The A(pophis)-Files – épisode 1 : Plus rapide que la lumière (ou pas)

afiles_3Avec ce premier épisode, nous inaugurons la série des A-Files, des articles de fond consacrés aux grandes thématiques et aux objets ou créatures emblématiques de la Fantasy et de la Science-Fiction. Et quoi de plus représentatif de cette dernière (à l’exception de certains de ses sous-genres ou courants, mais nous y reviendrons) que le voyage dans l’espace ? Il était donc logique que ce thème fasse l’objet du premier article. Sauf que… il y a tellement de choses à dire que j’ai décidé de scinder cette thématique en plusieurs épisodes : celui d’aujourd’hui sera consacré au déplacement spatial (à la base supraluminique, avec un mot sur l’infraluminique), et un prochain article (pas forcément le suivant, histoire d’alterner un peu avec autre chose) sera consacré aux vaisseaux eux-mêmes (sans compter un article spécial sur les « arches » stellaires).

La thématique de l’exploration spatiale est très profondément ancrée dans la science-fiction, surtout celle des origines. Elle est indissociable du Space Opera de l’âge d’or, et n’entame un recul (net mais temporaire) qu’avec l’arrivée de la Nouvelle Vague de la SF dans les années 60. Pourtant, dès les années 80, les contextes multi-planétaires redeviennent habituels, avec l’émergence du Nouveau Space Opera.

Aujourd’hui, si les modes de déplacement supraluminiques (plus rapides que la lumière) sont la norme en SF, il reste quelques irréductibles, en Hard-SF ou en SF d’Anticipation, qui tentent de décrire des astronefs respectant les limitations édictées par Einstein et les lois physiques telles qu’elles sont actuellement comprises. Ce sont ces différents modes que nous allons aujourd’hui décrire, sans nous attacher aux vaisseaux eux-mêmes (ce qui sera fait ultérieurement). 

Le déplacement infraluminique fait de la résistance

S’il est compréhensible que, par exemple, une SF d’anticipation (donc : pas une uchronie) écrite en 2017 et censée se dérouler en 2022 ne comprenne pas d’hyperpropulseur (ce ne serait tout simplement pas réaliste), il peut exister d’autres contextes dans lesquels on ne se déplace pas plus vite que la lumière, et ce pour différentes raisons :

– L’auteur peut décider d’écrire quelque chose qui obéit le plus strictement possible aux codes de la Hard-SF, et donc s’en tenir aux lois physiques telles qu’elles sont actuellement connues ou comprises : le déplacement supraluminique d’un objet matériel dans l’espace est impossible (en revanche, la théorie de l’Inflation cosmique nous apprend que le déplacement supraluminique de l’espace est tout à fait possible -c’est aussi la base de la métrique d’Alcubierre-). Un des univers les plus fascinants de la SF récente, celui du cycle des Inhibiteurs d’Alastair Reynolds, obéit à ce postulat.

– Outre respecter les règles relatives à un sous-genre donné, un écrivain peut aussi se servir d’une propulsion infraluminique comme d’un outil, permettant de respecter une certaine temporalité : par exemple, dans Children of time d’Adrian Tchaikovsky (dont les droits cinématographiques viennent d’être acquis par Lionsgate et Summit, et qui débarquera prochainement en VF), les araignées intelligentes issues d’une expérience nanotechnologique humaine sur une autre planète ont besoin de plusieurs millénaires avant de développer leur propre civilisation spatiale. Si les terriens disposaient d’une propulsion plus-rapide-que-la-lumière (PRL), ils pourraient mettre fin à l’accident technologique que constitue cette élévation (au sens donné à ce mot par David Brin) alors que les Arachnides sont encore des primitifs. Mais en introduisant une limitation à une vitesse (largement) inférieure à celle de la lumière, ainsi que d’autres facteurs, l’auteur donne le temps à ses créatures d’égaler leurs (involontaires) géniteurs.

