La dame au linceul – Bram Stoker

C’est Draculette à la plage, aouh cha cha cha

dame_linceul_stokerInutile de vous présenter Bram Stoker, si vous vous intéressez au Fantastique vous avez forcément entendu parler de l’auteur de Dracula. Mais avez-vous pour autant lu le reste de l’oeuvre de l’écrivain britannique ? Après tout, elle se compose d’une douzaine de romans supplémentaires, de nouvelles et d’essais. Je vous propose donc de découvrir un livre tardif (1909) du créateur du seigneur des Vampires, La dame au linceul.

Roman gothique, épistolaire, mettant en scène une vampiresse (la dame au linceul du titre), on croit être dans les codes que Bram Stoker a contribué à créer ou du moins populariser et qui, dans l’esprit du public, caractérisent son oeuvre. Et on se trompe… car l’auteur nous réserve une surprise pour le moins inattendue en fin de roman. Fin qui, au passage, est tronquée dans l’édition française, qui omet plusieurs chapitres pour mieux la centrer sur la romance entre le protagoniste et sa dame aux yeux noirs si fascinants. 

Le contexte

1907. Alors qu’un navire de passage dans l’Adriatique aperçoit une femme vêtue d’un linceul et naviguant dans… un cercueil au large de la côte Dalmate, Rupert Sent Leger assiste à la lecture du testament de son oncle qui, à la surprise du reste de la famille, lui lègue l’écrasante majorité de sa fortune. Une fortune bien plus importante qu’on ne le pensait jusque là. Pourtant, il y a une condition : qu’il aille vivre pendant une durée précise dans le château que possède son oncle sur la côte qui prolonge les Montagnes Bleues, sur cette même côte Dalmate où a eu lieu l’apparition dont je vous parlais plus haut. Là, il va découvrir un peuple de rudes montagnards, qui, depuis des siècles, résistent à l’envahisseur, celui du moment se révélant être Ottoman. Il va se prendre d’affection pour eux et pour leur lutte, et mettre sa nouvelle fortune au service de leur cause.

Cet aventurier ayant parcouru les ruines d’anciennes civilisations et les lieux les plus retirés du monde, héritier d’une longue passion familiale pour l’occulte et la parapsychologie (sa tante bien-aimée possède le don de double-vue), expert en rituels et créatures surnaturelles, colosse de près de deux mètres, va un soir, à la porte de sa chambre, qui donne sur les magnifiques jardins du château, faire la rencontre d’une dame à la sombre mais très grande beauté, qui va lui demander la permission de passer son seuil et l’ensorceler, peu à peu, par sa grâce, sa majesté et l’éclat sans égal de son regard. Et ce même si cet expert de l’étrange va immédiatement reconnaître en elle… un vampire !

Caractéristiques, décor 

On retrouve très bien, dans ce roman, tout ce qui caractérise à la fois l’oeuvre de Stoker (la narration épistolaire, l’écriture tissant une atmosphère occulte, sombre et / mais envoûtante, le personnage du vampire) et le roman gothique, à commencer par l’importance donnée au lieu de l’action, qui n’est pas juste un décor mais un personnage à part entière, si j’ose dire. Il faut dire qu’ici, il casse un peu les codes du roman vampirique « normal » : s’il y a bien des montagnes et des forêts, la forteresse et ses alentours immédiats, où se déroule le gros des événements, est en bord de mer. Imaginez l’éperon rocheux de Minas Tirith, mettez-le sur la côte adriatique, placez une puissante place-forte à son sommet, et vous aurez une bonne idée des lieux. Ajoutez l’indispensable église orthodoxe (et sa crypte, incontournable s’il en est du roman vampirique) bâtie à même la falaise, les grottes dont certaines ouvrent sur la mer, et le tableau sera complet.

Pour autant, ne négligez pas les jardins dont je parlais plus tôt, ils sont aussi un élément participant fortement à établir l’atmosphère du livre.

Mon avis

Même s’il y a des points communs (vampire, roman épistolaire), nous ne sommes pas sur la même qualité que Dracula (ça se saurait, me direz-vous…). On peut notamment dénoncer un rythme moins bon et quelques digressions (que l’éditeur français a tenté d’arranger en ne proposant pas un texte intégral), une histoire qui, si elle a un charme certain, n’atteint pas l’impact de celle narrant les aventures du légendaire Comte, la révélation finale (que je vais évidemment taire), et surtout le début du livre, qui pourra détourner pas mal de lectrices et de lecteurs de ce livre. En effet, il y a une (très) longue partie détaillant, dans un style juridique très aride, les dispositions prises par le tonton en ce qui concerne son héritage. Toutefois, si vous passez cet obstacle, vous verrez que le récit devient très prenant par la suite, et démontre, s’il en était besoin, quel écrivain au style splendide était Mr Stoker.

