The bright and breaking sea – Chloe Neill

De la Flintlock Fantasy sans flintlocks : tout est foutu !

bright_breaking_seaChloe Neill est une autrice américaine de Bit-Lit / Paranormal Romance / Urban Fantasy bien connue (particulièrement pour son énorme cycle Les vampires de Chicago), très prolifique et abondamment traduite (20 romans ou recueils de nouvelles !). Elle s’est cependant lancée dans tout autre chose avec The bright and breaking sea, premier tome d’un cycle appelé Captain Kit Brightling : de la Flintlock Fantasy… navale. Alors il faut savoir que j’ai quelques rêves absolus, en SFFF, et que l’un d’eux est que quelqu’un fasse pour la Fantasy ce que David Weber a fait pour la SF, à savoir adapter les romans d’aventure militaire maritime napoléonienne type Hornblower / Aubrey dans un contexte imaginaire. En clair, j’attends, pour lui vouer un culte éternel, l’autrice ou l’auteur qui me refera Master and commander… mais avec de la magie, des dragons et tout l’attirail. Et vu le résumé du bouquin de Neill, on pouvait penser que ça allait plus ou moins se diriger dans cette direction. Et comme nous le verrons, c’est le « plus ou moins » qui est important  😀

Bref, The bright and breaking sea n’est pas fondamentalement un mauvais bouquin, je lirai sans doute la suite, mais si je veux de la vraie Flintlock Fantasy navale, je crois que je vais devoir l’écrire moi-même !

Univers, genres *

* Napoléone, Serge Lama, 1982.

Dès les premières pages, et à la simple vue de la carte, on comprend très vite qu’on est sur un monde secondaire (imaginaire) modelé sur l’Europe napoléonienne, où les îles saxonnes = Grande-Bretagne, Gallia = France, Frisia = République Batave, etc. Le Napoléon local, qui s’appelle Gerard Rousseau, mais que l’autrice appelle Gerard tout le long (ce qui, pour quelqu’un de ma génération, se prononce de cette façon), en est au stade « exilé à Sainte-Hélène ». La capitale des Saxon Isles s’appelle New London (parce que l’ancienne a cramé dans un incendie), le Saint James remplace la Tamise, mais sinon tout est pareil, à un gros détail près (ah et puis si, il y a des dragons des mers, mais ils sont plus là pour faire joli qu’autre chose) : le monde est parcouru par des lignes de force magiques, avec lesquelles certains sont « alignés » (c’est d’ailleurs comme cela qu’on désigne ces individus : des Alignés), ce qui fait que selon les cas, ils peuvent percevoir des changements dans le vent, les océans, le terrain, etc (on n’est lié qu’à un seul « élément », apparemment). Inutile de dire que ce genre de perception peut être très utile dans un cadre militaire. Pourtant, lors de la guerre, certains ont été tentés d’aller plus loin, en exploitant directement l’énergie de ces « pipe-lines » d’énergie magique : la seule tentative s’est soldée par un effroyable massacre de dizaines de milliers de soldats (des deux camps), ce qui fait que l’exploitation directe de ces lignes a été bannie par traité international. Ce qui n’empêche pas l’héroïne de pincer la corde de temps en temps pour faire avancer son navire plus vite. Comment, c’est pas très logique ? Ben non. Notez qu’il y a un passage au début, le seul où on est dans la tête de Gerard, où il lie la possession de territoires et celle de ressources magiques dans une veine qui rappelle fortement Soul of the world (dont il faudra VRAIMENT que je lise la suite un jour). J’ai aussi trouvé intéressant le fait que finalement, on ne touche à la magie qu’à l’ère de la poudre, alors que dans un livre de Flintlock ou d’Arcanepunk « normal », la magie était exploitée avant, notamment par des sorciers similaires à ceux que l’on trouve dans un roman médiéval-« fantastique » standard. Là on a vraiment l’impression qu’on vient plutôt de découvrir l’électricité, ou plutôt l’arcanicité, comme dirait Adrien Tomas.

