Gagner la guerre – Jean-Philippe Jaworski

La guerre n’est pas gagnée… enfin pas tout à fait ! 

gagner_la_guerre_jaworskiAvec ce livre, je me retrouve dans une situation inhabituelle. Le credo du Culte d’Apophis, c’est d’être à la pointe, c’est-à-dire de vous proposer des critiques des nouveautés en VF alors que l’encre n’a pas encore fini de sécher, de vous faire découvrir la vraie actualité de la Fantasy (et de la SF) en VO (en allant largement au-delà des sentiers battus et des auteurs bankables, hein), et de vous faire redécouvrir de bons livres oubliés pour une raison x ou y. Bref, il ne consiste pas à vous proposer une recension sur un livre qu’en gros, 90 à 95 % d’entre vous auront déjà lu. Mais bon, vu qu’il y a de la demande (beaucoup), et que pour comprendre ses 12789 épigones, il faut lire le maître (au passage, je saisis mieux, par exemple, un point précis croisé chez Gregory Da Rosa)… Bref, ceci est ma critique de Gagner la guerre, de J.P. Jaworski.

Alors je ne vais pas vous le cacher (et certains d’entre vous l’ont d’ailleurs bien senti), j’y suis vraiment allé à reculons (pour résumer en deux mots à ceux qui ne sont pas des habitués de ce blog : je suis nettement plus adepte de l’écriture directe, efficace, fonctionnelle, caractéristique de la plupart des auteurs anglo-saxons de Fantasy), mais, comme toujours, l’esprit ouvert, sans jugements préconçus et en toute impartialité. Au final, si j’ai pris du plaisir à lire ce livre (et beaucoup plus que je ne l’aurais cru), je ne le qualifierai pas pour autant de chef-d’oeuvre, et ne lui décernerai pas la distinction (enviée, si, si) de (roman) Culte d’Apophis. Il est « juste » très bon (c’est du 4 étoiles, pas 5, quoi). Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi et comment j’en suis venu à cette conclusion. Continuer à lire « Gagner la guerre – Jean-Philippe Jaworski »

The court of broken knives – Anna Smith Spark

Un road trip alternant atmosphère mélancolique et psychédélique, les influences d’Ursula Le Guin et de G.R.R. Martin, complots politiques et tueries en mode berserker

court_broken_knivesBon, bon, bon. Que se passe-t’il lorsqu’une auteure anglaise dont le pseudo sur Twitter est queenofgrimdark, qui a été publiée dans deux numéros de Grimdark magazine, et dont certains des auteurs préférés sont R. Scott Bakker, Daniel Polansky et Steven Erikson décide d’écrire un roman ? Eh bien elle écrit du Grimdark. Étonnant, non ? Certains d’entre vous vont alors me répondre : mais c’est quoi cette bête là ? C’est simple : le Grimdark (ou grim & gritty) est à la Dark Fantasy « normale » ce que cette dernière est au tout venant de la Fantasy. Bref plus noire, plus violente, plus explicite, plus lugubre, et ainsi de suite. Ajoutez à cela des complots politiques dans deux royaumes différents que ne renierait pas G.R.R. Martin, et vous penserez avoir cerné le sujet et l’atmosphère de ce livre.

Et vous feriez une belle erreur ! En effet, toujours dans la liste de ses auteurs préférés, Anna Smith Spark (une personne fascinante, dont la biographie fait cohabiter extrême érudition, écriture de poésie et une activité de… mannequin fétichiste. Si, si) cite Ursula Le Guin, et vous vous apercevrez rapidement, si vous lisez The court of broken knives (sachant que court est à comprendre dans le sens de square, place, pas dans celui de Cour royale -qui s’écrit bel et bien Court avec un « t » en anglais-), que l’influence de cette dernière est criante, surtout si vous avez lu Les tombeaux d’Atuan. Dès lors, vous allez probablement vous demander comment faire cohabiter l’ambiance mélancolique de Le Guin avec celle, sauvage, de la Grimdark Fantasy. La réponse est : avec un naturel désarmant ! Continuer à lire « The court of broken knives – Anna Smith Spark »

