The A(pophis)-Files – épisode 10 : Cailloux dans le ciel – Astéroïdes & SF

afiles_3En complément du Guide de lecture du Planet Opera, j’étais parti pour vous proposer un guide annexe détaillant les livres de SF où les astéroïdes sont habités ou bien abritent des artefacts mystérieux, des installations extraterrestres à explorer. Et puis je me suis fait la réflexion que les « cailloux dans le ciel » avaient bien d’autres usages en SF, et que le propos devait être élargi. Au passage, je me suis permis un petit abus de langage : en astronomie, on n’emploie le terme « astéroïde » que pour les amas de roche / métal / glace / carbone qui se trouvent dans le Système Solaire dit « intérieur », c’est-à-dire en-deçà de l’orbite de Jupiter, à l’exception des astéroïdes dits « Troyens », dont certains se trouvent sur les Points de Lagrange de Jupiter, d’Uranus et de Neptune (en plus de ceux de la Terre et de Mars). Pour tout ce qui se trouve au-delà, on emploie les termes de « comète » (surtout formée de glace), de « Centaure » (astéroïdes se trouvant entre les orbites des planètes géantes) ou d' »objet transneptunien ». Pour ma part, je vais, dans cet article, le plus souvent tout regrouper sous le terme d’astéroïde (voire de comète), pour des raisons de simplicité.

Vous pouvez retrouver les anciens épisodes de cette série d’articles de fond via cette page ou ce tag.

Anatomie d’un astéroïde

Sans vouloir faire un cours magistral, quelques définitions peuvent être utiles : les astéroïdes sont des amas de matière allant de quelques mètres à près de mille kilomètres dans leur plus grande dimension (Cérès ; les trois autres plus gros tournent autour des 500 km). Leur composition varie : on peut y trouver majoritairement du Carbone, des roches, de la glace, des métaux (mélange fer-nickel), mais aussi des composés organiques, des actinides, des platinoïdes, ou un mélange de tout ça. Certains (les plus petits) ne sont qu’un assemblage de « grains » de taille plus modeste, seulement retenus par la faible gravité de l’ensemble, tandis que d’autres (typiquement les plus gros), sont « solides », et différenciés en couches distinctes comme les planètes telluriques (noyau métallique, puis roches, etc). Certains (et pas forcément les plus gros !) ont même une « lune », à savoir un autre astéroïde qui orbite autour d’eux.

Ils sont répartis en différents groupes, comme nous l’avons vu : le plus évident est situé dans la Ceinture d’astéroïdes (étonnant, non ?) qui se trouve entre les orbites de Mars et de Jupiter ; il y en a aussi sur les points de Lagrange (voir plus haut), d’autres qui coupent l’orbite d’une planète (les plus connus sont les Géocroiseurs qui passent à proximité de la Terre, mais il y en a d’autres groupes bien moins fameux : herméocroiseurs -Mercure-, cythérocroiseurs -Vénus-, aréocroiseurs -Mars-, etc), et entre les orbites des géantes gazeuses ou de glace. Au-delà de Neptune, se trouvent les comètes, réparties en deux « réservoirs », la Ceinture de Kuiper (20 fois plus large que la Ceinture d’astéroïdes et de 20 à 200 fois plus massive) et l’encore hypothétique Nuage d’Oort (dont la taille pourrait atteindre jusqu’à plusieurs années-lumière -les conjectures varient entre 0.03 et 3.16- et la masse équivaloir à cinq fois celle de la Terre). Notez que les grands « troupeaux » d’astéroïdes que l’on aperçoit dans les (mauvais) films de SF ou certaines séries (nous venons juste d’en avoir un exemple affligeant dans Another Life) sont une pure fiction : même dans les groupes les plus denses, il y a des gouffres de distance entre deux astéroïdes, sauf le cas particuliers des « lunes » déjà évoqués. La SF ancienne avait fait de nos « cailloux dans le ciel » une menace potentielle pour la navigation interplanétaire, mais ce thème est devenu caduque avec les progrès de nos connaissances scientifiques et a été, pour l’essentiel, abandonné aujourd’hui dans toute oeuvre se voulant un minimum réaliste.

