24 vues du Mont Fuji, par Hokusai – Roger Zelazny

Un voyage poético-onirique au pays du soleil levant, mêlant cyberpunk et un zeste de Lovecraft !

hokusai_zelazny24 vues du Mont Fuji, par Hokusai est une novella qui a été couronnée par le prix Hugo du meilleur roman court en 1986. Elle est signée Roger Zelazny, auteur malheureusement décédé en 1995 à l’âge de 58 ans à peine (je me rappelle encore le choc ressenti en apprenant ça dans les pages de Casus Belli…). Certains d’entre vous le connaîtront, au moins de nom, pour son double cycle des Princes d’Ambre, certains autres savent l’importance qu’a eu cet écrivain dans la SFFF, et les autres pourront trouver un peu plus d’infos à ce sujet dans cette critique.

L’Hokusai en question est un célèbre peintre et dessinateur japonais, très prolifique, né au XVIIIe et mort au XIXe siècle. Il a réalisé un recueil nommé (trompeusement) Trente-six vues du mont Fuji, qui contient en réalité quarante-six estampes. Vingt-quatre d’entre elles servent de fil rouge au voyage entrepris par la protagoniste du roman de Zelazny, et donnent également leurs titres à ses chapitres. Le roman nous parle du chemin, physique mais aussi spirituel (et presque psychanalytique), entrepris par Mari (c’est son prénom -elle est d’origine japonaise mais a vécu aux USA-) vers son époux.

Univers, intrigue, thèmes

L’intrigue se déroule au Japon (comme le montre clairement la belle couverture signée par Aurélien Police -who else ?-), dans le futur proche par rapport à la date d’écriture de la nouvelle. Mari est de retour dans son pays d’origine. Elle tente de se préparer psychologiquement comme elle le peut à une ultime confrontation avec son époux, Kit, en faisant une sorte de pèlerinage sur les lieux représentés dans un livre consacré à 24 estampes d’Hokusai, qu’elle aime beaucoup. Comme elle le dit elle-même (la narration est à la première personne), elle utilise ces dessins comme un test de Rorschach pour se découvrir, se psychanalyser elle -même.

Il est pratiquement impossible de résumer l’intrigue ou de parler de certaines thèmatiques sans spoiler, aussi vais-je rester très évasif. Je vous dirais juste que, fidèle à ceux récurrents dans l’oeuvre de Zelazny, cette novella aborde des thèmes comme l’immortalité, le surhomme, et bien entendu la mythologie et la religion, ici le Bouddhisme. Tout ceci mêlé à des éléments Cyberpunk et Transhumanistes, et même à un énorme clin d’œil à… Lovecraft ! Les marqueurs de ces thématiques sont partout présents : de nombreuses mentions de la « transcendance », plus des phrases ou des citations comme « car c’est un dieu que je dois vaincre » ou « le pont de Nietzsche, l’humanité, qui s’étend vers le surhomme… ».

Si le début peut paraître un peu cryptique, il ne faut cependant pas se décourager, car l’auteur vous donnera progressivement toutes les clefs pour décoder son histoire. La fin est assez prévisible, mais pas dépourvue d’impact, cependant. Je l’ai tout de même trouvée vaguement abrupte, mais sans rien de rédhibitoire.

Style, ambiance

Je le disais en introduction, mais un grand nombre de personnes ne connaît de Zelazny que la partie la plus « commerciale » de son oeuvre, à savoir les deux cycles des Princes d’Ambre. J’aime beaucoup cette double-saga (avec une nette préférence pour celle de Corwin), mais il faut bien être conscient qu’elle ne représente pas réellement le « vrai » Zelazny. Si vous lisez 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai, par contre, vous pourrez prendre toute la mesure du talent de l’auteur. Pour moi, Zelazny était un des plus grands conteurs et stylistes de la SFFF, et c’est pleinement visible ici. Par styliste, je ne veux pas dire qu’il emploie les tournures ampoulées ou le langage châtié que certains auteurs affectionnent, mais plutôt qu’il tisse, avec ses mots, un sortilège qui vous envoûtera, en toute simplicité. De plus, ce qui me frappe chez lui est le fait qu’il fasse preuve d’une admirable érudition (le texte est émaillé de citations diverses) mais qu’il ne sonne jamais pédant. Un tour de force.