Le miroir de sang – Brent Weeks

Un complet changement de paradigme

blood_mirror_weeksLe miroir de sang est le quatrième tome du cycle Le porteur de lumière, après Le prisme noirLe couteau aveuglant et L’œil brisé. Il ne s’agira pas du dernier roman de la série, cependant, comme la plupart des gens le pensaient : un cinquième est prévu. Alors que les deux premiers livres étaient solides et que le troisième, s’il était certes un cran en-dessous, offrait encore un dernier quart trépidant, celui-ci a été accueilli par le lectorat anglo-saxon de façon très contrastée, un nombre conséquent de lecteurs regrettant le fait que l’intrigue principale n’avance guère (une assertion à laquelle je ne peux adhérer) et surtout l’énorme twist introduit à propos d’un fait majeur, considéré comme acquis depuis le premier volume.

Personnellement, je trouve que même s’il y a des points critiquables, dans l’ensemble ce tome 4 est plus nerveux que le précédent (le fait qu’il soit presque deux fois plus court ne doit pas être étranger à cette impression) et à vrai dire plus intéressant. Le seul vrai point qui pourra poser problème est, à mon sens, la série de révélations concernant Gavin. De mon côté, j’ai trouvé ça plutôt bien fait (même si c’est vraiment un twist radical), mais si j’en juge par les avis sur la VO, tout le monde ne va clairement pas réagir comme cela.  Continuer à lire « Le miroir de sang – Brent Weeks »

Soul of the world – David Mealing

Une High Fantasy 2.0 à mousquets Révolutionnaire (dans tous les sens du terme) et d’une ambition que ne renierait pas Steven Erikson

soul_of_the_worldSi vous suivez ce blog, vous savez que je fais partie de ces lecteurs de longue date / ces gros lecteurs qui ont depuis un moment laissé tomber la High Fantasy, ses prophéties et ses héros / héroïnes destiné(e)s à sauver le monde. Question de répétitivité de ce sous-genre, de manichéisme et de pauvreté des intrigues, de simplicité relative de la psychologie des personnages, surtout par rapport à la Dark Fantasy. Ne croyant plus à un renouvellement du genre, je me suis tourné vers des formes émergentes, plus novatrices et dynamiques, comme la Flintlock ou la Colonial Fantasy. Eh bien il faut croire que de l’autre côté de l’océan Atlantique, le Grand Esprit a entendu ma prière muette, et qu’il a missionné le dénommé David Mealing. En effet, celui-ci nous propose ce que l’on pourrait appeler une High Fantasy 2.0, ou, pour être vraiment très précis, une High Flintlock / Colonial Fantasy (oui, j’invente des sous-genres maintenant, je n’ai plus de limites, mouahaha !). Car pourquoi proposer un sauveur du monde lorsqu’on vous pouvez en proposer trois (et autant de formes de magie différentes !), pourquoi se restreindre à du médiéval-fantastique lorsque vous pouvez mélanger des tomahawks, de la sorcellerie et des canons, et enfin pourquoi modeler votre contexte et intrigue sur la Révolution française lorsque vous pouvez mélanger cette dernière avec son équivalent américain, dans un cadre qui rappelle la colonisation anglaise et française du continent et la Guerre de Sept Ans ?

Si on ajoute à cela une ambition certaine (et des éléments qui ne dépareilleraient pas chez ces pointures que sont Steven Erikson et Michael Moorcock), on se retrouve avec un premier roman (car c’est bien de cela dont il s’agit) absolument impressionnant, à la fois par son ampleur, par l’audace de son auteur (qui ne donne pas dans la facilité pour une première oeuvre) et par la façon ahurissante dont il mélange les vieilles recettes avec les plus récentes pour donner un livre résolument unique. Alors certes, tout n’est pas parfait (on va en parler), mais ça reste tout de même un auteur à suivre de près. Et ce d’autant plus que le premier jet du tome 2 (il s’agit d’un cycle, dit de l’Ascension) est déjà terminé à 95 % ! Continuer à lire « Soul of the world – David Mealing »

