The red threads of Fortune – Jy Yang

Très différente de la précédente, cette novella est encore une fois franchement bonne

red_threads_yangThe red threads of Fortune est le texte jumeau de The black tides of Heaven (paru en même temps, mettant en scène la même paire de protagonistes, en mettant l’emphase sur l’un d’entre eux dans chacun des ouvrages), les deux ouvrant le cycle Tensorate de l’auteur singapourien (d’expression anglaise) Jy Yang. On sait déjà que celui-ci se poursuivra en 2018 avec deux autres romans courts, The descent of monsters et The ascent to Godhood. Théoriquement, les deux premières novellas peuvent se lire dans n’importe quel ordre, même si les premiers retours de lecteurs anglo-saxons avaient assez fortement tendance à dire qu’il était plus pertinent de commencer par The black tides of Heaven. Et effectivement, après avoir lu les deux, je peux dire que c’était la chose à faire. En effet, The red threads of Fortune se déroule après la fin de son texte jumeau, et ne présente pas les particularités liées au genre dans cet univers de façon aussi détaillée. Vous saisirez beaucoup mieux l’histoire globale des deux romans si vous les lisez dans le même ordre que moi.

Cette novella est très différente de la précédente, qui était un roman d’apprentissage s’étendant sur plusieurs décennies. Cette fois, nous sommes sur un registre différent, puisque le thème principal est la façon de faire son deuil et que l’action se déroule sur quelques jours à peine et dans le même lieu (une même région, pour être plus précis). 

Si vous n’avez pas lu The black tides of Heaven, sachez que cette critique va être obligée de faire un spoiler mineur, à savoir révéler le sexe choisi par Mokoya (et donc Akeha), et parler d’un événement survenu un peu avant la fin dudit texte. Si vous ne souhaitez pas connaître ces éléments à l’avance, je vous suggère de passer directement à la conclusion.

Situation

L’action se déroule quatre ans après la fin de Black tides. Mokoya, qui a désormais 39 ans (je rappelle que sur l’ensemble du cycle, nous la suivons depuis sa naissance), n’arrive pas à faire le deuil de sa fille Eien, et cela fait deux ans qu’elle s’est lancée dans une vie d’errance, délaissant son mari, Thennjay. Elle a rejoint l’équipe de chasseurs de nagas (des reptiles ailés géants) d’Adi, qui est justement sur les traces d’un spécimen très inhabituel dans le désert de Gusai, situé dans le nord lointain, à la limite de l’influence du Protectorat. Inhabituel par la taille monstrueuse que les témoins lui prêtent, par la constance avec laquelle il se dirige dans une direction bien précise, en provenance de la capitale. Et étant donné que sa destination semble être Bataanar, seule grande ville (minière) du secteur et bastion Machiniste, on pense qu’il s’agirait en fait d’une arme du Tensorat destinée à écraser la cité. Et ce d’autant plus que Choonghey, le nouveau Raja de Bataanar et veuf de l’ancien, n’est pas un sympathisant Machiniste, contrairement à son prédécesseur.

Akeha, capitaine dans la Garde de la ville (qui couvre de façon très complaisante les rebelles), envoie son compagnon, Yongcheow, assister sa sœur. Qui finit effectivement par tomber sur un naga, mais qui est loin d’avoir la taille décrite par les témoins. En revanche, il a un cavalier, d’ailleurs nommé simplement Rider, un personnage mystérieux qui vient d’une autre région du monde, les Quarterlands, où la gravité n’est que la moitié de celle habituelle et où l’on vit dans la canopée d’arbres d’une hauteur faramineuse (pensez à un mélange d’Avatar -y compris pour la gravité variable- et du Bosquet de Dieu d’Hypérion). Et surtout, sa conception du Slack et du Slackcraft (de la magie) est profondément différente de celle des Tensors ou des Moines : de fait, il est capable de replier l’espace et de se téléporter…

L’univers s’étoffe encore

Un des gros intérêts de ce cycle est son contexte extrêmement inhabituel et exotique en Fantasy : le mélange de technologie (l’équipe d’Adi, dont Mokoya, porte au poignet une radio qui ne dépareillerait pas dans Babylon 5), de magie et de technomagie, les cycles jour / nuit étranges, la présence de dinosaures, le cadre sinisant, les canons et armes à feu, etc. Et là, l’auteur en ajoute encore deux couches, d’abord avec la révélation de la présence de zones où la gravité est différente sur une seule et même planète, et ensuite avec l’extension et la redéfinition d’un magicbuilding qui était déjà très solide à la base. Jy Yang propose d’ailleurs une forme de… conservation d’un défunt assez originale, et n’a mis en place un élément important que pour mieux le remettre en question dans ce texte.

