Dixième numéro de la série d’articles l’œil d’Apophis (car rien n’échappe à…) ! Je vous en rappelle le principe : il s’agit d’une courte présentation (pas une critique complète) de romans qui, pour une raison ou une autre, sont passés « sous le radar » des amateurs de SFFF, qui sont sortis il y a longtemps et ont été oubliés, qui n’ont pas été régulièrement réédités, ont été sous-estimés, mal promus par leur éditeur, ont été noyés dans une grosse vague de nouveautés, font partie de sous-genres mal-aimés et pas du tout dans l’air du temps, sont connus des lecteurs éclairés mais pas du « grand public », et j’en passe. Chaque numéro vous présente trois romans ou cycles : aujourd’hui, il s’agit de Le grand Vaisseau de Robert Reed, de Chroniques des années noires de Kim Stanley Robinson et de Phénix de Bernard Simonay.
Au passage, sachez que vous pouvez retrouver les anciens numéros de l’œil via ce tag ou bien cette page. Je vous rappelle aussi que les romans présentés ici ne sont pas automatiquement des chefs-d’oeuvre ou ceux recommandés par le site à n’importe quel amateur de SFFF (si c’est ce que vous cherchez, voyez plutôt le tag (Roman) Culte d’Apophis).
Le grand vaisseau – Robert Reed
Soyons clair, sur un pur plan littéraire, Le grand vaisseau de Robert Reed est plus que moyen : le style est assez plat, tout comme le rythme, et globalement, ce roman aurait pu (et même dû) être bien meilleur. Sauf que… sur le plan du Sense of wonder, ce livre est aussi colossal que le vaisseau de la taille de Jupiter qu’il met en scène ! En effet, une race avancée d’humains, qui, grâce aux manipulations génétiques, sont devenus immortels et capables de régénérer les pires blessures, découvre un mystérieux astronef, d’une taille énorme, probablement intergalactique, et… vide. Ils s’en emparent donc, et en deviennent les Capitaines, proposant à la myriade d’autres races de la Voie Lactée d’y embarquer pour d’immenses croisières circumgalactiques infraluminiques. Jusqu’au jour où on découvre qu’au cœur même du vaisseau, comme une perle au milieu de la coquille d’une huître, se cache… Mais vous verrez ça en lisant ce livre !
Sur le pur plan science-fictif, donc, Le grand vaisseau est un festival : humains immortels, vaisseau titanesque dont les réserves de propergol (de l’hydrogène) sont vastes comme un océan, aspect Planet Opera sur lequel je vais rester discret mais qui vaut le coup, et surtout un emploi d’échelles temporelles démesurées. Reed fait défiler les millénaires, dans son livre, comme d’autres font passer les jours ou les semaines. Bref, à vous de voir ce que vous cherchez dans une oeuvre de Science-Fiction : si c’est avant tout l’émerveillement, le vertige, et que vous êtes prêts à passer sur certains défauts purement techniques, littéraires, ce roman vous intéressera. Si, en revanche, pour vous une écriture maîtrisée prime sur le reste, ce bouquin ne sera sans doute pas pour vous (et je m’empresse de préciser qu’il ne faut pas forcément ranger toute la production de l’auteur dans la catégorie « perfectible » sur le plan purement littéraire). Sachez aussi qu’il existe une suite en français (Un puits dans les étoiles, qui présente une arme inimaginablement puissante, une scie à trous noirs), ainsi qu’une autre en anglais.
Si vous souhaitez en savoir un peu plus sur ce roman, je vous conseille la lecture de la critique de Lutin sur son blog Albédo.
Chroniques des années noires – Kim Stanley Robinson
On connaît surtout Kim Stanley Robinson pour ses romans de science-fiction (dont le monument qu’est sa trilogie Martienne) ou de Climate fiction, mais l’auteur californien a aussi publié une magistrale uchronie, Chroniques des années noires. Comme d’autres avant lui (on peut citer Robert Silverberg), KSR part du principe que la grande épidémie de Peste noire est bien plus meurtrière que dans notre propre version de l’Histoire. Sauf que lui va beaucoup plus loin : il imagine que la population européenne est quasiment anéantie par la pandémie, puis décrit, sur une période de sept siècles, le nouveau monde où ce sont désormais les musulmans (diverses ethnies et nations) et les chinois qui sont au centre des événements, et non plus les européens (on notera aussi un rôle très intéressant donné aux Indiens d’Amérique). Avec sa minutie habituelle, Robinson décrit l’âge des grandes découvertes, que ce soit celles de nouveaux continents ou des lois de la Nature ; il évoque la géopolitique, des systèmes politiques autres, inédits ou trop tôt disparus ou muselés dans notre Histoire ; et surtout, via une astuce (la réincarnation), il nous fait suivre un trio de personnages, dont les âmes sont liées via le Bardo (un concept Bouddhiste) et qui traversent avec nous les siècles.