Notez enfin que l’utilisation des astéroïdes en SF ne s’arrête en aucun cas à ceux du Système Solaire : l’auteur peut parler de ceux orbitant autour d’une autre étoile (comme Joan D. Vinge dans Les proscrits de la Barrière Paradis), d’un astéroïde errant venant de l’une d’elles (nous en avons récemment eu un exemple tout ce qu’il y a de réel avec ‘Oumuamua) et traversant notre petit coin d’espace, voire d’astéroïdes venus du futur (Éon de Greg Bear), d’un monde parallèle, etc. Certains écrivains vont même encore plus loin : dans Howling Dark, Christopher Ruocchio mentionne par exemple les opérations minières qui ont lieu dans un disque protoplanétaire, c’est-à-dire dans la masse de gaz et de poussière entourant une jeune étoile et qui sert à former ses planètes à partir de « planétésimaux », des coalescences de grains pouvant aller de 1 à 1000 Km de diamètre. Car comme il le fait très justement remarquer, il est plus facile d’aller y chercher des éléments chimiques lourds industriellement intéressants. Il existe même des livres où certaines planètes du Système Solaire, jugées « inutiles », sont démantelées car la Ceinture d’astéroïdes créée sur leur ancienne orbite est jugée plus utile qu’une planète aux conditions infernales, difficile à terraformer, comme Vénus par exemple.

Les astéroïdes en SF : utilisations et thématiques

Les astéroïdes ont été utilisés par de très nombreux écrivains de SF, et ce de façons très différentes :

L’astéroïde en tant que menace *

* Everybody dies, Ayreon, 2017.

marteau_clarkeL’utilisation la plus spectaculaire de l’astéroïde / de la comète est bien entendu celle du tueur de cités, de civilisation, voire de planète. On compte de nombreux exemples de romans, anciens ou plus récents, montrant l’apparition soudaine, dans une trajectoire de collision avec la Terre, d’un morceau de roc ou de glace assez gros pour menacer les sociétés humaines, voire l’existence de toute vie sur notre monde. Les plus connus sont probablement Le marteau de Dieu d’Arthur C. Clarke (où l’objet est surnommé Kali), Lucifer’s hammer de Larry Niven et Jerry Pournelle et Shiva le destructeur de Gregory Benford et William Rotsler, mais si l’on veut des exemples plus récents (et élargir le champ à l’uchronie scientifique, par la même occasion), on peut aussi évoquer The calculating stars de Mary Robinette Kowal ou bien Les chroniques de Méduse de Stephen Baxter et Alastair Reynolds. Notez que chacun de ces romans peut exploiter la même base de départ (l’astéroïde tueur arrive) dans un but différent : on peut centrer l’intrigue sur l’aspect aventure (montrer l’expédition de courageux astronautes qui va essayer de détruire ou dévier la menace), social (montrer les réactions des gens à la fin imminente du monde, même si celle-ci n’a finalement pas lieu -notamment l’émergence de groupes terroristes, d’extrémistes religieux, voire des deux à la fois-), sur le monde d’après (la catastrophe a bien lieu, voyons le combat pour la survie ou la reconstruction qui se déroule ensuite), voire en faire un point de divergence uchronique qui va servir à mettre en place la vraie intrigue / thématique que l’auteur veut explorer (comme dans le bouquin de Kowal cité plus haut).

Mais la menace peut ne pas être accidentelle du tout : dans le film Starship Troopers, les Arachnides utilisent des astéroïdes pour bombarder la Terre, tandis que dans la série Babylon 5, les Centauri en emploient de plus petits pour mettre la planète Narn à genoux (stratégie également employée dans La paille dans l’œil de Dieu ou dans Footfall -dont je vous proposerai un jour lointain la critique- de Larry Niven et Jerry Pournelle, ainsi que dans Les jeux de Némésis de James S.A. Corey). Dans Excession de Iain M. Banks, ce n’est pas un astéroïde en lui-même qui est dangereux, mais ce qu’il contient : c’est une cache d’armes contenant des centaines de vaisseaux de guerre, une force de réaction rapide dirigée par des IA et apte à être déployée si une crise se déclare dans le secteur que l’installation est supposée protéger. De gros efforts ont été faits pour que l’astéroïde paraisse parfaitement anodin, du moins jusqu’à ce que ses téléporteurs se mettent à faire sortir des hangars internes de redoutables machines de guerre ! De même, dans La couleur tombée du ciel de Lovecraft, texte pionnier de la partie SF de son oeuvre et probablement une de ses meilleures nouvelles, c’est le contenu (une étrange forme de vie extraterrestre) d’une météorite (un petit astéroïde qui s’écrase sur Terre) qui constitue un danger, pas sa chute en elle-même.

