Apophis Box – Janvier 2025

Elfes et mutation, sources de Hard SF (de qualité) autres que les romans et « Belle au bois dormant »… en SF

L’Apophis Box est une série d’articles… n’ayant pas de concept. Enfin presque. Bâtie sur le modèle des « box » cadeau, vous y trouverez à chaque fois trois contenus / sujets en rapport avec la SFFF, qui peuvent être identiques ou différents entre eux, et qui peuvent être identiques ou différents de ceux abordés dans la box du mois précédent. Pas de règle, pas de contraintes, mais l’envie de créer du plaisir, voire un peu d’excitation, à l’idée de découvrir le contenu de la nouvelle Box. Le but étant aussi de me permettre de publier des contenus trop brefs pour faire l’objet d’un des types d’articles habituellement proposés sur ce blog ou dérogeant à sa ligne éditoriale standard, et bien sûr de pouvoir réagir à une actualité, à un débat, sans être contraint par un concept rigide.

Vous pouvez retrouver les Apophis Box précédentes via ce tag.

Au sommaire de cette box de janvier 2025 :

Elfes et mutation

Si j’écris d’un côté « elfes » et plus loin « mutation », vous allez sans doute vous demander ce que ces deux mots ont à voir entre eux ; le premier est clairement connoté Fantasy, le second nettement associé à la SF / aux comics (aux X-Men, notamment)… ou du moins ce sera le cas dans l’esprit du grand public. En creusant un peu plus, on s’aperçoit qu’il y a des elfes ou de proches équivalents (les Minbari de Babylon 5, tout particulièrement) dans d’autres genres de l’imaginaire (Science-Fantasy – dans l’univers de Warhammer 40 000, notamment – et SF), et que même en pure Fantasy, cette race peut subir (voire provenir de) ce qu’il faut bien appeler une mutation. Voici trois exemples de la chose !

Le premier relève de la Science-Fantasy et concerne Shadowrun, un jeu de rôle dont la première édition date de 1989 et la dernière en date (la sixième) de 2019. Il part d’un postulat fascinant : la magie (et la présence, corrélée, de créatures surnaturelles) est un phénomène cyclique, et au début du XXIe siècle (uchronique) de la chronologie du jeu, elle se réveille, réactivant par là même des séquences génétiques dormantes dans le génome humain. Certaines femmes se mettent alors à accoucher d’enfants différents (dits métahumains, donc des… mutants), en clair des elfes, des Nains, des orcs et des trolls. Ce qui mène, dans les décennies suivantes, à la cohabitation de TOUT ce qui touche de près ou de loin le joueur moyen de Jeu de rôle et le lecteur lambda de SFF : les sorts de boule de feu, les elfes, donc, les flingues, des stations spatiales, des hovertanks, la « matrice » (pas la Réalité Simulée de la série de films Matrix mais une Réalité Virtuelle plus dans la lignée du cyberpunk classique), les implants cybernétiques, des dragons, et j’en passe. L’ensemble pourrait donner un grand fourre-tout grotesque, risible ou invraisemblable, mais au fil des suppléments (et il y en a BEAUCOUP) et des éditions, les auteurs de la gamme ont bâti un édifice absolument remarquable en matière de worldbuilding, tout spécialement, d’ailleurs, en ce qui concerne les elfes : le sourcebook appelé Tir Tairngire, consacré à la nation elfe nord-américaine, est un monument (le mot n’est pas trop fort) décrivant une race presque autant anti-Tolkienienne que possible ; les elfes sont des manipulateurs (il est fortement suggéré que certains d’entre eux sont nés bien avant le retour de la magie, et que certains pourraient même être vivants depuis le dernier cycle magique, il y a des milliers d’années, et que ces « anciens » ont manipulé les humains et les autres races métahumaines pour se créer un royaume bien à eux), profondément racistes (nous en reparlerons dans une prochaine Apophis Box, mais c’est devenu assez fréquent dans la Fantasy non-littéraire moderne : la série de jeux vidéo Elder Scrolls est dans le même cas), ayant créé une nation dotée d’un système de castes rigide, où résidents permanents ou gens de passage (et il est très difficile d’y entrer) ne sont pas des citoyens mais des sujets, dont les droits ne sont ni inaliénables, ni garantis, mais des privilèges instantanément révocables. Paranos et pas loin d’être fascistes, ces elfes là ne sont certainement pas recommandables, même s’ils jouent, justement, sur les stéréotypes Tolkieniens des habitants du monde de Shadowrun pour paraître nobles, élégants, sophistiqués et respectables. Et des victimes du racisme anti-Métahumains alors qu’en gros, il n’y a pas plus intolérants (envers les non-elfes) qu’eux… À ce titre, ce jeu est une de ces oeuvres non-romanesques à découvrir si vous cherchez des races dont le nom est familier mais où tout le reste l’est beaucoup moins (là aussi, j’en reparlerai dans une future Apophis Box, mais on pourrait aussi citer les Nains / Dwemers des Elder Scrolls ou les Hobbits de Dark Sun).