– L’écrivain concerné peut aussi utiliser cette limitation technologique comme un élément d’intrigue. Celle-ci peut, par exemple, tourner autour d’une civilisation humaine incapable de se déplacer plus vite que la lumière qui soit trouve une épave de vaisseau extraterrestre / une porte spatiale qui lui permet d’aller là où elle n’est jamais allée auparavant (Stargate, qui revient d’ailleurs prochainement sous forme de mini-série prologue en dix épisodes), soit est menacée par une catastrophe (effondrement écologique, astéroïde tueur, etc) et n’a nulle part où fuir… dans l’espace. Dans la série Terra Nova, par exemple, la Terre est étouffée par la pollution, mais on ne peut pas coloniser d’autres planètes. Lorsqu’une faille spatio-temporelle donnant accès à une version parallèle de la Terre de l’époque des dinosaures est découverte, on préfère coloniser cette réalité alternative plutôt que l’espace. Enfin, si l’auteur veut vous parler de vaisseaux à générations ou à congélation, il est assez peu logique que le déplacement supraluminique existe, sauf exception : distances intergalactiques plutôt qu’interstellaires à parcourir, déplacement PRL, certes, mais lent (quelques multiples de la vitesse de la lumière, pas plus), danger, folie ou inconfort associés au fait d’être éveillé pendant un déplacement supraluminique, etc.

– Enfin, l’auteur peut décider d’établir une certaine ambiance, celle d’une conquête spatiale laborieuse, dangereuse, âpre, difficile, bref totalement à l’opposé de la mauvaise SF, où on parcourt toute la galaxie en trois jours comme un parisien traverse la ville en métro ou RER, sans sens de l’émerveillement ou du caractère extraordinaire de la chose. Notez que certains écrivains emploient tout de même une propulsion PRL, mais en lui donnant des limitations quelconques (primitive, dangereusement peu fiable, avec effets secondaires désagréables, voire potentiellement mortels, nécessitant des calculs prodigieusement compliqués, etc) qui font qu’on ne se balade pas dans l’espace facilement, rapidement ou loin. Les films de la saga Alien sont un bon exemple de ce type de contexte : le déplacement supraluminique existe, certes, mais il est visiblement lent et on voyage en « hypersommeil ».

Le roman House of suns d’Alastair Reynolds prouve que déplacement infraluminique n’équivaut pas forcément à une étendue spatiale limitée de la colonisation humaine (ou autre) : il nous montre une Voie Lactée, 6 millions d’années dans le futur, entièrement colonisée par l’homme, et ce sans qu’on puisse dépasser la vitesse de la lumière, malgré l’existence d’autres technologies avancées (champs de force, antigravité, etc).

Supraluminique… oui, mais comment ? 

Pour moi, l’explication de la façon dont on peut se déplacer plus vite que la lumière est un élément aussi fondamental, dans un univers de SF, que le magicbuilding dans un contexte de Fantasy. Et de la même façon, je suis toujours sidéré de voir que certains auteurs se dispensent de toute explication (même basique et succincte), nous balançant alors une variante du désormais célèbre « ta gueule, c’est magique ! » sous la forme (en général) d’un « ta gueule, c’est quantique ! ». Même s’il faut nuancer par le fait que l’Hyperespace, par exemple, est tellement ancré dans les codes de la SF moderne qu’il se passe pratiquement de toute explication.

Notez que quand explications il y a, elles peuvent aller du basique (Dan Simmons) à l’assez développé (Iain Banks, Robert Heinlein dans Starman Jones), voire au très travaillé (David Weber, David Brin, David Zindell dans Inexistence).

Grossièrement, à part, donc, l’absence de tout « FTL-building » des je-m’en-foutistes, on peut distinguer quatre types de « systèmes » permettant de se déplacer plus vite que la lumière. Certains univers n’admettent qu’un seul type de déplacement PRL, tandis que d’autres en autorisent deux ou plus. Parfois, dans ceux où existent plusieurs races ou différentes civilisations interstellaires humaines, un de ces systèmes peut être caractéristique d’une faction donnée, voire lui être exclusif. Parfois aussi, tous les modes sont potentiellement disponibles, mais à des degrés de développement technologiques différents. De même, certains modes peuvent être jugés dangereux ou improductifs et être abandonnés ou jamais développés (c’est le cas dans la trilogie de Pandore de Peter Hamilton : on ne s’est jamais fatigué à développer des hyperpropulseurs pour vaisseaux car on dispose de portails au sol permettant de franchir instantanément des distances interstellaires, en train, en voiture ou à pieds !).

