La loi du tyran – Daniel Hanover

Un troisième tome toujours aussi solide, même si très (trop ?) inspiré par l’histoire réelle, et avec une fin qui donne une puissante envie de connaître la suite

loi_tyran_hanoverLa loi du tyran est le troisième tome du cycle La dague et la fortune, après La voie du dragon et Le sang du roi. C’est aussi le dernier a avoir été traduit, les deux autres volumes de la saga (The widow’s house et The spider’s war) n’étant « pour l’instant » pas prévus en français (traduisez : encore une série abandonnée par un éditeur tricolore). Bref, malgré toutes les qualités que je trouve à ces romans, soyez bien conscients que si vous ne lisez pas l’anglais, vous ne connaîtrez probablement jamais la fin de l’histoire. Il faudra donc vous poser la question de savoir si, dans ce cas, commencer le cycle est pertinent ou pas. Pour ma part, je vous proposerai, dans les mois qui viennent, des critiques de ces deux ultimes tomes, avec bien entendu un mot sur le niveau d’anglais nécessaire à leur lecture.

Contrairement aux deux premiers tomes, où certains personnages étaient beaucoup plus représentés, en terme de chapitres qui adoptaient leur point de vue, que d’autres, cette fois on est quasiment sur une égalité parfaite : 10 chapitres pour Clara et Geder, 11 pour Cithrin, 12 pour Marcus (et l’Apostat). Ce tome 3 est aussi un peu plus court que les autres : environ 400 pages, contre 450 et 430. 

Avertissement : à ce stade d’un cycle, les spoilers sur les tomes précédents sont inévitables, même en prenant des précautions.

Personnages

Ce cycle est caractérisé par des personnages qui évoluent sans arrêt, que ce soit dans leur façon de voir le monde, dans leur statut social, dans l’activité qu’ils exercent ou le lieu où ils vivent ou voyagent, et ainsi de suite. C’est une saga où rien n’est statique. Je dirais cependant que c’est un peu moins vrai dans ce tome 3 : sur les cinq personnages principaux (je compte l’Apostat dans ce nombre), seuls deux vont évoluer de façon significative (Clara et l’Apostat), tandis que Cithrin va partiellement le faire et que Geder et Marcus vont essentiellement suivre les trajectoires impulsées dans le roman précédent. Les événements de ce tome 1 se déroulent environ cinq ans après le début du tome 1.

Geder

Geder va continuer, au nom d’Aster et de la Déesse, les conquêtes commencées dans Le sang du roi : après Astérilhold, il va s’attaquer à Sarakal, puis à l’Elassae (voir la carte un peu plus loin). Tout ça avec deux buts : imposer une paix universelle, et capturer les responsables du « complot Timzinae » (voir plus loin, là encore) qui est selon lui responsable du coup d’état qui s’est passé dans le roman précédent.

Une fois de plus, Geder est un personnage psychologiquement très complexe, à la fois digne de l’empathie du lecteur en certaines circonstances et monstre froid et insensible dans certaines autres. Son chemin va le conduire à croiser à nouveau la route de Cithrin.

geder

Marcus

Le capitaine Wester va énormément voyager dans ce livre : après un long séjour dans les jungles tropicales de Lyoneia, à la recherche d’un artefact de pouvoir, il va se rendre, toujours accompagné de l’Apostat, dans les déserts du Keshet, puis en Elassae pour retrouver Cithrin (et Yardem), avant de repartir à nouveau pour Camnipol, puis dans un ultime périple vers les solitudes glacées d’Hallskar !

Les parties concernant ces deux personnages sont les plus riches en révélations explosives de tout le livre. C’est particulièrement le cas dans l’ultime chapitre.

Si Marcus lui-même évolue peu, ce n’est en revanche pas le cas de l’Apostat, qui est conduit à remettre en question toutes ses croyances après la visite d’un certain temple au Keshet.

marcus

Cithrin

La jeune femme est envoyée par Komme Médéan faire un an d’apprentissage auprès d’une autre Magistra à Suddapal, en Elassae. Cette cité est en fait constituée de la confluence de cinq villes, dont une côtière, une insulaire, une dans les terres, etc. Cithrin et son escorte (dont Yardem) se retrouvent alors être quasiment les seuls non-Timzinae dans une métropole où les pratiques, qu’elles soient relatives au mode de vie ou au commerce, sont profondément différentes de celles de Porte Oliva ou d’ailleurs.

