Helstrid – Christian Léourier

Que de défauts…

HelstridChristian Léourier est un auteur français de SF, écrivant aussi bien à destination des adultes que de la jeunesse (ce qui fait en général sonner des alarmes chez moi, car j’ai souvent constaté un appauvrissement de la partie adulte de l’oeuvre des auteurs concernés -prise de mauvaises habitudes dues à un degré d’exigence moindre du lectorat jeunesse ?-). Il est particulièrement connu pour son cycle de Lanmeur. La novella dont je vais vous parler aujourd’hui, parue dans la collection Une heure-lumière chez le Belial’, n’en fait cependant pas partie. Alors que les premiers retours étaient très encourageants, je dois dire que pour ma part, j’ai trouvé à ce texte de (trop) nombreux défauts, même si j’ai lu avec un certain empressement la seconde moitié, car j’avais fait une hypothèse (qui s’est révélée exacte) que j’avais hâte de confirmer ou d’infirmer. Et donc, sans tout à fait considérer que Helstrid n’est bon qu’à caler une table ou alimenter le poêle à bois, je le tiens cependant pour un titre franchement dispensable, dans une collection qui en contient bien peu.

Univers, base de l’intrigue, personnages

Titan, pardon Pandora… euh je veux dire Helstrid, est une planète extrasolaire très inhospitalière (-145°c, des vents violents, un climat imprévisible, une atmosphère composée d’hydrocarbures, des lacs de méthane, etc) dont le seul intérêt pour la Compagnie (avec un grand « C ») est qu’elle abrite des gisements d’unobtainium… pardon d’une substance jamais nommée mais rarissime et ultra-précieuse. On y maintient donc une base abritant des installations de raffinage, plus un second site où on évalue actuellement une autre veine de minerai afin de savoir si on va en faire une seconde mine ou pas. Quasiment tout étant automatisé, la présence humaine n’est que symbolique (et je n’ai toujours pas compris, après avoir achevé le texte, à quoi elle servait, vu que les robots peuvent s’entretenir tout seuls). On ne vient dans cet enfer, malgré la solitude, les vingt-cinq ans de voyage en stase cryogénique (et donc le décalage d’un demi-siècle avec ses proches une fois le contrat fini) et l’environnement hostile que parce que cinq ans sur place équivalent financièrement à une vie de labeur sur Terre. C’est, outre le fait de fuir le souvenir de sa petite amie, Maï, qui l’a plaqué, ce qui a poussé le protagoniste, Vic, à signer.

Alors qu’on a dû repousser plusieurs fois le ravitaillement du second site, cette fois, on ne peut plus reculer, et Vic va partir dans un des trois camions robotiques, dont les IA (pardon, les noyaux Noétiques…) sont par ailleurs parfaitement capables de se débrouiller toutes seules, merci. Celle de son véhicule s’appelle Anne-Marie, et se révèle tout à la fois paternaliste, charmeuse, psychologue dans le genre inquisiteur / c’est pas le moment et intrusive. Bref, c’est un personnage agaçant, tout comme Vic, d’ailleurs, qui, de la Terre à Helstrid, est un individu passif, subissant sa vie plus qu’il n’en est acteur, plus prompt à fuir, accepter son sort sans combattre ou laisser les autres décider à sa place qu’à prendre ses responsabilités, ce qu’il ne fera qu’à la toute fin de l’intrigue. Car, comme vous vous en doutez, le voyage ne va pas se révéler de tout repos…

Des défauts, des défauts, des défauts

Je ne sais même pas par où commencer en matière de défauts, c’est tout dire… Le worldbuilding, alors. J’ai vu passer des avis laudateurs à son sujet, alors que franchement, on a vu bien mieux en matière de Planet Opera (ou de post-humanisme, d’ailleurs), d’une part, et que d’autre part, c’est tout de même fortement inspiré par Avatar, le monde des films Alien, et par d’autres œuvres dont je reparlerai plus loin. De plus, l’auteur balance des péripéties sorties de nulle part, des phénomènes qui ne cadrent pas avec les données connues (depuis des décennies…) sur la planète, et qui ne seront jamais expliqués (les séismes à intervalles réguliers, le changement d’aspect du ciel -il va d’ailleurs falloir m’expliquer comment le ciel normal de la planète peut être vide d’étoiles d’habitude, ça m’intéresse beaucoup… À moins d’une explication type Niven & Pournelle -le système concerné se trouve en plein au milieu d’une nébuleuse obscure type Coal Sack / Sac à charbon, je ne vois pas, personnellement…-).

L’intrigue ensuite. Outre une série incroyable (dans tous les sens du terme) de complications, incidents et autres catastrophes complètement improbables, je ne comprend pas quel était son but. À part nous balancer une énorme banalité (une machine pilotée par IA seule se débrouille au moins aussi bien sans supervision humaine qu’avec), je ne vois pas. Toute la psychanalyse par Anne-Marie et le cheminement psychologique de Vic (au passage, on croise aussi un Pol et une fille au prénom asiatique -Maï- : il est fan de Yoko Tsuno, Léourier ?) ne servent à rien, on s’en rend clairement compte à la fin. Le lecteur fera aussi des hypothèses, qui pour certaines seront invalidées par ladite conclusion (disons que j’ai beaucoup pensé à, hum, l’élément AE35, si vous voyez ce que je veux dire), et qui pour d’autres, à moins de poser directement la question à l’auteur (ce que j’appellerais mon « hypothèse Solaris »), resteront à jamais sans réponse, car il ne vous les fournit pas, ni même matière réelle à spéculation.

