Vif-Argent – Intégrale – Stan Nicholls

Un contexte intéressant, des personnages décevants, une fin bâclée, mais au final un roman qui vaut le détour

quicksilver

Une fois n’est pas coutume, nous allons commencer par une synthèse sur mon ressenti (et il y a beaucoup de choses à dire) avant d’entrer dans le détail :

En résumé

Un roman très, très inspiré par David Gemmell, mais qui n’a pas la qualité de sa production. Au chapitre des références, citons aussi David Weber (nous avons droit à des descriptions géopolitiques et du fonctionnement interne d’une dictature détaillées), ainsi que Isaac Asimov période Fondation et les Wachowski période Matrix (pour comprendre ces deux références sans que je spoile horriblement, il vous faudra lire les 900 premières pages de l’intégrale…).

L’univers est minutieusement décrit, et c’est une étonnante transposition d’un monde moderne (voire futuriste) dans un cadre Fantasy. Les personnages sont décevants, dans le sens où ils avaient du potentiel mais où celui-ci ne se réalise pas ou trop tard dans la trilogie. Le système de magie est assez original, et pourra être un gros point fort ou au contraire rédhibitoire pour vous selon votre conception de ce que doit être la magie (en gros, c’est quasiment un équivalent de la technologie dans cet univers).

L’écriture n’est pas transcendante mais pas non plus désagréable, avec de bons dialogues et des combats extrêmement bien rendus (le gros point fort du livre). Enfin, la fin est bâclée, trop de choses sont expédiées en quelques lignes ou paragraphes alors qu’il aurait fallu en faire des pages, ou même des chapitres entiers. Au final, plutôt sympathique, je recommande mais sans plus, ne vous attendez pas à un chef-d’oeuvre qui vous marquera à vie mais c’est tout de même nettement au-dessus de la moyenne de la production fantasy. Et si vous cherchez une histoire de dictature et de Résistance dans un cadre Fantasy, avec beaucoup de magie à la clef, ce livre est pour vous. Par contre, si vous aimez la magie ésotérique, les arcanes mystérieuses, vous risquez d’avoir du mal avec la sorte de techno-magie décrite. Idem si vous êtes allergique aux termes modernes dans un cadre de Fantasy.

Entrons maintenant dans les détails, et examinons les points forts et les points faibles du livre chacun à leur tour :

Originalité

Oui et non. C’est très, très inspiré par Gemmell, mais en même temps l’univers est assez original pour un cadre Fantasy (voir Contexte) et la magie est vraiment hors-normes pour le genre. Dans le même ordre d’idée, faire du Honor Harrington dans un cadre Fantasy, fallait oser (même si David Weber écrit aussi de la Fantasy). En clair, vous avez droit à de nombreux passages géopolitiques, ainsi qu’à une immersion dans la vie et les mécanismes de deux dictatures. Par moment, on pourrait presque assimiler ça à une République de Havre (cf Honor Harrington) transposée dans un cadre Fantasy au lieu de SF. Pour finir, la petite touche Matrix et cycle de Fondation, fallait oser quand-même. Là aussi, il y a eu des moments où devant mes yeux ébahis s’est affiché en lettres vertes « c’est l’élu », « system failure », ou où j’ai cru entendre du Rage against the Machine (« Wake up ! ») dans le lointain… Vous comprendrez si vous allez au-delà de la page 900…

Contexte

En gros, en plus de l’influence de Weber, tout cet univers est une transposition de la Guerre Froide dans un cadre Fantasy, et c’est franchement loin d’être inintéressant. On assiste aux manœuvres politiques et militaires entre deux super-puissances rivales, contrôlant l’écrasante majorité du monde connu (même si on nous parle à la fin d’un continent encore inexploré), avec un système complexe de colonies, de protectorats, d’Etats-tampons et autres Etats-clients.
De même, l’immersion dans un mouvement de Résistance est excellente. L’univers est crédible et intéressant, c’est à mon sens un des points forts de la Trilogie.

L’écriture

Plutôt moyenne, mais avec de bons dialogues (heureusement, vu qu’ils sont nombreux) et d’excellentes scènes de combat (la description des passes d’armes est assez magistrale). Par contre, je ne sais pas si c’est du à l’auteur, au traducteur ou aux deux, mais il y a des termes beaucoup trop modernes qui parsèment le texte et qui font grincer des dents dans un contexte Fantasy : en vrac et de mémoire, énergie cinétique, criminalité en col blanc, drone, grille d’énergie, etc. A signaler aussi quelques anglicismes et tournures un peu bizarres (très, très peu, la traduction est bonne dans l’ensemble) qui font aussi grincer des dents.

