L’univers captif – Harry Harrison

Un texte de Soft-SF magistral

captive_universeSi le nom d’Harry Harrison n’a pas, pour le « grand public » de la SF, la résonance de ces patronymes prestigieux que sont Clarke ou Asimov, cet auteur américain (1925 – 2012) a pourtant produit une quantité impressionnante de livres marquants : Soleil vert (adapté au cinéma avec Charlton Heston dans le rôle principal), une référence de la Dystopie (si vous ne connaissez pas certains noms de sous-genres, voyez mes articles), le cycle de Deathworld (saga majeure du Planet Opera), ceux de Bill le héros galactique et surtout du Rat en acier inox (deux séries de SF humoristique -satirique- emblématiques). Et malgré tout cela, il n’a jamais reçu le moindre prix de SF d’envergure (rejoignant, en cela, d’autres écrivains majeurs, comme Iain M. Banks par exemple).

Notez que même si l’illustration de couverture ci-dessus correspond à une édition en langue anglaise (celle dans laquelle j’ai lu ce roman court), ce texte existe en français (vous pouvez le trouver d’occasion), mais seulement en version physique. De fait, j’ai eu beaucoup de mal à choisir, parmi les différentes éditions, quelle image j’allais utiliser pour illustrer cet article : la VF a une couverture particulièrement inesthétique, et si celle d’une des VO est superbe, elle a aussi le très gros inconvénient de dévoiler le point central de cette novella, son grand secret, d’un seul coup d’œil. Car tel va être mon très, très gros problème avec cette critique : il est pratiquement impossible d’analyser correctement ce livre… sans spoiler. Je me suis même posé la question de savoir si j’allais proposer ladite critique ou pas, ce qui est une première sur ce blog. Mais bon, d’après les stats, c’est le 300e article du Culte, alors… Et puis cette novella est tout simplement magistrale, donc il me fallait absolument en dire un mot, même nébuleux.

I think i’m dumb, or maybe just happy *

* Dumb, Nirvana, 1993.

Le roman débute in medias res, alors qu’un certain Chimal, un aztèque, est poursuivi et tué par la déesse Coatlicue, pour avoir enfreint un des plus grands tabous édictés par les (tout puissants) prêtres, à savoir avoir des relations charnelles avec une jeune femme de l’autre village de la vallée. Neuf mois plus tard, la demoiselle en question, Qiauhxochitl, une aztèque, hum, typique aux, ahem, cheveux blonds et yeux bleus, donne naissance à un garçon qu’elle appelle comme son papa. Précoce, intelligent, celui-ci se pose tout un tas de questions sur son univers, des interrogations que personne d’autre ne partage et qui lui attirent les foudres des religieux.

Car le jeune Chimal vit dans un endroit vraiment étrange : une vallée (qu’il qualifiera, très justement, de « valley of unchange »), ceinte sur trois côtés de falaises infranchissables (et qu’il est de toute façon tabou d’escalader sur plus de quelques mètres, pour chercher des œufs d’oiseaux), et coupée du monde extérieur (dont on aperçoit, par exemple, les hautes montagnes couronnées de neige, au loin) par un éboulement lui aussi infranchissable. Il est dit que c’est la colère d’un dieu qui a scellé le passage, et qu’il ne s’ouvrira qu’au bout de 500 ans (à condition de servir fidèlement le Temple, bien entendu). Seul problème, les prêtres ne disent pas combien de temps s’est écoulé depuis le jour fatidique.

Dans ce microcosme, à part la pyramide à degrés, on trouve seulement deux villages. On ne se marie qu’entre habitants de l’un d’entre eux, les unions inter-villages étant interdites. Et le mariage est obligatoire pour une fille de plus de seize ans ou un garçon de plus de vingt-et-un. C’est précisément là que les problèmes de Chimal vont commencer : il refuse d’épouser Malinche (la plupart des noms sont tirés de l’Histoire aztèque : Itzcoatl, Cuauhtemoc, etc), et provoque une crise cardiaque chez le grand-prêtre. Alors qu’il va être sacrifié, et que le soleil ne se lève pas parce que le vieil homme n’a pas eu le temps de former son successeur, Chimal s’enfuit, et n’échappe que de peu à la déesse-serpent Coatlicue. C’est alors qu’il remarque quelque chose d’étrange dans sa manière de disparaître le matin venu, une découverte qui va le projeter dans un monde qui, s’il paraît de prime abord inimaginable, va en fait s’avérer plus le sien que celui des dieux dégénérés qui l’habitent !

