Atlas des contrées rêvées – Dominique Lanni

Un concept intéressant, un livre bien écrit et bien illustré, une édition soignée, mais…

J’ai reçu ce livre dans le cadre de l’opération Masse Critique organisée par Babelio. Je remercie d’ailleurs ce site, ainsi que les éditions Arthaud.

Le fond

Cet ouvrage recense tous les pays ou lieux qui, du fait de vides sur les cartes de l’époque, de l’imagination (pour ne pas dire les fantasmes) de certains chroniqueurs ou encore de leur place dans telle ou telle mythologie, ont acquis une aura mythique, voire mystique, en général très éloignée de la réalité, quand seulement ces endroits avaient une quelconque réalité tangible.

Vous avez tous forcément entendu parler de certains d’entre eux : Troie, le Congo, l’Eldorado ou la Terre de Feu par exemple. Dans certains autres cas, vous les connaissez mais sans le savoir : Cathay n’est qu’un autre nom pour la Chine, la Nouvelle-Cythère pour Tahiti et Cipango pour le Japon, tandis que si Cibola ne vous évoque peut-être rien, son autre nom de « pays de sept cités d’or » parlera forcément beaucoup plus aux amateurs du dessin animé des années 80 ou à ceux de Corto Maltese. Si vous êtes féru de mythologie, des noms comme Colchide, le pays des Amazones ou le Jardin des Hespérides vous seront familiers. Enfin, les amateurs de romans ou films d’aventure, de fantasy ou fantastiques (ce qui explique d’ailleurs la chronique de cet ouvrage sur un blog SFFF) seront automatiquement familiers avec les noms, forcément très évocateurs, de Khitaï, Ophir, du pays des Cimmériens, du royaume du Prêtre Jean, des mines du roi Salomon ou encore avec les sources du Nil. Lisez le chapitre sur l’Araucanie, par exemple, et vous verrez comment on peut mêler histoire, fiction et merveilleux, à l’instar de l’Orlando Furioso ou de son dérivé uchronique et Fantasy, Ariosto Furioso.

Bref, toutes les contrées imaginaires, mythologiques ou fantasmées de premier plan sont là, sauf quelque part la plus évidente de toutes : l’Atlantide. Je m’interroge encore sur l’absence de cet incontournable, personnellement. De même, mettre dans le même sac Mu et Lémuria en assimilant le premier continent à un simple nom alternatif pour le second est un raccourci qui me paraît inacceptable : le continent englouti de Mu était supposé être situé dans le Pacifique, alors que Lémuria était située (prétendument) dans l’Océan Indien…

Chaque contrée fait l’objet d’un paragraphe (parfois d’une mention dans celui consacré à telle ou telle autre), qui peut faire de 1 à 3 rectos. Chacune fait aussi l’objet de sa propre carte (nous en reparlerons en détails). L’auteur a une belle écriture, un peu trop d’ailleurs, car il a tendance à partir dans de grandes envolées qui desservent parfois le propos plus qu’elles ne le servent (même si d’autres fois, c’est vraiment très réussi et évocateur). On apprécierait, parfois, un style un peu plus direct, ou à l’inverse d’être moins noyé sous les détails historiques en certaines autres occasions. Je pense qu’il y avait un certain équilibre à trouver entre envolées lyriques et froideur de l’historien rapportant des faits, et je n’ai pas le sentiment qu’il ait toujours été trouvé. Mais là où il l’a été, le livre se révèle passionnant. De même, certains détails sont répétés à l’identique sur plusieurs fiches, et bien que je sois conscient que l’ouvrage n’est pas forcément conçu pour être lu de bout en bout et que certains lecteurs puissent ne lire que les fiches des contrées qui les intéressent, ce genre de redondances est vite lassant pour celui qui lit le livre dans son intégralité. Alors que ça passe dans le chapitre consacré aux Amériques, c’est en revanche pénible dans celui consacré à l’Afrique.

En tout cas, on apprend des tas de choses, notamment sur la façon assez ahurissante dont une contrée vaguement entraperçue, voire jamais visitée, et seulement connue par des témoignages de seconde main, peut se voir affublée de caractéristiques ou d’habitants extraordinaires, comme des humains à tête d’animal ou un cap qui, une fois franchi, noircit instantanément un homme ou fait flamber en un instant les voiles d’un navire, car il mène à des régions équatoriales où la vie est réputée impossible. Comme quoi, les dragons et autres créatures merveilleuses ou terribles qui ornaient les anciennes cartes avaient une signification autre que décorative.

