L’œil d’Apophis – Numéro 5

Eye_of_ApophisCinquième numéro de la série d’articles l’œil d’Apophis (car rien n’échappe à…) ! Je vous en rappelle le principe : il s’agit d’une courte présentation (pas une critique complète) de romans qui, pour une raison ou une autre, sont passés « sous le radar » des amateurs de SFFF, qui sont sortis il y a longtemps et ont été oubliés, qui n’ont pas été régulièrement réédités, ont été sous-estimés, mal promus par leur éditeur, ont été noyés dans une grosse vague de nouveautés, font partie de sous-genres mal-aimés et pas du tout dans l’air du temps, et j’en passe. Chaque numéro vous présente normalement trois romans, sauf qu’aujourd’hui, ce sera cinq  😀 (ben oui, c’est l’inflation ma bonne dame). Enfin presque. Mais bon vous allez comprendre.

Au passage, sachez que vous pouvez retrouver les anciens numéros de l’œil via ce tag ou bien cette toute nouvelle page.

La musique du sang – Greg Bear

musique_du_sangGreg Bear est un grand auteur de science-fiction, qui a exercé dans des sous-genres très divers et très différents de cette dernière. Personnellement, je le considère comme un des écrivains majeurs de ce que j’appelle la SF biologique (ou Bio-SF), celle qui délaisse les accélérateurs de particules pour les mystères du vivant et les possibilités de la biotechnologie. J’aurai l’occasion de vous reparler d’un autre de ses romans relevant de ce registre dans un prochain numéro de l’œil d’Apophis, mais aujourd’hui je préfère vous présenter La musique du sang, un des livres majeurs de la Bio-SF. L’histoire est très simple à résumer : un chercheur est pris la main dans le sac après avoir effectué des recherches illégales sur des bio-ordinateurs à l’échelle cellulaire, et alors qu’il est licencié et que son travail va être détruit, la seule solution qu’il trouve pour le préserver est… de s’injecter les cellules en question pour pouvoir les transporter incognito. Il pense pouvoir les extraire ensuite de son sang sans le moindre problème et la moindre conséquence : le reste de l’intrigue montrera à quel point il se trompe !

La musique du sang est un roman majeur, et ce sur de multiples plans : SF apocalyptique, bien sûr (et Hard-SF, mais qui reste compréhensible), mais aussi réflexion sur les biotechnologies (leurs possibilités, leurs dangers) et le transhumanisme, le croisement entre biologique et informatique, la rencontre entre deux espèces intelligentes (ici l’humain et… ses cellules modifiées génétiquement), ainsi qu’un autre aspect dont je ne peux parler sans vous spoiler une conclusion finalement très surprenante. Attention toutefois, certains passages peuvent paraître crades ou baroques, et il vaut tout de même mieux avoir une affinité minimale avec la Hard-SF avant de se lancer là-dedans.

Semailles humaines – James Blish

semailles_humainesSi James Blish n’a pas inventé le concept de Panthropie, il l’a en revanche popularisé, et a inspiré des générations d’autres écrivains à la suite de la parution de son recueil Semailles humaines (qui comprend en fait quatre nouvelles sur le même thème). « Hein ? Pantroquoi ? », vous dites-vous probablement. C’est en fait un double-concept très facile à saisir : l’étymologie vous apprendra qu’il s’agit d’un processus destiné à propager l’homme partout (sous-entendu : dans l’espace, sur d’autres planètes), et de mon côté, je vous apprendrai (peut-être) qu’il s’agit en fait de l’inverse de la terraformation. Là où cette dernière consiste à transformer l’environnement (l’atmosphère, le plus souvent) d’une planète pour qu’elle soit viable pour l’être humain (sous entendu « normal », de base), la Panthropie vise, au contraire, à ne pas toucher au dit environnement mais à modifier le génome humain afin de produire une variante spécifique parfaitement adaptée au monde en question. Le corollaire étant, bien entendu, qu’il y a potentiellement autant de sous-espèces humaines que de planètes, avec les conséquences que l’on imagine en terme d’interfécondité ou bien sur le plan culturel. Il y a, dès lors, un fort risque de désintégration de la civilisation humaine en une myriade de cultures transhumaines (bien qu’un cycle comme Hypérion / Endymion montre le contraire).

Les quatre textes montrent à la fois des variantes humaines adaptées à divers environnements, et les conséquences sociales et civilisationnelles que je viens de décrire. Ils sont tout à fait fondamentaux si vous voulez pleinement prendre la mesure des nombreux romans posthumanistes postérieurs, que ce soit chez Bruce Sterling, Peter Hamilton, Dan Simmons ou d’autres. Et si vous vous intéressez aux variantes de l’être humain créées par la biotechnologie, c’est un must-read.