Zelazny était un poète dans l’âme, et lorsque la matière qu’il utilise pour tisser son rêve est le Japon et les estampes d’Hokusai, le résultat ne peut être qu’enchanteur. Si son héroïne utilise les tableaux du maître pour sa propre psychanalyse, l’auteur, lui, utilise son livre pour décrire et analyser l’âme collective du Japon, l’esprit de cette civilisation. Le résultat est bluffant. L’atmosphère créée est à la fois contemplative et sereine, mais pas dépourvue de la méditation dans laquelle se plonge le Samouraï à l’aube d’une ultime bataille, d’un combat désespéré dont il sait qu’il ne reviendra pas, et que, pourtant, il va tout de même affronter, stoïque.

Vu tout ce qui précède, vous vous doutez qu’il ne s’agissait pas de se planter en matière de traduction. Laurent Queyssi livre, heureusement, une copie d’une très grande qualité.

Et pourtant…

Il s’agit donc d’un roman court d’une très grande qualité, une oeuvre d’un grand intérêt esthétique. Pourtant, je ne suis pas du tout certain qu’il soit à même de plaire à tout le monde. Les clefs sont données, certes, mais après un bon moment. L’aspect contemplatif, zen, parfois quasi-onirique, ne parlera peut-être pas à tout le monde. Et de plus, si les esthètes dans mon genre louent le style de Zelazny, je ne suis pas persuadé que tout le monde va y accrocher.

J’attire aussi l’attention de ceux qui n’ont lu que les Princes d’Ambre, et rien d’autre de l’auteur : ce texte est très différent de ces derniers, beaucoup plus… disons directs et « commerciaux ». Là, c’est au « vrai » Zelazny auquel vous aurez affaire : ne partez donc pas sur l’idée que vous allez retrouver le style de cette saga, ce ne sera pas vraiment le cas. Même si les thématiques de fond, elles, restent les mêmes : immortalité, mythologie, surhommes, opposition entre bien et mal ou de l’ordre contre le chaos.

En conclusion

Au travers du pèlerinage sur les traces d’Hokusai et de ses estampes d’une épouse qui se prépare à une ultime confrontation avec son mari, Zelazny psychanalyse à la fois son héroïne et l’âme Japonaise. Mêlant passé et un futur vaguement cyberpunk, ainsi que ses thèmes de prédilection (immortalité, mythologie, transhumanisme), l’auteur nous offre une oeuvre virtuose, très bien rendue par la traduction de Laurent Queyssi et l’illustration de couverture d’Aurélien Police. Toutefois, cette élégance stylistique, le temps que mettent les clefs à être données, ainsi que l’atmosphère sereine et contemplative, risquent de ne pas forcément plaire à certains néophytes, ceux qui n’ont jamais lu l’auteur ou n’en connaissent que le cycle d’Ambre. Et pourtant… ils feraient là l’impasse sur le splendide tableau d’un auteur peut-être pas au sommet de son art, mais presque, et sur un roman court très riche, mêlant Cyberpunk, transhumanisme, culture Japonaise et même un zeste de… Lovecraft !

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur cette novella, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Xapur, de l’ours inculte, de Yogo, de Lutin sur Albedo, de Célindanaé sur Au pays des Cave Trolls, de Blackwolf sur Blog-o-livre, de Vert sur Nevertwhere, de Dionysos sur le Bibliocosme, de C’est pour ma culture, de FeydRautha, de Fourbis et têtologie, de Lisibles songes, de À l’oreille de Pan, d’Ombre Bones,

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43 réflexions sur “24 vues du Mont Fuji, par Hokusai – Roger Zelazny

  1. Tu dévores la Collection à la vitesse de la lumière (jeu de mot pourri du samedi matin, je m’en excuse !)
    Ce sera mon premier Zelazny et je l’ai sur ma liseuse mais j’hésite à me lancer de suite. Peur d’être déçu après le superbe texte de Geoffrey Landis lu hier dans la même collection.
    Et ta phrase qui dit que certaine personne risque de ne pas accrocher, m’a fait peur. j’ai l’impression que tu me parlais. 😀
    A suivre…

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    • Je pense qu’un lecteur de ton envergure est tout à fait armé pour découvrir Zelazny via ce texte. Tu es habitué au haut du panier, il n’y a rien là-dedans qui devrait te heurter. En écrivant mon avertissement, je pensais plus aux néophytes ou ultra-occasionnels de la SF qui se sont pris de passion pour la collection « Une heure-lumière » (et on les comprend) mais qui, si j’en juge par les commentaires vus sur d’autres titres de la collection, ne sont pas, eux, toujours habitués à la profondeur thématique ou stylistique des auteurs du calibre de ceux présents dans la collection.