Nous venons de voir que des elfes anti-Tolkieniens peuvent être issus d’une mutation génétique, mais (et cela va peut-être vous surprendre) chez le Maître aussi, les elfes peuvent être concernés par une forme de mutation : Tolkien, pour justifier l’existence des orcs, a avancé, dans ses ouvrages, en interview ou dans sa correspondance avec ses lecteurs, différentes explications, et l’une d’elles (adoptée et adaptée par la série Les Anneaux de pouvoir ainsi que dans les films de Peter Jackson) est qu’il s’agit en fait d’une ethnie elfique (les Avari) capturée par Morgoth, torturée, mutilée, transformée (donc : mutée, en quelque sorte) et surtout pervertie pour créer ces êtres difformes, maléfiques et repoussants (déchus, au sens luciférien du terme ?) que sont les orcs. Remarquons d’ailleurs que cette mutation n’est pas la seule présente chez le britannique : après tout, Gollum est une forme transformée du Hobbit Sméagol, du fait de la durée de vie très étendue et de la corruption (y compris physique) catalysée par l’Anneau. Sans compter des lustres de vie cavernicole. Ce qui me conduit d’ailleurs à…

Le meilleur exemple (que je connaisse, du moins) de mutation d’une race elfique est donné dans le célébrissime jeu vidéo Skyrim, cinquième volet de la saga Elder Scrolls dont je parlais plus haut. Les Falmers ou Elfes des neiges sont les premiers colons de l’extrême-nord du continent de Tamriel, Bordeciel (Skyrim en anglais). Cette civilisation évoluée est bientôt rejointe par des humains, les Atmorans ou Nédiques (les ancêtres des Nordiques – l’équivalent des vikings dans cet univers -), venus d’un continent encore plus septentrional que Bordeciel. Au début, la coexistence est pacifique, mais bien vite, la compétition pour les terres, les ressources, et, selon la rumeur, pour un artefact de pouvoir découvert par les humains mène à une politique génocidaire de la part des elfes. Malheureusement pour eux, le chef des Atmorans survit, rentre sur son continent d’origine, revient en force, bat les forces elfiques et entame à son tour une campagne d’extermination. Les rares survivants sont forcés de se réfugier sous terre, chez leurs cousins Dwemers, les Nains (oui, dans cet univers, les Nains sont des elfes, et steampunk, qui plus est !), et commencent à consommer une plante toxique qui les rend peu à peu aveugles et les prive d’intelligence et de volonté. Réduits en esclavage par leurs cousins, torturés, ils dégénèrent / mutent horriblement au fil du temps, physiquement et mentalement, devenant des créatures aveugles ressemblant aux gobelins des films du Seigneur des anneaux ou à Gollum, emplies de haines envers les autres. Le joueur de Skyrim découvrira, au cours de l’histoire d’une de ses extensions, qu’il reste toutefois de « vrais » Falmers, ayant gardé intactes leur apparence, leur intelligence et leurs vastes facultés magiques.

Retour au sommaire

Sources de Hard SF (de qualité !) autres que les romans

Tu es un fanatique de romans / nouvelles / novellas de Hard SF, et tu as un problème : tu as tout lu, tout ce qui a été traduit ou écrit directement en français en la matière, voire ce qui est disponible en VO. Et bien entendu, tu en veux plus. Et si possible de qualité, n’est-ce pas, pas un de ces machins estampillés (par l’éditeur ou certains chroniqueurs) « solide sur le plan scientifique » alors que non, hein, pas du tout (je vais d’ailleurs en donner un exemple plus loin dans l’article). Et si possible en français (ou sous-titré / doublé), siouplaît madame, merci. Alors on ne va pas se mentir, ça va être compliqué de réunir qualité ET en français, et puis il va sans doute falloir aller loin des romans, vers d’autres domaines culturels. Parfois pas si loin (il y a des BD de Hard SF, après tout), parfois beaucoup plus. Et pourtant, des choses de qualité, il y en a, et le plus ahurissant, c’est qu’il y en a un nombre surprenant (assez pour que je fasse au moins un second contenu de ce type dans une autre Apophis Box), et que certaines sont d’une qualité telle que même les plus grands maîtres de ce sous-genre ne peuvent pas rivaliser. Si, si.