Monde secondaire, magie, claire inspiration napoléonienne, canons, on se dit (quand on connaît sa taxonomie Apophienne…) qu’on a affaire à de la Flintlock Fantasy. Sauf que… il n’y a pas de mousquets, à platine à silex ou pas. Il n’y a que des canons, aucune arme à feu individuelle, si primitive soit-elle. Pas de mousquets, donc, mais pas d’arquebuses non plus. Rien du tout. Alors pour moi, tous les autres éléments cités en début de paragraphe suffisent à tout de même classer ce roman dans ce sous-genre précis de l’ensemble plus large que constitue la Fantasy à poudre (Gunpowder Fantasy), mais faut avouer qu’une Flintlock sans flintlocks, c’est tout de même une curiosité. Surtout que je vois mal ce qui empêchait l’autrice d’introduire pistolets et mousquets. Peut-être pour donner plus d’importance aux « grenades alchimiques » créées par une des sœurs de l’héroïne ? Sans doute. Mais bon, ça rend l’univers inutilement bancal, à mon sens.

NCIS : New London *

* Générique NCIS Los Angeles.

Et justement, à propos de la fratrie de la protagoniste : son nom de famille est Brightling parce que comme d’autres orphelines féminines, elle a été recueillie par Hetta (vous allez comprendre, patience), une conseillère du roi défunt qui a pris l’habitude d’adopter des fillettes abandonnées prometteuses et de les aider à, hum, réaliser leur plein potentiel. Quand je vous aurais révélé que Hetta est inhabituellement petite, qu’elle est analyste pour le Renseignement royal et a une redoutable réputation, vous vous rappellerez d’un certain G. Callen (et j’ajoute que le second de l’héroïne a un très fort parfum de Sam Hanna) et de la dénommée Hetty Lange dans NCIS Los Angeles, dont il paraît complètement évident que Chloe Neill s’est inspirée (sans compter les « principles of self-sufficiency » qui ont l’air d’avoir été écrits par Leroy Jethro Gibbs). D’ailleurs, outre l’absence de mousquets, ce livre a une autre particularité : Kit Brightling appartient au Régiment de la Reine, une unité séparée de la hiérarchie militaire habituelle (justement parce qu’il y aurait des traîtres au commandement), qui n’est pas informée de la teneur de ses missions. Elle accomplit, en tant que capitaine de navire, des missions relevant officiellement du rôle de courrier sur un schooner à deux mats, le Diana, qui, vu son activité, n’est pas armé (ce qui est une incohérence de plus quand on sait que les navires de commerce de l’équivalent local de la Hanse / de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales le sont -pour leur autoprotection-, eux). En réalité, elle mène des missions de contre-espionnage, de renseignement, de ce que l’on appellerait aujourd’hui d’opérations spéciales, et ainsi de suite. NCIS LA, quoi. Dès lors, l’absence d’armement de son navire peut (si on est très indulgent et de très bonne humeur) s’expliquer.

Évidemment, il faut aussi sans doute aller chercher l’inspiration du côté d’Honor Harrington (notamment dans l’hostilité à laquelle elle doit faire face, malgré le fait qu’elle a déjà, malgré ses 24 ans, prouvé sa valeur au combat pendant la guerre) côté Kit et éventuellement (bien que ce soit loin d’être net) côté Richard Sharpe du côté de Grant, l’ancien colonel avec lequel elle va faire équipe.

Intrigue *

* Santiano, Hugues Aufray, 1961.

Après un prologue qui ne sert à rien (littéralement), avance rapide trois ans plus tard. Kit Brightling a récupéré un courrier secret envoyé par Gerard pour demander le renouvellement de sa réserve de Haschisch… pardon, pour comploter avec des salauds de traîtres des îles Saxonnes pour faire on sait pas quoi. Sur ces entrefaites, un agent de la Couronne a été capturé, et a été conduit à Finistère, une île tri-classée Saint-Malo / Tortuga / île anglo-normande. Il faut donc aller le délivrer (sans canons et mousquets, je vous le rappelle). On adjoint à notre sympathique capitaine l’ancien supérieur de l’espion (du temps où ils combattaient Gerard dans l’armée de terre sous la direction du Wellington local, Sutherland), un vicomte désargenté appelé Grant, très antipathique (enfin… non, rien). C’est le début d’une série de petites missions de quelques dizaines de pages qui vont aboutir à la découverte d’un secret maousse costaud, qui place d’ailleurs le cycle à la lisière de la Flintlock et de l’Arcanepunk. Mais nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler lorsque je lirai le second tome.

Oui… *

* Single handed sailor, Dire Straits, 1979.