La dimension alternative (l' »Hyperespace »)

Dans la majorité des univers de SF, quel que soit le support (livres, TV, cinéma, jeux vidéo, BD / comics, etc), il existe une « dimension » alternative dans laquelle on peut entrer et qui permet le déplacement à des « vitesses » (voir plus loin) plus rapides que celle de la lumière. Le nom de cette dimension est en général Hyperespace (terme inventé par John Campbell en 1947) ou Subespace (parfois les deux dimensions existent et il est possible de passer de l’une à l’autre), bien que certains auteurs se piquent de trouver leur propre nom original (ultraespace, etc). Dans la plupart des cas, elle permet le déplacement PRL du fait que la vitesse qu’on peut y atteindre est très supérieure à celle de la lumière dans l’espace normal ; dans certains autres cas, cependant (dans Babylon 5, par exemple), on se sert dans l’Hyperespace de ses propulseurs normaux, et la vitesse est toujours limitée à celle de la lumière : la différence est que l’Hyperespace est supposé être une sorte de reflet « condensé » de notre univers (on parle d’univers « de poche »), et qu’y parcourir une petite distance (à l’échelle astronomique) signifie en réalité franchir d’énormes distances dans l’univers « réel » en très peu de temps, ce qui, au final, équivaut à un déplacement supraluminique.

Notez que certains termes sont trompeurs : Asimov emploie le terme « Hyperespace » dans le cycle de Fondation, sans que son FTL-building ne corresponde à ce que je viens d’expliquer, mais plutôt au repliement de l’espace dont nous parlerons un peu plus loin.

Notez aussi qu’il y a toujours des limitations associées à ce mode de déplacement : conditions d’entrée ou de sortie de l’Hyperespace (dans beaucoup d’univers, les masses importantes -planètes, étoiles- ne permettent pas d’entrer ou de sortir de cette dimension -ou au minimum c’est très dangereux-, et les atmosphères peuvent également poser problème. Notez que dans d’autres livres, comme ceux de Joe Haldeman, les concentrations de masse -comme les trous noirs- sont au contraire nécessaires au déplacement spatial), pseudo-vitesse limitée, « onde de choc » qui fait que votre vaisseau est repérable de loin, calculs épouvantablement complexes de navigation, etc. Ces limitations peuvent avoir une forte influence sur l’intrigue, notamment dans le domaine militaire : imaginez par exemple que vos réacteurs FTL aient besoin d’un certain temps pour se recharger après une transition hyperespace / espace-normal, et que vous tombiez dans une embuscade… Dès lors, il vous est impossible de fuir et vous êtes obligé de combattre.

Les difficultés de navigation hyperspatiale sont un problème récurrent en SF, et expliquent que les longs voyages se fassent moins vite que théoriquement possible : au lieu de faire un seul « saut » dans l’hyperespace au point de départ et de rester dans cette dimension alternative jusqu’à celui de destination, on émerge en général à intervalles réguliers, retournant dans l’espace normal pour faire le point sur sa position et sa trajectoire. Dans un très grand nombre de cas (mais pas tous), l’Hyperespace est décrit soit comme un endroit dangereux (ondes gravitationnelles, etc), soit comme un endroit où il n’existe pas de points de repère, soit les deux. Dans Babylon 5, par exemple, en plus de servir de points d’entrée aux astronefs ne possédant pas leur propre hyperpropulseur, les « portes » servent aussi et peut-être surtout de balise, de phare dont il ne faut pas trop s’éloigner faute d’être perdu à jamais dans un royaume de pure énergie. Au passage, je fais une petite digression par rapport au sujet de l’article (je suis le taulier, j’ai le droit !), mais les pilotes ou navigateurs devant être spécialement adaptés (cybernétiquement, génétiquement, via des drogues -les Navigateurs de Dune-, la chirurgie, etc) pour remplir leur fonction sont loin d’être rares en SF (il n’est d’ailleurs pas impossible que l’on reparle de ce sujet dans un futur épisode des A-Files).

Notez enfin que personne n’a jamais posé comme règle qu’il ne devait y avoir qu’un hyperespace (même si c’est l’approche adoptée par l’écrasante majorité des auteurs) : pour diverses raisons, il peut y en avoir plusieurs, portant soit des noms différents, soit des qualificatifs tels que « + ou – » ou « supérieur et inférieur » pour les différencier. Cela peut par exemple répondre à des limitations techniques : chez Banks, l’accumulation d’énergie provoquée dans un des Hyperespaces par le déplacement supraluminique à très grande vitesse d’un vaisseau peut se répandre dans l’espace normal, avec des conséquences apocalyptiques ; pour éviter cela, l’astronef joue à l’onde sinusoïdale entre hyperespace inférieur, espace normal et hyperespace supérieur, ne restant pas dans les dimensions alternatives assez longtemps pour les « surcharger » ; chez Brin, il y a différentes « strates » d’Hyperespace, chacune accessible à un niveau technologique donné et permettant une vitesse supraluminique de plus en plus grande ; chez David Weber, il y a un concept similaire, et selon la qualité du moteur dont il est équipé, un vaisseau peut rester dans une zone ou une autre, allant là aussi plus ou moins vite.

