Fimbulwinter – E. William Brown

(Fimbul)winter is coming !

fimbulwinterLe Fimbulwinter, dans la mythologie nordique, est le terrible hiver qui précède le Ragnarök, la fin du monde. Il dure trois ans, sans que la chaleur d’un été ne vienne réchauffer l’humanité. Durant cette funeste période, la guerre sera également omniprésente, et, selon l’expression consacrée, le frère y tuera le frère.

Il s’agit du premier des trois romans racontant les aventures de Daniel Black, terrien projeté dans un monde parallèle Fantasy par l’action d’une déesse grecque, qui lutte contre les dieux nordiques.

Si ce livre m’a intéressé, ce n’est pas parce que c’est un chef-d’oeuvre (vu que ça n’en est pas un, justement), ni pour l’aspect sexuel qui y est omniprésent, et encore moins pour sa couverture (la plus insipide et cheap de toute l’histoire des e-books, probablement) mais parce que j’avoue que la perspective de voir les anciens dieux s’affronter entre eux était pour moi particulièrement motivante. De plus, j’ai toujours montré beaucoup d’intérêt pour les histoires où un terrien moderne atterrit dans un monde de Fantasy.

Pissed off and mad about it *

Texas Hippie Coalition, 2010.

Daniel Black passe une sale semaine : viré de son travail (il est programmeur informatique), il rentre chez lui pour découvrir sa femme en pleine « action ». Charmante épouse qui, d’ailleurs, en profite pour appeler la police qui, dans le doute, embarque Daniel sous des (fausses) accusations de violence domestique. A peine sorti de sa nuit en cellule, Daniel constate que sa femme a demandé le divorce, la maison, une pension et une ordonnance restrictive. Il est en route vers le cabinet d’un avocat lorsque sa voiture est percutée par un 4×4. Il se retrouve alors à l’hôpital, dans un sale état.

Et là, une apparition : une brune d’une beauté inhumaine, vêtue dans le genre amazone / dominatrice cuir & couteaux, se présente comme Hécate (divinité grecque de la magie et de la lune), et lui demande si il veut bien l’aider : dans un autre monde, « quelques octaves » en-dessous du sien, sa dernière adoratrice, Cerise, est en danger, et les divinations de la déesse (ainsi que le peu de temps dont elle dispose…) lui ont appris que Daniel était le meilleur candidat pour la sauver. En échange, et s’il continue à la protéger pendant un an et un jour des Aesirs (les dieux nordiques), elle lui promet d’immenses pouvoirs magiques et la guérison de ses blessures actuelles. Daniel, qui n’a rien à perdre, accepte.

Ce genre de point de départ (un homme du 20ème / 21ème siècle qui est envoyé dans un monde Fantastique et y devient un puissant sorcier ou guerrier) est un classique de la Fantasy : pensez à Trois Coeurs, Trois Lions de Poul Anderson, au cycle du Guerrier de Mars de Michael Moorcock ou à La Septième épée de Dave Duncan.

Il se trouve que le transfert dimensionnel va exposer Daniel à des énergies qui, s’il les canalise correctement, lui donneront des pouvoirs magiques très au-dessus de ceux des sorciers de son monde de destination. Pour cela, il faut qu’il visualise des « éléments », et il fera l’acquisition innée de facultés mystiques en rapport avec eux. Grand joueur de jeux de rôle (informatiques ou papier) depuis 20 ans, il est bien armé pour cette aventure : il choisit la maîtrise de la Terre, de la Chair (pour le soin, mais pas seulement, comme nous le verrons), des champs de force / énergie cinétique, du Feu et de la Mana, l’énergie magique, ce qui lui donne de plus un contrôle meta-magique sur les autres sorts. Je pense que si vous êtes, comme le héros et comme moi, des rôlistes, vous serez parfaitement à l’aise avec ces notions.