Sur un plan plus terre-à-terre, on s’aperçoit également que des peuples ou des pays tout à fait réels se voyaient affublés de coutumes ou autres caractéristiques complètement déformées, pour ne pas dire parfois complètement fantasmées, et en tous les cas fort éloignées de la réalité. Quand réalité il y avait, car certains lieux n’ont jamais eu aucune existence, comme l’Eldorado par exemple, ce qui n’a pas empêché qu’ils fassent couler beaucoup de sang et de sueur, tout à fait réels par contre.

La forme

L’édition est très soignée : couverture cartonnée, très beau papier, belle impression, et surtout des cartes qui ont bénéficié de beaucoup de soin. Dans un style un peu « naïf », avec des petits arbres et de petites collines dessinées, elles auraient pu rappeler les cartes anciennes de l’époque des grandes découvertes, ou celles dont ont l’habitude les lecteurs de livres de Fantasy ou de jeu de rôle. Malheureusement, deux choix très contestables viennent gâcher ce qui aurait pu être une excellente impression : premièrement, un tracé des côtes avec un trait extrêmement épais (et le plus souvent d’un gris triste, par ailleurs, alors qu’un noir soit net, soit brillant, aurait pu sublimer l’illustration), qui donne un rendu catastrophique dès que les îles sont nombreuses et rapprochées. Deuxièmement, le choix de représenter collines et montagnes en gris sur trop de cartes, pour un rendu franchement terne et triste. Les cartes où les reliefs sont représentés en marron sont nettement plus réussies, et donnent une impression très différente.

Cependant, je ne voudrais pas laisser une impression trop dure ou avoir l’air de dénigrer l’artiste, ce n’est absolument pas mon but car il y a beaucoup de travail derrière, beaucoup de bonnes intentions et car, au final, on reste clairement en admiration devant ces cartes. Mon regret est simplement qu’avec quelques changements, l’impression aurait pu passer de bonne à extraordinaire.

Je ferais la même remarque sur les choix de couleurs : la couverture orange pétant est inélégante pour un livre qui dégage, une fois qu’on l’ouvre, une incontestable impression de standing et de qualité. De même, les pays sont classés par continent, et les doubles-pages orange explosif qui marquent le passage de l’un à l’autre sont une agression pour les yeux. Pour finir sur ce chapitre, la face interne des couvertures est d’un vert qui se marie effroyablement mal avec l’orange. Et à propos de ce vert, pourquoi diable avoir voulu en mettre sur la tranche des pages ? Ça ne sert à rien, c’est moche, ça donne une page sur 5 collée à une autre à l’ouverture du livre, et, pire que tout,  ça laisse un liseré vert irrégulier sur le côté des pages, puisque le vert déborde de la tranche au bord de la page. Ce qui gâche une impression qui, par ailleurs, est excellente, et tout ça sur un papier extrêmement agréable.

Bref, pour moi, certains choix constituent, une fois cumulés, d’importants handicaps à un livre qui, pourtant, avait tout et était très bien parti pour être un magnifique objet. Je pense que, pour une future édition / réimpression, certaines choses devraient vraiment être corrigées. Je le répète, je trouve que dans l’ensemble, l’auteur et l’illustratrice ont fait un travail digne d’attention et de reconnaissance, mais je pense aussi qu’une critique montrant sans concession (et bien entendu de façon argumentée et constructive) ce qui peut être mal perçu de la part du lectorat, ou ce qui peut être corrigé ou amélioré, est plus utile que néfaste pour l’éditeur.

En conclusion

Un livre qui plaira beaucoup aux amateurs de pays imaginaires, qu’ils soient fantasmés mais avec une contrepartie réelle ou bien complètement de fiction. C’est d’une belle invitation au voyage, un peu onirique, qu’il s’agit, mais aussi, et c’est habile, pour ne pas dire une force, un vrai livre d’histoire en même temps. Beaucoup de soin a été apporté à l’écriture et à la réalisation de l’ouvrage, même si, avec quelques ajustements, que ce soit au niveau de l’écriture ou de la réalisation technique, ce livre pourrait passer de plaisant (et très plaisant pour les cartes) à quelque chose d’incontournable dans la bibliothèque de tout amateur de contrées imaginaires, d’histoire des grandes découvertes et des perceptions erronées des pays, de la géographie et des peuples dans l’histoire, ou tout simplement dans la bibliothèque de l’amateur de livres aux illustrations (notamment en matière de cartes) de grande qualité.

3 réflexions sur “Atlas des contrées rêvées – Dominique Lanni

  1. Ping : Ajouts et modifications sur le blog – 24 Mars 2016 | Le culte d'Apophis

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