Le labyrinthe des gardiens – Marie Brennan

Deux tiers soporifiques, et puis…

lady_trent_4Le Labyrinthe des gardiens est le quatrième volume des Mémoires de lady Trent, par Marie Brennan. Comme tous ses prédécesseurs, il bénéficie d’une présentation exceptionnelle, avec une couverture et des illustrations intérieures superbes, ainsi, comme le tome 3, que d’une encre de couleur (ici marron, en harmonie avec son cadre désertique et les teintes de la première de couverture). Et comme tous ses prédécesseurs, il reproduit le même schéma récurrent, à savoir un voyage dans un pays exotique où Isabelle fera scandale à cause de son comportement, et où à la fin, elle tombera sur un énoooooorme secret. Si ce schéma hautement répétitif m’avait déjà lassé lors du tome précédent, sur celui-ci un autre facteur s’est ajouté à ma frustration : le fait qu’entre-temps, j’ai découvert la Cour d’onyx, l’autre cycle majeur de l’auteure. Que je trouve bien meilleur, et avec lequel j’ai eu donc tendance à faire des comparaisons pas toujours favorables à lady Trent. Si on ajoute à cela le fait que, en toute honnêteté, je n’étais pas vraiment dans une disposition d’esprit optimale pour lire de la Fantasy of manners (je suis plus calibré mentalement, ces derniers temps, pour de la Hard SF / SF militaire à grand spectacle ou de la Fantasy hautement novatrice), eh bien cette lecture a plus tenu du « je veux absolument me tenir à jour sur ce cycle » que d’autre chose.

Et pourtant, il faut bien le dire, ce tome 4 est un moment capital de la saga, car c’est là qu’Isabelle Camherst devient lady Trent ! Et finalement, je ne regrette pas ma lecture (pas son dernier tiers en tout cas 😀 ). 

Isabelle d’Arabie *

* Lawrence of Arabia main theme, Maurice Jarre, 1962.

L’action démarre trois ans après la fin du tome précédent. Isabelle a désormais 33 ans, et son fils Jake 13. Lord Hilford est mort au printemps précédent, et Tom est entré à l’Académie. Suite aux événements du dernier livre, l’Armée royale du Scirland a besoin d’os de dragons pour construire des dirigeables pour tenir tête au Yélang. On décide donc de créer un centre d’élevage chez l’allié Akhien (comprenez : saoudien / égyptien -ce dernier aspect étant très visible via la quasi-Pierre de Rosette et le site Draconien à la fin-), et on en propose la direction à Tom. A Tom seul. Il refuse, disant que ce sera Isabelle et lui ou rien du tout. L’armée confie alors le centre (Dar Al-Tannaneen : la maison des dragons) à un noble, dont les résultats sont cependant si peu satisfaisants qu’on finit par céder aux exigences de Tom : il co-dirigera donc l’installation avec Isabelle. Et la tâche s’annonce difficile, car nul n’a, au cours de l’histoire, réussi à faire se reproduire les dragons en captivité !

Comme vous le constatez immédiatement, nous sommes sur le même schéma que dans les tomes précédents (à part le 1 qui se démarque un peu parce qu’il fallait d’abord installer les personnages) : dès le début, nous avons un prétexte pour un voyage dans un pays exotique où, je vous l’annonce tout de suite, la conduite d’Isabelle va créer bien des tensions avec les locaux (et l’indignation au Scirland), surtout quand ceux-ci sont modelés sur la rigide société saoudienne. Et surtout quand Isabelle retrouve, comme par hasard, une vieille connaissance (dont elle se languissait, sans nouvelles depuis trois ans), à savoir Suhail. Mais si, vous savez, le type biclassé Omar Sharif (le « gentleman des sables ») / Indiana Jones (« l’intrépide archéologue ») du tome précédent. Eh ben voui, c’est son pays d’origine. Mais bon, signalons qu’en plus, la manière dont les routes des deux personnages vont se recroiser se voit, littéralement, venir aussi gros qu’un supertanker.

