Des horizons rouge sang – Scott Lynch

Un solide tome 2

horizons_rouge_sang_lynchDes horizons rouge sang est le second des sept tomes (prévus) du cycle Les salauds gentilshommes, après l’excellent Les mensonges de Locke Lamora. Rappelons que les deux premiers romans sont sortis à un an d’écart l’un de l’autre (en VO, 2006 et 2007), puis qu’il a fallu attendre un peu plus de six ans pour avoir la suite, à savoir La république des voleurs. Alors que l’auteur, Scott Lynch, commençait à faire concurrence à G.R.R. Martin et Patrick Rothfuss au palmarès des plus gros procrastinateurs, il a récemment enfin rendu le manuscrit du tome 4, The thorn of Emberlain, à son éditeur. Pour sa publication, cependant, il va falloir patienter, puisque les sites marchands annoncent (probablement un peu au hasard, surtout compte tenu de la situation sanitaire actuelle) une sortie (anglo-saxonne) dans un éventail allant de… l’automne 2021 à l’été 2022. Plus inquiétant encore, avec sept ou huit ans d’écart entre deux livres, le tome 7 pourrait ne paraître que dans les années 2040  😀  Autant dire, donc, que la seconde heptalogie envisagée jadis par Lynch relève désormais plus de l’utopie que d’une réalité un tant soit peu probable, sauf changement radical de sa capacité à écrire de façon régulière.

Même si j’ai vraiment adoré le tome 1, je n’étais pas spécialement pressé de lire ses deux suites actuellement parues, et ce pour deux raisons : d’abord, leur réputation de ne pas tutoyer les mêmes sommets (surtout pour le tome 3), ensuite la volonté d’attendre que la sortie du tome 4 se précise pour ne pas devoir subir un écart de je ne sais combien d’années entre la lecture de deux tomes. La sortie de The thorn of Emberlain étant désormais une certitude, le moment m’a donc paru opportun pour poursuivre cette heptalogie. Si tout se déroule comme prévu, je devrais aussi vous proposer la critique de La république des voleurs avant la fin de l’année, histoire d’être à jour.

Réputation d’être inférieur au (prodigieux) tome 1 ou pas, je dois dire que j’ai passé un très bon moment de lecture avec Des horizons rouge sang, et que j’ai particulièrement apprécié trois de ses aspects (entre autres), à savoir un worldbuilding qui s’étoffe, un important aspect maritime et une fin extrêmement réussie. C’est donc avec plaisir que j’entamerai prochainement la lecture du tome 3.

Situation, structure, amorce de l’intrigue *

* Shipwrecked, Alestorm (et NON, cela n’a rien à voir avec Halestorm, c’est du Pirate Metal !), 2011.

Après un prologue en forme de flashforward / prolepse, où Jean semble se retourner contre Locke (prologue avec lequel on ne se reconnectera qu’à la fin de la seconde des trois parties du roman, à 83%), l’action démarre deux ans après la fin des Mensonges de Locke Lamora, alors que nos deux compères montent depuis tout ce temps un gros coup en lien avec la plus grosse « maison de jeu » de la ville de Tal Verrar. Dans le premier tiers du roman (il n’y aura ensuite qu’une poignée de micro-flashbacks intégrés au cours normal du récit et revenant sur la façon dont telle situation critique s’est nouée ou dénouée, parfois en un seul paragraphe), chaque chapitre situé dans ce « présent » sera suivi d’un flashback / d’une analepse nous racontant la façon dont Jean et Locke sont parvenus à leur situation actuelle à partir de la fin du tome 1. On y verra notamment un Lamora alcoolique et amorphe que Jean aura bien du mal à remettre sur les rails. Et quels rails… Pour rattraper le temps perdu et montrer à son ami qu’il n’a rien perdu de sa superbe en tant que voleur, Locke va décider de cambrioler la plus riche des chambres-fortes de Tal Verrar, qui appartient au très dangereux Requin.

Pendant un long moment, le roman joue donc sans surprise la partition qu’on l’imagine suivre. Du moins jusqu’à ce que les particularités de la politique locale (Tal Verrar voit s’affronter l’autorité d’un Conseil de marchands, le Priori, et celle d’un chef militaire, l’Archon) entraînent Locke et Jean dans une direction aussi surprenante pour eux qu’intéressante pour le lecteur : comme la couverture très maritime le laissait supposer, nos deux Salauds Gentilshommes vont en effet ajouter une activité à leur CV, celle de… pirate !

Le point de vue adopté est à la très grande majorité celui de Locke, même si occasionnellement, l’action peut être montrée par les yeux de personnages comme Jean ou Zamira, par exemple.