Malheureusement pour elle, comme à Vanaï, l’expansion territoriale des Antéans va la rattraper, et elle sera confrontée à deux choix : fuir et préserver les intérêts de la Banque, ou bien aider les habitants Timzinae, accusés de tous les maux par les Premiers-nés (humains normaux) Antéans. Comme vous vous en doutez, Cithrin agira en Juste (dans le sens donné à ce mot durant la Deuxième Guerre Mondiale), mais se retrouvera confrontée à un choix cornélien en fin de roman (et encore une fois, on apprécie que l’auteur n’ait pas cédé aux appels des sirènes du cliffhanger facile, alors qu’il lui aurait été très facile de le faire en arrêtant la narration relative à certains personnages juste un chapitre avant).

Au passage, Cithrin est toujours aussi complexe, voire paradoxale, avec une psychologie torturée, à la fois frêle et fraîche jeune fille, femme d’affaire ultra-pragmatique et, de plus en plus, alcoolique noyant ses doutes, ses peurs et son chagrin dans la boisson.

cithrin

Clara

De tome en tome, le rôle de Clara Kalliam ne cesse de prendre de l’importance, et ce tome ne dément absolument pas cette tendance. De tous les protagonistes ou antagonistes, c’est aussi le personnage qui évolue (ou a évolué entre deux tomes) le plus. Déchue de sa position, vivotant avec une pension que lui verse son fils, elle se retrouve à vivre dans une pension minable tenue par la cousine de Vincen Coe. Pourtant, la volonté chevillée au corps, elle va mettre en oeuvre de redoutables (et assez originaux) stratagèmes pour saper la position de Geder.

Outre son évolution sociale, c’est aussi le changement de sa psychologie qui est intéressant, notamment dans sa relation avec Vincen ou avec le souvenir de son défunt mari.

clara

Univers : ça se précise

Certains pans de l’univers qui étaient jusqu’ici un peu flous (en même temps, le contexte et l’historique sont très complexes, bien entendu pas autant que chez Steven Erikson par exemple, mais tout de même plus que dans le livre de Fantasy moyen) se dévoilent : outre la cité Timzinae dont je parlais plus haut, nous faisons un peu connaissance avec les Haaverkins en début et fin de roman, et surtout avec… les dragons dans le dernier chapitre. Vous me direz : il était temps ! Ce petit aperçu donne une furieuse envie de se jeter sur le tome suivant, tant les choses vont visiblement beaucoup changer.

C’était déjà le cas dans les livres précédents, mais le complexe réseau d’interactions entre les treize races est toujours un des moteurs de l’intrigue, là aussi un peu comme chez Steven Erikson.

Autre point que je trouve assez important : Daniel Abraham / Hanover lève le doute qu’il avait jusque là entretenu sur la magie des conjureurs (terme qui, au passage, remplace l’horrible conjuraire adopté jusqu’ici). Elle est donc bien réelle, ce n’est pas juste de la prestidigitation ou le fait de persuader un témoin que quelque chose de magique a eu lieu. On voit, dans La loi du tyran, des sorts de soin ou des communications instantanées à longue distance.

Enfin, ce tome 3 lève en partie un doute que je commençais à entretenir : je me demandais si nous n’avions pas encore affaire à un cycle de science-fantasy ou de SF post-apocalyptique déguisé en Fantasy, comme il y en a eu un certain nombre dans l’histoire du genre, mais à priori, ce n’est pas le cas.

Intrigue : très (trop ?) inspirée par les crimes Nazis 

L’intrigue principale de ce tome 3 est très, très inspirée par les crimes Nazis lors de la Seconde Guerre Mondiale : on retrouve cette même série de conquêtes triomphales, ainsi, surtout, que le martyr d’un peuple, les Timzinae (comprenez : hommes-insectes) prenant la place des Juifs. Tout est là : stigmatisation (le coup d’état est un « complot Timzinae », on les appelle les « cafards »), déshumanisation (« Ce sont des Timzinae. Ce n’est pas comme s’ils étaient de véritables personnes », dixit le Prince Aster himself), déportations d’enfants afin d’assurer la loyauté des adultes, employés en camp de travail (dans des fermes, plus précisément), « Justes » cachant des enfants et éventuellement leurs parents au nez et à la barbe des soldats Antéans, etc.