L’aspect Fantasy of manners (le personnage contre le système) est donc encore plus mis en avant que dans les tomes précédents, puisque outre le « qu’en-dira-t-on ? » au Scirland, Isabelle doit aussi lutter contre la place traditionnellement attribuée aux femmes dans la société Akhienne, le fait qu’elle soit toujours regardée comme un élément accessoire dans le domaine scientifique (alors qu’au contraire, elle en est le moteur…), les rumeurs sur sa relation avec Suhail, et bien sûr traiter avec la hiérarchie militaire qui la regarde souvent comme une petite chose fragile, quand elle ne veut pas carrément lui faire fermer la boutique. Et en plus, un des Capitaines de la garnison du Scirland est… son frère Andrew ! On remarquera toutefois une évolution du personnage : que ce soit face aux difficultés administratives ou au danger sur le terrain, Isabelle est un poil moins impulsive qu’avant (encore que, dans la scène de poursuite vers le marché, ça se discute carrément…). Entre l’âge, l’expérience et le fait d’être mère, l’auteure a bien pris en compte les changements qui n’ont pu qu’affecter la psychologie jusqu’ici bouillante du personnage. Il faut cependant dire que là, les impertinences (porter des pantalons, entretenir des amitiés avec des hommes, etc) seraient périlleuses : l’armée du Scirland peut tout à fait l’expédier en prison ! Isabelle n’est d’ailleurs pas ravie de travailler pour des militaires, mais elle trouve que les aider à élever des dragons pour la reproduction en captivité est préférable à l’extermination des individus sauvages.

Je ne vais pas vous faire une longue analyse, mais disons que l’allégorie des réserves pétrolières des Al Saoud qui intéressent beaucoup les anglais est transparente : les ressources draconiques des Akhiens intéressent beaucoup le Scirland afin d’obtenir les os nécessaires à la course aux armements en matière de dirigeables avec le Yélang (les chinois ? les japonais ?).

Isabelle Tsé-Tsé *

* Parasomnia, Riverside, 2007 (<– un p*tain de titre !).

Alors soyons honnête, les deux premiers tiers du livre sont assez soporifiques, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’ils reprennent des schémas répétitifs déjà appliqués aux autres tomes du cycle, et qu’au bout du quatrième tome, ça commence un peu à devenir lassant sur les bords. Ensuite, parce que l’aspect scientifique très mis en avant n’est pas franchement trépidant, tant la méthode est décrite avec précision (ce qui a certes son intérêt et son charme, et relève après tout du projet du bouquin -proposer une allégorie dans un monde imaginaire des récits des naturalistes du nôtre-, du moins jusqu’à un certain point de saturation). Enfin parce que le peu d’action qu’il y a (Isabelle se fait enlever. Oui, comme dans le tome 1. Une répétition, encore) n’est pas non plus digne de la tension dramatique d’un thriller. On sent bien qu’Isabelle ou ses compagnons ne risquent pas de perdre un cheveu ou que ça ne va pas se finir en viol traumatisant. Enfin, le jeu de « je t’aime ! – Moi non plus ! » entre Suhail et Isabelle est un peu gonflant à la longue.

On signalera que l’aspect scientifique pose (vaguement) certaines questions d’éthique sur l’expérimentation animale, comme lorsque le prédécesseur de Tom et Isabelle procède à l’ablation chirurgicale de certains organes des dragons pour les rendre plus aisément contrôlables, lorsque Isabelle fait des expériences dont certaines ne peuvent que se terminer par la mort d’embryons ou comme lorsque le site est menacé de fermeture et où l’abattage des animaux devenus du coup inutiles est froidement envisagé par les militaires. Le livre interroge donc (un peu) le rapport humanité-humanisme / science.

Je commençais donc à m’ennuyer ferme et à lire en diagonale, jusqu’à ce qu’au début du dernier tiers, un premier twist ne réveille mon intérêt (un twist que l’auteure préparait d’ailleurs, c’est à signaler, carrément depuis le premier tome, puisque le lecteur voit d’un coup certaines pièces du puzzle se mettre en place), avant que…

Isabelle Trent *

* Tea in the Sahara, The Police, 1983.