L’astéroïde utile

hamilton_asteroidLes astéroïdes et comètes sont très utiles à une civilisation avancée qui à l’ambition de coloniser son propre système solaire : les premiers peuvent servir de source de matériaux (métaux, éléments radioactifs, eau, oxygène, hydrogène, carbone, silicium) pour construire tout un tas de choses utiles (le câble d’un ascenseur spatial, des vaisseaux ou des stations spatiales, des panneaux solaires, du carburant, de la nourriture, de l’air respirable, des nanotubes de carbone ou du diamant artificiel, etc), tandis que les secondes peuvent être mises sur des trajectoires de collision avec la planète que vous voulez terraformer (typiquement Mars ou Vénus), histoire d’y apporter assez d’eau pour y créer des océans. On peut les exploiter là où ils se trouvent ou bien y fixer des propulseurs ou une catapulte électromagnétique afin de les déplacer vers l’orbite d’une planète, par exemple le site d’une fonderie orbitale où les matériaux seront extraits, purifiés et expédiés là où ils seront utiles. Peter Hamilton imagine par exemple que le métal soit fondu puis qu’on y injecte un gaz neutre (de l’azote, par exemple), conférant ainsi une flottabilité au bloc de matière raffiné créé. Ensuite, vous lui donnez une petite impulsion, et il tombe à faible vitesse et avec un angle adéquat dans l’atmosphère de la planète autour de laquelle gravite la fonderie, avant d’amerrir sur un de ses océans, où il n’a plus qu’à être remorqué tel un iceberg de métal vers le port le plus proche, où il sera morcelé et servira de matière première aux industries planétaires. L’auteur imagine même (dans L’aube de la nuit) que les différentes phases de la colonisation d’une planète / d’un système extrasolaire puissent être définies par le degré d’exploitation des astéroïdes ! Dans sa toute récente nouvelle Genesong, Hamilton décrit une véritable caravane d’astéroïdes convoyés vers une Vénus en cours de terraformation au fil des années, la glace étant utilisée pour créer un océan tandis que le reste de leur matière sert à créer des miroirs géants (une soletta à l’envers, comme dirait Kim Stanley Robinson) devant réguler la quantité de lumière (et donc de chaleur) qui parvient sur la planète, permettant ainsi sa transformation en seconde Terre.

mining_the_skyRamener un astéroïde de la Ceinture ou une comète depuis l’espace transneptunien sera long et fastidieux, mais il existe d’autres solutions : les astéroïdes géocroiseurs dont je parlais plus haut ont une orbite qui coupe celle de la Terre, ce qui fait que se poser dessus requiert dans certains cas moins de Delta-V que pour aller sur la Lune et est en tout cas bien moins exigeant (notamment en terme de temps de voyage) qu’une mission vers Mars ou la ceinture principale d’astéroïdes. Dans son (excellent) essai économico-scientifique Mining the sky, John S. Lewis explique que l’exploitation des géocroiseurs est d’ores et déjà à notre portée sur le plan technologique, que la première mission nécessitera certes d’importants investissements mais que les profits engrangés seront tellement colossaux (voir plus loin) qu’elle sera très largement rentable. De plus, c’est un système capable de s’auto-entretenir, le premier astéroïde exploité industriellement pouvant produire des pièces ou du carburant pour en exploiter un autre, et ainsi de suite. On peut d’ailleurs penser que si la Lune et les autres planètes seront la cible prioritaire des scientifiques et des nations (ces dernières pour des raisons de prestige), les géocroiseurs, eux, seront probablement celle des acteurs privés du secteur spatial (ou de pays ayant une forte demande de matière premières, comme le Japon ou la Chine), qui sont avant tout là pour faire plus d’argent (c’est le point de départ de Temps de Stephen Baxter : l’ancien astronaute Reid Malenfant emploie sa fortune à monter une expédition vers les géocroiseurs pour redynamiser l’économie de la planète. Son choix se portera -pour d’autres raisons que la seule économie- sur Cruithne, astéroïde de 5 Km de diamètre surnommé « la deuxième lune de la Terre »).