Je suis le plus souvent réticent à propos de l’utilisation, dans un monde imaginaire, de parallèles avec l’histoire réelle, particulièrement ceux faits avec le Nazisme. C’est une technique qui me paraît relever de la facilité, et qui, de plus, donne souvent des résultats plus stéréotypés qu’ayant un réel impact, une réelle pertinence. Et par bonheur, c’est plutôt ce dernier cas qui a lieu ici : le parallèle avec le Nazisme est bien fait et prenant. Maintenant, c’est la façon dont moi je place le curseur : il n’en sera sans doute pas de même pour toutes les catégories de lectrices et de lecteurs, et certains seront éventuellement gênés par la méthode.

Toujours au chapitre de l’intrigue, les péripéties arrivant aux uns et aux autres, ainsi que certains éléments des tomes précédents (le terrain a donc été préparé longtemps à l’avance) s’entremêlent de façon habile dans l’histoire générale. On retrouve notamment Dar Cinlama, l’aventurier Dartinae croisé dans un tome antérieur, et qui ne prend sa réelle importance qu’à ce stade du cycle.

Style, un mot sur l’édition

La lecture est toujours aussi agréable, avec notamment cette ambiance, y compris olfactive et gustative, établie avec soin. La traduction d’Emmanuel Chastellière est plaisante, fluide et techniquement pertinente. Par contre, comme à chaque fois avec lui, le nombre de coquilles / problèmes divers de relecture est significativement plus élevé que la normale : rien qu’avec ce que j’ai repéré, on est à 5 pour 400 pages, une moyenne un peu haute à mon goût. Je ne dis pas que ça vient forcément de lui, cependant, après tout il y a d’autres personnes qui travaillent sur le texte à sa suite, des beta-lecteurs aux personnes chargées de la relecture en passant par le directeur de collection.

Sur un plan technique, rien à dire : couverture agréable, carte vraiment très utile, Dramatis Personæ, appendice sur les Treize Races de l’Humanité, tout est là.

En conclusion

Ce tome 3 reste aussi prenant et intéressant que ses prédécesseurs, réserve quelques scènes de forte intensité (la trahison du Connétable, le choix final de Cithrin), fait la part belle au voyage et à l’aventure, fait avancer significativement l’histoire (notamment au niveau des dragons) et la connaissance de certains pans de l’univers, magnifie certains personnages (Cithrin et Clara), et se termine sur un aperçu extrêmement alléchant de ce qui reste à venir. Au final, seuls deux points pourront poser problème : une allégorie sans doute un peu trop marquée pour certains du Nazisme, et le fait, pour les non-anglophones, qu’il est peu probable que la suite (tomes 4 et 5/5) soit publiée en français dans un avenir prévisible. Car loin de régler les différents arcs, la fin de ce livre ne fait que leur donner une nouvelle (et fort intéressante) impulsion.

Pour aller plus loin

Ce roman est le troisième d’un cycle : retrouvez sur Le Culte d’Apophis les critiques du tome 1, du tome 2

13 réflexions sur “La loi du tyran – Daniel Hanover

  1. Combien est-il prévu de tomes au final, car je croyais qu’il s’agissait d’une trilogie. Je ne veux pas me lancer en 2017 dans plusieurs cycles ou nouveaux cycles. Une trilogie c’est OK, au delà, je vais reporter à l’année suivante. Même si la publication (ou alors d’autant plus) n’est pas prévue dans un avenir immédiat. Au fait, les ventes sont décevantes ?

    Autrement, j’ai un peu sauté les paragraphes pour éviter les révélations sur les tomes précédents. Mais ta conclusion donne envie de se plonger dans l’aventure.

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    • Le cycle est achevé en VO, et compte cinq tomes au total. La publication en français « pas prévue pour l’instant », c’est une formule polie pour dire « jamais ». Et oui, les ventes ne doivent pas être à la hauteur de celles espérées par l’éditeur. Ce que je trouve un peu incompréhensible, tant il s’agit d’une Fantasy solide et agréable, d’évidence supérieure à la majorité de ce qu’on trouve sur le marché (j’explique en détails pourquoi dans la critique du tome 1, essentiellement).

      Oui, c’est vraiment à lire. Ce n’est pas un cycle « Culte » d’Apophis, mais ça n’en est pas si loin.

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  2. Ping : La voie du dragon – Daniel Hanover | Le culte d'Apophis

  3. Ping : Le sang du roi – Daniel Hanover | Le culte d'Apophis

  4. Ping : Décembre noir pour clore l’année 2016 – Albédo

  5. Comme vous dîtes pour les coquilles, je ne suis pas tout seul. 🙂 Surtout quand la série n’est pas forcément l’une des priorités de l’éditeur (ce que je peux comprendre).

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