Commençons donc par cette perle qui ridiculise Egan, Baxter et consorts (OUI, OUI), à savoir le site web Orion’s arm. Fruit de 25 ans d’écriture collaborative par des dizaines de contributeurs, cet univers est un monument de Hard SF et de science-fiction Posthumaniste, d’une ambition que vous ne pouvez même pas imaginer. Certaines de ses IA sont d’une telle intelligence, puissance et ont des supports physiques si vastes et exotiques qu’elles frôlent le divin (l’IU de Dan Simmons) et l’astronomique (voire le cosmique), dans le style de David Zindell, mais en encore plus extrême. On y crée artificiellement des univers « de poche » pour les transformer en formidables calculateurs, capables de donner des réponses à des problèmes mathématiques qui, dans l’univers « réel » / de base, prendraient un temps « infini » ou presque. On y trouve même un objet indubitablement artificiel de 10 années-lumière de long, d’une masse équivalent à 100 milliards de fois celle du soleil, qui approche du Groupe Local de galaxies à quasiment la moitié de la vitesse de la lumière. Commencer à lire le contenu de ce site, à découvrir cet univers, est un catalogue sans fin de merveilles dont on ne s’extrait qu’à grand-peine, en se faisant la réflexion que les auteurs de romans de Hard SF, à part sur une poignée de textes, sont en comparaison bien timides. Réflexion que l’on peut d’ailleurs étendre à la Fantasy qui, plus encore que la SF, à une lourde tendance, ces dernières années, voire décennies, à aller vers toujours moins d’épique et de grandiose, pour toujours plus de Low Fantasy politisée. Le seul défaut d’Orion’s arm est que ce site est en anglais, même si avec les ressources de traduction informatique modernes, ce ne sera plus un problème aussi préoccupant aujourd’hui qu’à sa naissance, en l’an 2000. Si vous aimez la (Hard) SF / Science-Fiction Posthumaniste de TRÈS haute volée, c’est bien simple, vous ne trouverez jamais mieux. Même pas chez Greg Egan ou Neal Asher.

La deuxième source de Hard SF de (grande) qualité non-romanesque est un jeu de rôle, Eclipse Phase. On est ici sur une démarche (ou du moins un résultat) légèrement différente de celle d’Orion’s arm, vu que le jeu laisse la nette impression qu’il s’agit moins d’aller plus loin que les auteurs (de romans) d’inspiration, mais de compiler. Et en parlant de ça, la bibliographie est… impressionnante : vous y trouverez TOUT ce / ceux que vous aimez, de Neal Asher à Iain Banks, en passant par Greg Bear, David Brin, James S.A. Corey, Greg Egan, Peter Hamilton, Richard Morgan, Nancy Kress, Linda Nagata, Ada Palmer, Frederick Pohl, Alastair Reynolds, Kim Stanley Robinson, Dan Simmons, Neal Stephenson, Bruce Sterling, Charles Stross, Vernor Vinge, Peter Watts, Walter Jon Williams, David Zindell, et bien, bien d’autres (y compris des films, des séries, des BD, etc.). Et la chose est bien visible dans les fondamentaux du jeu : l’enveloppement de Carbone modifié ici, un bout d’Ilium de Dan Simmons là, un gros bout de Skynet encore là, l’exploration d’un ailleurs inconnu, générateur de mort ou de fortune à la Stargate / La Grande Porte, et j’en passe. Eclipse Phase est une synthèse du meilleur de la Hard SF, du post-apocalyptique, du Post-cyberpunk et du transhumanisme, pas vraiment novatrice (comme peut l’être Orion’s arm) mais véritablement passionnante (et, je l’ajoute, particulièrement soignée sur le plan graphique). Et disponible en français, je m’empresse de le préciser. Sachez aussi que les anglophones parmi vous sont libres de télécharger légalement la version électronique de la VO. Bref, pas d’excuses pour ne pas découvrir cet excellent univers.