Il se retrouve alors dans une maison en flammes, devant deux grandes adolescentes d’une beauté torride, deux jeunes sorcières harcelées par un troll et des gobelins. Il s’agit de Cerise, qu’il doit protéger, et de sa copine (dans tous les sens du terme…) Avilla. Et pour couronner le tout, il s’aperçoit rapidement que (Fimbul)winter is coming 😀 Loki a été libéré moins d’un an auparavant, et le Ragnarök est en marche !

Flesh for Fantasy / Tonight i’m gonna rock you *

* Billy idol, 1983 / Spinal Tap, 1984.

Bon, soyons honnête, le pitch de départ n’est franchement pas mauvais (même s’il n’a absolument rien d’original), et jusqu’à ce que Daniel débarque sur son nouveau monde, l’écriture n’a rien d’inquiétant. Après, par contre… Disons que ça se transforme en roman qu’un ado ou  un adulte looser aurait pu fantasmer, dans lequel par un coup de pouce des dieux, il devient surpuissant, le sauveur du monde et l’équivalent du meilleur acteur de porno la planète, en terme de performances, de beauté des partenaires et de nombre de relations. C’est, en gros, par rapport à La septième épée de Dave Duncan (par exemple), ce que Spinal Tap est à  Def Leppard, Iron Maiden ou Manowar : une parodie. Et pourtant, ce n’est apparemment pas conçu comme tel. C’est juste que l’auteur s’est complètement lâché, beaucoup trop d’ailleurs. Daniel a bien quelques scrupules, au début, à coucher avec des mineures, mais ça ne dure pas bien longtemps. Les seins de la jouvencelle ne sont pas assez gros ? Hop, un peu de magie de la Chair, et le tour est joué. Bref, on reste ébahi devant ce genre d’écriture de la part d’un auteur 1/ adulte, 2/ ayant apparemment l’intention d’écrire un vrai roman de Fantasy tout à fait sérieux et 3/ de la Fantasy et pas un roman porno.

Je me plains fréquemment, sur ce blog, de la sur-utilisation du sexe en Fantasy moderne, sachant que dans la vaste majorité des cas, les scènes en question sont d’une utilité douteuse dans la construction de l’intrigue ou du personnage concerné. J’ai plus le sentiment d’une exploitation du filon « le sexe fait vendre » (et encore plus depuis l’apparition de la série Game of Thrones). Mais là, on est largement au-delà de ça : ce n’est pas qu’il y a des scènes de sexe inutiles dans l’intrigue, c’est plutôt (en exagérant à peine) qu’il y a une intrigue inutile intercalée entre les scènes de sexe et de combat. Et attention, on parle de scènes quasi-porno, pas d’un érotisme (même torride) comme on peut en voir dans de plus en plus de romans de Fantasy. On reste aussi pantois devant le traitement des personnages féminins dans cette oeuvre, en tant soit que filles / femmes à la fois soumises et avides de sexe (encore un fantasme adolescent), soit en tant que manipulatrices usant de ce dernier comme d’un moyen de progression sociale (à la Peter Hamilton, mais en beaucoup plus hardcore).

L’écriture est pauvre sur la plupart des plans (sans être totalement catastrophique) : que Daniel Black parle comme un trentenaire du 21ème siècle, pas de souci, c’est ce qu’il est, et ça pourrait participer au contraste entre homme moderne / habitant d’un monde médiéval fantastique. Sauf que… tout le monde parle de la même façon (ou quasiment) ! Bref, les dialogues adoptent à mon avis un langage bien trop moderne. De plus, ne cherchez pas les complexités narratives, il n’y en a pas : pas de points de vue multiples, de flash-backs, etc.  Les personnages sont pauvres, d’autant plus au regard des efforts pathétiques de l’auteur pour les faire paraître subtils.