Soleri – Michael Johnston

Ce cycle est potentiellement une des nouvelles références de la Fantasy politique, à condition que les tomes suivants corrigent quelques erreurs de jeunesse

soleriMichael Johnston est un auteur américain vivant à Los Angeles. Cet architecte, qui a également étudié l’Histoire, a vu le germe d’une idée naître lors d’une conférence consacrée à l’Égypte antique. Ce passionné de Fantasy et de SF, natif de Cleveland, a vu cette idée croître lorsqu’il a déménagé en Californie et visité pour la première fois le désert. Il a mis un  terme à son activité professionnelle pour se consacrer à l’écriture de son premier roman (en solo, puisque il en a co-écrit deux autres), Soleri, qui a pour ambition de mêler Fantasy, Égypte et décisions politiques tragiques inspirées par Le Roi Lear (décidément à la mode en SFFF puisque la pièce jouait aussi un rôle dans le récent Station Eleven). Ambitieux, n’est-ce pas ? D’autant plus que vu l’énorme densité d’intrigues de cour, de complots et de mystère, le côté impitoyable de la chose, et l’inspiration adossée à un classique (Shakespeare ici, Maurice Druon chez Martin), difficile de ne pas faire la comparaison avec le Trône de fer (surtout avec des expressions du genre « The horned throne »).

Bref, le lecteur abordera forcément ce roman avec certaines attentes, et toute la question est de savoir si elles seront satisfaites. Pour ma part, je répondrai : pas totalement. C’est certes un roman impressionnant (surtout dans l’aspect intrigues politiques et l’impact de certaines scènes ou révélations -surtout celle de la dernière ligne-) compte tenu de la relative inexpérience de l’auteur, mais il cumule trop de maladresses pour totalement convaincre. Par contre, la suite (qui est en cours d’écriture), si elle corrige lesdites erreurs, pourrait bien s’imposer comme une des nouvelles références de la Fantasy politique. Continuer à lire « Soleri – Michael Johnston »

The killing moon – N.K. Jemisin

Fade, stéréotypé, mais sauvé par un personnage central intéressant et émouvant

killing_moonN.K. Jemisin est une auteure américaine originaire de l’Iowa. Elle a obtenu le prix Locus pour son premier roman, Les cent mille royaumes, en 2011, et surtout le Hugo 2016 pour La cinquième saison, à paraître en septembre et dont j’aurai l’occasion de vous reparler en détails. C’est également une critique de SFFF (féroce, notamment dans les colonnes du New York Times) et une diplômée de l’atelier d’écriture Viable Paradise, qui, que ce soit au niveau des étudiants ou des professeurs, a vu passer bien des noms prestigieux, comme Elizabeth Bear, John Scalzi, Steven Brust ou Scott Lynch.

The killing moon est le premier volume d’un diptyque, Dreamblood. Comme l’auteure l’explique dans sa préface, elle a cherché à extraire ce qui est au cœur de la civilisation égyptienne antique sans pour autant proposer un réel roman historique à même de satisfaire, en terme de réalisme, un égyptologue.  Continuer à lire « The killing moon – N.K. Jemisin »

L’œil brisé – Brent Weeks

75 % bof, 24 % trépidant, 1% transcendant

oeil_briséL’œil brisé est le troisième tome du cycle Le porteur de lumière, après Le prisme noir et Le couteau aveuglant (le tome 4, Le miroir de sang, paraîtra en français le 28 juin, et sa critique vous sera proposée sur ce blog début juillet). Il s’agit d’un véritable monstre de… 1080 pages. Alors que ses prédécesseurs proposaient une montée en puissance plus ou moins rapide et progressive, celui-ci s’enfonce dans un relatif marasme durant les trois quarts de sa longueur totale (et 75% de 1080 pages, ça fait beaucoup…), avant de se réveiller d’un coup au début du dernier quart, devenant trépidant et très intéressant, et de ménager une énorme révélation (quasi-)finale !

Avertissement préalable : arrivé au troisième livre d’un cycle, les spoilers sur les tomes précédents sont inévitables. Ce qui suit est garanti sans révélation majeure sur l’intrigue de ce tome 3, pour le reste, c’est à vos risques et périls. Si vous ne souhaitez rien savoir, je vous conseille de sauter directement à la conclusion.  Continuer à lire « L’œil brisé – Brent Weeks »

L’ombre du pouvoir – Fabien Cerutti

Un univers et un protagoniste solides, un roman prenant, mais une narration perfectible

ombre_pouvoir_ceruttiFabien Cerutti est un professeur agrégé d’histoire, passionné par les mondes imaginaires. L’ombre du pouvoir est le premier tome d’un cycle appelé Le Bâtard de Kosigan, issu d’une série de scénarios parus pour le jeu vidéo Neverwinter Nights. Ces scénarios, primés, ont d’abord donné naissance à un projet de BD, qui ne verra cependant jamais le jour en raison de la très faible « productivité » du dessinateur polonais recruté (10 pages en deux ans…). Finalement, c’est un roman qui assure la continuité de cet univers, ensuite rejoint par un tome 2. Notez que les tomes sont largement indépendants les uns des autres mais liés par un double fil rouge, à la fois politique et magique (origines du héros, de l’humanité et de la religion), selon le site de l’auteur.