Ah si, c’est vrai, vous n’êtes ni joueur, ni maître de jeu de rôle : eh bien je n’ai plus joué ou maîtrisé, à ce stade, de jeu de rôle papier (pour les MMORPG, c’est très différent) depuis un quart de siècle, et là aussi, ça ne m’empêche pas d’en lire des livres de base ou suppléments régulièrement, pour le contexte (et j’ai été surpris de constater, récemment, que j’étais loin d’être le seul dans ce cas). La remarque est d’ailleurs aussi valable pour Shadowrun dont je parlais plus haut, d’autant plus vu que ses suppléments sont écrits d’une manière particulièrement intéressante : le texte principal, supposé être un document « officiel », y est régulièrement remis en question par des « forumeurs » et autres commentateurs, qui nuancent, contredisent ou s’interrogent sur le propos développé. Une narration à la fois dynamique, originale, immersive et passionnante.

La troisième source de Hard SF de très grande qualité est une chaine Youtube, Spacedock. Vous y trouverez des études sous un angle réaliste de quasiment tout ce que l’on peut monter sur un vaisseau spatial ou plus généralement en SF, des armes aux propulseurs, des générateurs aux systèmes de navigation, et j’en oublie. Mais cela ne s’arrête pas là : on y parle de la façon de nommer un vaisseau imaginaire, d’écrire un bon officier en second, d’éléments (batailles, théories, etc.) venus des grandes sagas ciné / TV de SF, etc. C’est une chaine passionnante, aux vidéos denses mais suffisamment courtes pour être digestes. Si vous cherchez à écrire une SF (surtout militaire) plus réaliste, c’est un incontournable, surtout maintenant qu’entre les sous-titres et le doublage audio IA, cette chaine n’est plus inaccessible aux non-anglophones parmi vous.

Retour au sommaire

La « Belle au bois dormant » en… SF !

Vous connaissez tous le conte (ou du moins vous croyez le connaître : en travaillant sur le dossier Anne Rice de Bifrost, je me suis aperçu que la version que nous connaissons en France est très « soft » par rapport à certaines autres, où la princesse est réveillée lorsqu’elle accouche après avoir été prise de force par le Prince…) : la belle princesse plongée dans un sommeil d’un siècle qui ne sera réveillée que par le prince qui en tombera éperdument amoureux. C’est un scénario de Fantasy, genre qui a d’ailleurs recyclé cette trame à sa propre sauce (Rice, Orson Scott Card, etc.). Sauf que… il ne faut pas creuser bien loin pour trouver des textes de science-fiction dont les fondamentaux sont étrangement similaires, même si le message porté par le texte est différent (le conte montre essentiellement le passage à l’âge adulte de la jeune fille, les textes dont je vais vous parler sont souvent des avertissements sur la folie des hommes – vous me direz, cela concerne le passage à l’âge adulte… de l’Humanité, donc – et sont nettement plus tragiques, en moyenne). Et on parle ici d’au moins un classique !

Ce classique (certains d’entre vous l’auront forcément déjà pressenti), c’est La Nuit des temps de René Barjavel, publié en 1968. Des scientifiques français captent, en Antarctique, un signal venant de sous la glace. On déterre une sphère d’or de plusieurs dizaines de mètres de diamètre, vestige d’une civilisation datant de près d’un million d’années. À l’intérieur, se trouvent les corps cryogénisés d’un homme et d’une femme (voilà pour le côté « dormant »). Simon, un médecin, commence par réveiller cette dernière, qui se nomme Éléa et qui, grâce à une machine qui lui permet de transmettre ses souvenirs, raconte l’histoire de sa civilisation, qui vivait dans un Antarctique à l’époque tropical, du fait d’une inclinaison différente de l’axe de la Terre. Une culture qui s’est auto-détruite via une guerre meurtrière, l’homme endormi à ses côtés et elle en étant les derniers représentants, choisis pour leur perfection physique (voilà pour le côté « Belle ») et intellectuelle. Je vous la fais courte, les connaissances contenues dans l’engin ou l’esprit de ses occupants attirent la convoitise des différentes puissances, ça part en vrille, et l’Humain prouve qu’il n’a pas évolué en un million d’années et qu’il s’auto-détruira sans doute à nouveau. C’est donc d’une mise en garde sur la folie des hommes, leur nature auto-destructrice, dont il s’agit.