Bref, ce qui m’a bluffé est que partant, sur la novella précédente, d’une base déjà à la fois ultra-solide ET très originale, l’auteur ne s’endort pas sur ses lauriers et continue à ajouter des détails. J’avais lu un article dithyrambique de Liz Bourke sur le cycle Tensorate et son worldbuilding (c’est d’ailleurs lui qui m’a vraiment décidé à tenter l’aventure), et force est de constater qu’elle avait raison, car le mélange d’éléments, bien qu’à la base improbable, fonctionne parfaitement, est crédible, solide et passionnant.

Thématiques

La thématique centrale est le deuil : comment aller de l’avant après le genre de perte subi par Mokoya. Comment se pardonner de n’avoir pas réagi à temps lors de l’accident ? Comment, pour une des rarissimes prophétesses du Protectorat, expliquer le fait qu’elle n’a pas reçu de vision ? Et d’ailleurs, comment expliquer que ledit pouvoir l’a abandonnée depuis ? Car la perte de sa fille n’est pas la seule subie par Mokoya : elle a perdu son don de prédiction dans la foulée.

En rencontrant une personne qui a aussi perdu un proche, Mokoya fera sa catharsis freudienne, acceptant l’événement traumatique pour enfin aller de l’avant. Si le thème est bien traité et chargé d’émotion, la fin de la novella m’a un poil laissé sur ma faim, car elle n’a pas l’impact de celle du texte jumeau, The black tides of Heaven. Rien de rédhibitoire, mais je m’attendais à ce que l’aspect cathartique soit le gros intérêt du texte, alors qu’en fait, celui-ci se situerait plutôt au niveau des changements dans le Magicbuilding et dans les nouveaux éléments de worldbuilding apportés (voire dans certaines scènes franchement spectaculaires). Pas de déception, donc, juste un petit regret.

Un autre thème est le traumatisme : lorsqu’elle est en présence d’un générateur du même type que celui qui a explosé, Mokoya se sent de plus en plus mal à l’aise, jusqu’à être obligée de quitter la pièce, balayée par l’angoisse, voire la terreur. De plus, la perte de ses capacités de prophète est aussi une forme de blessure pour Mokoya, sans parler de celles, physiques, subies lors de l’accident (d’ailleurs, là aussi, on saisit mieux certaines allusions à son bras reptilien en ayant lu l’autre roman court d’abord).

Enfin, une dernière thématique tourne, comme dans l’autre novella, autour de la sexualité, de la tolérance : on voit que dans cet univers, les unions sont très libres, puisque le fait que Mokoya couche avec d’autres personnes (hommes ou femmes), ait de l’affection, voire de l’amour pour elles, ne pose absolument aucun problème à son époux, Thennjay.

Il y aurait presque l’ébauche d’une autre thématique, même si elle n’est pas exploitée : Mokoya dispose de ses perles de capture, qui ont enregistré le souvenir des temps heureux, lorsque Eien était encore vivante. Et elle s’en sert presque (et je dis bien presque, c’est plus une impression personnelle que quelque chose mis en exergue par l’auteur) comme d’une drogue pour échapper à la triste réalité, qui est que la petite est morte (enfin… non, rien).

L’intrigue se révèle solide et intéressante, l’auteur multipliant habilement les fausses pistes et les twists.