L’Hyperespace n’est pas qu’un moyen de permettre ou d’expliquer le déplacement supraluminique : il peut aussi servir à bâtir une intrigue. Là encore, référez-vous à l’incontournable Babylon 5 : on y découvre des caches d’armes Vorlon, une porte vers un troisième espace à la dérive loin des balises, etc. De même, il peut y avoir des formes de vie dont cet environnement est le milieu naturel. Enfin, l’Hyperespace peut avoir des propriétés intéressantes et différentes du simple fait de permettre le déplacement PRL : dans l’univers du cycle Lazare en guerre de Jamie Sawyer, la propulsion quantique (^^) crée une dilatation temporelle, ce qui fait qu’un voyage de six mois (temps du vaisseau) représente trois ans pour le monde extérieur.

hyperspace

Le vaisseau est là, et pouf !, il est ailleurs (Points de saut, repliement de l’espace, Portes)

Ce type de FTL-building suppose en général l’existence de points précis de l’espace-temps où la trame de la réalité est « plus fragile », permettant à un vaisseau équipé de la technologie adaptée de les utiliser pour passer (en général instantanément) d’une zone de l’espace à une autre, sans traverser la distance qui les sépare (et donc, en se déplaçant plus vite que la lumière). Ces points, souvent appelés « de saut », peuvent être des constructions imaginaires de la part de l’auteur, des objets bien réels ou du moins possibles dans le cadre des théories actuelles (trous noirs, trous de ver), ou quelque chose qui se trouve un peu entre les deux (certains -dont Stephen Baxter- imaginent notamment que les changements de phase de l’espace-temps lors de la phase cosmologique inflationnaire aient pu produire des « craquelures », comme celles qu’on trouve dans un cristal de glace en train de fondre).

Dans certains autres cas, le vaisseau n’a pas besoin de se trouver à un endroit précis, un point aux propriétés exotiques, pour aller du point A au B : en gros, il peut se rendre de n’importe quel point de l’univers en n’importe quel autre selon son bon vouloir (à ceci près qu’il existe souvent des limitations technologiques du genre portée maximale, temps de rechargement des réacteurs, accumulation de particules exotiques dangereuses dans la coque, calculs longs et difficiles préalables, etc). Par exemple, malgré le terme trompeur « d’Hyperespace », c’est comme cela que fonctionne le déplacement PRL dans Fondation. Notez aussi que ce fonctionnement cadre avec la Théorie de la gravitation quantique à boucles, qui explique qu’à l’origine, chaque point de l’espace-temps était accessible / lié aux autres, et que l’évolution cosmologique les a « séparés ». Carlo Rovelli explique ce changement d’état par l’analogie suivante : dans l’univers des origines, si vous vouliez communiquer avec un correspondant en Australie, il vous suffisait de l’appeler au téléphone et vous lui parliez instantanément ; dans l’univers actuel, il vous faudrait vous rendre physiquement sur ce continent, après un long voyage, pour échanger avec lui. Imaginez, maintenant, qu’avec une technologie adaptée, vous puissiez rétablir, même pour quelques instants, une communication / liaison entre n’importe quels points de l’univers : vous pourriez alors vous rendre de l’un à l’autre instantanément, sans traverser l’espace qui les sépare.

Le repliement de l’espace fonctionne encore d’une autre façon : grâce à votre technologie, vous « repliez » l’espace-temps réel pour que deux points, celui où vous vous trouvez et celui où vous voulez aller, se trouvent en fait extrêmement proches, quasiment côte à côte. C’est un peu comme se trouver sur le seuil d’une porte : à cet endroit, vous êtes à la fois dans une pièce et dans l’autre. Une fois le seuil franchi, il vous suffit de relâcher votre champ d’énergie, et boum, vous êtes à destination instantanément. Une analogie facile à comprendre est la suivante : imaginez une énorme feuille de papier, de la taille d’une piscine olympique. Imaginez qu’une fourmi veuille la traverser d’un bout à l’autre dans le sens de la longueur : elle va forcément mettre beaucoup de temps à le faire. Imaginez maintenant qu’un géant prenne cette feuille et la replie en joignant ses deux bouts opposés dans le sens de la longueur : notre amie la fourmi n’aura alors qu’une distance ridicule à franchir pour parvenir au même résultat.