Et là, patatras, boum, quand tu t’y attends le moins, une scène d’an-tho-lo-gie. Oh, elle n’est pas vraiment inattendue, mais c’est la façon dont elle est écrite qui la rend particulièrement savoureuse. Parce qu’elle marque le premier pas qui va faire d’Isabelle Camherst la lady Trent, la célébrité dans la force de l’âge, dont nous nous délectons des remarques sarcastiques depuis le tome 1. Et pour tout dire, si j’ai poursuivi la lecture de ce cycle, pas vraiment dans ma zone de confort habituelle, c’est pour voir ce vieux poison émerger. Alors je dois avouer que je ne m’attendais pas tout à fait à cette explication là, mais en même temps, elle est logique. Et la montée en puissance de l’adresse au lecteur a été un élément positif pour moi également.

Au passage, l’emphase mise sur la reproduction des dragons dans le roman est étrangement parallèle avec l’évolution de la situation sentimentale de son héroïne  😉

Après ce gros changement de paradigme, donc, Isabelle part en expédition dans la zone du désert Akhien qui est encore plus de la mort qui tue que le désert « normal », en plein été qui plus est, dans le fameux Labyrinthe des Gardiens qui donne son titre au bouquin. Et là…

Isabelle Jones-Carnarvon *

* The map room dawn, BO d’Indiana Jones et les aventuriers de l’Arche perdue, 1981.

Bon, je résume, on a donc un aventurier-archéologue (Suhail), des ruines des draconiens dans le désert, et donc keskispass ? Boum, découverte prodigieuse, énoooooorme, qui change tout à la situation des personnages ! Et… hein, quoi ? Oui, comme dans tous les tomes précédents. Oui, c’est trop répétitif. Mais là, du coup, on s’en fout. Parce qu’on est dans une ambiance Indiana Jones tout à fait délectable, très bien rendue, de plus, par les illustrations intérieures, qui atteignent ici des sommets de beauté (même si je n’imaginais pas Suhail comme ça, plus comme Omar Sharif jeune).

Au final, le dernier tiers sauve le roman, qui est donc, dans l’ensemble, à lire, et nous pose enfin les bases de la lady Trent telle qu’on l’entrevoit depuis le tout début via ses interventions acides sur sa gourdasse de version jeune ou sur le côté pincé de ses contemporains. Vivement le dernier tome, du coup ! Je regretterais peut-être juste une fin un poil précipitée, pas autant que celle, très abrupte, du tome précédent, mais qui aurait peut-être mérité d’être un peu plus développée.

En conclusion

Même si ce tome 4 n’échappe pas aux schémas (trop) répétitifs du cycle (voyage dans un pays exotique -> découverte scientifico-stratégique qui change tout à la fin), et que ses deux premiers tiers ne sont guère passionnants, la dernière partie sauve tout, via son ambiance très Indiana Jones et l’énorme changement de paradigme dans la vie d’Isabelle, qui devient enfin la lady Trent qui fait des remarques sur sa version jeune depuis le tout début de la saga. Au final, un tome dans l’ensemble plaisant, et vivement le tome 5, même si désormais, ma préférence, dans l’oeuvre de Marie Brennan, va plus à son autre cycle, La cour d’onyx.

Pour aller plus loin

Ce roman est le quatrième d’un cycle : retrouvez sur Le culte d’Apophis les critiques du tome 1, du tome 2, du tome 3 et du .

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce livre, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Blackwolf sur Blog-o-livre (sur la VO), celle de Boudicca sur le Bibliocosme, de Celindanaé sur Au pays des Cave Trolls,

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16 réflexions sur “Le labyrinthe des gardiens – Marie Brennan

  1. Aïe ! J’ai lâché après le tome 2, lassée justement par ce côté trop répétitif. Mais maintenant, tu m’as donné envie de découvrir ce fameux twist du dernier tiers, c’est malin ^^ !

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