From darkest skies – Sam Peters

Beaucoup de potentiel, un résultat assez décevant (tout en restant d’un niveau correct)

from_darkest_skies_petersFrom darkest skies est le premier roman de Sam Peters. Les remerciements nous apprennent que l’univers du livre est issu d’une campagne de jeu de rôle (si j’ai bien tout saisi), et que l’auteur n’a lu Carbone modifié de Richard Morgan qu’après avoir écrit son propre livre. Précision heureuse, car il y a en effet certaines (vagues) ressemblances entre les deux œuvres. Mais à vrai dire, j’en verrais plus encore avec celle de Peter Hamilton, lui-même grand utilisateur de policiers du futur (Paula Myo, La grande route du Nord), voire même avec Dan Simmons (l’IA qui enquête sur sa propre mort) et Alastair Reynolds (la dite IA a été construite à partir des aperçus de la personnalité de l’épouse décédée du protagoniste disponibles en ligne, un peu comme la reconstitution d’Eunice Akinya dans la trilogie Les enfants de Poséidon).

Premier roman, donc, et cela se voit : trop ambitieux pour son propre bien, parfois maladroit ou un peu difficile à suivre, From darkest skies n’est pourtant pas dépourvu de qualités, bien au contraire. Sam Peters travaille actuellement sur la suite, Species traitor (il ne s’agit donc pas d’un one-shot, même s’il peut éventuellement se lire comme tel) et aura, on l’espère, corrigé ces défauts de jeunesse. 

Univers

Nous sommes en 2216. Les Maîtres ont quitté la Terre un siècle et demi auparavant. Ces extraterrestres mystérieux ont débarqué un jour, se sont mis à construire tout un tas de structures incompréhensibles un peu partout dans le système solaire (des tranchées profondes de plusieurs dizaines de kilomètres sur le fond marin, des sphères inachevées en orbite de Neptune, des tours immenses sur notre planète, des balafres à la surface de Mercure, Vénus et Titan -ça rappelle vaguement Les machines de Dieu de Jack McDevitt-), ont désintégré tout ce qui se trouvait au-dessus du niveau de l’eau dans la péninsule ibérique (sauf Gibraltar), transformant l’Espagne et le Portugal en mer, et surtout, ont transporté des êtres humains sur 37 planètes extrasolaires. Et un beau jour, ils sont partis tout aussi soudainement qu’ils sont arrivés, après avoir fait 5 milliards de morts. Une « secte », les Entropistes, persuadée que leur comportement en apparence chaotique est en fait la démonstration du prochain stade d’évolution de l’humanité, s’est mis en tête de se comporter comme eux, à savoir de façon aléatoire.

Un des mondes qui a reçu des colons humains involontaires (des polynésiens, dans ce cas précis) est Magenta, qui doit son nom à la couleur des algues et lichens omniprésents dans ses océans et toundras. Monde à forte gravité (1.4 G), recouvert sur une grande partie de sa surface par la banquise (on colonise essentiellement l’équateur, plus quelques installations de recherche ou minières isolées aux latitudes moyennes), siège d’une pluie quasi-incessante, Magenta est surtout connue pour deux choses : ses lichens aux propriétés hallucinogènes et ses vents surpuissants. Ce que nous appelons sur Terre une « tempête » est qualifié par ses habitants de « météo clémente », les vrais ouragans atteignant là bas les 500 Km/h.

Il y a des tensions migratoires entre descendants des colons originels (largués par les Maîtres), originaires de Samoa, de Cook ou de Fidji, et nouveaux venus, qui arrivent pour l’écrasante majorité d’Inde. En effet, les natifs ne veulent pas de l’importation parallèle des problèmes de la Terre, tels que surpopulation, insécurité, pauvreté, etc.

La technologie est assez duale : d’un côté, même après 150 ans, les humains ont été incapables de faire de la rétro-ingénierie sur celle des maîtres, et ils emploient juste les vaisseaux qu’ils ont laissé derrière aux en partant et qui font des sauts instantanés à intervalles réguliers entre systèmes solaires. D’un autre côté, la technologie purement humaine est assez avancée, puisqu’ils disposent de réacteurs à fusion, d’armes à particules personnelles, de nanotechnologie, d’IA, de lentilles à réalité augmentée, etc.