Bref, tout ça pour vous dire que l’intrigue ne sert… fondamentalement à rien (sa conclusion est identique aux prémices du worldbuilding : les machines n’ont nul besoin des hommes, et ce sont elles qui mèneront l’exploration / exploitation de l’espace). Et pire que ça, c’est du déjà vu chez Stephen Baxter et dans une nouvelle (et je dis bien nouvelle) de Iain M. Banks. On retrouve d’ailleurs bien l’ambiance hautement maussade et désespérée du roman du premier. Alors de deux choses l’une : ou Léourier a cru innover alors que ce n’est en rien le cas, ou c’est sa déclinaison ou son hommage à ces œuvres. Dans les deux cas, lisez les originaux, ils sont meilleurs.

Donc je récapitule : worldbuilding / point-clef de l’intrigue stéréotypé ou déjà vu, personnages peu sympathiques (développés pour rien, en plus…), intrigue invraisemblable dans l’accumulation des péripéties, message flou ou déjà-vu cent fois, au mieux (à moins de chercher à y voir un sous-texte tellement subtil ou convoluté qu’il n’est en fait probablement pas présent ailleurs que dans l’esprit de certains lecteurs), et surtout un positionnement très mauvais : le vrai intérêt que j’ai trouvé, surtout à la seconde moitié (la première est à la fois verbeuse pour le peu qu’elle raconte et assez molle), est dans les hypothèses que j’ai échafaudées, qui m’ont fait tourner les pages avec frénésie pour connaître le fin mot de l’histoire (et ça, c’est plutôt la marque d’un bon texte, d’habitude). A cela, je vois deux soucis : premièrement, pour mettre sur pied certaines desdites hypothèses, il faut une certaine culture SF, et on sait bien que certains lecteurs d’UHL ne l’ont pas (c’est même un des intérêts de la collection : amener à la SF haut de gamme des gens qui n’en lisent pas ou plus) ; mais deuxièmement, le connaisseur, arrivé à la fin, se sent floué, car il a bien vu venir le truc, a espéré un twist par rapport aux inspirateurs, qui… ne viendra pas. Donc à la rigueur, c’est plus taillé pour plaire à un débutant en science-fiction qu’à un vieux briscard, car ce lectorat là se laissera porter par l’intrigue. Et encore, j’ai des doutes, vu l’atmosphère finalement très morose du truc et surtout vu la fin.

Ajoutons (mais c’est plus personnel qu’un vrai défaut universel) un agacement dû à l’emploi (heureusement très occasionnel) d’un vocabulaire de m’as-tu-lu (le fléau des écrivains de SFFF français !) qui a achevé de me sortir du bouquin (Pourquoi dire « noyau noétique » au lieu d’IA, comme tout le monde ? Et je passe sur « un obstacle dirimant » ou « un critère adventice« …), tout comme une édition électronique multipliant les soucis de typographie mettant là aussi à rude épreuve des nerfs déjà bien portés au rouge par le fond du texte.

En conclusion

Helstrid est un Planet Opera qui nous montre un convoi de ravitaillement comprenant un seul humain, Vic, confronté à la nature hostile de la planète du même nom. En même temps, on assistera au cheminement psychologique du protagoniste. J’ai pour ma part été franchement déçu par un texte au worldbuilding à la fois sans attrait et déjà-vu, aux péripéties invraisemblables, à l’intrigue qui ne mène à rien de concret ou d’intéressant, et qui, là aussi, est du déjà-vu (chez Baxter ou Banks), et aux personnages agaçants ou falots. Bref, je tiens cette novella pour un titre franchement dispensable, dans une collection qui en contient bien peu.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir d’autres avis sur cette novella, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Xapur, celle de Just a word, de FeydRautha, de Yogo, de Blackwolf, de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls, d’Aelinel, de Touchez mon blog, Monseigneur, de l’Ours Inculte, de Baroona, du Dragon galactique,

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54 réflexions sur “Helstrid – Christian Léourier

  1. Ping : Helstrid – Christian Léourier – L'épaule d'Orion – blog de SF

  2. Je suis en train de lire cette novella et je ne lirais les billets qu’une fois terminé mais j’ai cru comprendre que tu n’avais pas vraiment apprécié contrairement aux autres blogopotes.

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    • Eh bien pour ma part, je qualifierais l’avis de Xapur d’assez mitigé. Ce qui laisse donc deux avis enthousiastes, un mitigé et le mien, qui est clairement mauvais, sur les quatre dont j’ai connaissance pour le moment. On est loin d’une unanimité.

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      • Je reviens après ma lecture de la novella que j’ai trouvé plutôt sympa et même plus… Je me suis laissé embarqué dans Anne Marie et j’ai profité du voyage sans me poser de questions. Du pur divertissement, très agréable !