Comme d’habitude, KSR est précis, méthodique, exhaustif, bluffant. Et comme d’habitude, vous répondront ses détracteurs, l’auteur propose aussi un roman lent, trop long, au style aride, manquant du souffle de l’aventure. Comme pour Le grand vaisseau, Chroniques des années noires sera, selon ce que vous y cherchez, un achat indispensable ou un bouquin à fuir : si vous cherchez une uchronie aussi solide et exhaustive que possible, dans un style qui relève presque plus de l’ouvrage universitaire fictif que du roman, il sera pour vous (et dans le genre uchronique, vous aurez du mal à trouver mieux dans ce style bien précis) ; si, par contre, l’aspect uchronique est certes important, mais que vous cherchez aussi à être transporté un minimum par ce que vous lisez, je pense que d’autres uchronies seront probablement plus adaptées à vos envies (essayez La porte des mondes par exemple). Sans compter un petit aspect mystique qui dérangera certains lecteurs.
Phénix – Bernard Simonay
Je ne vous parle pas souvent d’auteurs français sur ce blog, mais en voilà un que je conseille vraiment de découvrir : en effet, feu Bernard Simonay (1951-2016) était doté d’un style à la fois agréable et très prenant, et ses romans étaient traversés par un souffle épique assez rare dans la production francophone. Phénix raconte l’histoire de jumeaux dizygotes (« faux » jumeaux), Dorian et Solyane, qui sont obligés de fuir la cité où ils ont grandi, seul lieu habité au sein des Terres bleues, un désert où l’air et le sol sont source de mort ou de mutation, alors que celle-ci est anéantie par une arme aussi brillante que le soleil (dans un monde qui en est, autrement, à un stade, hum, médiéval). Commencera alors une odyssée à travers les fabuleux royaumes de cette époque (la carte vaut son pesant d’or, tant elle a réalisé quelque chose d’à la fois habile et logique à partir du postulat de départ de l’auteur : l’univers est clairement le très gros point fort du livre), une aventure qui mêlera aspect initiatique, vengeance et un amour interdit : celui du frère pour sa propre sœur (un personnage féminin extrêmement attachant, ce qui est d’ailleurs une quasi-marque de fabrique chez Simonay). Et par amour, je veux aussi dire une puissante attirance sexuelle, hein. Alors oui, je sais, déballé comme ça, cela peut paraître ultra-glauque. Mais en fait pas du tout, car… mais j’en dis trop. Il y a une explication, elle est bluffante, elle n’est pas sale (comme le disaient jadis Doc et Difool). Et puis bon, un univers où on se fritte à l’épée tout en utilisant des pouvoirs psi, le tout monté sur des « chevaux-félins » mutants télépathes, ça ne se refuse pas ! (et un bouquin français conseillé par Apophis, ça ne se refuse pas non plus, parce que ça n’arrive pas tous les jours !). Ceux qui n’ont pas peur d’un pitit spoiler peuvent éventuellement aller faire un tour sur ma critique.
Sachez qu’il existe un prélude, La vallée des neuf cités, presque aussi bon que Phénix, mais que si la suite directe de ce dernier, Graal, est encore un livre correct, en revanche l’ultime tome de la trilogie, La malédiction de la licorne, est franchement décevant.
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Le grand vaisseau
Chroniques des années noires
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Phénix
Les deux derniers me tentent bien. J’avais déjà noté Bernard Simonay sur ma liste, je vais donc rajouter ce titre !
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Tiens justement, de passage chez mes parents je viens de trouver « Phénix » dans leur bibliothèque ! Du coup je vais le lire tout de suite 🙂
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Ah, énorme, le hasard a super bien fait les choses !
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Bon j’ai lu la moitié du bouquin et j’abandonne… Je trouve qu’on sent vraiment que c’est un premier roman, Simonay a voulu mettre tous les clichés de la fantasy ensemble. L’écriture, bien que soignée, comporte certaines maladresses. La psychologie des personnages surtout m’a parue un peu fade voire mièvre. Je pense malgré tout que cela pourrait plaire à des lecteurs adolescents.
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Je suis d’accord sur la psychologie un peu mièvre (bien que la fin remette beaucoup de choses en perspective), bien qu’il y ait aussi une dynamique dans la relation du frère et de la sœur qui est loin d’être basique. Par contre « tous les clichés de la Fantasy », non, carrément pas. Parce qu’en fait, sans vouloir trop spoiler ceux qui le liront en entier… en réalité ce n’est pas de la Fantasy 😉
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Peut-être, en tous cas j’ai trouvé le début malhabile et manquant d’originalité. Je n’accroche pas.
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Pour ce qui est de Robert Reed et Bernard Simonay, tu m’as convaincu, j’y jetterai sans doute un œil, à l’occasion !
Est-ce que c’est le même Bernard Simonay qui a écrit la série des Enfants de l’Atlantide ?
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Oui, c’est le même auteur.
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D’accord, merci ! 🙂
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Mais de rien 🙂
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Les deux premiers me semblent très intéressants !
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Même si ce n’est pas une lecture que je qualifierais de facile, le KSR est autant une référence en matière d’uchronie que sa trilogie martienne l’est en matière de Planet Opera ou de Hard SF. Pour le Reed, on est clairement sur une référence en matière de démesure et de Sense of wonder, beaucoup moins sur un pur plan stylistique.