Notez que le terme de « Point de saut » peut là aussi être trompeur : Babylon 5 l’emploie, mais il n’y a pas la même signification que son équivalent (trou de ver) chez David Weber par exemple. Dans B5, un Point de saut est une station spatiale qui sert de porte d’accès permanente à un Hyperespace (variante : miroir en taille réduite de notre univers) classique : il ne permet pas le transfert instantané d’un lieu à l’autre, juste celui de l’espace normal vers l’Hyperespace de vaisseaux trop petits pour créer eux-mêmes une « fenêtre » (selon le terme consacré) vers l’Hyperspace depuis n’importe quel point de l’espace-temps classique. Même le simple mot « saut » est trompeur : vous lirez souvent, en SF, la phrase « saut dans l’Hyperespace », qui ne se rapporte pas au déplacement instantané du point A au point B mais à la transition de l’espace-temps normal vers l’Hyperespace.

En tout cas, ce type de transfert instantané, surtout celui par Points de saut bien précis (type trous de ver), offre de grandes opportunités à un auteur : il permet de contourner les limitations de l’hyperespace en terme de portée ou de vitesse, et d’expédier ses personnages dans d’autres galaxies (ou des zones éloignées de la leur) qu’ils n’auraient jamais pu atteindre autrement (ce qui n’est d’ailleurs pas toujours un bien : cf toute l’intrigue principale de Star Trek Voyager, par exemple). L’existence de ce réseau de transit révolutionne le commerce, mais aussi la guerre : si votre ennemi contrôle une entrée de trou de ver dont la sortie mène au cœur même de votre espace, vous avez intérêt à la défendre lourdement, faute de quoi il va lancer une attaque de type Pearl Harbor qui va finir le conflit avant même qu’il ne commence. Ce genre de point (naturel ou artificiel, comme les relais de Mass Effect) est donc un formidable générateur d’idées, que ce soit en terme d’intrigue ou de worldbuilding, à la fois par les possibilités qu’il ouvre mais aussi les limitations qu’il structure (notamment dans le déplacement, qui s’apparente plus à celui d’un train que d’un navire sur vaste océan).

Il existe enfin une autre variation intéressante : vous n’avez pas besoin de points précis et « exotiques » ou bien vous pouvez vous les créer vous même… mais vous ne pouvez pas faire ça à partir d’un simple vaisseau (ou du moins, pas un petit : seuls les plus énormes en sont éventuellement capables). Vous avez besoin d’une « porte » artificielle, une machinerie plus ou moins grande (de la taille de celle de Stargate à une énorme station spatiale) vous permettant soit d’y entrer et d’émerger n’importe où (ce qui est rare dans la SF), soit d’y entrer et d’émerger via n’importe quelle porte similaire appartenant au même réseau (Dan Simmons). La Porte peut être fixe ou mobile (montée sur un « vaisseau-Portier »). Si, la plupart du temps, elle est réutilisable à l’infini, dans certains livres elle est à usage unique (Dragon Déchu, de Peter Hamilton) et devient inutile, voire dangereuse (radioactive) une fois utilisée. Notez que parfois (notamment chez David Weber), elle ne peut accepter qu’un certain tonnage de vaisseaux dans un délai donné, après quoi tout passage est impossible pendant un certain temps (en raison de perturbations spatiales, etc). Sachez aussi que dans certains contextes, elle ne peut pas être placée n’importe où : dans Eve Online, on ne peut la construire que dans un système comptant au moins deux étoiles.

Parfois on ne peut pas passer directement de n’importe quelle porte à n’importe quelle autre : on doit alors suivre un chemin séquentiel s’apparentant plus à une voie ferrée qu’à une téléportation interstellaire. C’est notamment le cas si chaque porte d’entrée doit être reliée d’une façon spéciale à la porte de sortie, par exemple par intrication quantique. Dans ce cas, la seconde porte peut nécessiter un transport infraluminique vers l’endroit où elle sera installée (pour ne pas couper les liaisons causales), et ce même si un autre mode de déplacement supraluminique existe ! De même, dans ce cas on ne peut passer que d’une porte intriquée à une autre, et si on veut relier un système donné à plusieurs autres, il faut autant de portes que de liaisons. On voit donc que dans ce type de contexte, il peut exister un temps de transit à propulsion conventionnelle infraluminique important entre deux portes au sein d’un même système, même si le transfert d’un système à l’autre est ensuite instantané.