Ce worldbuilding me pose quelques problèmes, personnellement, et ce pour plusieurs raisons : d’abord, l’auteur mentionne à plusieurs reprises le soleil bleu de Magenta, ce qui, sur un plan astronomique, est une hérésie. Aucune étoile de classe O ou B ne dure plus de 100 millions d’années (à comparer avec les 10 milliards d’années d’espérance de vie de notre propre Soleil) avant de finir en Supernova, ce qui est bien trop court pour développer 1/ des planètes et 2/ des formes de vie type lichen à leur surface, qui 3/ seraient de toute façon vaporisées lors de l’explosion finale. Ensuite, les Maîtres ne servent pas à grand-chose (dans ce premier roman, ce sera peut-être le cas dans sa suite), à part justifier une forme de colonisation interstellaire involontaire (qui est du déjà vu, par exemple chez Catherine Asaro). Même leur combinaison d’invisibilité, qui est au centre du récit, aurait très bien pu être mise au point par les humains, pas besoin d’avoir recours à une invasion alien aussi bizarre. Enfin, on mentionne à de multiples reprises la « Flotte », sans donner aucune précision à son sujet, ce qui est frustrant vu qu’elle est au centre de pas mal d’événements importants. Et surtout, mon souci est que beaucoup de choses très bien faites à propos de Magenta cohabitent avec des points plus maladroits comme ceux que je viens de décrire. Et c’est d’ailleurs une réflexion qu’on peut appliquer à des tas d’autres éléments de ce livre : l’habile cohabite trop souvent avec l’incompréhensiblement maladroit.

Intrigue

Keon Rause vient de merder grave : responsable de la sécurité d’une combinaison d’invisibilité issue de la technologie des Maîtres, il a vu celle-ci être volée sous son nez, alors qu’il travaillait pour la Flotte sur Terre, où, depuis cinq ans, il tente d’oublier la mort de sa femme Alysha. Pour faire sa catharsis, il a fait mettre au point, dans le plus grand secret car ce genre de technologie est illégal, une IA reconstituant la personnalité, les maniérismes, la voix, etc, de sa femme. Il l’appelle Liss. L’intelligence artificielle peut soit occuper le Serviteur de Keon (IA de bas niveau servant d’assistant personnel : pensez aux Ombres Virtuelles chez Peter Hamilton), soit un « Shell » (enveloppe, carapace = corps androïde). Elle le pousse à faire son deuil, à laisser partir le souvenir de celle sur qui elle est basée et qui est morte dans un attentat Entropiste sur Magenta, le monde où tous deux travaillaient pour le MIB (non, pas Men in black : Magenta Investigation Bureau, comprenez l’équivalent local du FBI). Mort d’ailleurs assez trouble, aux circonstances et aux motifs mal définis. En effet, que faisait Alysha dans un train magnétique de fret ?

« Invité » par la Flotte à quitter la planète bleue, Rause rentre chez lui, et son détachement auprès des militaires étant fini, il réintègre aussi le MIB. On lui laisse former son équipe, composée d’une vieille connaissance, Patterson, star déchue du Bureau, de Rangesh, descendant d’immigré indien très « cool » et fin connaisseur du milieu du trafic d’hallucinogènes sur Magenta (ainsi que du gotha local, avec qui il a lié des relations à l’université), ainsi que de Zohreya, palestinienne immigrée qui est tout son contraire, à savoir très disciplinée quand Rangesh est à la limite de l’insubordination, et très méthodique (et collant à la lettre au manuel) quand l’autre applique des méthodes très peu orthodoxes.

Alors qu’on lui confie une enquête sur la mort liée à des hallucinogènes d’une fille à papa, riche héritière du magnat des télécommunications et médias locaux, Rause va en profiter pour essayer de lever les zones d’ombre sur la mort de sa femme. Ce qui sera d’ailleurs facilité par le fait que les deux affaires semblent converger vers les mêmes lieux et les mêmes personnes. Notez que le fait que le personnage principal ait des raisons personnelles de s’occuper d’une enquête est tout à fait dans les codes les plus représentatifs du roman noir.

L’intrigue me pose autant de problèmes que le worldbuilding, là aussi pour différentes raisons : d’abord, elle est très ramifiée, avec un nombre conséquent de sous-intrigues dont les fils narratifs, certes, se rejoignent à la fin, mais qui ne sont pas toujours franchement évidents à suivre ; ensuite, certains points clefs sont gros comme un pâté de maisons, et d’autres sont un peu bidons, pas franchement réalistes ; enfin, la conclusion est décevante. Dans les trois cas, rien de catastrophique, mais cela reste tout de même insatisfaisant (et très en-dessous de mes références en matière de quasi-polar Postcyberpunk, que ce soit Morgan ou Hamilton). D’autant plus qu’il y avait un gros potentiel lié à la reconstruction IA d’Alysha qui, à mon sens, est, selon les points, entre un peu et complètement sous-exploité.

