, elle s’échappe, au début du roman, de la ville de Lyand, après que Karl ir Donwayne, le Maître des épées local, en ait fait son jouet sexuel, lui prenant de force sa virginité. Poursuivie par les chiens de guerre de ses maîtres, elle ne doit son salut qu’à l’intervention d’un étrange oiseau noir. Hélas, ce n’est que pour mieux retomber, un peu plus tard, entre les mains d’autres esclavagistes, qui la convoient vers le bordel où sa beauté, sans nul doute, sera très appréciée. Après que cette caravane ait été attaquée, elle est libérée par un mystérieux personnage, à la fois guerrier et magicien, Spellbinder.
Spellbinder
Ce personnage, aux origines floues (beaucoup pensent qu’il est en fait un des mythiques prêtres-sorciers de Kharwan, cette île mystérieuse, sans cesse voilée par la brume, qui inspire l’effroi dans le monde entier), est lié à l’oiseau noir et à celle qu’il va rebaptiser Raven. Au cours du récit, il se révélera à la fois mentor (il y a, côté Raven, un certain aspect initiatique dans le récit), ami, compagnon d’armes… et de couche. Si sa fidélité est certaine, les motifs de cette dernière sont en revanche ambigus : même Raven ne sait pas si elle n’est pas en réalité manipulée. D’ailleurs, lorsqu’il laisse la jeune femme durant un an aux bons soins d’une bande de pillards, il lui jette un sort devant l’empêcher de se poser des questions… et lui ôter l’envie de coucher avec un autre.
En fait, Spellbinder est tellement intéressant, sur de multiples plans, qu’il vole presque la vedette à Raven. J’ai même vu des critiques disant que le cycle aurait mieux fait de s’appeler la saga de Spellbinder ! De plus, ce compagnon échappe en partie aux codes stricts de l’Heroic Fantasy : nettement moins secondaire qu’il n’est de coutume, c’est le plus souvent lui qui mène la danse, Raven se contentant de « suivre » (même si c’est avec son consentement et en relative connaissance de cause). En fait, il ressemble plus à un partenaire à part égale (type Souricier Gris / Fafhrd) qu’à un des semi-ectoplasmes qui suivent comme des toutous les protagonistes d’HF standards (et dont l’auteur se débarrasse parfois d’un vague trait de plume : cf les cycles d’Elric ou d’Opar).
Autre point intéressant : alors que tout ce qui tourne autour de Raven relève clairement de l’Heroic fantasy (en un an, sous la conduite d’Argor le maître d’armes, elle devient une experte du maniement de chacune d’entre elles, et se révèle une guerrière-née : elle souhaite battre Karl ir Donwayne avec ses propres armes), les événements impliquant Spellbinder sont par contre typiquement Sword & Sorcery. Quant à l’interaction entre les deux, elle a une très forte parenté avec la Fantasy épique à la Moorcock (je vous rappelle que le livre s’appelle Maîtresse du Chaos 😉 ). Impression d’ailleurs renforcée par toutes les prophéties qui entourent Raven et son destin (du moins selon Spellbinder).
Le machin runique / cosmique
Une fois l’entraînement de Raven terminé, Spellbinder refait son apparition, ça fait des étincelles sous la tente, et hop, zou, direction la Pierre de Quell, regardée comme un objet sacré un peu partout dans le monde (avec un fort parfum de Kaaba). D’après Spellbinder, c’est un simple caillou venu des étoiles, mais dans les mains de quelqu’un doté du Pouvoir (<– lui), elle peut servir de medium afin de porter la parole de… ben on ne sait pas trop de qui ou de quoi, mais ils ont l’air vachement puissants en tout cas. Et donc, les esprits en question annoncent tout de go à Raven qu’elle est le pivot du monde, le catalyseur de l’histoire : de ses choix dépendra le cours de cette dernière. La jeune femme (qui a de gros doutes, au passage, quant au fait que ce soit une puissance supérieure qui lui parle ou bien Spellbinder, à l’aide de sa magie), explique que c’est gentil, merci, mais que tout ce qui l’intéresse, c’est d’aller tester le fil de sa lame sur la gorge et les parties génitales de Karl ir Donwayne. Il se trouve justement que ce dernier est allé se mettre au service de l’Altan (roi) de Karhsaam, et que pour l’atteindre, il faut qu’elle ramène au souverain une relique historique et magique, le Crâne de Quez. Ce qui, gnarf gnarf gnarf, sert aussi, comme par hasard, les intérêts de la pierre / des esprits / de Spellbinder.
