Comprendre les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire : Hors-série – Voyages dans le temps, uchronies, mondes parallèles et Portal Fantasy

ApophisBon, cet article n’était pas vraiment prévu (en tout cas pas à ce stade de la série), mais en attendant l’article n°3 (d’ici une semaine, à priori), qui fait le point sur les principaux sous-genres de la Fantasy, je vous propose un hors-série devant expliquer les différences entre Voyages dans le temps, Uchronies, Mondes parallèles et Portal Fantasy. Parce qu’il se trouve que je me suis aperçu que certaines distinctions n’étaient pas forcément claires pour tout le monde.

Je vous rappelle que comme chaque article de cette série, celui-ci reflète ma conception personnelle de la taxonomie de la SFFF, et ne correspondra donc pas forcément à celles que vous pouvez trouver par ailleurs sur le net ou dans des ouvrages spécialisés.

Uchronie

Un monde uchronique est un univers où l’histoire a suivi un cours différent : la Confédération a vaincu / a survécu à la Guerre de Sécession, Hitler domine le monde en cette année 1964, l’Empire Romain est toujours la puissance majeure en ce début de 21ème siècle, et ainsi de suite. L’événement qui crée l’uchronie est appelé Point de divergence : avant ce point, l’histoire de l’univers uchronique est la même que la nôtre, après, elles sont plus ou moins différentes.

En littérature, il peut se présenter quatre cas :

  • L’action se passe dans l’uchronie, qui est le monde « normal » pour ceux qui y vivent, et longtemps après le Point de divergence. Seul le lecteur sait qu’il ne s’agit en fait que d’une variation de la « vraie » Terre, à savoir la nôtre, les habitants du monde uchronique n’ont pas conscience de vivre dans une variante de la « véritable » histoire. Éventuellement, un autre facteur interne à l’univers peut établir les différences (par exemple, dans Le Maître du haut-Château, le livre de fiction du même nom décrit une situation où l’histoire s’est, pour le coup, déroulée comme la nôtre, et où la Seconde Guerre mondiale ne s’est pas soldée par une victoire germano-japonaise).
  • L’uchronie se crée « en direct » : les événements du livre servent à montrer le Point de divergence et ses conséquences immédiates. Les protagonistes n’ont pas conscience du fait qu’ils vivent dans une variation uchronique de la « vraie » Histoire, seul le lecteur l’est.
  • Le monde que connait le protagoniste du roman se transforme en uchronie, mais il en a conscience : suite à un voyage dans le temps, un accident ou une manipulation délibérée a perturbé la ligne temporelle, et lorsque le voyageur temporel rentre à son époque, tout à changé, le monde qu’il connaissait s’est transformé en une variation uchronique (et en général bien glauque). C’est le cas, par exemple, dans un des textes du cycle de La Patrouille du Temps de Poul Anderson.
  • L’uchronie et le monde « normal » co-existent en parallèle : c’est la situation qu’on trouve majoritairement dans la SF à mondes parallèles.

Un point très important à retenir est que dans les trois premiers cas, il n’y a qu’un seul univers, celui dans lequel l’intrigue se déroule. Seul le quatrième cas fait co-exister plusieurs univers.

Voyage dans le temps

Nul besoin de longues explications, tout le monde sait ce que c’est : aller en arrière ou en avant dans le Temps. Bien souvent, le voyage provoque une modification des événements qui aboutit à une uchronie, qu’elle soit « personnelle » (seule la vie du voyageur temporel est affectée) ou pas (le monde entier peut changer). Dans ce type de fiction, deux cas peuvent se présenter : soit le monde uchronique créé est le seul qui existe, soit un deuxième univers, existant de façon indépendante et parallèle au premier, est créé par le Point de divergence. Dans le premier cas, en retournant en arrière / en avant dans le temps et en remettant les choses dans leur état initial, la variation uchronique est corrigée et un seul univers, celui que nous connaissons, existe; dans le second cas, les deux univers continueront à co-exister en parallèle.

Mondes parallèles

Notre univers / notre Terre n’est pas la seule, il existe, dans des « dimensions » (le terme n’est pas correct dans le cadre de la cosmologie, mais il est traditionnel en SFFF) parallèles, d’autres cosmos. Dans le cadre des littératures de l’imaginaire, ils sont en général (mais pas toujours) strictement identiques à celui qui abrite la Terre (mêmes lois physiques, même tracé des continents, etc), du moins jusqu’au Point de divergence. Dans quelques cas, c’est justement une variation dans les lois physiques qui peut faire tout l’intérêt de l’histoire (cf le cycle Orthogonal de Greg Egan).

Mais restons dans le cas où tout est identique : pour reprendre la formule d’une célèbre série dédiée aux mondes parallèles (Sliders), c’est « La même Terre au même moment, mais dans des dimensions différentes » (remarquez que le « au même moment » n’est pas une constante dans la SF à Mondes parallèles : certains contextes -dont celui de GURPS-utilisent la notion de « présent local », c’est-à-dire que notre Terre peut être en 2016 tandis que le monde parallèle 1 est en 1947, le 2 en 1453, le 3 en 1066, etc). Tout l’intérêt est qu’il est possible, via une machine, un pouvoir mental, une faille spatio-temporelle (Terra Nova, un nouvel exemple -et frappant qui plus est- de monde parallèle à présent local) ou quoi que ce soit, de passer d’un univers à l’autre. L’intérêt est multiple : études historiques, donner un coup de main à ses potes locaux (exemple : les américains de notre univers aident ceux d’une Terre parallèle dominée par les Nazis à vaincre ce régime), rapatrier des ressources naturelles ou des œuvres d’art perdues, voire inconnues sur notre Terre (Hendrix vit jusqu’à 80 ans, la vente de ses albums jamais parus chez nous rapporte une fortune), comme dans Mozart en verres miroirs, et ainsi de suite.