Alors on va commencer par ce qui fonctionne : premièrement, l’autrice a un style élégant (c’est particulièrement visible dans le prologue-qui-sert-à-rien), fluide et agréable, et c’est un plaisir de la lire. Les personnages sont très stéréotypés (voir plus loin) mais extrêmement sympathiques, et les dialogues (des piques humoristiques) entre eux savoureux (l’humour étant d’ailleurs très présent dans le livre). Le monde est également fort attrayant, surtout qu’on sent que niveau world-/magic-building, ça va sérieusement bouger dès le tome 2. Le petit parfum d’Honor Harrington et d’autres choses (voir plus haut) qui flotte sur l’ensemble est vraiment plaisant. On ne s’ennuie pas… euh pas longtemps, en tout cas. On aurait bien envie de lire la suite, si elle était dispo, là, tout de suite, même si ce n’est pas l’envie dévorante qui me taraude à la pensée d’une grosse Hard SF du lourd Hannu Rajaniemi, par exemple (pris, hum, totalement au hasard).

Et puis il y a le fond, pas dégueulasse non plus : discrimination envers les femmes (même si c’est fait jusqu’à l’absurde, ici, notamment quand des officiers décident de désobéir à la reine parce que bien qu’étant leur souveraine, elle reste juste une femme), mécanisation future inévitable de la magie et ses opportunités / dangers / changements de paradigme économique, entretien d’un état de guerre permanent pour le profit des industries d’armement et des consortiums marchands, emploi hasardeux de forces puissantes dans un cadre militaire (magiques ici, mais on pourrait tout autant parler d’armes nucléaires, chimiques, etc), exploitation abusive de ressources naturelles (magiques ici aussi), géopolitique dictée par la possession de ressources stratégiques, interrogation sur le fait que l’utilisation de la magie pourrait permettre de raccourcir les guerres et donc de faire moins de morts (similaires à celles sur l’emploi de la bombe A en 1945), etc.

… Mais ! *

* Down to the waterline, Dire Straits, 1978.

Oui mais voilà, il y a plein de facteurs qui ont constitué des points de… j’allais dire crispation, mais c’est peut-être un peu violent. De regret ou de haussement de sourcil, disons. Voire d’un gros « Pfff… ! ». Alors déjà, pour de la Fantasy militaire, ça ne tire tout de même pas des masses (il faut dire que quand on n’a pas de canons comme le Diana, ça n’aide pas, hein !). D’ailleurs, le premier boulet est tiré à… 37% du livre. Si, si (Vous me direz, dans Une guerre victorieuse et brève de David Weber, c’est pire, donc…). Les rares engagements navals manquent terriblement de tension. Moi, quand j’écrirai mon adaptation en Hard SF militaire de Master and Commander, j’aime autant vous dire que ça va balancer du missile dans tous les sens, et que vous allez vous demander combien de protagonistes je vais faire mourir dans des souffrances pires que celles d’un Stark dans GoT. Là, zéro, on ne tremble jamais pour les personnages, les « batailles » sont courtes et sans tension. Sans compter l’assaut sur Finistère « en slip », avec un bon gros… pas deus ex machina, non, mais disons qu’avoir une sœur qui fait des bombes alchimiques grosses comme des calots (les grosses billes -cherchez pas, c’est un truc de boomer) mais qui font péter deux pâtés de maison, hein, ça aide, à 70 pirates contre 4.

Ensuite, les personnages, outre le fait qu’ils sont stéréotypés (la femme capitaine rabaissée par les officiers masculins, le soldat de l’infanterie bourru mais au cœur d’or, le vicomte posh mais qui est en fait sympa avec le peuple, le second plein d’esprit et fiable jusqu’à la mort qui fait deux mètres et 125 kg mais est très gentil avec les enfants, etc), ont une dynamique des relations ultra-prévisible. On sait très bien qu’après une relation initiale chien / chat, ça va finir au pieu et… Ah ben si ça c’est un spoiler, moi je m’appelle Madeleine, hein, tellement c’est gros comme une maison. Il faut dire que les palpitations de l’héroïne devant les muscles saillants, le regard volontaire, la mâchoire carrée et la chevelure drue de Grant n’aident pas trop à maintenir le « suspense ». C’est d’ailleurs là qu’on sent le background (paranormal) romance de l’autrice. Et puis bordel, hein, Louisa, elle était vraiment nécessaire ? Il fallait vraiment les séquences gossip avec les sœurettes (« hiiii, tu vas au bal avec lui, vite, il faut te trouver une robe, hiiii ! ») ? La mission d’espionnage en talons et robe de soirée ? (oui, je sais James Bond, tout çaaaaa, mais bon…). Remarquez, je parle de protagonistes stéréotypés, mais les antagonistes ou les autres capitaines qui brisent les ovaires de Kit sont pires dans le genre caricatural, jusqu’au risible.