NSO

Plus vite que la lumière… dans l’espace normal ! (propulsion par Distorsion)

Pourquoi aller dans une dimension alternative lorsque vous pouvez en fait vous balader dans l’espace normal à vitesse supraluminique ? L’explication du phénomène est multiple, du « la physique est en fait incomprise et plus subtile que cela » (rare) à la métrique d’Alcubierre ou à la technique du poisson volant (= vous ne faites en réalité que des micro-sauts ou des micro-séjours dans l’Hyperespace -en général pour des raisons liées à des limitations techniques ou des propriétés du milieu-, mais comme vous les faites trop vite pour l’œil humain, celui-ci a l’impression que vous vous déplacez dans l’espace-temps réel à vitesse supraluminique). Notez que la distorsion (le « warp ») peut très bien impliquer des dimensions alternatives type subespace / hyperespace, mais vu que le vaisseau se contente de s’y ancrer / d’y puiser de l’énergie / d’en copier les propriétés en s’entourant d’une bulle de champ exotique mais en restant dans l’espace normal, ça ne relève pas à proprement parler de ce dont je parlais plus haut. Une dernière variante est, comme chez Banks, un vaisseau qui se déplace dans une autre dimension mais qui garde une « quille sensorielle » dans l’espace réel, lui permettant de voir ce qui s’y passe et d’y émerger rapidement.

Ce mode de déplacement supraluminique offre à la fois des opportunités (par exemple de se battre, ce qui, dans l’hyperespace, n’est pas toujours possible dans tous les univers de fiction, ou de repérer des systèmes stellaires inconnus ou autres anomalies intéressantes -cf Star Trek-), mais il crée aussi des complications, comme l’obligation de vous protéger des micro-météorites ou le fait qu’un ennemi puisse vous voir venir très facilement. La différence la plus évidente avec les Points de saut ou les Portes (ou l’Hyperespace à la Asimov) est que cette fois, le déplacement n’est pas instantané : il est certes (beaucoup) plus rapide que la lumière, mais est graduel, prend du temps.

Modes de déplacement supraluminique exotiques

Certains auteurs ont imaginé d’autres façons de se déplacer soit instantanément, soit plus vite que la lumière, qui soit co-existent avec au moins une des trois précédentes, soit les remplacent (cas très rare). David Brin est probablement le champion toutes catégories de l’exercice, dans son cycle Élévation, avec notamment un très dangereux propulseur à Improbabilité basé sur le Principe d’incertitude d’Heisenberg et pouvant rebattre les cartes de la position actuelle du vaisseau pour le faire réapparaître potentiellement en n’importe quel point de l’univers, de préférence celui qu’on a choisi comme destination et si possible avec ses atomes dans le bon arrangement, ce serait sympa, merci. Lorsqu’il marche, ce propulseur donne à ses utilisateurs un énorme avantage sur les autres races, mais le souci est que les accidents sont loin d’être rares et qu’ils sont souvent mortels (ou vous déposent à des décennies de voyage par une propulsion plus conventionnelle de votre point d’arrivée théorique !).

David Zindell a aussi imaginé un mode de propulsion hautement… explosif, consistant à carrément faire sauter intentionnellement des étoiles et à se servir des perturbations de l’espace engendrées pour faire un saut massif ailleurs.

Vernor Vinge, lui, a créé quelque chose d’extrêmement original : dans Un feu sur l’abîme, il imagine que vous ne pouvez pas entrer en vitesse supraluminique où vous voulez (comme dans le cas de la distorsion ou de l’hyperespace) mais que vous n’avez pas pour autant besoin de vous trouver en un point précis pour y arriver. Il postule en fait que le degré de vitesse qu’on puisse atteindre (ainsi que d’autres facteurs, comme l’intelligence des êtres organiques ou celle des IA, la possibilité de recourir à des techniques exotiques comme l’antigravité, etc) dépend de la zone de l’espace dans laquelle vous vous trouvez : en gros, plus vous êtes près du centre de votre galaxie, et plus vous êtes limité, tandis que sur ses bras et bords extérieurs, le déplacement supraluminique et l’hyperintelligence sont possibles, et de plus en plus puissants au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre.

Au passage, tordons le cou à une idée fausse : dans Dune, le repliement de l’espace n’est pas dû à de quelconques pouvoirs psychiques possédés par les Navigateurs, mais à une banale machine. En revanche, pour qu’il puisse avoir lieu correctement, et en l’absence d’IA dans cet univers, la prescience des mutants de la Guilde Spatiale est indispensable. Remarquez d’ailleurs que David Zindell a aussi fait, dans un genre très différent (Hard- et pas Soft-SF) de la navigation une clef de voûte de la construction de son univers et de son intrigue dans Inexistence.