Personnages

Même sentiment de gâchis avec les personnages : la plupart d’entre eux sont solidement conçus, avec une personnalité complexe, un vrai background, une voix propre, etc, mais la plupart d’entre eux ont un défaut agaçant. Keon Rause est un peu trop passif à mon goût, il est plus spectateur de la plupart des événements que réel protagoniste (et au passage, il y a beaucoup plus de tell que de show), Zohreya, qui est décrite comme un « robot » appliquant les règles et ordres à la lettre se mue soudain en furie (ce qui, même si c’est expliqué, laisse un peu perplexe), et surtout Rangesh a une manière de s’exprimer prodigieusement agaçante (voir plus loin). Je le sous-entendais, donner une voix propre à ses personnages, c’est très bien, encore faut-il qu’elle ne ressemble pas à celle de Joe Pesci dans l’Arme Fatale 2 (ok ?). D’ailleurs, Rangesh, s’il y avait une adaptation TV, pourrait être joué par Cas Anvar et doublé par Pesci, ça collerait bien.

Et puis bien entendu, il y a la relation Liss / Keon, qui, comme je l’ai précisé, est sous-exploitée, sauf dans certains points clefs à la fin. On aurait pu s’attendre à ce que l’IA catalyse l’exploration de thématiques un minimum profondes (identité, amour humain / IA, etc), mais ce n’est pas le cas, ou pas vraiment, ou trop tard dans le roman. Bref, c’est le gros point de déception pour moi à ce niveau, d’autant plus que la fin est finalement très monocorde, alors qu’elle aurait pu donner lieu à de grands moments d’émotion. Rien que le fait que la simulation sache qu’elle en est une et que sa contrepartie est morte est un beau faisceau d’opportunités narratives et thématiques ratées (même si c’est fait exprès de la part de l’auteur, comme le démontre clairement la fin).

Style, écriture

L’écriture de Sam Peters est assez paradoxale : dans certains secteurs, comme le worldbuilding, les personnages et surtout les dialogues, le meilleur côtoie le pire. Je vais surtout parler du troisième point : la plupart des dialogues sont solides (et heureusement, vu qu’il y en a beaucoup), sauf ceux qui impliquent Rangesh, qui est en mode « J’suis hyper à l’aise dans la street, man / dude ». Outre le fait que sa façon de s’exprimer ne correspond pas du tout à celle de ses collègues et du MIB, visiblement modelé sur le très policé FBI, elle frôle parfois le ridicule, comme, par exemple, dans le passage suivant : « You need to have some words with that Allah dude of yours, man ». Ou alors c’est pour ressembler à l’Ozzie de Peter Hamilton et à sa façon très détendue de parler ? Alors certes, ce genre de langage très rue et très cool est plus ou moins inscrit dans les codes du (Post)Cyberpunk, dont ce livre relève, mais bon il y a des limites, et cela peut être fait avec plus ou moins d’habileté, hein.

Un mot aussi sur l’info-dump éhonté des premières dizaines de pages, qui sont un déballage tellement brutal d’une quantité massive d’infos que ça m’en a collé un sacré mal au crane. Je pense qu’il aurait été bien plus pertinent de n’expliquer que l’indispensable, et de distiller le reste au fur et à mesure du récit. Une erreur de jeunesse, d’inexpérience, visiblement, mais qui aurait dû être corrigée par l’éditeur.

Un mot enfin sur le worldbuilding : Magenta est une planète fascinante, ce qui ne rend que plus rageant le fait que du fait de son soleil bleu, elle est une impossibilité. Ou comment, pour une minuscule erreur, jeter à bas un très bel édifice.

En conclusion

Sans être un mauvais roman (il est même relativement bon), From darkest skies est avant tout un livre décevant, celui des occasions manquées. Des personnages à l’intrigue en passant par le worldbuilding, les thématiques ou l’écriture, il y avait un gros potentiel, malheureusement gâché par de mauvais choix ou des maladresses (qualité des dialogues à géométrie variable, worldbuilding alternant le passionnant et réaliste et le n’importe quoi, personnages caricaturaux ou trop passifs, révélations qui se voient arriver des lustres avant et fin décevante, info-dump massif en ouverture, etc). Malgré tout, si vous cherchez un polar SF Postcyberpunk avec un assez net aspect Planet Opera et une intrigue complexe, vous ne ferez pas pour autant un mauvais achat : vous aurez juste affaire à un ouvrage qui avec quelques ajustements ou sous la plume d’un auteur plus expérimenté, aurait pu être d’une tout autre dimension. On sent toutefois que Sam Peters est capable de faire nettement mieux, et je garderai un œil sur sa future production.