On imagine aisément l’effet qu’aurait l’afflux massif de platinoïdes ou de Terres Rares dans l’industrie terrestre ! L’astéroïde (6178) 1986 DA serait une cible de choix : ce géocroiseur contiendrait, selon les estimations, 10 000 tonnes d’or, 100 000 de Platine, 10 milliards de tonnes de fer et 1 de nickel. Le Platine à lui seul vaut (théoriquement) 1000 milliards de $. John S. Lewis, lui, prend, dans son livre, l’exemple du plus petit géocroiseur de type métallique, 3554 Amun, et estime qu’au taux de 1996, la valeur de ses ressources en fer / nickel / cobalt / platinoïdes équivaut à 20 000 milliards de $. Sachant bien entendu que ces chiffres sont essentiellement théoriques, et que les profits réels seraient nettement moindres, ne serait-ce qu’en raison de la chute des cours liée à l’afflux d’une quantité massive de tel ou tel élément jusqu’ici rare. Au moment où je rédige ces lignes, une dizaine de compagnies privées ont des projets miniers relatifs aux astéroïdes. Leurs cibles les plus probables sont 162173 Ryugu (30 milliards de $ de profits estimés, faible Delta-V nécessaire pour l’atteindre), 2001 CC21 (également 30 milliards, mais un Delta-V un peu plus élevé est requis), 1992 TC (17 milliards) et 65803 Didymos (16 milliards).

Même le roc qui forme ces gros cailloux peut avoir son utilité : on peut s’en servir comme contrepoids pour un ascenseur spatial ou comme socle, pour construire, en surface ou à l’intérieur, tout un tas d’installations, depuis des fonderies orbitales jusqu’à des forteresses-astéroïdes de défense. Ce sera toujours plus économique que de bâtir de A à Z l’infrastructure qui supporte les machines ou les armes vraiment utiles à la mission de ladite installation.

Conduire un astéroïde là où ça vous arrange, c’est bien, mais dans quelques rares cas, c’est justement son isolement qui peut être intéressant : vous pouvez installer à l’intérieur ou à sa surface des laboratoires vous permettant de tester une grande variété de technologies dangereuses, comme (par exemple) des réacteurs ou des propulseurs à antimatière, de la nanotechnologie, de l’ingénierie génétique, des prototypes d’Intelligences Artificielles, une machine à voyager dans le temps, des composants récupérés sur l’épave d’un vaisseau extraterrestre, etc.

J’habite dans un astéroïde

expanse_asteroidAntoine de Saint-Exupéry a montré la voie dans Le petit prince, et d’autres auteurs l’ont suivie, faisant vivre leurs personnages sur / dans les cailloux dans le ciel. Si vous avez excavé des galeries dans un astéroïde ou une comète, pour en extraire ce dont vous aviez besoin (métaux, actinides, platinoïdes, eau, carbone, etc), l’espace ainsi libéré peut vous être utile, à condition d’être scellé et pressurisé. Avec un « roc » (comme on les appelle parfois en SF) assez gros, vous pourriez bâtir des cavernes artificielles et des réseaux de tunnels assez vastes pour contenir des villes entières, comme dans Éon de Greg Bear, par exemple (on a estimé qu’en évidant tous les astéroïdes, on aurait un espace vital équivalent à celui que représente un immeuble d’1.6 Km de haut recouvrant toute la surface de la Terre). Mais, dans la science-fiction récente, ce sont probablement le cycle (et la série) The Expanse et le sous-cycle Asteroid Wars (faisant partie de la plus vaste saga du Grand Tour de Ben Bova) qui ont montré les plus beaux exemples de l’émergence d’une culture « Ceinturienne » et de ce genre d’utilisation des cailloux dans le ciel (Larry Niven a également pas mal écrit sur le sujet). Imaginez un peu, notamment, combien de personnes pourrait accueillir Cérès, avec ses 1000 Km de diamètre et la possibilité de s’installer en sous-sol aussi bien qu’à la surface ! Notez que des kilomètres (voire beaucoup, beaucoup plus) de galeries peuvent constituer un cauchemar si l’astéroïde concerné est rempli d’ennemis ou de rebelles et que vous devez sécuriser les lieux : Dan Simmons évoque ce fait dans la partie d’Hypérion qui concerne Fedmahn Kassad (au passage, pour une utilisation militaire extrême d’un roc, je vous conseille -sur ce plan comme sur des tas d’autres- l’excellentissime Exultant de Stephen Baxter, qui fait partie d’un cycle mais peut se lire de façon indépendante).