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merci pour ces idées de livres. Suite à tes conseils, j’ai déjà le KSR en PAL. Le Grand vaisseau doit être le plus ancien livre de ma PAL. Pour dire, je l’ai acehté il y a une dizaine d’année. Faut vraiment que je prenne le temps de le lire.
Pour le dernier, nous verrons quand j’aurai éclusé la dite PAL.
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Si ça peut te rassurer, j’ai quelques livres qui traînent depuis des années moi aussi.
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Cela me rassure effectivement! Car parfois, je me dis que cet un peu excessif! 😉
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Umberto Eco possédait une immense bibliothèque. Souvent un journaliste lui demandait s’il avait lu tous les livres présents. Il répondait invariablement : bien sûr que non, mais une bibliothèque ne sert pas à entreposer les livres lus, cela sert à y mettre ceux qu’on veut lire.
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c’est excellent comme réponse!!
Je veux me la garder. Il y a tellement de livres que je veux lire.
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De Bernard Simonay, j’ai lu il y a longtemps la tétralogie Les enfants de l’Atlantide dont je garde un plutôt bon souvenir. Je note donc pour celui-ci 🙂 Quant à Chroniques des années noires, j’ai trouvé la lecture à la fois passionnante (tellement de détails et d’idées intéressantes) mais effectivement assez ardue par moment. Merci pour ces nouveaux conseils de lecture 🙂
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De rien 😉
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Trois romans qui me sont inconnus. Le Robert Reed me tape fort dans l’oeil.
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J’ai pensé à toi en rédigeant cette partie 😉
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Le Grand Vaisseau je l’ai tenté y’a quelques mois et j’ai même dépassé la moitié je crois bien, et puis à un moment donné j’ai lâché tellement je trouvais ça mauvais… L’idée de départ est géniale, le traitement fait beaucoup moins…
Chroniques des Années Noires est dans ma PAL, je l’avais entamé y’a quelques années, mais je l’avais abandonné, à cause effectivement de cette impression qu’il ne se passait rien. Mais je le retenterais un jour, parce que j’aime beaucoup ce qu’écrit KSR en général (même si j’ai aussi abandonné sa trilogie climatique).
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C’est bien pour cela que j’ai préféré avertir les lecteurs potentiels que dans le cas du Grand Vaisseau, nous n’étions en aucun cas face à un chef-d’oeuvre sur le plan littéraire, et que dans celui du KSR, il fallait vraiment s’accrocher en raison de l’aridité du style de l’auteur, même si sur le fond, son bouquin est peut-être l’uchronie la plus élaborée jamais écrite.
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J’étais revenu au ‘Grand Vaisseau’ (les majuscules s’imposent ici) après avoir lu ‘Trames’ de Iain Banks. A cette occasion j’ai pu valider deux points: cela semble en effet un peu écrit avec les pieds, mais en échange quel ‘sense of wonder’ ! Le Grand Vaisseau est finalement plus impressionnant que le monde gigogne de Banks et donc aussi plus intéressant dans ses possibilités que l’anneau-monde de Niven.
C’est durant la lecture de ‘Un puits dans les étoiles’ que j’ai réalisé que l’univers du Grand Vaisseau est avant tout le terrain de jeu de l’auteur pour ses nouvelles, regroupées après coup en romans par un travail d’édition loin d’être parfait. L’auteur lui-même parle de ‘bridges’ entre ses nouvelles dans un article de Clarkesworld (Science Fiction Writers Wear Disguises: A Conversation with Robert Reed) où il détaille quelque peu ses ‘méthodes’.
Je me rappelle avoir beaucoup aimé ‘Chronique des années noires’ à sa sortie, il figure dans ma liste de relectures bien que celle-ci soit en mode pause depuis qu’un certain article m’ait poussé à l’abandonner au profit de lectures dans la langue de Shakespeare. Je vais peut-être le relire en vo…
Je n’ai jamais rien lu de Simonay, à part les grands classiques, mon éducation reste à faire en fantasy. Recommanderais-tu Phénix à un vieil amateur de Hard SF ?
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Je le recommanderais plutôt à un amateur de Hawkmoon de Moorcock 😉
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Chroniques des années noires est pour moi un immense chef d’œuvre d’uchronie.
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C’est clair, sur le strict plan uchronique, c’est du très, très lourd. C’est sur le plan littéraire que c’est un peu plus aride, pas destiné à tous les publics.
J’en profite pour te dire que je ne t’oublie pas, la critique de ton bouquin est toujours prévue, mais je suis incapable de te dire quand je serai en mesure de la sortir. Il est très gros, donc je le lis petit à petit 😀
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Pas de soucis Apo, prend ton temps. J’espère survivre à ta critique.
Concernant « Chroniques des années noires » je l’ai justement lu petit morceaux par petit morceaux. Rarement plus d’un chapitre d’un coup. Ca le rend plus facile à lire.
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Je suis intriguée par Chroniques des années noires et Phénix, à voir ^^
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Ce sont deux œuvres très différentes : la première est très exigeante et ambitieuse, assez froide également, tandis que la seconde est facile à lire et à fond dans l’empathie mais d’envergure moindre.
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