Les personnages

Ils se révèlent très décevants. Le héros ne devient intéressant que dans les cent dernières pages (sur 930…), et avant ça il alterne entre trois états seulement : taciturne, impatient, et furie guerrière. On a vu mieux… Les personnages secondaires ne sont (hélas) pas en reste. Serrah est très intéressante au début, mais l’auteur gâche tout le potentiel que la trahison dont elle a été victime aurait pu donner. Kutch est un naïf qui ne connaît rien à rien (remarquez ça change des ados-je-sais-tout de la littérature young adult…), sauf en matière de magie où c’est un singe savant insupportable. Quinn est sous-employé, seul Karr et à la rigueur Kinsel échappent au naufrage. Les méchants sont des caricatures sans grand intérêt, et le seul vrai personnage en demi-teinte, ni blanc ni noir (sauf si vous considérez le personnage de Tanalvah comme tel), Darrok, a des motivations moyennement réalistes.
Non, les deux personnages vraiment intéressants sont des troisièmes rôles, à savoir Tanalvah et surtout la Fusionnée. Si l’ensemble du « casting » avait été aussi intéressant, la trilogie aurait été magistrale.

Le rythme

Il est très bien étudié pendant 2 tomes et demi sur 3 (la construction et la montée en puissance de l’histoire sont assez remarquables sur cette tranche là de l’intégrale), mais par contre la fin est com-plè-te-ment bâclée. L’auteur expédie en quelques phrases ou paragraphes des événements ultra-majeurs qui auraient du faire l’objets de pages, de chapitres, ou pourquoi pas d’un quatrième tome (enfin, vous me direz, un quatrième tome pour une trilogie…). Le gros, gros point faible de la trilogie à mon avis.

Un arc narratif dispensable

De mon point de vue (mais c’est un ressenti personnel, pas une vérité inébranlable), tout l’arc narratif avec Melyobar ne sert à rien, vu que ce doit être le seul élément qui ne se connecte en rien aux autres et qui, s’il était enlevé, ne changerait rien à l’histoire globale.

Le système de magie

J’ai acheté ce livre dans le cadre d’une « recherche » que j’effectue de systèmes de magie sortant des sentiers battus. Et là, autant dire qu’on ne peut pas être déçu sur ce plan, le système est très… original.

En gros, dans ce monde, la magie remplace en grande partie la technologie, même la plus moyenâgeuse parfois (exemples : il n’y a pas de longues-vues ou de canons sur les galions, mais des objets magiques équivalents). Elle est basée sur le concept de Glamour (remarquons au passage que ce terme me paraît extrêmement mal choisi, celui de Chimère m’aurait paru plus approprié) : en gros, un Glamour est créé par un sort ou un enchantement (sort changeant dans la durée les propriétés d’un objet), et sous ce terme peut se cacher n’importe quoi, d’un médaillon porté par la milice locale et qui génère un Bat-signal (je suis attaqué, venez m’aider), à des matraques générant un choc électrique, des baguettes lançant des éclairs d’énergie ou des boules de feu, des munitions magiques générant bruit et lumière (comme les grenades flash-bang modernes), des explosions, du vitriol, des dispositifs espions dignes de la Stasi, de quoi générer de la lumière (comme une ampoule électrique) pour l’éclairage public, etc.
Sous ce terme de glamour, se cache aussi ce qui correspond à son utilisation traditionnelle en matière de magie (chez Charles Stross, par exemple), à savoir un sort changeant ou augmentant l’apparence physique de son porteur, de ses vêtements (des haillons deviennent une robe de bal, etc), de sa monture (un cheval a soudain l’air d’être une monture mythique comme un griffon ou un pégase), etc. Enfin, certains Glamours sont un étonnant équivalent magique des IA des univers de Science-Fiction, avec une intelligence, des sens, la capacité de parler et d’interagir, etc. Par exemple, certains servent de gardiens et de professeurs aux enfants. C3-PO n’est pas si loin que ça. Dernière catégorie, des Glamours qui sont de véritables androïdes ou cyborgs (cf les personnages d’Aphri/Aphrim), et des glamours de combat « lourds » équivalents à… des drones ou des bombardiers lourds !

Bref, selon votre conception de ce que doit ou peut être la magie, vous allez adorer ou détester ce mélange des genres occulte et technologie. Personnellement, je suis assez mitigé, j’ai apprécié certaines choses et beaucoup moins d’autres.

En conclusion

Du positif (voire très positif), mais aussi pas mal de négatif. Au final, une lecture qui vaut quand-même le coup (surtout à dix euros les 930 pages, c’est donné…), mais trop peu originale et soufrant de trop de points mitigés ou carrément négatifs pour susciter un réel enthousiasme. Par contre, l‘auteur a clairement un potentiel narratif, trop peu ou mal exploité ici, et c’est avec impatience que j’attends de lire son cycle Orcs, beaucoup plus réputé.

 

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