Barjavel a peut-être été inspiré / influencé par Le Jour où la terre trembla de Henry Rider Haggard (publié en anglais en 1919, traduit par NéO sept décennies plus tard), roman dans lequel sur une île isolée du Pacifique, on trouve des cercueils de cristal contenant un homme et une femme endormis depuis 250 000 ans, venus d’une « ère de sagesse », montrant aux humains de notre époque des images de la leur via des « hallucinations ». La femme est si belle que tous les hommes de l’expédition la courtisent et comme dans le roman de Barjavel, son sort est funeste et les deux naufragés du temps jugent négativement les humains du XXe siècle. Mais il est quasiment établi que notre compatriote s’est très probablement plus, hum, « inspiré » d’un autre écrivain, un australien cette fois, Erle Cox, l’auteur de La Sphère d’or (rien que le titre, déjà…), texte paru en 1919 et traduit en français dix ans plus tard. Un fermier australien déterre une énorme sphère d’or (étonnant, non ?), vestige d’une civilisation disparue, contenant une femme d’une merveilleuse beauté (Hiéranie) et dotée de pouvoirs psychiques, en biostase depuis des millions d’années et chargée de transmettre les connaissances de sa culture, anéantie par une catastrophe. Et évidemment, elle subit le même sort que les protagonistes des livres précédemment cités. Notez que le roman est scientifiquement solide, voire assez visionnaire, pour l’époque de son écriture.

Pour terminer, je vais mentionner à nouveau un roman de SF français, pour le coup bien plus mineur, que j’avais déjà évoqué dans mon article « SF et astéroïdes » : La Belle de Halley d’Euloge Boissonnade. Clairement inspiré par Barjavel, et peut-être par Les Dépossédés d’Ursula Le Guin (en tout cas, il y a quelques convergences entre les deux livres), il décrit une expédition française vers la comète de Halley dans les années 2060, à une époque où notre pays est une puissance spatiale de premier plan et où les scientifiques ont plus de pouvoir que les politiciens (une nécessité, selon l’auteur, pour éviter le détournement des réalisations techniques à des fins militaires, et une thèse développée tout le long de l’ouvrage). On y découvre, dans la « queue » (le sillage) de l’astre un satellite artificiel sphérique de plus de 300 m de diamètre, contenant une femme d’une grande beauté, Borège, endormie depuis… 5.6 millions d’années. Représentante d’une civilisation humaine venue il y a quinze millions d’années du système de Beta Pictoris par vaisseaux infraluminiques, elle décrit (par télépathie d’abord, grâce à l’implantation de son langage natal via une injection d’ARN ensuite) un Système solaire où deux super-Terres, Arganis et Balpunian, détruites par une guerre meurtrière causée par la folie des hommes, orbitaient entre Mars et Jupiter, et dont la ceinture d’astéroïdes est le vestige. Bien que le roman soit court et la partie concernant Borège encore plus (c’est même étonnant, à vrai dire), Boissonnade se débrouille, avec un certain brio (et une plume agréable), pour détailler tout le processus social, politique et idéologique ayant mené à la catastrophe, montrant comment l’agricole Balpunian, dont les habitants mènent une vie difficile et n’ont pas accès aux cercles éducatifs supérieurs, a été pressée comme un citron (jusqu’à épuisement de ses ressources), servant de grenier à blé à sa voisine, tandis que les élites et populations bourgeoises, urbaines, instruites, d’Arganis, siège des universités, des labos et des usines avancées, vivaient dans le confort. Il montre les mouvements migratoires, tout d’abord encouragés par les autorités pour qu’Arganis dispose d’une main-d’œuvre à bas coût dans ses usines, puis décriés quand le choc de classes, d’ethnies, de cultures, de religions, etc., a lieu. Il montre aussi que le leader de la faction scientifique, qui veut repartir à la conquête des étoiles dans des vaisseaux Relativistes, cette fois, n’est guère meilleur que le dictateur au pouvoir dès qu’on gratte un peu la surface, pensant que les balpuniens sous-éduqués et empêtrés dans leurs « archaïques » croyances religieuses seront un « frein » dans son expédition. Borège, pacifiste ayant senti venir la catastrophe et ayant tenté de l’empêcher, reste en arrière quand les rares survivants quittent le Système Solaire, à la fois pour observer, dans un avenir lointain, le résultat des travaux de terraformation et panspermiques entrepris par ses ancêtres et elle sur notre Terre, et surtout pour transmettre aux êtres qui y évolueront un avertissement sur les dangers de la guerre, de la surexploitation de la planète et sur la folie des hommes, dont la nature profonde semble être encline à l’autodestruction. Notez que de toutes les héroïnes des romans cités, c’est celle dont le sort final est le meilleur (ouf !).