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  2. Ping : 24 vues du mont Fuji, par Hokusai, Tourisme paranoïaque - L'ours inculte

    • Merci ! Oui, Roger Zelazny était un auteur formidable, cela vaut vraiment le coup de le découvrir.

      Concernant la couverture, je pense que d’une part, les droits pour utiliser une estampe d’Hokusai peuvent être élevés, et que d’autre part, les couvertures de tous les autres livres de la collection étant signées par le même artiste, il y a des questions de cohérence dans le design, d’identité de la collection, derrière ce choix.

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    • Oui, Hokusai et ses estampes sont vraiment au cœur de ce roman court. Chaque chapitre reprend le nom de l’une d’elles, et voit l’héroïne comparer le paysage décrit avec celui qui existe à son époque.

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  3. Ping : 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai, de Roger Zelazny - Lorhkan et les mauvais genresLorhkan et les mauvais genres

  4. Ping : 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai – Roger Zelazny | Les Lectures de Xapur

  5. Belle chronique, tu arrives à bien retranscrire ce qui fait l’essence et l’intérêt de cette novella qui n’est pas facile à synthétiser. C’est surement dû à son aspect cryptique comme tu le soulignes si bien. Personnellement, j’ai galéré, peur de trop en dire ou pas assez. Et surtout de taper à côté.
    Beau boulot !

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    • Merci. C’est marrant, mais j’ai galéré aussi, et l’Ours inculte également. Le sentiment général semble être celui d’un texte brillant mais dont les particularités sont difficiles à décrire (en lui rendant justice), et pour lequel, effectivement, il est compliqué de trouver le bon dosage entre en dire trop ou pas assez.

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  6. Ping : Les 24 vues du Mont Fuji par Hokusai – Roger Zelazny – Albédo

  7. Je suis assez étonnée. Je n’avais lu aucune critique pour ne pas être influencée ni dans ma chronique ni dans mes attentes. Je dois dire que je reste assez surprise de l’impression quasiment identique que nous avons eu après la lecture. Je ne pense pas que cette novella sera pour tout les goûts, qui explique sa publication VF tardive.
    Le style je ne l’ai pas trouvé particulièrement poétique en soi, en revanche, le rendu est précis, et donne cette ambiance japonisante (un peu épurée). Je n’ai pas trop su le décrire dans ma critique… Bref, j’ai trouvé Zelazny du Dilvish.
    Très belle chronique où l’on retrouve parfaitement les éléments du livre.

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  8. Ping : 24 vues du mont Fuji, par Hokusai – Au pays des Cave Trolls

  9. Ping : Hors-série 2018 – Une heure-lumière | Le culte d'Apophis

  10. Ping : « 24 vues du Mont Fuji, par Hokusai » : À communiquer d’urgence à Zarbut – C'est pour ma culture

  11. Bonjour,

    Je suis plus Fantasy que SF habituellement mais j’ai décidé de me faire tout la collection UHL en grande partie à cause de tes critiques. Je viens de finir celui-ci et j’avoue qu’il m’a laissé complètement froid. Je ne pense pas que ce soit dû à l’écriture poétique qui ne m’a pas dérangée (même si je suis assez hermétique à l’esthétique/culture japonaise) mais plutôt à l’aspect science-fictionnel beaucoup trop léger à mon goût.

    Je connais assez mal l’histoire de la SF et ma question est donc : la thématique présentée dans le texte (téléchargement de l »‘âme » d’un humain dans un circuit) était-elle révolutionnaire pour l’époque ? Car j’ai l’impression que, en 2019, ça n’a rien de très original et c’est abordé de manière beaucoup trop superficielle pour m’intéresser.

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    • Bonjour,

      non, ça n’avait rien de nouveau au moment de la publication en VO de ce roman court, en 1986, vu que le thème était apparu dans les années 40 et avait été exploré par pas mal d’auteurs / œuvres majeures dans les années 60-70. Même s’il est vrai que dans les années 80/90, ce thème était encore pas mal utilisé, même si en voie rapide de devenir un cliché ou disons de façon plus nuancée un élément de construction incontournable de l’univers dans certains sous-genres de la SF.

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