Anthologie Apophienne – épisode 14

Eye_of_ApophisL’anthologie Apophienne est une série d’articles sur le même format que L’œil d’Apophis (présentation de trois textes dans chaque numéro), mais ayant pour but de parler de tout ce qui relève de la forme courte et que je vous conseille de lire / qui m’a marqué / qui a une importance dans l’Histoire de la SFFF, plutôt que de vous faire découvrir des romans (forme longue) injustement oubliés. Si l’on suit la nomenclature anglo-saxonne, je traiterai aussi bien de nouvelles que de novellas (romans courts) ou de novelettes (nouvelles longues), qui sont entre les deux en terme de nombre de signes. Histoire de ne pas pénaliser ceux d’entre vous qui ne lisent pas en anglais, il n’y aura pas plus d’un texte en VO (non traduit) par numéro, sauf épisode thématique spécial. Et comme vous ne suivez pas tous le blog depuis la même durée, je ne m’interdis absolument pas de remettre d’anciennes critiques en avant, comme je le fais déjà dans L’œil d’Apophis.

Dans ce quatorzième épisode, nous allons parler d’une nouvelle d’Isaac Asimov et de deux signées Robert Silverberg (oui, encore. Mais si vous connaissez même un minimum l’auteur, vous savez à quel point c’est une référence ET à quel point il a été prolifique en matière de forme courte). Sachez que vous pouvez, par ailleurs, retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles sur cette page ou via ce tag.

La dernière réponse – Isaac Asimov

La dernière réponse est une nouvelle écrite en 1980 par Isaac Asimov. En VF, vous pouvez la trouver dans les recueils Le robot qui rêvait, Les vents du changements, La pierre parlante et autres nouvelles et Au prix du papyrus. Un scientifique athée fait une crise cardiaque et voit son corps mourir, mais s’aperçoit qu’il est toujours capable de percevoir et de penser. Il entre alors en communication avec une entité qui tout en lui disant qu’elle n’est pas Dieu et qu’il n’y a pas de Paradis, lui révèle avoir créé l’univers puis lui donne une mission. Notre savant va alors s’apercevoir que s’il n’y a pas de Paradis, il y a par contre bel et bien un Enfer, et se donner tout seul comme un grand une autre mission.

Ce court texte est un véritable bijou théologique, philosophique et rhétorique, sur lequel il serait dommage d’en dire trop, sinon que le point clé est proche d’un roman de SF récemment édité en français, où des entités incorporelles, dirons-nous, chargent aussi une personne de trouver une solution à un problème très particulier. On retiendra également le sentiment de vertige ressenti lorsque nous sont données les effroyables explications ou implications sur l’être suprême, la vie après la mort et l’éternité de souffrances mentales que celle-ci peut représenter !

On peut ajouter que, comme me l’a fait remarquer un aponaute dans les commentaires de l’épisode 13, on peut se demander si cette nouvelle et L’ultime question ne sont pas liées entre elles, ne se répondent pas.

Martel en tête – Robert Silverberg *

* Touche pas à ça p’tit con, Maître de Cérémonie Martel, 1990.

Martel en tête a été publiée en VO en 1971 et en VF en… 1996 (si, si !), dans les recueils Les éléphants d’Hannibal (regroupant des nouvelles de Silverberg centrées sur les extraterrestres) et Le chemin de la nuit (le premier volet, qui regroupe ses textes courts écrits entre 1953 et 1970, d’une anthologie en quatre parties rassemblant les meilleures nouvelles de la vaste carrière de l’auteur). On remarquera que le titre de la traduction allemande (Schocktherapie) me paraît particulièrement pertinent, même si celui choisi par la traductrice française n’est pas mauvais non plus (pour l’anecdote, le titre original en anglais est… Something wild is loose  🙂 ).