Niveau d’anglais : plutôt facile.

Probabilité de traduction : faible.

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13 réflexions sur “From darkest skies – Sam Peters

  1. Cette histoire d’exode forcé et soudain rappelle très fortement Singularity Sky de Stross. Et une IA reproduisant la personnalité d’une personne disparue qui invite à faire son deuil est déjà vu chez Egan. Et si on ajoute les ressemblances avec Hamilton, tout ceci ne me parait pas très original.

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  2. Je trouve que tu pousses le bouchon un peu loin sur le worldbuilding. :p
    Je comprends le besoin d’avoir un truc cohérent. Mais d’une part tout les livres de SF ne peuvent pas avoir le niveau de vraisemblance de la Hard Science, d’autre part je trouve que tu te fermes des horizons en étant un peu trop « étriqué » dans ta vision de la chose (même problème qu’avec les « petits » ewoks d’Endor en fait). Hop, au hasard : l’espérance de vie de l’étoile n’est pas assez importante pour qu’une planète s’y forme ? Peut-être la planète n’est-elle pas originaire de ce système. Ce pourrait être une planète vagabonde capturée par cette étoile. 🙂
    Vu la variété de systèmes dans lesquels on a trouvé des planètes à ce jour, alors que l’on n’a probablement fait qu’égratigner le sujet, je serai toi je ne parierai pas ma chemise sur le fait qu’on en trouvera pas autour d’étoiles bleues. 😉

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    • Dans ce cas précis, c’est autant un souci de cohérence que de vraisemblance : tout ce qui concerne la planète Magenta elle-même est très bien fait et franchement intéressant, sauf ce point sur l’étoile autour de laquelle elle tourne. Discordance qu’on retrouve, comme je le mentionne dans ma critique, dans des tas d’autres angles d’analyse du roman, des personnages aux dialogues en passant par l’intrigue. C’est le genre de chose qui m’énerve, me frustre et me sort du livre. J’y vois un énorme gâchis : si l’auteur est capable de bien faire, pourquoi donner soudain dans le médiocre et le je-m’en-foutiste ?

      Et niveau vraisemblance, je pense que sans parler de Hard SF (dont ce roman ne relève pas), l’impossibilité totale d’une planète abritant la vie autour d’une étoile bleue n’est pas quelque chose sur lequel on peut passer en disant « ah, oui, mais peut être que si… ». C’est pareil, ça me sort du récit. Alors peut-être que j’ai des critères trop élevés (ou de trop grandes connaissances astronomiques), mais ce qui est sûr et certain, c’est que je ne suis pas près de qualifier de bon roman (ou de film, de série, de BD, etc) une oeuvre avec une incohérence scientifique pareille. Les systèmes solaires très inhabituels sont légion dans la SF, mais en général, on nous fournit une explication à ce fait. Là, j’ai juste l’impression que l’auteur ne sait pas de quoi il parle.

      Et pour finir, l’hypothèse de la planète vagabonde capturée ne tient pas. Impossible que la vie, stérilisée par le « vagabondage » (donc la glaciation jusqu’au zéro absolu ou quasiment), ait pu se (re)développer en quelques millions d’années à peine jusqu’au stade des lichens. Qui ne sont apparus sur Terre que depuis moins d’un demi-milliard d’années, donc 4 après sa formation…

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    • Si je peux me permettre. Admettons tout cela, une planète vagabonde capturée par une géante bleue, etc, etc….(cela fait déjà beaucoup à admettre, mais passons). Une géante bleue a une luminosité 10,000 à un million de fois supérieure à celle du Soleil, principalement dans l’UV, voire dans l’extrême UV. Le bombardement radiatif (UV, X et gamma) d’une telle étoile sur une planète environnante ne permet pas qu’une quelconque forme de vie s’y installe. Tout y est irradié à mort. L’hypothèse du roman est donc impossible. Poétique, mais impossible.

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  3. J’avoue avoir du mal à poursuivre mes lectures quand les univers ont des incohérences qui me sautent aux yeux 😦
    Si c’est une par si par là, bon, mais des éléments qui ont une grande importance/réelle influence sur l’histoire ? C’est juste tellement dommage…

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