A ce stade, ceux d’entre vous qui sont le plus versés dans la Fantasy « classique » doivent déjà voir où je veux en venir : si je remplace « Pierre de Quell » par « Bâton Runique » ou « Stormbringer » (appelons ça le « machin runique / cosmique »), « Raven » par « Hawkmoon » ou « Elric », Chaos par Loi et Chaos, et « Karl ir Donwayne » par « Méliadus » ou « Yrkoon », je m’aperçois… qu’il n’y a que très peu de différences entre le cycle de Robert Holdstock et ceux de Michael Moorcock. En fait, en cherchant « juste » à assouvir une vengeance contre quelqu’un qui lui a fait du mal (ou à ses proches), le protagoniste sert en fait, indirectement, les intérêts d’un « agent » cherchant à modifier l’équilibre de la Balance Cosmique, que ce soit pour favoriser la Loi ou le Chaos (même si la fin du roman nous explique -assez adroitement d’ailleurs- que ce qui nous semble être, à nous, pauvres mortels, du Chaos pourrait en fait relever d’une autre sorte de Loi).
Une autre coïncidence peut paraître anecdotique, mais elle est pour moi frappante : Spellbinder est fréquemment qualifié de « guerrier de noir et d’argent », ce qui rappelle fortement le « guerrier d’or et de jais », agent du Bâton runique, des aventures d’Hawkmoon.
Bref, tout ceci n’est donc pas follement original.
Vikings, hommes-bêtes, océans et jungles
Un bon livre d’Heroic Fantasy doit nous faire voyager dans des contrées variées et exotiques : le contrat est ici plutôt rempli (surtout en 230 pages). Nous passons du désert à l’océan, puis à l’île de Kragg où Raven démontrera science martiale et (farouche) indépendance en triomphant en duel du Roi suprême des Loups des Mers (traduisez : Vikings), Gondar Sans-Pitié, avant de se donner volontairement à lui. Ce sera aussi l’occasion d’un impressionnant duel de magie entre Spellbinder et le mage local, Belthis.
Accompagnés de leurs nouveaux frères d’armes, Raven et Spellbinder, sous la conduite de l’oiseau noir, recherchent le Crâne de Quez dans la jungle du pays d’origine de la jeune femme, Ishkar (vous remarquerez une parenté suspecte avec le nom de la déesse babylonienne de l’amour et de la guerre, Ishtar). Là, ils vont affronter de terribles hommes-bêtes (corps d’homme, tête d’animaux divers : loup, chien, chat, cerf, etc ), qui ont une parenté assez évidente (pour ceux qui connaissent) avec ceux de Runequest ou de Warhammer. C’est d’ailleurs à ce moment que va avoir lieu un très curieux épisode : Spellbinder affronte le chef des bestioles… hors-champ, comme on dirait au cinéma. Comprenez que le combat n’est pas décrit, juste l’attente angoissée de Raven et des Loups des Mers. Pour de la Sword & Sorcery ou de l’Heroic Fantasy, c’est plutôt curieux, on va dire (et ça démontre encore une fois que Spellbinder est plus un co-héros qu’un simple faire-valoir pour Raven, puisque c’est lui et pas elle qui va au charbon). Rassurez-vous, cependant, les combats épiques sont tout de même nombreux dans ce roman, surtout qu’il est plutôt court.
A la cour de l’Altan… et de l’Altana
Une fois en possession de la relique, hop, cap sur le Karhsaam, qui est sur le pied de guerre car il s’apprête à envahir les trois cités commerçantes du sud. Le retour d’une arme magique d’une telle puissance et d’un symbole d’unité nationale est donc chaleureusement accueilli. Malheureusement, nos deux compères tombent sur une vieille connaissance (même si ça m’a personnellement fait un peu grincer des dents : les ennemis de Raven et de Spellbinder se retrouvent comme par hasard au même endroit, comme c’est « pratique »…), et le guerrier-mage se retrouve emprisonné. Pour assurer sa libération, Raven devra coucher avec un garde… et avec l’Altana, la reine et sœur jumelle du roi (voir plus loin). D’ailleurs, à ce niveau là, il y a un point que je n’ai pas bien saisi : le fait de se donner à Krya est supposé assurer la libération du compagnon de Raven, pourtant ce dernier se retrouve tout de même dans l’arène : euh ?
Cette fin de roman intense sera surtout l’occasion du très attendu (et pour tout dire excellent) combat contre l’immonde Donwayne, et de la conjonction des intérêts de Raven et de ceux de la Pierre de Quell (ou des prêtres-sorciers de Kharwan ? ). La fin est plutôt réussie, posant des jalons pour les tomes suivants, établissant visiblement de nouvelles Némésis. Signalons l’usage d’étoiles de jet par Raven, franchement peu fréquent en Fantasy non-orientale (et de toute façon, les armes de tir / jet et l’Heroic Fantasy font en général bien mauvais ménage).