Personnages

Alors que la novella précédente, si elle était plutôt consacrée à Akeha, le jumeau de Mokoya (surtout dans la seconde moitié), donnait aussi une large place à sa sœur, cette fois Akeha est beaucoup, beaucoup plus en retrait, bien que présent. Nous retrouvons aussi d’autres personnages connus, comme Thennjay et Yongcheow, en plus de nouveaux protagonistes ou antagonistes comme Rider, le Raja Choonghey, sa fille Wanbeng ou sa conseillère Tan Khimyan. Les nouveaux personnages varient en terme de temps consacrés à leur caractérisation, mais certains (Rider et la princesse, par exemple) se révèlent fort intéressants.

Mais c’est évidemment Mokoya le joyau de ce texte à ce niveau : son évolution psychologique très soignée, ainsi que celle de ses capacités magiques, constitue le centre de l’intrigue de The red threads of Fortune.

En conclusion

Cette seconde novella du cycle Tensorate se révèle encore une fois très solide, et met à nouveau en scène la plupart des personnages de The black tides of Heaven (que je conseille de lire en premier, au passage, même si l’éditeur et l’auteur précisent que les deux textes peuvent théoriquement se lire dans n’importe quel ordre). Elle est cependant très différente de sa jumelle, qui est un roman d’apprentissage se déroulant sur plusieurs décennies : cette fois, l’action s’étend sur quelques jours à peine, et a pour thématique centrale le deuil, la façon d’aller de l’avant après la perte d’un être cher. Si ce thème est bien exploité, ce texte est cependant un cran en-dessous de l’autre, à part sur le plan de la psychologie du protagoniste et sur celui du Magic-/World-building, qui franchissent encore un cap alors qu’ils étaient déjà d’un niveau très élevé. Au final, cette novella est en elle-même très recommandable, et l’ensemble des deux (et, au-delà, du cycle Tensorate, dont on sait qu’il comptera au moins 4 romans courts dès 2018) l’est carrément, surtout si vous cherchez une Fantasy qui sort radicalement des sentiers battus.

Niveau d’anglais : moyen, tendance facile.

Probabilité de traduction : infime.

Pour aller plus loin

Cette novella fait partie du cycle Tensorate : retrouvez sur Le culte d’Apophis les critiques de The black tides of Heaven, de The descent of monsters, de The ascent to godhood,

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce texte, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lianne sur De livres en livres, celle de la Geekosophe,

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14 réflexions sur “The red threads of Fortune – Jy Yang

  1. Ping : The black tides of Heaven – Jy Yang | Le culte d'Apophis

  2. Deux points : j’étais enfin ravie d’avoir rattrapée mon retard concernant tes chroniques, et me voilà déjà à en lire une autre! Ouf, cette fois-ci en dans les temps! Deuxième point, j’étais ravie (une fois encore) d’avoir acquis la première novella en espérant la lire avant que tu nous concocte une nouvelle chronique. Manqué!
    Dans tous les cas, je te confirme mon intérêt pour cette histoire, qui m’a l’air assez envoutante. D’ailleurs tu es suffisamment cryptique sur l’histoire précédente que le spoiler ne me saute pas à la figure, et en sus, tu éveilles encore plus ma curiosité!

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    • Je te rassure, le rythme de publication va ralentir, j’ai commencé Les feux de Cibola (The expanse 4) et il ne faut pas attendre la critique avant mardi prochain, je pense.

      Je suis évidemment curieux d’avoir ton avis sur Black tides, c’est un univers tellement particulier que ce sera du tout ou rien, je pense : on adore ou on déteste.

      Aimé par 1 personne

    • Oui, je sais bien. Mais disons que ça a au moins un intérêt, à savoir montrer à ceux qui ne lisent pas l’anglais qu’il y a d’autres types de Fantasy ou de SF que ceux qui franchissent la barrière de la traduction ou qui sont rédigés directement en français. Et puis bon, surtout pour les livres au niveau d’anglais abordable, ça peut inciter certains d’entre vous à franchir le pas et à tenter la lecture en VO. La plupart d’entre vous ont un niveau suffisant dans cette langue pour lire au moins certains bouquins en anglais, c’est plus un blocage psychologique qu’autre chose. Faut juste commencer par un auteur écrivant dans un anglais pas trop littéraire et ne pas se traumatiser dès le premier adjectif venu qu’on ne comprend pas à 100 % (et lire sur liseuse, le dictionnaire intégré aide beaucoup).

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