Quiconque connaît son histoire de la SF sait à quel point Silverberg est incontournable dès qu’on évoque la télépathie (lisez L’oreille interne…). Et justement, tout ce texte est centré sur le phénomène. Sur une lointaine planète, un extraterrestre métamorphe, minuscule, invisible et surtout doté d’un puissant potentiel télépathique est coincé dans un astronef humain en partance. Au cours du voyage, il émet un S.O.S mental, qui n’a pour seul effet de faire faire d’horribles cauchemars à l’équipage. Arrivé sur Terre, l’extraterrestre se glisse dans le bâtiment le plus proche, qui se trouve être l’hôpital de l’astroport. Là, son appel de détresse télépathique va faire d’énormes dégâts, et de fil en aiguille, les responsables de la structure vont comprendre qu’ils ont un alien « dangereux » sur les bras et le traquer. C’est alors qu’une jeune fille dont l’esprit, pour se protéger du traumatisme d’avoir vu toute sa famille mourir d’un coup lors d’un accident, s’est plongé dans un profond coma, ainsi que son thérapeute, lui aussi (faiblement) télépathe, vont jouer un rôle inattendu dans l’affaire…

Voilà un très bon texte, à la fois sur le thème de la difficile communication entre formes de vie différentes (ou entre adultes et enfants, ou médecin et patient), sur la création d’un extraterrestre ne ressemblant pas vraiment à ceux qu’on a l’habitude de voir en SF, sur la télépathie, sur le traumatisme, le deuil, la catharsis, et bien d’autres choses encore. Là encore, une nouvelle d’une densité rare pour sa longueur assez modeste.

Passagers – Robert Silverberg

Publié en 1968 en VO, on peut trouver ce texte en VF dans ces recueils ou anthologies. C’est la première des nouvelles de Silverberg à avoir reçu un prix Nebula, une des plus connues et une des plus rééditées de l’auteur. Qui y démontre, une fois de plus, son penchant à parfois traiter ses personnages avec cruauté. Il y a quelques années, les Passagers sont arrivés sur Terre. Ce sont des êtres invisibles, intangibles, capables de posséder sans avertissement et sans possibilité de résister le corps d’un être humain, l’utilisant pour s’amuser (souvent de façon absurde), faire des expériences (souvent sexuelles…) ou tout simplement pour créer du chaos. La personne possédée est ensuite « libérée », ne gardant aucun souvenir clair de l’expérience, et pouvant éventuellement être utilisée de cette façon des années plus tard (ou pas). La possession est d’une durée variable, mais peut parfois se prolonger longtemps (des semaines, voire des mois). Les humains, fatalistes, ont pris le parti d’ignorer, par pudeur, les personnes possédées, et de faire comme si elles ne les connaissaient pas si elles croisent des personnes rencontrées alors qu’elles étaient toutes deux possédées. Engager une relation à long terme ou sérieuse est aussi devenu périlleux, pour ne pas dire impossible.

Charles émerge d’une possession de trois jours (la cinquième en trois ans) avec la faculté inhabituelle de se souvenir de sa rencontre sexuelle avec une femme qui était elle aussi possédée. Allant prendre l’air pour récupérer de cette expérience traumatisante, il la croise tout à fait par hasard, et parce qu’il en tombe amoureux, tente de briser le tabou social et de lui dire que oui, une relation entre eux est possible. Toute la question est de savoir si l’amour sera plus fort que la possession !

Texte cruel mais brillant, Passagers est une parabole sur le libre-arbitre, l’amour, les conventions sociales, la résilience opposée au fatalisme, à la fin qui vous restera longtemps en mémoire. Sans conteste une des nouvelles les plus marquantes lues, pour ma part, en trente-cinq ans de SFFF.

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8 réflexions sur “Anthologie Apophienne – épisode 14

    • Dans ce cas, je te conseille le recueil « Le robot qui rêvait », car outre cette nouvelle, il y en a plusieurs autres de tout premier plan, dont j’ai parlé dans les épisodes précédents de l’antho apophienne. Surtout que le bouquin n’est pas très cher : environ 8 euros en version poche ou électronique pour une vingtaine de nouvelles et 500 pages.

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