Enfin, j’ai trouvé que l’intrigue était très découpée en petites missions de quelques dizaines de pages, elles-mêmes séparées par des séquences de vie civile ou de débriefing parfois un peu longuettes, et qui, surtout, cassaient complètement la tension dramatique que l’autrice aurait pu (dû…) faire monter tout au long de l’intrigue. C’est d’ailleurs (ce morcellement en petites missions) un défaut étrangement répandu ces derniers temps dans la SFF en VO : cf, par exemple, The rush’s edge (par contre, un avantage est que les aventures du duo Kit / Grant sont plutôt diverses). C’est d’autant plus bizarre que l’autrice a, contrairement à Ginger Smith, une grosse, grosse expérience, comme nous l’avons vu dans l’introduction de cet article. Et d’ailleurs, puisqu’on en parle, la description détaillée du moindre personnage, même un « figurant », façon fiché S, n’est pas terriblement habile elle non plus.

Bref, déjà que l’aspect militaire, sans être catastrophique, est à la fois bancal (l’absence de mousquets, de canons sur le Diana) et mou du gland, ça commence à faire beaucoup pour un type comme moi qui a débarqué en espérant voir des boulets qui volent dans tous les sens, une Honor Harrington de Fantasy badass et qui se retrouve presque avec une Fantasy of manners Georgienne avec certes une héroïne solide et sympathique, mais qui ne détrônera pas Honor (ou Jack Aubrey) dans mon cœur.  Je ne voudrais toutefois pas que vous restiez sur une impression négative, car dans son genre très… particulier, ce roman est une réussite et tout à fait agréable à lire. Il faut juste bien comprendre ce que vous allez y trouver et surtout ce que vous n’allez pas y trouver  😉

Niveau d’anglais : aucune difficulté.

Probabilité de traduction : la traduction de Fantasy à poudre n’est pas vraiment (euphémisme…) une priorité de l’édition française, mais là, vu que l’autrice a un gros lectorat et que c’est peut-être une occasion en or de l’introduire à un type encore récent de Fantasy, qui sait…

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Lianne,

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29 réflexions sur “The bright and breaking sea – Chloe Neill

  1. C’est marrant, après 25 ans sans en entendre parler j’ai lu « calot » deux fois dans la même journée

    En tous cas ce bouquin m’intéressait jusqu’à ce que tu parles de la romance dégoulinante 😀

    Aimé par 1 personne

    • Ah oui, c’est marrant, ça 😀
      Il me semble que Lianne va le chroniquer aussi, vois sa critique tout de même. Je précise que même s’il y a un aspect romance, c’est un bien sympathique roman d’aventures, au final. Qui manque certes de tension dramatique et du rugissement des canons, mais qui ne laisse pas un mauvais souvenir pour autant.

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      • Ah oui pourquoi pas un bouquin d’Apophis version Master and Commander ! Avec une ambiance un peu à la Assassins creed Black flag… Slurp ! Et qui va le critiquer ? Apophis aussi ? ;). Sinon, pour faire écho à un de tes précédents coms sur un autre article, n’abandonne pas le blog ! Interdit ! Je ne vais pas être original mais tu es une mine d’or pour nous lecteurs, mais aussi certains éditeurs. Et le petit truc en plus que je languis toujours de voir quand tu sors une critique VO positive : la ligne  » Probabilité de traduction « . Même si des fois, je suis déçu par la réponse 😉

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  2. Si la couverture et l’idée me plaisait vraiment (l’envie de bonnes batailles navales), je passerai mon tour ! Merci pour la critique, se sera pas mon truc.
    J’attendrai ta prochaine critique fantasy pour remplir ma pile 😉

    Aimé par 1 personne

  3. Rien ni personne ne pourra détrôner Jack Aubrey ! 😀 Quant à l’autrice ou l’auteur qui refera Master and commander avec de la magie et des dragons, je l’attends aussi de pied ferme !

    Aimé par 1 personne

  4. Ping : Captain Kit Brightling, book 1: The Bright and Breaking Sea de Chloe Neill – De livres en livres

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