Analyse et ressenti *

* Drink, Alestorm, 2014 (à consommer sans modération  😀 )

On va commencer par les « mauvais » points : non, ce tome 2 n’est pas aussi bon que son prédécesseur, mais on ne peut pas dire qu’il soit très loin de son niveau non plus, et, d’après ce que j’ai vu passer, il reste nettement meilleur que le tome 3 ; et oui, le rythme était sans doute perfectible, même si, pour ma part, je ne me suis absolument pas ennuyé et que j’ai vraiment apprécié ce bouquin. Il faut dire que je déplore régulièrement la rareté de la Fantasy navale (ce que l’estimé Alfaric appelle la Sailcloth Fantasy, si je ne m’abuse), aussi je ne boude pas mon plaisir quand on m’en propose. On pourrait par contre dire que l’utilisation de la vengeance comme moteur d’une bonne partie de l’intrigue (surtout sur la fin) fait nettement redite des Mensonges de Locke Lamora, et qu’il aurait sans doute fallu éviter. Mais bon, d’un autre côté, c’est un des tropes les plus utilisés dans le genre, et c’est ici bien fait, donc j’accorde mon divin pardon au camarade Lynch. On pourra aussi regretter une moindre densité en terme de punchlines / répliques mémorables, même si Des horizons rouge sang est loin d’en être, pour autant, dépourvu. Enfin, pour clôturer le chapitre pinaillage, les allusions répétées à Sabetha, qui n’apparaît pourtant toujours pas, commencent à me faire légèrement monter la moutarde au nez, même s’il me semble que ce problème est réglé dans le tome 3 (il y aura bien une bonne âme pour me confirmer ce point en commentaires, hein ?).

Ceci étant posé, il y a surtout de très bonnes choses dans ce second opus : d’abord, le worldbuilding s’étoffe beaucoup, puisque cette fois, l’action n’est pas intégralement centrée sur une seule ville (Camorr) mais nous fait voyager sur la Mer de Cuivre et dans différentes cités, que ce soit Tal Verrar (surtout), Port-Prodigue, Salon-Corbeau ou Vel Virazzo, et que nous en apprenons également plus sur les autres nations, les guerres passées, le Trône Thérin ou sur les dieux, notamment. J’ai beaucoup apprécié l’utilisation du Verre d’Antan (dont l’origine / la nature reste toutefois toujours aussi mystérieuse) pour imaginer l’étonnante cité de Tal Verrar (qui se trouve à l’extrémité ouest du monde civilisé), Scott Lynch m’ayant laissé quelques belles images dans un recoin de mon indicible psyché (on pourra aussi remarquer qu’en deux romans, l’américain a créé deux des villes les plus réussies de la Fantasy, chacune avec une véritable « personnalité » marquante). Toujours dans le même ordre d’idée, j’ai beaucoup aimé ce « casino » qu’est l’Aiguille du péché et son patron haut en couleur (sans parler de son bras droit, la fascinante Sélendri -j’en profite pour dire que je trouve que l’auteur est très doué en matière de prénoms féminins imaginaires, qui « sonnent » toujours très bien-) : j’ai même ressenti une espèce d’ambiance James Bond par moment, avec le génie du mal qui sait que le héros est là pour tenter de lui jouer un mauvais tour mais qui, pourtant, devise tranquillement et courtoisement avec lui, menant une espèce de jeu du chat et de la souris pervers.

Ensuite, les personnages féminins sont à la fois très nombreux et tous plus intéressants les uns que les autres (beaucoup plus, à vrai dire, que la plupart de leurs contreparties masculines, assez stéréotypées ; on louera aussi le fait que dans cet univers, les femmes aient accès aux mêmes métiers ou fonctions que les hommes), et la relation entre Locke et Jean se complexifie et offre quelques très beaux moments d’émotion (surtout à la fin). D’ailleurs, puisqu’on en parle, ladite conclusion est extrêmement réussie, réservant à la fois un coup de théâtre complètement imprévisible (et jouissif, dans son genre) et une très belle scène illustrant la relation entre les deux compères. Enfin, il y a plusieurs moments de tension dramatique, de profonde émotion, de franche rigolade (l’initiation à la navigation, la relation torride entre deux personnages), de totale horreur et quelques furieuses batailles qui tiennent en haleine, et ceci même si transitoirement, vous pouvez vous demander où l’auteur veut en venir et si tout va être réglé dans ce tome (ce qui est le cas, à un point -important- près) ou dans le suivant. Aucune scène ou presque n’est inutile, et tout fait sens une fois l’ultime page tournée. Par exemple, à part la fabrication des fameuses chaises, et le développement de la thématique anti-nobles / élites, je me suis demandé un moment à quoi le premier passage se déroulant à Salon-Corbeau servait vraiment, et s’il n’était en fait pas dispensable (et ce même si j’ai beaucoup aimé ce chapitre : j’en profite d’ailleurs pour louer l’excellence des ambiances et des descriptions). Il faudra attendre, là aussi, d’atteindre 85 % du roman pour avoir la réponse. Patience, donc.