Si, pour une raison ou une autre, vous ne voulez pas utiliser un astéroïde évidé, vous pouvez aussi utiliser sa matière pour bâtir un monde artificiel (un Cylindre O’Neill, une Sphère de Bernal ou un Tore de Stanford). Vous pouvez également combiner évidement et Cylindre O’Neill, comme pour les Terrariums du roman 2312 de Kim Stanley Robinson. Vous pouvez, enfin, tailler votre astéroïde pour en faire un cube parfait parce que les principes du Feng Shui l’exigent, comme dans la nouvelle T’ien-Keou de Laurent Genefort (dans la nouvelle Vainglory d’Alastair Reynolds, ils sont aussi taillés, mais pour des raisons purement artistiques, et ne sont pas habités).

Quel que soit le mode par lequel vous parvenez à votre nouvel Habitat spatial (gruyère, construction ou évidement puis construction), reste à savoir ce que vous allez en faire. Les possibilités sont multiples : colonie de peuplement ou pénitentiaire (voire colonie de peuplement où le gouvernement déporte une ethnie / culture / organisation / nouvelle branche parahumaine de l’Humanité / etc gênante ou dissidente), centre de recherche, station agricole, zoo devant préserver la bio-diversité, installation militaire (le cursus de l’Ender d’Orson Scott Card le conduit sur l’astéroïde Eros) cache d’armes (Banks), repaire ou cible de pirates (l’exploitation minière des astéroïdes ayant été, en SF, modelée sur la ruée vers l’or américaine, le côté sans foi ni loi, « Ouest sauvage », reste très présent dans beaucoup de textes), de rebelles ou de super-vilains (Magnéto et son Astéroïde M), voire nation souveraine permettant à une culture spoliée / qui n’a jamais eu beaucoup de territoires (les indiens d’Amérique, Monaco, etc) d’en (re)trouver un. Mike Resnick, dans le magistral Kirinyaga, montre aussi la façon dont des expériences sociales peuvent y être menées, ici en tentant de recréer une culture traditionnelle africaine qui a en grande partie disparu, une utopie théorique qui aura cependant tout de la dystopie. Harry Harrison, lui, dans un roman dont je vais taire le nom pour ne pas spoiler, imagine même une culture qui ne sait pas qu’elle se trouve à l’intérieur d’un astéroïde aménagé et qui se croit donc sur Terre !

ceres_vesta_eganDans nombre de contextes de SF restreints au Système Solaire, les colonies minières de la Ceinture ont une importance vitale dans l’économie interplanétaire (voyez par exemple dans Temps fort de C.J. Cherryh, le premier livre -dans la chronologie interne de ce contexte- de l’univers Alliance-Union et du cycle Les guerres de la Compagnie). Certains romans, comme Cérès et Vesta de Greg Egan par exemple, sont même en partie centrés ou construits sur les flux de matériaux et / ou de population entre astéroïdes. Alors que les sociétés planétaires (Terre, Mars, parfois Vénus ou les satellites de Jupiter / Saturne) sont souvent présentées comme dystopiques (dominées par les Corporations, par des tyrans, par les militaires, etc), à l’inverse les habitants des astéroïdes incarnent des cultures plus saines ou progressistes. Là encore, les œuvres de Ben Bova et de James S.A. Corey sont d’excellents exemples récents de cela, et la novella d’Egan dont je parlais plus haut un contre-exemple : la société de Vesta est assez nauséabonde, à tel point que les membres d’une de ses communautés prennent tous les risques pour fuir sur Cérès. Si l’on élargit le propos à une SF plus ancienne, le fix-up Tales of the flying mountains de Poul Anderson propose (entre autres) une Histoire complète allant de la naissance d’une culture propre à la Ceinture jusqu’à son indépendance des puissances colonisatrices, et James Tiptree Jr. (qui, comme chacun devrait à présent le savoir et le dire haut et fort, était en réalité Alice Bradley Sheldon) a également montré, dans Te phage pas, Topanga ! (oui, c’est le vrai titre français…), une vision intéressante de la vie sur les cailloux dans le ciel.