Dans le cycle des villes nomades, de James Blish, le moteur Gyrovortex crée autour du vaisseau (qui se trouve être une ville, voire une planète, dans ces œuvres) un champ d’énergie qui permet un déplacement supraluminique (et très rapide, qui plus est) sans pour autant que l’astronef pénètre effectivement dans une dimension alternative pérenne et pré-existante. La particularité de ce mode de propulsion est que plus le « vaisseau » est gros, plus il va vite.

Dans certains contextes (citons l’univers DC, la série de BD Mikros ou l’Underspace de Star Trek), l’espace (normal, sub- ou hyper-) comprend des « tunnels » qui permettent de se déplacer bien plus vite qu’en temps normal, et qui sont différents des trous de ver standards, soit parce qu’ils relèvent d’un phénomène différent, soit parce qu’ils sont artificiels, ayant été « creusés » par une ou plusieurs races extraterrestres. Pensez à des autoroutes, si vous voulez, ou à un moyen d’augmenter le champ d’action des personnages sans pour autant recourir à un déplacement instantané par Points de saut. Dans l’univers de Yoko Tsuno, les Vinéens, des extraterrestres originaires de la galaxie M33 mais installés sur Terre suite à un cataclysme, ont patiemment créé un « tunnel » entre leur planète d’origine, Vinéa, et une station en orbite de Saturne, permettant de relier les deux systèmes solaires (pourtant séparés par 2.5 millions d’années-lumière) en deux mois et demi. Pas instantané, donc, mais extrêmement rapide !

Citons, enfin, pour l’anecdote, les mécanismes de propulsion PRL absurdes de la SF humoristique et / ou de la Nouvelle Vague, comme ceux de Norman Spinrad, de Harry Harrison ou de Douglas Adams.

35 réflexions sur “The A(pophis)-Files – épisode 1 : Plus rapide que la lumière (ou pas)

  1. Un article bien fat comme on aime 😀 Merci Apophis

    J’aime pas beaucoup avoir 30 pages d’explications dans les romans en général, mais j’avais trouvé que David Weber faisait ça de manière très digeste, ça passe très bien dans le premier Honor Harrington.

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    • Merci 🙂

      J’ai toujours trouvé que la construction du monde créé par David Weber, et particulièrement de la partie déplacement supraluminique, était très bonne. C’est assez « réaliste » pour qu’on arrive à y croire, mais en même temps ça n’a pas la lourdeur de la Hard-SF (pour ceux qui n’aiment pas). C’est assez détaillé pour contenter l’amateur de détails, mais en même temps, comme tu le soulignes, on ne sature pas, c’est fait intelligemment.

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  2. Je sens que je vais adorer les A-Files! Bravo pour ce superbe article.
    Et je confirme que j’aime également beaucoup la façon de faire de David Weber avec son système de propulsion. Il n’est pas le seul, mais comme il est cité… Merci dans tous les cas.

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  3. Très intéressant, même si je crois que je me suis perdue en route (dans le domaine j’avoue que « Ta gueule c’est magique » ça me convient parfaitement). Je vais le faire suivre à M. Vert par contre, ça devrait l’intéresser (et lui donner des idées de lecture ^^).

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  4. Très chouette article. Il faut bien le dire, l’espace, c’est ce qui fait la grandeur de la SF. Du coup, je débranche volontiers mon esprit critique de SF-Hardeur pour profiter de la « magie » de la chose. Parce que l’espace, c’est grand, vide et froid, et si on veut être réaliste, le voyage spatial pose des problèmes qui sont au-delà de la simple réponse technologique aussi avancée soit elle. (Quelle que soit la technologie envisagée, le simple fait de prendre un virage dans l’espace est problématique). Si j’applaudis les efforts de quelques auteurs souvent estampillés hard-SF pour adresser ces problèmes, j’accepte aussi bien volontiers de ne pas laisser les lois de la physique me priver du spectacle incroyable de vaisseaux d’attaques en feu sur l’épaule d’Orion, ou de rayons fabuleux dans l’ombre des portes de Tannhäuser. Longue vie aux hyperpropulseurs !

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  5. J’avoue qu’après lecture de ce très copieux article (auquel je n’ai pas tout compris, mais pour le coup c’est la faute de mes limites scientifiques et non d’un manque de clarté de ta part) je rejoins le clan de ceux qui sur le sujet se satisfont tout à fait d’un bon vieux « ta gueule c’est magique »…
    Et ça n’a rien à voir, mais comme je lis aussi les commentaires, je me suis rendu compte que je n’avais encore jamais vu « Blade Runner »… impardonnable oubli que je me suis empressé de réparer dans la foulée. Au final, si on ne peut pas dire que j’ai adoré ce film (policier + cyberpunk, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé), je suis content d’avoir comblé un manque dans ma culture SF… et dans ma culture tout court !