A partir de là, je ne peux strictement plus rien vous dire, ni sur l’univers, ni sur les thématiques, sans spoiler horriblement. Même si finalement, je pourrais spoiler un peu sans gâcher le plaisir de lecture : je connaissais déjà ce que je pensais être la grosse révélation du roman (c’est un classique, après tout), et je l’ai tout de même trouvé absolument passionnant (même si la partie purement aztèque est un peu longue par rapport au reste), tout simplement parce qu’il n’y a pas une grosse surprise… mais plusieurs ! Et je ne savais rien de ces autres twists. Après mûre réflexion, j’ai décidé de ne rien dire du tout. Ceux qui veulent absolument avoir une meilleure idée de ce dans quoi ils s’embarquent peuvent jeter un coup d’œil (à leurs risques et périls) à cette image (dont je parlais plus haut) ou sur cet article (même si, et j’insiste, cela ne rendra certainement pas cette lecture invalide).

Contrairement à mon habitude, je ne peux même pas vous dire à quoi ça ressemble, car ceux qui ne veulent rien savoir avant de démarrer leur lecture sauraient immédiatement de quoi ça parle. Je peux par contre vous dire qu’il y a une certaine parenté spirituelle entre ce texte et un de ceux de Frank Herbert, point.

Dès lors, à part mon enthousiasme, et mon assurance qu’il s’agit d’un très grand texte de Soft-SF, fondamental au sein de sa thématique (que je ne peux même pas mentionner), il y a peu d’arguments que je peux vous présenter pour vous convaincre de lire cette novella ou pour l’analyser. Je vous dirais juste qu’elle explore des thèmes très profonds, comme le contrôle des masses par l’abrutissement et la rétention d’informations, l’opposition entre une foi aveugle et la science, ou entre les rituels quasiment robotiques et la réflexion. Sachez aussi que même si certains points peuvent transitoirement vous faire hausser les sourcils, tous trouvent une explication logique à un stade ou l’autre du récit, rien n’est bancal dans ce texte.

Bref, malgré les précautions que j’ai été obligé de prendre pour ne pas spoiler, j’espère vous avoir donné envie de lire ce court roman, vertigineux autant que magistral, glaçant autant que salutaire, et à la très belle morale : le désir de changer et de comprendre est la chose la plus précieuse au monde. Je me suis fait la réflexion qu’il était presque lisible en une heure-lumière, qu’une couverture d’Aurélien Police serait du plus bel effet, et surtout qu’il explore des thématiques qui, ma foi, seraient tout à fait à leur place dans une certaine collection, surtout vu son niveau de qualité, qui ne dépareillerait pas avec celui des ouvrages qui y ont déjà été publiés. C’est dommage de voir qu’un texte pareil en est réduit à une très vieille édition papier en voie d’épuisement…

37 réflexions sur “L’univers captif – Harry Harrison

  1. L’histoire, bien qu’elle n’ai rien à voir, me fait penser à La Nuit des temps de Barjavel. Une civilisation ancienne, de la soft-sf… A lire donc !

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  2. Les couvertures sont tellement … (j’ai été toutes les voir xD) qu’il faudra beaucoup de boulot pour me motiver à lire ce texte.
    Après pourquoi pas sur les thèmes ça pourrait me plaire, même si j’ai toujours peur de tomber sur des livres qui ne me plaisent pas dans la SF de ces années la. J’ai eu pas mal d’échecs ces dernières années sur des textes « cultes » dont le style froid m’a empêché de me rentrer dedans (je ne sais pas si c’est du à la traduction de l’époque ou si ça ressentait déjà en Vo par contre …)

    (par contre je trouve qu’il est vachement cher en Vo pour un texte si ancien, ça ne va pas me motiver à l’essayer :/)

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    • De mon côté, je suis assez détaché des couvertures (en général, pas sur ce bouquin en particulier) : si un texte m’intéresse, une mauvaise couv’ ne m’arrêtera pas, et à l’inverse, si je ne sens pas un autre texte, même la meilleure couverture du monde ne m’incitera pas à l’acheter (j’irais plutôt voir sur le site de l’illustrateur à la place).