Au passage, pour revenir une nouvelle fois sur certaines âneries, le combat contre Donwayne n’est pas irréaliste, il a visiblement dû échapper à certains qu’un sorcier dans les tribunes lui conférait une résistance inhumaine, hein…
Erotic Fantasy
L’aspect érotique du roman et le sexe du protagoniste ont fait couler beaucoup d’encre. De mon côté, je trouve que même aujourd’hui, il est très rare de trouver des héroïnes, premier point, crédibles ou attachantes (et Raven l’est, assurément), second point, en Heroic Fantasy ou en Sword & Sorcery, et qu’en voir une fait du bien.
Ce que j’ai beaucoup aimé, c’est son côté farouche et indépendant : jadis jouet sexuel de Donwayne, soumise à son désir bestial et ses coups, Raven a décidé que plus jamais, elle ne serait à la merci d’un homme, que ce soit dans une joute martiale ou sexuelle. De fait, l’entraînement prodigué par Argor fait d’elle une guerrière mortellement efficace, et elle n’appartient à personne, pas même à Spellbinder. Elle se donne si elle le veut, que ce soit par envie (à Gondar) ou pour servir ses plans (au garde et à Krya, à la fin du livre), se servant de sa beauté comme d’une arme parmi tant d’autres.
De plus, Raven se pose des questions, même sur Spellbinder et ses motivations : comme certains Champions éternels Moorcockiens, elle a bien conscience de servir les intérêts de la Pierre ou des prêtres-sorciers plus ou moins contre son gré, mais tant que cela sert aussi les siens, elle le fait quand-même.
Enfin, dans ce monde dominé par l’homme, elle est systématiquement sous-estimée par ses adversaires, qui meurent le plus souvent avant même de comprendre à quel point elle est en fait plus forte, les armes à la main, qu’eux. Et je ne parle pas de sa volonté indomptable, qui la pousse contre vents et marées à assouvir sa vengeance, en son nom, celui de ses parents et de tous les esclaves maltraités ou violés.
Bref, tout compte fait, je ne trouve pas du tout, comme certains, que ce roman soit complètement daté et relève de codes aujourd’hui désuets. Certes, ça reste de l’Heroic Fantasy écrite par deux hommes, pour des hommes, et à une époque beaucoup plus patriarcale que la nôtre, ce qui se ressent forcément à un moment ou un autre, mais franchement, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir affaire à une Barbie en cotte de mailles à la libido exacerbée (un commentaire qui revient souvent). Parce que si on regarde bien, pour son plaisir, et pas par nécessité ou contrainte, Raven couche avec… deux hommes dans le roman, dont Spellbinder. A comparer avec un Conan, un Hadon, un Fafhrd ou un Kane, donc : qui est le plus lubrique ?
J’ajoute que le fait de faire du protagoniste une héroïne offre de nouvelles possibilités scénaristiques qui n’existent pas, d’habitude, en Sword & Sorcery : si l’attachement de Fafhrd pour le Souricier Gris est profond et sincère, il n’est en rien sexuel, juste fraternel; en revanche, Raven et Spellbinder sont amants en plus du reste, ce qui induit un niveau supplémentaire dans leur relation.
Concernant l’aspect érotique, à lire certains, on croirait que ce roman est rempli de scènes de viol ou consenties mais gratuites : en un mot, c’est une belle connerie. Oh, je souscris parfaitement à l’idée que l’héroïne et son comportement sexuel ont été conçus pour appâter le lecteur masculin de la fin des années 70, mais il ne faut pas raconter n’importe quoi non plus. Il y a UN viol, qui n’est pas décrit et qui est tellement important qu’il sert de moteur à l’intrigue dans son ensemble. Ensuite, la plupart des scènes de sexe ne sont pas décrites, seules deux le sont : celle avec Gondar et la scène saphique avec Krya. Et au moins dans le premier cas, ces passages servent totalement l’histoire (je suis moins convaincu par le second, à la fois sur l’aspect bisexuel qui ne s’imposait pas forcément et sur ce qu’amène cet acte dans l’intrigue -rien-). Enfin, certains ont vomi sur l’écriture desdites scènes, disant qu’elle ressemblait plus à des fantasmes d’adolescent qu’à quelque chose d’immersif ou de crédible : pour ma part, j’ai trouvé ça plutôt bien tourné (et j’ai lu bien pire à ce niveau en Fantasy). J’en profite d’ailleurs pour dire que la traduction signée Michel Pagel (à l’époque novice dans l’exercice) n’est pas vilaine du tout (même s’il y a quelques scories en termes de tournures ou de relecture).