        Et en fin de compte ça ne m’étonne pas que tu sois aussi sévère… 😉

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          • Très (trop) classique, Vic un peu nunuche… tu t’attendais à quelque chose de plus époustouflant, un effet de surprise ! Et quand j’ai lu ton billet, on sent la déception.

            Par contre je ne suis pas d’accord sur les péripéties. Comme Feyd, je pense qu’elles ne sont pas dues au hasard mais provoquées.

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            • C’est tout à fait possible. Mais il faut avouer que l’auteur ne donne aucun élément, ne serait-ce que pour que le lecteur entretienne un doute raisonnable à ce sujet. Cela rejoindrait l’hypothèse de certains selon laquelle il y aurait plus dans ce texte que ce qu’on y voit. J’ai envie de répondre que s’il n’y a aucun élément visible, c’est peut-être parce qu’il n’y a rien de plus à voir, et que chacun remplit ce vide avec ses propres hypothèses. En fait, ça me rappelle les films que tout le monde s’était fait sur Un pont sur la brume de Kij Johnson, jusqu’à ce qu’on découvre qu’elle avait en fait voulu faire une simple histoire d’ingénierie, sur la construction d’un pont.

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              • Il y a ce que l’on voit ou pas, ce que l’on veut voir ou ne pas voir, ce que l’auteur a voulu que l’on voit ou pas… qu’importe le même livre est différent selon qui, quand, où et comment il est lu. Et parfois ça passe, parfois pas ! 😉

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  3. Merci pour le lien.
    Ton avis, qui rejoint en très grande partie le mien, me « rassure » en quelque sorte, vu les critiques élogieuses que j’avais lu sur cette novella. En la finissant, j’avoue que j’ai passé un bon moment à me demander ce que j’avais raté. Et encore, le worldbuilding m’a intéressé, n’ayant pas ta culture SF. C’est au moins ça !

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  4. Ping : Helstrid – Christian Léourier – Les Lectures de Xapur

  5. Ça me fait toujours quelque chose de voir des avis négatifs sur un texte de Léourier. Peut-être parce que ses premiers romans du cycle de Lanmeur m’ont envouté, et bien que je n’aie pas trop aimé les suivants.
    Je tenterai quand même ma chance un de ces jours. J’ai retrouvé un Léourier épatant dans sa nouvelle « La longue patience de la forêt » dans Bifrost n°93

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    • Tu sais, je juge un texte précis sur mes critères, pas l’ensemble de l’oeuvre de l’auteur. Je suis certain qu’il y a des lecteurs qui vont hautement apprécier Helstrid (il y en a deux mis en lien dans la critique, d’ailleurs). Simplement, comme je l’explique, cela n’a pas été mon cas.

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  6. Lanmeur ne m’avait pas transporté et je n’avais pas fini le premier tome. Son texte dans Bifrost était peu original, je crois que je vais arrêter la découverte de cet auteur au vue de ce que tu en dis. Et le m’as-tu-lu m’exaspère aussi.
    Je suis habitué aux soucis de typographie avec la revue Bifrost en électronique, soucis qui s’accentuent de plus en plus, mais jusqu’à présent, leurs romans étaient assez corrects. J’espère que cela n’est que temporaire, car même si l’équipe est réactive et propose des correctifs, une fois que c’est lu, c’est trop tard

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  7. alors là, douchée à froid, je suis. Bon, ben je vais le lire car je me suis fixée de lire TOUS les UHL. Mais dire que mon enthousiasme n’est plus au rendez-vous est une lapalissade.
    Merci, car je crois bien que entre Titan et Banks, je sais que j’aurai une sensation de déjà lu.

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  8. Je vais passer mon tour… Surtout que j’ai lu le Titan de Baxter tout récemment (oui, j’ai beaucoup de retard à rattraper), et que Hestrid risque fort de souffrir de la comparaison.

    Mais il me semblait avoir lu plusieurs bouquins de Léourier autrefois, et en fouillant dans mes étagères j’en ai retrouvé deux, datant des années 80 et faisant partie du cycle de Lanmeur. Ils ne m’ont pas marqué au point que je m’en souvienne 30 ans après, mais faudra que j’y jette un œil pour voir si ça mérite d’être relu…

    D’ailleurs ça ne serait pas une mauvaise idée que j’entreprenne de répertorier les quelques centaines de bouquins de SF que j’ai gardés depuis cette époque, il doit y avoir quelques perles plus ou moins oubliées parmi eux, en plus de quelques « classiques » plus connus.
    (Apophis, si ça t’intéresse je pourrais t’en fournir la liste : dans le lot il y a sans-doute des titres difficiles à trouver aujourd’hui, surtout en français – et le fait d’avoir à constituer cette liste me donnerait un peu plus de motivation pour remuer la poussière de mes étagères…)

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    • Yves, c’est très gentil, mais j’en suis à quelque chose comme une bonne centaine de livres achetés (surtout en promotion en version électronique) et pas lus, donc je vais essayer de les lire d’abord. Mais en tout cas, merci beaucoup pour cette très sympathique proposition.

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