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      • Non, pas de question particulière, je pense que tout est déjà dans l’article… Il faudrait juste que je le relise à tête reposée pour espérer en saisir l’essentiel. Il faut savoir qu’en sciences je pars d’assez loin (voire de très loin) et je suis déjà content quand j’arrive à comprendre un ou deux concepts un peu complexes !

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      • Justement, si c’est pas trop pénible à expliquer, je me disais que j’aurais bien aimé quelques éclaircissements sur ça : « C’est notamment le cas si chaque porte d’entrée doit être reliée d’une façon spéciale à la porte de sortie, par exemple par intrication quantique. Dans ce cas, la seconde porte peut nécessiter un transport infraluminique vers l’endroit où elle sera installée (pour ne pas couper les liaisons causales), ».
        Et sinon concernant plus globalement l’article, eh bien il s’agit une fois encore d’un tour d’horizon inestimable, bravo et merci ! 🙂

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        • Il y a des univers de SF où les Portes ne fonctionnent que deux par deux, disons la A et la B. Tu ne peux pas espérer entrer dans la C et sortir par la A ou la B, ou entrer dans la B et sortir par la C. La plupart du temps, on explique ça par un mécanisme (tout à fait réel) d’intrication quantique : tu peux réaliser des expériences où ce que l’on appelle des paires de particules corrélées (des photons, des électrons, des ions, etc) sont créées. A partir de là, tu peux séparer les particules P1 et P2 par n’importe quelle distance, tout changement que tu effectueras sur l’une (charge électrique, spin, etc) sera instantanément répercuté sur l’autre, et ce quelle que soit la distance les séparant. En gros, les deux particules séparées se comportent comme une seule.

          Les auteurs de SF ont extrapolé à partir de ce phénomène pour créer soit des communicateurs interstellaires, soit des portes servant à la téléportation quantique. Le truc, c’est que dans les univers où un autre mode de déplacement supraluminique existe (l’hyperespace, par exemple), tu ne peux pas faire voyager la porte B vers son système solaire de destination plus vite que la lumière, sinon les auteurs de SF en question ont postulé que cela couperait l’intrication avec les particules de la porte A, et donc enlèverait toute utilité au système. Dès lors, tu es obligé de faire voyager la porte B à la dure, moins vite que la lumière.

          Ceci explique aussi qu’avec ce type de technologie imaginaire, si tu veux qu’un système solaire donné serve de gare centrale et mène vers plusieurs systèmes, il te faut autant de portes que d’autres systèmes auxquels tu veux être lié. Il t’est impossible de faire comme dans Stargate, de passer avec une seule porte vers n’importe quelle autre porte du même réseau. Cela explique enfin que si le transfert de porte à porte est instantané, il puisse y avoir un temps de transit, dans un système solaire de type « gare centrale », entre ta porte de sortie (qui t’a amené depuis le système A vers le B) et la prochaine porte d’entrée te permettant de poursuivre ton voyage (vers le système solaire C, disons). Il est en effet peu probable que toutes les portes soient concentrées au même endroit, notamment pour éviter les accidents ou qu’une attaque ne les détruise toutes en même temps.

          J’espère que c’est plus clair, sinon il ne faut pas hésiter à demander plus de précisions.

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  6. Super article, tu fais vraiment du beau boulot, de synthèse et de compilation. Chapeau. Sinon, pour l’anecdote, la dernière propulsion en date qui m’ait marqué est celle de Latium. Un moteur inventé et produit par des IAS ayant atteint le point de singularité. Propulsion tellement performante et mystique que les autres IAS n’en comprennent pas le concept.

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  7. Merci pour l’article, très intéressant et informatif.
    Pour House of suns d’Alastair Reynolds il n’y a pas de traduction française de prévue ?

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    • Merci ! Pas à ma connaissance, non. Et vu que ce roman est sorti il y a neuf ans, c’est à mon avis peu probable. Même si Tom Clegg de chez Bragelonne l’a beaucoup aimé. Mais ce n’est pas le décisionnaire final (juste un directeur de collection), et tout dépendra des résultats de la trilogie Les enfants de Poséidon dont la traduction vient de s’achever. En pareil cas, je conseille toujours le lobbying sur la page Facebook et le forum de l’éditeur concerné, histoire de lui montrer qu’il y a un intérêt, une attente, pour le roman en question.

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