Ride the comet *

* Ayreon, 2008.

Comme nous l’avons vu, il est possible d’équiper un astéroïde de propulseurs tirant parti de sa propre matière (roc, glace convertible en propergols) pour le déplacer de son orbite dans la ceinture (ou de géocroiseur) vers une fonderie orbitale ou tout autre lieu qui vous convient mieux. Mais il est aussi possible de transformer un astéroïde assez gros en vaisseau spatial de cette manière, afin, par exemple, de voyager vers d’autres systèmes stellaires. En effet, si vous creusez pour créer vos espaces de vie, les couches de roche ou de glace vous protègent des micro-météorites et des radiations (rayons cosmiques, éruptions solaires, etc), vous disposez de la capacité de creuser d’autres chambres si votre population augmente (sur un vaisseau à générations), et de ressources (la glace d’eau peut être électrolysée pour fournir de l’oxygène, le carbone employé pour faire pousser de la nourriture artificielle, etc) en grande quantité. Bref, il peut être plus simple et plus rapide de convertir un astéroïde en vaisseau-arche infraluminique que de construire un astronef de A à Z.

steel_breeze_v2_reynoldsDans Sous le vent d’acier, Alastair Reynolds pousse cette logique à l’extrême, les vaisseaux-astéroïdes étant littéralement créés à la chaîne, regroupés en « caravanes » d’une dizaine, puis en véritables ponts aériens comprenant de quelques à plusieurs centaines de caravanes lancés vers différents systèmes extrasolaires. Chaque astéroïde fait dans les 50 km de long, comprend 10 millions d’habitants et est lancé à 13% de la vitesse de la lumière. Dans Howling Dark de Christopher Ruocchio, les vaisseaux-mondes des extraterrestres Cielcin sont encore plus volumineux : ils sont issus de la transformation soit des plus énormes des astéroïdes, soit carrément de celle d’une Planète naine ! Autre dimension donnant le vertige, temporelle cette fois : dans The freeze-frame revolution de Peter Watts, l’Eriophora est lancé dans un voyage subluminique autour de la Voie Lactée qui dure depuis… 66 millions d’années !

Mais un vaisseau-astéroïde peut ne pas partir du Système Solaire… mais y arriver. On citera bien sûr le fameux vaisseau du Rendez-vous avec Rama d’Arthur C. Clarke, qui est, au début, pris pour un astéroïde, le Caillou d’Éon de Greg Bear, et même le tout à fait réel ‘Oumuamua, en provenance incontestable d’une autre étoile (sa vitesse et sa trajectoire ne laissent aucun doute sur la chose) et dont la nature de banal astéroïde est mise en cause par certains. Selon eux, ce serait en fait un astronef extraterrestre !

De même, on peut ne pas déplacer l’astéroïde, mais se déplacer grâce à l’astéroïde, nuance : dans la nouvelle Break my fall de Greg Egan (au sommaire de l’anthologie Reach for Infinity), afin de coloniser Mars, on a mis en place une « chaîne » d’astéroïdes aux orbites modifiées, qui transfèrent une partie de leur énergie cinétique et de leur moment angulaire à des vaisseaux non-propulsés.