C’est en gros du niveau d’un mauvais scénario de Jeu de rôle (très linéaire et prévisible). Par contre, et c’est à signaler, les scènes de sexe sont plutôt bien écrites (et heureusement, vu qu’elles sont omniprésentes), les combats magiques sont de haut niveau, et sur certains plans, le fait d’avoir un héros issu d’une civilisation moderne dans un contexte médiéval est bien rendu (ce qui me fait dire qu’avec un peu plus de modération de la part de l’auteur, ce roman aurait pu être intéressant).

L’impression globale est celle d’une fan-fiction porno-fantasy et pas d’un vrai roman, d’une écriture racoleuse (langage, situations choquantes avec des mineures, scènes de sexe omniprésentes) et souvent (mais pas toujours) maladroite. Ou d’un roman parodique sans vraiment vouloir l’être.

Je reste cependant pantois devant le fait que sur Amazon.com, sur les 283 avis exprimés au moment où je rédige ces lignes, 77 % lui donnent 4 étoiles et plus (dont 55 % de 5 étoiles), ainsi que devant la note de 4.1/5 (sur 90 avis) sur Goodreads. Il faut croire que soit mes critères sont très élevés (j’aime à croire que j’essaye de vous conseiller autre chose que des livres médiocres sur ce blog…), soit ils sont vraiment très bon public aux USA.

Un livre à jeter ? Oui, mais…

Donc, vous vous dites probablement à ce stade que ce livre n’a aucun intérêt : en fait, il en a plusieurs. Le premier est que quelque part, c’est tellement un délire assumé (notamment en terme de sexe) qu’on se surprend à passer un bon moment. Après une série de livres très noirs, longs ou complexes, ce livre m’a un peu fait l’effet d’une salutaire bouffée d’air frais, et j’ai souvent souri de bon cœur devant les aventures (sexuelles) de Daniel Black.

Le second, tout à fait sérieux par contre, concerne la magie : sur ce plan là, ce livre est du haut de gamme, il faut le savoir. Non seulement Daniel Black a, à la base, des pouvoirs supérieurs à ceux des sorciers de son monde de destination, mais en plus, ses connaissances d’homme moderne lui donnent des idées qu’aucun d’entre eux n’aurait pu avoir. Par exemple, il s’aperçoit très rapidement que le facteur limitant son efficacité est la quantité de mana (énergie magique) à sa disposition, et il fait donc le raisonnement suivant : la mana n’est qu’une forme d’énergie parmi d’autres, ce qui fait que la légendaire formule d’Einstein s’applique à elle comme aux autres. Il crée donc une amulette qui convertit en permanence une fraction infinitésimale de sa masse en énergie, mais pas n’importe quelle forme : en mana. Il a donc accès en permanence à une surpuissante source de pouvoir occulte, qui lui permet pratiquement sans effort de lancer de façon continue les sorts les plus redoutables.

Avec ses connaissances, il peut aussi créer des véhicules ou accessoires inspirés du monde moderne que personne ne pourrait imaginer dans un univers médiéval-fantastique. Enfin, avec sa Magie de la Terre, il peut élever des fortifications en un temps ridicule, ou créer un abri douillet au milieu de nulle part.

Les processus mystiques sont très bien décrits, avec beaucoup d’imagination. Il y a apparemment de nombreuses sortes de magies différentes dans ce monde, comme celles pratiquées par Cerise et Avilla, ou les Cercles de magiciens, et cet aspect est vraiment rempli d’idées très intéressantes. Je suis toujours à la recherche de magies exotiques pour alimenter mon propre monde de Jeu de rôle, et là je dois dire que les 3 euros dépensés dans ce livre électronique ne l’ont pas été en vain. D’autant plus que, comme je l’ai déjà évoqué, l’auteur fait preuve de beaucoup d’imagination et d’un certain talent dans la description des (nombreux) combats.

Bref, si vous êtes un amoureux de magie et / ou de combats magiques, c’est un livre qui pourra vous intéresser (sachant que c’est très loin de Sanderson, par exemple, sur la totalité des autres plans), à la condition impérative de faire abstraction de tout le reste.