La trilogie Helliconia – Brian Aldiss

helliconia_printempsBon, pour le troisième roman, ce mois-ci, je comptais rester dans le trip Bio-SF, mais la mort de Brian Aldiss a tout changé. Du coup, j’ai eu envie de remettre en avant sa fabuleuse trilogie Helliconia, parce que ça m’énerve un peu de voir que lorsqu’on parle de Planet Opera, on cite toujours Dune et quelques autres bouquins, et qu’on a une lourde tendance (je trouve) à oublier cette référence qu’est ce cycle. Helliconia, donc, est une planète, qui a une orbite complexe autour de non pas un, mais deux soleils. La conséquence est que son cycle des saisons est très particulier, avec des étés et des hivers qui durent des siècles et qui sont particulièrement prononcés. L’orbite affecte donc le climat, qui à son tour affecte la biologie et la capacité des deux espèces de la planète, les humains (enfin… non, rien) et les Phagors, à maintenir la civilisation dans des contextes de changements climatiques extrêmement violents. Plus encore que dans Dune, les différentes aspects s’interpénètrent et s’influencent les uns les autres, pour donner un tableau final remarquable.

helliconia_étéLes trois livres montrent chacun une saison, ainsi que les conséquences qu’elle entraîne. Etant donné qu’elles sont séparées par des centaines d’années, on ne suivra donc évidemment pas les mêmes personnages « organiques », mais plutôt le destin de la planète elle-même, ainsi que des civilisations qui s’y sont (re-)développées. On en apprendra aussi beaucoup sur certains noirs secrets, afférents aux espèces de ce monde… ou des « alentours ». Chacun des trois livres possède une atmosphère tout à fait particulière, reflet de la saison en cours et des perspectives, positives ou négatives, qu’elle entraîne. Lorsqu’on referme l’ultime tome, le tableau brossé est, dans son ensemble, tout à fait remarquable, surtout si vous êtes comme moi et que vous aimez suivre un pays, une planète ou une civilisation sur des siècles ou des millénaires. Il y a peu de livres de SF qui proposent une fresque d’une telle ambition et aussi riche en détails (et très réalistes sur le plan scientifique, qui plus est), sachez ne pas passer à côté !

helliconia_hiverDe plus, si vous vous intéressez au Planet Opera, la trilogie est in-con-tour-na-ble. Dans le cadre de ce sous-genre, ne pas lire Helliconia, c’est comme ne pas lire Dune ou la trilogie Martienne de Kim Stanley Robinson, ce n’est juste pas possible ! Il faut simplement être conscient des différences entre ces classiques : si les personnages d’Helliconia sont sympathiques, ils n’atteignent pas le degré de magnétisme extraordinaire de ceux du livre de Frank Herbert, et si les romans de Brian Aldiss sont solides sur le plan scientifique, ils ne tutoient évidemment pas le réalisme stratosphérique de la trilogie de KSR (mais d’un autre côté, le style d’Aldiss est nettement moins aride que celui de Robinson). Bref, chacun de ces ouvrages a ses charmes, et vous proposera un voyage très différent mais avec une constante : un dépaysement et un sense of wonder extraordinaires !

36 réflexions sur “L’œil d’Apophis – Numéro 5

  1. Merci pour cet article et je note cette fois ci les semailles humaines qui devais être un achat il y a bien dix ans mais qui est passé au travers du filet sinon en parlant de modification apporté sur l’être humain est-ce que tu va lire Irontown blues de John Varley ?

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          • C’est vraiment dommage de passer à côté de ces deux romans de Varley.
            « Gens de la Lune » et « Le système Valentine » se passent dans le même univers, certains personnages se croisent, mais les romans peuvent parfaitement se lire indépendamment. on ne met donc pas le doigt dans l’engrenage d’une multilogie pénible et interminable.

            Et puis surtout Varley est, je pense, un auteur que tu aimerais. Inventivité, sense of wonder, humour et en même temps profondeur. Et des personnages très forts.
            Ce sont vraiment deux superbes romans de SF et j’attends avec impatience « Iron Town Blues ».

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  2. Tu m’apprends la mort de Brian Aldiss, je n’avais vu passer l’info nulle part… Bon, ce n’est pas non plus un énorme choc, je savais qu’il était très âgé.
    J’ai lu « Helliconia », du moins le premier tome, et si j’ai été impressionné par le travail sur le world-building, je n’ai pas eu envie de poursuivre l’aventure. Je crois qu’il manque effectivement à ce livre des personnages marquants et attachants, d’ailleurs un an après ma lecture je serais bien en peine de me souvenir d’un seul d’entre eux…
    Du même auteur, j’ai préféré « Croisière sans escale » (que tu évoqueras sans aucun doute dans un futur article thématique sur les arches stellaires !) et détesté « Le monde vert ».

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    • Je pense que c’est en partie dû au fait que les personnages sont « jetables », et qu’on sait qu’on ne les retrouvera pas au tome suivant, qui se passe des siècles plus tard. De toute façon, dans ce livre, c’est la planète, ainsi que les espèces (humains et phagors) / civilisations qui sont les vrais personnages.

      Oui, je mentionnerai évidemment Croisière sans escale, entre autres. Concernant le Monde vert, si j’en connais l’histoire, je ne l’ai pas lu, mais c’est marrant de voir le nombre de personnes qui semblent effectivement l’avoir détesté.