En conclusion
Ce mélange entre Heroic Fantasy, Sword & Sorcery et Fantasy épique, s’il se révèle être loin des sommets du genre (Conan ou Kane), n’en est pas moins d’une qualité honnête et dépaysant, servi par une écriture agréable. La protagoniste féminine, un oiseau rare en Heroic Fantasy, ainsi que son compagnon et quasi-co-star, sont attachants, et leurs origines ou leur destin distillent assez de mystère pour intéresser le lecteur aussi bien dans ce tome que dans les suivants. On pourra tout de même déplorer un worldbuilding très mince, mais pas forcément l’aspect érotique qui a fait couler beaucoup d’encre, et qui reste la plupart du temps inscrit logiquement dans l’histoire. Par contre, c’est à signaler, un point-clé de l’intrigue n’est franchement pas original, car visiblement très inspiré par Moorcock et ses Champions éternels. On appréciera en tout cas une héroïne hautement sympathique, à condition de la juger selon les critères ayant cours à l’époque de la parution du roman (1978) ainsi que ceux du genre (Heroic Fantasy / Sword & Sorcery) auquel ce dernier appartient.
Ça fait partie de mes toutes premières lectures en fantasy et j’en garde un excellent souvenir. C’était il y a un moment maintenant mais ta critique fait remonter pleins de souvenirs, merci 🙂
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Voilà, tu es donc la preuve qu’une lectrice moderne et exigeante peut tout à fait apprécier ce roman, sans parler de machin daté et d’une héroïne juste prévue pour satisfaire les fantasmes lubriques et puérils d’un lecteur forcément masculin. Merci ♥
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Je te rejoins totalement sur ce sujet 🙂
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C’est marrant je suis en train de lire une grosse trilogie de fantasy bien de notre temps (affreusement longue notamment, j’arrête pas de râler dessus), à lire ta critique j’ai plutôt envie d’aller me plonger dans les aventures de Raven, ça a l’air plus « frais » ^^.
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Oh, Vert, bienvenue en ces lieux !
Moi c’est pareil, là j’ai un gros coup de « je n’en peux plus des bouquins de 500 – 650 pages », je cherche plus court, plus simple et plus direct. Alors évidemment, ce n’est pas aussi élaboré ou riche, mais par contre c’est dépaysant, vite lu et pas prise de tête, pile ce que je cherche en ce moment.
Tu es toujours sur du Fiona McIntosh, donc ?
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(j’avais jamais commenté avant ? mince…)
Hélas oui, comme c’est un cadeau d’un cousin qui a beaucoup aimé, il faut que j’en vienne à bout. Mais j’avoue préférer définitivement la vieille fantasy plus synthétique ^^.
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Coucou,
Direct et concis le rêve, j’avoue freiner des 4 fers devant des bouquins de la taille de bottins j’ai pas le temps.
Ta description de Conan a fait ma soirée ^^ Merci
Sur Livraddict elle est présentée comme une trilogie complète, tu confirmes que je n’aurais pas besoin des tomes VO 4 et 5 ? Parce que je ne sais pas lire en anglais.
Bonne année
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De rien ^^
Alors d’après ce que j’en sais, le tome 4 s’éloigne assez largement de la « quête principale » de Raven (c’est presque un spin-of), et le 5 ne répond de toute façon pas à toutes les questions. Donc je pense que tu peux y aller.
Bonne année à toi aussi 🙂
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Au début de ta critique, je voulais te remercier, d’un fait que tu soulignes par la suite.
C’est la mise en perspective du roman, le contexte d’écriture et de publication. C’est vrai que lorsque le roman est « contemporain », le beoisn est quasi -inutile. Mais, pour les plus anciens, c’est une vrai mine d’or que tu partages.
Je suis également dans le besoin de romans courts, car j’ai quelques pavés et les 600 pages, là, après les fêtes je suis repue.
Pour en revenir à raven, ils sont passés où mes accompagnements musicaux ?….
Trêve de plainsanterie, ta critique est remarquable.
Bon, Raven, va rejoindre ma PAL. Je ne peux me passer d’une femme d’une telle envergure, n’est-ce pas ?
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Merci 🙂
Il y a un accompagnement musical très Apophien dans le bilan 2016 qui sera publié demain matin 😉
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Génial! J’attends demain alors!
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