Troisième intérêt, à-peu-près aux trois quarts du livre, il y a un gros coup de théâtre, et on se surprend soudain à lire avidement car du coup, c’est devenu bien plus intéressant. Et on se dit que si tout le livre avait été du même tonneau, on aurait eu quelque chose du niveau du Bragelonne Fantasy moyen, voire un peu au-dessus pour l’aspect magie.

En conclusion

Ce livre avait tout pour être une Fantasy plutôt honnête, avec une idée de départ enthousiasmante : le combat entre dieux grecs et nordiques dans un monde parallèle Fantastique, sur fond de fin du monde et mené par un surpuissant sorcier venu de la Terre. Seulement voilà, il aurait fallu un vrai écrivain pour ça (même un auteur moyen, pas forcément un génie : je pense particulièrement à James Lovegrove, qui a beaucoup écrit sur le thème des mythologies). Là, le style est beaucoup trop pauvre, les personnages sans consistance, l’intrigue trop basique, et les dialogues trop mauvais pour que je puisse vous conseiller ce titre. Et cela sans compter un nombre ahurissant de scènes quasi-porno. Seuls points positifs : la magie, très bien décrite, et les combats (magiques), d’assez haut niveau. Mais bon, ça ne suffit pas à sauver ce roman du naufrage.

Ce livre illustre très bien la raison pour laquelle ce blog ne donne pas de note (sous forme de chiffre ou d’étoiles) aux livres, et pourquoi je préfère vous expliquer les points forts, faibles et mitigés dans le texte. Admettons que j’adopte le système Amazon / Babelio en 5 étoiles : la note globale ne peut être que 1 étoile, 2 au mieux si je prends en compte la magie. Par contre, sur cette dernière, on est au minimum sur 3-4 étoiles. Quelle note donner donc ? Sincèrement, je pense que ma méthode est préférable, car la seule alternative crédible serait de noter chaque catégorie (intrigue, personnages, dialogues, rythme, construction, etc). N’hésitez pas, d’ailleurs, à exprimer votre avis général sur les systèmes de notation ou leur absence sur le blog en commentaire.

 

7 réflexions sur “Fimbulwinter – E. William Brown

  1. J’ai mis « j’aime ». C’est pour l’humour que tu manifestes et pour le choix musical qui permet de me faire une idée de « l’ambiance » et du ton de l’histoire. Le pitch me fait également penser à Thomas Covenant qui lui est pas mal fait!
    En ce moment, tu en lis un paquet de bouquins!

    J’aime

    • Ah oui, tiens, c’est pas faux, je n’avais pas pensé à Thomas Covenant, mais maintenant que tu le dis… Sauf que la qualité n’est évidemment pas la même, tu as raison de le souligner.

      Ce n’est pas tant que je lis un paquet de bouquins en ce moment, car en fait, au moment où j’ai publié les trois dernières critiques, j’avais fini chacun des livres depuis plusieurs jours. C’est juste que d’habitude je rédige et publie plus ou moins dans la foulée, alors que là il s’est passé du temps entre la fin de chacune de ces trois lectures et la rédaction de leur critique. Mais là du coup, tu risques d’attendre la prochaine critique (L’épée de l’Ancillaire) une bonne semaine, vu que je ne l’ai tout simplement pas encore reçu 🙂

      Aimé par 1 personne

  2. Excellente critique comme d’habitude. Difficile en effet que de noter les livres que l’on lit sous le manteau … et pourtant ils jouent aussi un rôle important, en particulier quand on débute la lecture.
    La complexité n’est pas instantanément accessible à tous, c’est bien pour ça qu’il existe des livres jeunesse ! Pleurons la disparition de la collection Anticipation qui jouait justement ce rôle d’introduction à la SF.
    Peut-être ne faut-il pas aller chercher très loin la désaffection pour ce genre aujourd’hui en France.

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