Ce livre ne sera pas un roman vampirique de référence, car s’il mêle avec une rare adresse terreur, angoisse, sombre beauté, occultisme, transports amoureux et un aventurier qui est un très proche parent d’un Investigateur Lovecraftien, il n’en reste pas moins éloigné des ouvrages marquants du genre, en terme de qualité globale, et surtout à cause de cette damnée révélation finale dont je ne vais rien dire, sinon qu’elle démontre toute l’habileté de Stoker qui, via une idée magistrale mais qui va être clivante, subvertit les codes qu’il a, pour beaucoup, mis lui-même en place dans Dracula !

Toutefois, je l’ai trouvé personnellement supérieur, sur un pur plan littéraire, à Carmilla (auquel il rend, d’une certaine façon, hommage), ne serait-ce que dans la façon dont il a (bien) vieilli et dans la qualité globale.

En conclusion

Ce roman a le mérite de démontrer que Bram Stoker ne se réduit pas au magistral Dracula, et que les autres livres de l’auteur sont aussi intéressants. Reprenant les codes du britannique (à commencer par la narration épistolaire) et / ou les codes du roman vampirique / gothique (pour mieux les subvertir), le style virtuose de Stoker rend la lecture de La dame au linceul envoûtante, à l’exception d’une première partie détaillant en (trop) amples détails les dispositions d’un testament, rendant ainsi ce long passage peu digeste. Le reste, toutefois, est un véritable joyau noir, jusqu’à une conclusion particulièrement inattendue, tout spécialement pour un livre de Bram Stoker. On ajoutera, enfin, que le personnage principal, sorte d’Indiana Jones mâtiné d’Investigateur Lovecraftien avant l’heure, ainsi que le décor (maritime, ce qui est finalement peu courant dans un cadre vampirique et gothique), participent à l’intérêt ou la singularité de cette oeuvre.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls,

12 réflexions sur “La dame au linceul – Bram Stoker

  1. J’ai aussi beaucoup aimé le Joyau des Sept Etoiles, qui est un genre d’aventures ésotériques très « années folles », Lovecraft, toussa. Par contre le Repaire du Ver Blanc était plus … bizarre, et j’ai aussi lu qu’il avait fait l’objet d’une adaptation pour le moins particulière.

    Aimé par 1 personne

  2. C’est marrant, parce que le coup de l’héritage subordonné à un séjour dans une demeure sombre et mystérieuse, c’est quelque chose qu’on retrouve dans les romans ou films modernes (avec par exemple la variante « maison hantée » à la place du vampire).
    Du coup je pensais que ce schéma narratif était une adaptation, un détournement des classiques du fantastique, alors que ça non, ça en faisait déjà partie il y a un siècle.
    J’ai donc appris quelque chose, et j’trouve ça chouette 🙂

    Par contre, je ne te remercie pas pour la révélation-finale-qui-est-super-mais-dont-je-ne-vous-dirais-rien (d’où frustration et désir de se procurer le livre), ni pour la chanson qui s’est incrustée dans ma tête.

    ♫ Draculette à la plage, aouh cha cha cha
    Et les dents dans ton cou, aouh aouh
    Mystère et héritage, aouh cha cha cha ♫

    Aimé par 1 personne

    • Looooool, ah non mais là, c’est moi qui ai ta version de la chanson incrustée dans la tête ! Quel talent, bravo !

      Ce n’est pas tant le fait que la révélation finale soit super (dans le sens inventive) qui est intéressant (parce qu’elle va être vachement clivante, à mon avis), c’est surtout le fait qu’elle soit particulièrement inattendue, surtout pour un roman de Bram Stoker.

      J’aime

  3. Ping : La dame au linceul | Au pays des Cave Trolls

    • SPOILER : Surtout pas, vu que justement, ce texte ne relève, taxonomiquement parlant, PAS des littératures de l’imaginaire. Et c’est d’ailleurs en cela qu’il est extrêmement habile : Stoker subvertit les codes qu’il a contribué à créer pour vous faire croire qu’il s’agit d’un roman vampirique banal, mais les révélations finales montrent clairement que La dame au linceul ne relève pas de la SFFF, mais en exploite juste l’imagerie ou les tropes.

      J’aime

    • Alors rien à voir, mais il va falloir m’expliquer pourquoi vous changez de profil / d’adresse mail chaque fois que vous postez. Pour info, votre adresse IP reste la même, hein. Inutile de vous dire que c’est le genre « d’extravagance » qui a une forte tendance à faire sonner toutes les alarmes de sécurité de ce blog, plus les miennes, évidemment.

      J’aime

Laisser un commentaire