Bref, même si ce roman n’est pas parfait et pas tout à fait aussi bon que son prédécesseur, il constitue pourtant une lecture extrêmement recommandable, surtout pour qui aime la Fantasy post-médiévale (ici inspirée par la Renaissance), maritime et de crapules. Soyez cependant avertis que même si ce tome est sans doute moins violent que le précédent, certaines scènes, voire le registre de langage régulièrement grossier, peuvent ne pas convenir à certains profils de lecteurs. C’est certes plus soft que d’autres œuvres de Dark Fantasy (nous en reparlerons bientôt), mais cela en relève pourtant indubitablement.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lutin sur Albédo, celle de Boudicca sur le Bibliocosme, de Blackwolf, de Phooka sur Bookenstock, de Fnitter, de Xapur,

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23 réflexions sur “Des horizons rouge sang – Scott Lynch

  1. Pour ma part, je suis pas loin de le préférer au premier. Ca se discute, Lies ayant de toute façon le droit d’aînesse sur la préférence, mais moi aussi j’ai adoré dans le second les personnages, les décors, et la partie « pirate ». Et il est peut-être plus abouti au final dans l’exploitation du theme « braquage » (aka « heist »)
    Ca y est, rien qu’en reparlant, j’ai envie de les relire. Frack !
    Et oui, on revoit Sabetha dans le volume 3. Que j’ai moins aimé, mais je crains que j’en avais trop d’attentes.
    Quand au 4, moi sur une recherche google j’ai un « Disponibilité prévue le : 17 septembre 2020 » et je vais y croire très fort.

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    • Sans le Coronavirus, une sortie VO le 17 septembre 2020 était, à mon sens, crédible. Mais vu la situation, je n’y crois pas du tout. Même si j’adorerais être démenti, pour le coup.

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  2. Tu fais ton petit bonhomme du chemin sur WordPress, et tout d’un coup : ALESTORM ^^
    Pour moi, le tome 2 est aussi bon que le premier, mais plus complexe, d’où le fait qu’on ne sache franchement pas par moments où l’auteur veut en venir. Par contre, je confirme, le tome 3 est franchement décevant de ce côté-là.

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    • Tout à fait, au moment de ce que j’appellerais le « tournant maritime » de l’intrigue, je me suis demandé à quoi il jouait, vu que l’arc avec Requin passait soudain complètement au second plan, et ce pendant des centaines de pages.
      Oui, je ne me suis pas trop renseigné sur le tome 3 pour ne pas me spoiler, mais la déception semblait générale ou quasiment. Espérons que le tome 4 relèvera le niveau…

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  3. Tu m’as eue au mot « fantasy navale », aha. J’avais vu les deux premiers tomes traîner dans la bibliothèque où je bosse, je suis ravie d’apprendre que le 4e tome est enfin pour bientôt. Je vais acheter le tome 3 une fois sorti du confinement… mais surtout, lire ton avis sur le 1er et 2e tome m’ont fait me dire que je m’y plongerai dedans dès que possible. L’univers risque bien de me plaire, et ça me fera plaisir de croiser des personnages féminins bien construits. et je me note Rothfuss, qui semble véritablement incontournable..je n’en lis que du bien dans les articles ici et là !

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    • J’avoue que j’étais dubitatif devant l’unanimité des critiques positives du Nom du vent de Rothfuss, mais une fois lu, j’ai ajouté ma voix au concert de louanges sans hésitation 😉

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  4. Ping : Des Horizons Rouge Sang (Les Salauds Gentilshommes tome 2) – Scott Lynch – Les Lectures de Xapur

  5. Sans être aussi bon que le premier, j’ai beaucoup aimé celui-ci. Le troisième, hélas, est décevant. Content (mais méfiant) d’apprendre que le suivant est enfin arrivé, au moins chez l’éditeur, je crois que l’auteur a eu pas mal de soucis ce qui explique ce délai.

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  6. J’ai un bon souvenir de ce tome, même si le milieu naval c’est moins mon truc…
    mais j’attends avec impatience ta chronique du tome 3 pour dire ce que j’en ai pensé ^^

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  7. Salut ! Je suis une grande fan de cette saga ! J’ai adoré le tome 3 en ce qui me concerne, avec enfin la rencontre de Sabetha, que ce soit dans le présent ou dans un arc narratif relatant le passé. Et je suis ravie d’apprendre que le tome 4 avance … Par contre, je n’ai pas du tout aimé Le nom du Vent de Patrick Rothfuss, avec un héro tellement parfait qu’il en devient antipathique.
    Bref, hâte de lire ta critique du tome 3 ! 🙂

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  8. Super critique, comme d’hab, et j’attends vraiment avec impatience ton avis sur le tome 3 et sur le perso de Sabetha… Je n’ose rien dire de plus pour laisser ce com neutre (même si tu as déjà du en entendre suffisamment sur le sujet) mais je me demande ce que tu vas en penser !
    Et enfin une date pour le 4, oui!! Même si approximative, c’est déjà ça ! :))

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    • Merci ! La critique du tome 3 est prévue pour le milieu de la troisième semaine de juin, si le programme est respecté (et à priori, il devrait l’être).

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  9. Ping : Dans la boucle temporelle – itération 6 : juin 2016 | Le culte d'Apophis

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