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  3. Je suis généralement amateur de Hard SF mais La musique du sang m’a laissé coi.
    La trilogie d’Aldiss m’est vite tombée des mains.

    Merci de revenir sur ces œuvres « oubliées » c’est toujours un plaisir de te lire sur ces sujets (sur les autres aussi 😉 )

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  4. Même si « Dune » se centre autour d’Arrakis, il est beaucoup question des autres planètes, et je crois que dans certaines séries dérivées, on s’intéresse surtout au reste de l’univers, non ?

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    • Si on mentionne Dune (le cycle ou le roman, peu importe) dès qu’on parle de Planet Opera, c’est uniquement lié à Arrakis et à ses particularités climatiques, écologiques, culturelles et biologiques. Les autres mondes de cet univers ont certainement un intérêt dans l’intrigue, mais pas, à mon sens, dans le domaine du Planet Opera.

      PS : bon courage pour ta rentrée la semaine prochaine !

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  5. Je retiens et confirme mon envie de lire Semailles humaines, la Panthropie Ce recueil m’intéresse à la fois intellectuellement et ludiquement (JDR), je l’ai déjà vu passé sur le blog de censuré
    Merci pour ces retours.

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    • Euh… on ne parle pas de ce blog sur Le culte d’Apophis, merci. Je n’ai aucune envie de lui faire de la pub, vu qu’il s’est permis de mettre un lien vers une de mes critiques qui était à l’opposé de la sienne en disant « si vous voulez rigoler un bon coup… ». Moi, en tout cas, ça ne m’a pas fait rigoler, mais alors pas du tout. On peut ne pas être d’accord avec les critiques des autres, mais de là à se foutre d’eux, certainement pas.

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  6. Ah, au temps pour moi ! Je n’étais pas au courant de ce drama bloguesque. Effectivement, ce n’est pas une attitude acceptable. Tu me donnerai le nom de la chronique en privé, histoire de juger sur pièce ?

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  7. Ping : L’œil d’Apophis – Numéro 9 | Le culte d'Apophis

    • Helliconia est une lecture majeure, surtout si tu aimes les sagas qui suivent une civilisation sur des siècles et des siècles et montrent son évolution progressive (et parfois sa régression).

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  8. Ping : Isolation – Greg Egan | Le culte d'Apophis

  9. Ping : Les meurtres de Molly Southbourne – Tade Thompson | Le culte d'Apophis

  10. Ping : Guide de lecture SFFF – Découvrir le (ou progresser en) Planet Opera | Le culte d'Apophis

  11. Ping : The human – Neal Asher | Le culte d'Apophis

  12. Ping : Panthéon Apophien – épisode 5 | Le culte d'Apophis

  13. Bon sang mais c’est bien sûr !
    Voilà que mon franc tombe pour ‘La musique du sang’. Ta présentation de l’intrigue me rappelait bien quelque chose, mais quoi ? et surtout où ? et quand ?
    Mais là ça y est, une bulle de mémoire vieille de 35 ans est remontée des couches sédimentaires et, avec elle, plein de bonnes sensations.
    La nouvelle ‘Le chant des leucocytes’ faisait partie des textes sélectionnés pour ‘Univers 1985’.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Univers_(magazine)
    J’affectionnais beaucoup les ‘Univers’ et ce cru 1985, que je viens de reparcourir en diagonale, était particulièrement goûtu.
    Des textes forts: ‘Le chant …’, ‘L’élargissement du monde’, ‘Larmes d’étoiles’ et le génial ‘Géométrie narrative’.
    Au passage, la 4e de couv’ signale que ‘Le chant …’ avait raflé Hugo et Nebula. Nous sommes donc bien à bonne adresse.
    Reste à savoir si ‘La musique du sang’ est une simple dilatation de la nouvelle ou une forme de suite…
    Un conseil. Traquez les ‘Univers’ sur le marché de l’occasion. C’est du patrimoine.
    Bon, j’ai été un peu long mais c’est par amour, hein !
    Amitiés,

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    • La page wikipédia du roman parle à la fois de dilatation et de suite de la nouvelle. N’ayant lu que le roman, je me garderai bien de confirmer ou d’infirmer. Tu nous diras ça une fois que tu auras lu La musique du sang 😉

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      • Mission acceptée !
        Je suis donc occupé à lire ‘La musique du sang’. j’en suis à la moitié et nous avons notre réponse.
        La substance de la nouvelle ‘Le chant des Leucocytes’ correspond peu ou prou aux événements du roman entre les pages 75 et 145, sur un total de 345 (J’ai lu 2355).
        La nouvelle se termine en nous mettant face à l’inconnu, au bord d’un possible désastre. Le roman explore ensuite le monde en proie à ce grand bouleversement.
        Amusant: des portions du texte de la nouvelle semblent recopiées à l’identique dans le roman (à la traduction près: la nouvelle est traduite par Joëlle Wintrebert et le roman par Monique Lebailly).
        A bientôt !

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  14. Ping : Ammonite – Nicola Griffith | Le culte d'Apophis

  15. Ping : Panthéon Apophien – épisode 7 | Le culte d'Apophis

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