Mystérieux astéroïde

gateway_pohlPlanétoïdes transneptuniens et astéroïdes de la Ceinture peuvent parfois abriter des artefacts étranges, d’origine extraterrestre… ou pas (on pensera, dans ce dernier cas, au « Caillou » d’Éon de Greg Bear, qui n’est autre qu’un second exemplaire, venu du futur et transformé en vaisseau spatial par les humains, de (3) Junon, ou à Temps de Stephen Baxter). Dans le roman le plus célèbre de Frederik Pohl, La grande porte, on a découvert qu’un astéroïde orbitant perpendiculairement au plan de l’écliptique avait été transformé en une station spatiale par une mystérieuse race appelée les Heechees. Abandonnée depuis un bon demi-million d’années, elle contient un millier de petits astronefs dont la destination est préprogrammée et le temps de voyage variable. La plupart mènent vers la mort ou des endroits inintéressants, mais d’autres conduisent à des planètes habitables ou à d’autres merveilles technologiques Heechees. Ainsi, d’intrépides aventuriers se lancent dans une ruée non pas vers l’or (une période Historique qui sert, d’ailleurs, d’inspiration pour tous les textes tournant autour de l’exploitation des ressources des astéroïdes), mais vers les découvertes. Dans le récent (et très inspiré par Pohl, entre autres) roman court Walking to Aldebaran d’Adrian Tchaikovsky, ce que l’on prend tout d’abord pour un planétoïde de la ceinture de Kuiper s’avère en réalité être un artefact extraterrestre doté de portes conduisant ailleurs dans la galaxie.

Dans la nouvelle La pierre parlante d’Isaac Asimov, un vaisseau a sur sa coque une Siliconite d’une taille très inhabituelle, une créature à la biochimie alternative (où les silicones remplacent les protéines carbonées comme éléments structurels) qui se nourrit de rayons gamma. Son gigantisme et ses capacités inhabituelles indiquent que l’astronef sur lequel elle s’est accrochée a trouvé un astéroïde d’uranium d’une taille hors-norme (plusieurs trillions de tonnes). Le technicien chargé du ravitaillement du vaisseau comprend que le capitaine cherche à cacher cette découverte, vu que tout ce qui concerne l’élément radioactif est le monopole de l’État. Il sabote le vaisseau, pour pouvoir faire pression sur l’équipage et le forcer à dévoiler les coordonnées du filon. Mais son plan marche un peu trop bien, et il doit se débrouiller seulement avec les énigmatiques dernières paroles de la Siliconite. Et résoudre ce nouveau genre de mystère lié à un astéroïde !

Échoué sur / dans / autour de l’astéroïde

odyssees_clarkeNombre de textes de l’âge d’or de la SF n’étaient que des transpositions, dans l’espace et le futur, d’autres types de littératures populaires (dans tous les sens du terme), comme les romans d’aventure, le Western, les récits d’exploration de continents exotiques et inconnus et la littérature navale. C’est d’ailleurs de cette dernière dont vient la thématique du « danger pour la navigation interplanétaire » dont je parlais plus haut. Mais il y en a d’autres : plus qu’un récif ou un banc de sable, un astéroïde peut aussi représenter la minuscule île déserte sur laquelle échouera un intrépide navigateur. Et les plus grands se sont prêtés à l’exercice : ainsi, le troisième texte écrit par Asimov, et le premier publié (en 1939), la nouvelle Au large de Vesta, parle de trois astronautes n’ayant échappé à la destruction de leur astronef que pour finir coincés en orbite autour dudit astéroïde. De même, Arthur C. Clarke, dans la nouvelle Un été sur Icare, montre la course effrénée de son héros coincé à sa surface pour échapper au mortel lever de soleil sur Icare (qui a l’étonnante particularité d’avoir une orbite si excentrique qu’elle lui fait croiser à la fois la Ceinture et les quatre planètes telluriques du Système Solaire). Ce même Clarke montre une équipe chargée d’étudier une comète qui se retrouve piégée à l’intérieur de cette dernière, dans la bien nommée nouvelle Dans la comète. Enfin, deux autres maîtres des littératures de l’imaginaire, Clark Ashton Smith (dans la nouvelle Le maître de l’astéroïde) et Edmond Hamilton (The horror of the asteroid) montrent des humains échoués sur un des cailloux dans le ciel.