Roman mineur mais plutôt sympathique (à son traitement d’un autre personnage féminin près, la très stéréotypée biologiste brésilienne Mafalda), doté d’un co-protagoniste très attachant surnommé « le gaulois », à l’aspect (géo)politique demandant parfois une certaine suspension d’incrédulité, mais parfois fort solide (l’auteur fut longtemps grand reporter), rempli de déballages d’infos maladroits / artificiels mais souvent passionnants sur tout ce qui concerne la comète (y compris les superstitions qui y sont attachées), et donnant le beau rôle dans la course à l’espace à la France, La Belle de Halley pêche franchement sur un aspect pourtant mis en avant par son éditeur en quatrième de couverture, à savoir la prétendue solidité de son aspect scientifique : d’erreurs agaçantes mais mineures (le « Nytrogène » ou les « Qasars ») à des choses franchement tirées par les cheveux (la Lune qui serait un satellite capturé d’une des deux super-Terres détruites, la vie évoluée et le type d’atmosphère actuel qui ne serait apparus que quelques millions d’années auparavant, etc.), il ne faut en réalité vraiment pas s’attendre à du Stephen Baxter ou équivalent. Reste la pertinence de la morale de l’histoire, le très beau personnage de Borège, et le tableau court, dense mais frappant de la civilisation ancienne décrite et de sa chute. Pas un chef-d’œuvre, donc, mais peut-être la plus intéressante, à défaut d’être la plus connue, des adaptations de La Belle au bois dormant dans l’espace et en science-fiction.

Retour au sommaire

***

Retour à la page d’accueil

10 réflexions au sujet de « Apophis Box – Janvier 2025 »

  1. Quel plaisir de tomber sur un article d’Apophis dans mon flux RSS après un long hiatus !
    J’espère que vous allez mieux et vous souhaite que cette année 2025 qui commence soit plus heureuse que les précédentes !

    Aimé par 2 personnes

  2. Pour Shadowrun, et son mélange de fantaisie et cyberpunk, mon avis est assez paradoxal. N’étant pas très fantaisie, mon cerveaux ne peut « comprendre » ce mélange «  » »contre-nature » » ». Mais je confirme que le worldbuilding, en plus d’être copieux, est fascinant sur bien des aspects.
    Côté BD, ou Crusaders, je te commande de jeter un oeil à « Renaissance ». Sérié publié sur la même période et très qualitative. (Au besoin, les deux séries sont chroniquées sur mon blog)
    Pour Orion’s arm, je ne connaissais pas. Cela a l’air fascinant, alors merci pour la découverte.
    Un jeu qui, comme Eclipse Phase, compile pas mal de tropes et est inspiration hard-sf: « Stellaris » de Paradox Interactive.

    Aimé par 1 personne

  3. Faire le lien entre des romans de SF et la Belle au bois dormant 🤭
    D’ailleurs, on dit « la Belle au bois dormant » et non « la Belle au bois dormante », alors que ce n’est pas le bois qui dort.
    Plus sérieusement, c’est toujours étonnant de voir qu’il y a plus de 100 ans (dans ton article, 1919), on avait déjà inventé des scénarios de SF qui furent repris des décennies plus tard.

    Aimé par 1 personne

  4. Bonjour Apophis, d’habitude je ne fais que lurker mais il faut bien fêter ce retour en fanfare et en force du dieu serpentiforme de la blogosphère SFFF française. 🙂

    J’ai eu l’occasion de lire La nuit des temps au lycée, le professeur nous avait proposé au choix deux livres en lecture cursive, celui-là et, je crois, L’élégance du hérisson de Muriel Barbery. Outre que c’est probablement la seule fois que j’ai lu de la SF dans le cadre de ma scolarité, notre partie de la classe qui l’avait choisi avait tellement dit de bien du Barjavel que le reste de la classe avait soit changé en cours de route soit lu après.

    Orion’s arm rappelle aussi beaucoup de souvenirs même si ça fait longtemps que je n’y ai pas jeté un œil.

    Petite question, connais-tu (si je peux te tutoyer) le jeu Sid Meier’s Alpha Centauri ? En terme d’histoire du futur avec un côté Hard SF, il se pose là. Je ne connais pas beaucoup de jeux qui vont jusqu’à simuler le régime des vents d’une planète pour gérer la productivité en nutriment d’une case.

    Aimé par 1 personne

    1. Si, si, tu peux me tutoyer, le tutoiement est même dans les règles du blog 😉 Oui, j’étais un gros fan d’Alpha Centauri à l’époque, j’ai passé un certain nombre (on peut même dire un nombre certain 😀 ) d’heures dessus. Excellent jeu vidéo, en effet.

      J’aime

Laisser un commentaire