Retenez la chose suivante : il existe, en parallèle, plusieurs univers, le nôtre et une ou plusieurs (parfois BEAUCOUP de) variations uchroniques, et il est possible de passer de l’un à l’autre (parfois avec certaines limitations : il existe par exemple des notions de niveaux d’énergie dans lesquels se trouvent les univers, comme les électrons autour d’un noyau atomique, ce qui fait que les lois de la physique n’autorisent pas les sauts directs entre univers de « niveaux » éloignés).

Une autre notion à retenir est que les Terres parallèles ne sont pas forcément créées parce que quelqu’un a voyagé dans le Temps et fichu le boxon dans la ligne temporelle : il peut s’agir (et c’est souvent le cas) d’un événement naturel, d’un mécanisme cosmique lié aux lois de la physique. Sachez aussi qu’il faut envisager la structure du Multivers (ensemble des univers) comme une arborescence : le monde 1 peut être une variation uchronique du nôtre, mais le monde 2, 17 ou 132 peut être une variation uchronique… du monde 1 et pas de notre Terre. Un exemple : la Terre 1 est une variation uchronique de notre Terre dans laquelle la Peste Noire fait disparaître les cultures européennes, donnant le monde aux musulmans, aux amérindiens, aux aztèques, incas, russes, japonais et chinois (La porte des mondes, Chroniques des années noires) : la terre 11 est à son tour une variation de ce monde (et pas du nôtre) dominée par les Aztèques, la 12 par les Ottomans, la 13 par les Chinois, et ainsi de suite.

Portal Fantasy

La Portal Fantasy, c’est la co-existence, en parallèle, de deux univers, le nôtre (en général moderne, technologique, cartésien, rationnel) et un autre, fantastique, magique, etc (Raymond Feist a cependant imaginé que les habitants d’un monde imaginaire japonisant envahissent un autre univers, de Fantasy « classique » -d’inspiration européenne- celui-là). Il est possible de passer de l’un à l’autre, mais le truc est que, normalement, chaque univers n’est pas au courant de l’existence de l’autre (ou, au minimum, notre univers n’est pas au courant de l’existence de l’univers fantastique, ou le tient pour un conte, une fable ou une légende).

Ce qu’il faut retenir, c’est que d’une part il n’y a (sauf rarissime exception) qu’un seul univers parallèle en plus du nôtre, et surtout qu’il ne s’agit pas (forcément) d’une variation uchronique du nôtre. Le portail est classiquement de nature magique, et la nature surnaturelle du monde n°2 fait qu’il s’agit de Fantasy, pas de SF. Aucune explication n’est en général donnée sur la création de l’univers 2, et elle n’est en tout cas pas de nature scientifique. Un autre point à retenir est que l’univers est qualifié de parallèle car existant au même titre, au même moment que le nôtre, mais dans un « espace » différent; en revanche, il n’est pas « parallèle » dans le sens « Sliders » du terme, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas obligatoirement de la Terre d’un autre univers, avec les mêmes continents, le même système solaire et ainsi de suite que les nôtres. Il s’agit juste de deux endroits, pas (forcément) identiques, situés dans des univers différents, qui sont en contact, via un Portail (d’où le nom du sous-genre), permettant de passer de l’un à l’autre.

Voilà, j’espère que les choses sont plus claires, si vous avez des questions ou des remarques, n’hésitez pas.

13 réflexions sur “Comprendre les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire : Hors-série – Voyages dans le temps, uchronies, mondes parallèles et Portal Fantasy

  1. Ca c’est de la réactivité! Maintenant, c’est plus clair effectivement. Je vois bien la différence entre la Portal fantasy et le roman de Stross! Je te remercie pour ce point fort sympathique et ta dispo pour éclairer des esprits égarés…

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  2. Tout ceci est très clair. Ce qui n’est pas clair du tout, c’est dans quel monde, nous, on vit. Je penche pour une uchronie parallèle dystopique. Uchronie car on nous avait promis les voitures volantes pour tous en l’an 2000, et qu’on affiche clairement un retard technologique navrant. Univers parallèle car j’espère bien qu’il en existe d’autres et qu’on s’est juste planté de porte en atterrissant sur celui-ci. Quant à l’aspect dystopie, il me semble évident, jusqu’à la caricature. Ou alors c’est une simulation scénarisée par Charles Stross et Peter Watts. Enfin, tout cela pour dire, que nous autres, lecteurs de SF, savons pertinemment que la vérité est ailleurs. Le père Noël est réellement l’avatar d’un VGS excentrique de la Culture, et le père Fouettard est connu sous d’autres cieux sous le nom de Gritche. Quch QI’lop Hoch !, comme on dit en Klingon (trad: « bonnes fêtes à tous ! »).

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