Planète(s) perdue(s)

Même si c’est un thème qui est essentiellement passé de mode, les auteurs de SF ont longtemps écrit sur l’origine de la Ceinture d’astéroïdes : pour eux, c’était clairement un vestige, un champ de ruines, d’une planète qui avait été détruite par la folie de ses habitants, des hommes ou une race indigène (comme dans La patrouille de l’espace de Robert Heinlein), la plupart du temps via une guerre nucléaire, et ce souvent dans un passé beaucoup plus récent qu’on ne l’imagine (quelques dizaines de milliers d’années, parfois). Dès lors, comme le Capitaine Futur d’Edmond Hamilton, on peut décider de voyager dans le temps pour secourir les habitants ! Mais la destruction peut aussi venir d’une autre source : dans En terre étrangère de ce même Heinlein, ce sont les Martiens qui ont détruit la cinquième planète, tandis que dans La lune des mutins de David Weber, il est révélé que ce monde a été bombardé par les Achuultani, des extraterrestres détruisant périodiquement toute autre forme de vie intelligente.

belle_de_halleyDans La belle de Halley d’Euloge Boissonnade (un roman partiellement inspiré par La nuit des temps de René Barjavel), on découvre, en 2061, dans le sillage de la célèbre comète, une capsule contenant une femme d’apparence humaine. Elle se révélera être endormie depuis 5.6 millions d’années, et être la dernière survivante d’une civilisation venue, il y a 15 millions d’années, de Beta Pictoris. Cette culture avancée avait colonisé deux grosses planètes existant à cette époque entre les orbites de Mars et de Jupiter, Arganis et Balpunian. Des problèmes entre différentes communautés, religions, classes sociales et factions scientifiques, plus la folie d’un dictateur, ont conduit à une guerre interplanétaire à coups de rayons laser et de têtes nucléaires, avant qu’Arganis ne soit déplacée de son orbite afin de se placer dans une position favorable pour lancer une attaque dévastatrice, devant mettre fin au conflit. Hélas, aveuglement, erreurs de calcul et non-prise en compte de l’influence des autres planètes ont conduit à la destruction des deux mondes lorsqu’ils ont franchi la Limite de Roche, faisant au passage une troisième victime, l’atmosphère de Mars. Les rares survivants ont fui vers un autre système stellaire dans des vaisseaux capables d’atteindre la vitesse de la lumière, tandis que la femme, Borège, attendait que les expériences panspermiques et de terraformation menées sur notre Terre portent leurs fruits. La ceinture d’astéroïdes est le champ de débris résultant de cette destruction créée par la folie des hommes, tout comme les deux satellites de Mars et même… la Lune (au passage, dédicace à ma tante, qui m’a offert ce bouquin quand j’avais une dizaine d’années).

Mais toutes les « planètes perdues », qui se sont transformées en ceinture d’astéroïdes, ne résultent pas d’un processus qui s’est déroulé dans le passé, ou même dans notre univers : dans The corridors of time de Poul Anderson, la guerre entre les deux hémisphères (Est et Ouest) d’une Terre dystopique du futur aboutit à la destruction de Mars, tandis que dans le multivers des Mondes de l’Imperium de Keith Laumer, il existe de nombreuses Terres parallèles qui ont été fragmentées à cause de conflits dévastateurs.

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19 réflexions sur “The A(pophis)-Files – épisode 10 : Cailloux dans le ciel – Astéroïdes & SF

    • Eh bien justement, je n’y adhère pas, pour ma part, car certaines de ses hypothèses de base me paraissent d’une complète idiotie. Et de toute façon, je ne peux pas citer le moindre texte centré sur un astéroïde ou une comète, l’article est déjà bien assez long comme ça. Je me suis contenté de parler de ce qui me paraissait être le plus pertinent dans le domaine.

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  1. Toujours aussi intéressants tes articles.
    je suis heureuse de constater que j’en ai lu déjà pas mal. Il ne m’en manque « que » 4 pour faire complet.
    Je vois aussi que tu es en phase avec l’actualité, un de tes congénère nous a frôlé il y a quelques jours…. Petit, le congénère.

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  2. Merci pour cette liste bien fournie. Ça fait beaucoup de choses à découvrir. Je suis présentement en train de lire La grande porte de Frederik Pohl. Ca parait prometteur.

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