Votre serviteur, s’il n’est, à quelques exceptions près (Pevel, Gaborit) pas franchement fan de Fantasy française, est en revanche particulièrement intéressé par le type de Fantasy Historique proposé par Fabien Cerutti, mêlant cadre réel et elfes, nains et autres créatures et races fantastiques. Et lorsque, en plus, paraît une édition poche avec une couverture comme je les aime (dynamique, très colorée, rentre-dedans), je ne peux que succomber à la hype et lire, moi aussi (bien qu’avec du retard), ce livre à la très bonne réputation. Qui, pour une fois, est amplement justifiée.  Continuer à lire « L’ombre du pouvoir – Fabien Cerutti »

Range of ghosts – Elizabeth Bear

Une Fantasy de la Route de la soie de grande qualité

range_of_ghostsElizabeth Bear (il s’agit d’un pseudonyme) est une romancière et nouvelliste (très prolifique) américaine multi-primée (Prix John Campbell 2005, deux Hugo pour des textes courts, prix Locus). Le gain de plusieurs Hugo après l’obtention du prix Campbell du meilleur nouvel écrivain est rarissime, puisque seuls quatre autres auteurs ont réalisé cette combinaison, et pas des moindres : Orson Scott Card, Ted Chiang, C.J Cherryh et le moins connu sous nos latitudes Spider Robinson. Elle a publié des textes relevant des trois grands genres des littératures de l’imaginaire : SF, Fantastique et Fantasy. Le roman dont je vais vous parler aujourd’hui, le premier tome d’une trilogie appelée Eternal Sky, appartient à cette dernière. Une seconde trilogie, The Lotus kingdoms, est en cours d’écriture : son premier tome, The stone in the skull, sort le 10 octobre 2017.

Range of ghosts (« La chaîne -de montagnes- des fantômes ») vous projette dans un monde fabuleux, inspiré par la Mongolie, la Chine, le Tibet / l’Inde et la Turquie / l’Iran / l’Arabie, avec beaucoup d’éléments fantastiques. J’avais entendu beaucoup de bien à propos de l’écriture d’Elizabeth Bear, et je dois dire que je n’ai pas été déçu : c’est une conteuse de grande qualité.  Continuer à lire « Range of ghosts – Elizabeth Bear »

The Shadow Throne – Django Wexler

La Révolution, en direct live, caméra à l’épaule

shadow_throne_wexlerThe Shadow Throne est le deuxième tome du cycle The Shadow Campaigns, après Les Mille noms. Au total, il compte 5 romans et deux nouvelles, dont The penitent damned. La lecture de ce dernier texte est d’ailleurs conseillée avant d’attaquer ce tome 2, car il présente le Duc Orlanko qui aura un grand rôle à jouer dans les intrigues de Cour au centre du livre, ainsi que son âme damnée, Andreas.

Alors que Les Mille noms était inspiré par la Campagne d’Égypte de Bonaparte, ce tome 2, lui, fait intervenir, à l’inverse de notre propre Histoire, la Révolution après cette expédition outre-mer. Le Roi du Vordan est mourant, son fils est décédé lors de la guerre précédente, sa fille de 19 ans est perçue comme une ingénue, et tout le monde sait que le vrai pouvoir va en réalité revenir à Orlanko, le redouté ministre de l' »Information » (comprenez chef de la Police Secrète). Mais tout le monde n’est pas résigné à accepter ce destin funeste, et une cabale se met en place pour enlever le pouvoir des mains de la future reine et surtout de celles du Duc. A sa tête, la princesse en question (sous une fausse identité), qui organise donc la Révolution… contre son propre trône !  Continuer à lire « The Shadow Throne – Django Wexler »