      Mais bon, je dis ça, mais j’hésitais sur The cold between, et entre ton avis et… la couverture, j’ai craqué 😀 Je l’ai reçu aujourd’hui, et l’illustration claque vraiment, la fille sur la couverture a l’air réelle, vivante, tant elle est réaliste.

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    • Introuvable, pas vraiment : on trouve des exemplaires de la VF (version physique) sur les sites marchands, et comme indiqué dans la critique, il y a une version électronique en VO (donc : inépuisable). Mais c’est sûr qu’au sein de la thématique SF à laquelle il appartient, c’est un classique, et qu’il mériterait une édition française plus récente (et une VF électronique, bien entendu). Parce que si toi, moi, Lianne ou quelques autres sommes capables de lire en anglais, tout le monde n’en a pas l’envie ou la possibilité. Et les derniers exemplaires en circulation ne vont pas durer éternellement non plus.

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  3. Bonjour Apophis ! Même si tu n’as pas pu en dire autant que tu aurais voulu, ton enthousiasme m’a donné envie de lire ce court roman. En plus, la soft-SF, c’est mon truc. 🙂 Mais il y a un petit détail qui me chiffonne dans ta critique : au début tu dis que Chimal est tué par la déesse machin-chose, et plus loin tu dis qu’il lui échappe de justesse. Du coup je ne sais plus trop… Bon week-end ! 😊

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      • Je suppute (ce n’est pas vulgaire) qu’en lisant ne serait-ce que les prémices que tu décris dans ta critique, le titre du roman, et en regardant la couverture, tout lecteur aguerri de SF devinera aisément en grande partie ces secrets. Allez, je vais le lire pour me mettre moi-même au défi de ce que je viens d’avancer là, et voir si j’ai vu juste ou si je me la raconte un peu trop.

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        • Personnellement, je connaissais ce qui est dévoilé par LA couverture avant même d’attaquer ce roman. Cela ne m’a pas empêché d’être surpris et d’apprécier ma lecture 😉

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          • Fini ! Pas de grande surprise au final, j’avais bien deviné à peu près l’ensemble des mécanismes du roman et le plan général des engrenages. Tout est vraiment inscrit dans les prémices et le souvenir d’autres romans permet de relier les points. Cela étant dit, ça n’enlève rien au plaisir de la lecture. Comme tout le souligne dans ta critique, le traitement qui est fait de la thématique de l’embrigadement des masses mérite amplement le détour. Chouette lecture !

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  4. La thématique aztèque me plaît énormément, il vas falloir que je le trouve, en bon état, d’occasion… Qu’en est-il de la version en VO? Est-elle accessible pour quelqu’un qui voudrait s’y essayait pour la première fois ?

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    • Le texte est plutôt accessible, mais par contre l’e-book est relativement mal fait : il y a pas mal de ponctuation manquante par endroits, ce qui peut rendre la lecture un peu pénible. Absolument rien de rédhibitoire toutefois.

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  5. Arf pour le coup, je ne suis pour une fois pas d’accord avec ton avis hyper positif ^^
    J’ai lu ce roman il y a très longtemps et il m’a juste fait un gros « meh ». J’avais trouvé ça très vieillot, en tout cas vraiment marqué « SF à papa » (j’ai du mal à expliciter mon impression, je ne suis pas sûre d’être très claire pardon!).
    Je me demande s’il me ferait le même effet avec une relecture des années plus tard…

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    • Comme le souligne Renaud dans un autre commentaire, c’est à la fois un livre ancien (1969) et un précurseur ou une référence au sein des thématiques qu’il développe. Pas étonnant que ça paraisse « vieillot », donc.

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  6. Ping : Janvier 2018, comme un appel à la lecture – Albédo

  7. Ping : The freeze-frame revolution – Peter Watts | Le culte d'Apophis

    • De rien !

      C’est clair que selon l’édition, que ce soit en VO ou en VF, la première et / ou la quatrième de couverture peuvent divulgacher tout le livre en un instant.

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  8. Ping : Crystal Rain – Tobias S. Buckell | Le culte d'Apophis

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