The last good man – Linda Nagata

Un contexte et des personnages très solides, mais un roman globalement un peu long et qui manque un poil de nervosité

last_good_man_nagataLinda Nagata est une auteure américaine basée à Hawaï, publiant ses livres sous son propre label, Mythic Island Press, et titulaire d’un prix Locus et d’un Nebula. Un seul de ses romans a été traduit en français. Connue pour être la reine du nanopunk, elle s’est réorientée ces dernières années vers une SF militaire (à fort aspect thriller) se déroulant dans un futur proche. Après sa trilogie Red, son nouveau livre (un one-shot), The last good man, nous plonge à nouveau dans ce type de contexte.

SF d’anticipation, Postcyberpunk, The last good man est aussi une SF militaire d’un type paradoxalement assez marginal, dans le sens où elle se passe sur Terre, sans vaisseaux spatiaux et dans un futur très proche. On peut d’ailleurs être étonné par le fait que ce genre de background ne soit finalement que minoritaire en SF militaire, même si certains techno-thrillers sont plus ou moins à la limite du genre. 

Univers et genres

Nous sommes confrontés à une Terre du futur très proche (à vue de nez, je dirais entre dix et trente ans, probablement 20-25 -aucune date n’est citée-). Les tendances actuelles se sont amplifiées dans plusieurs domaines : explosion du nombre et du pouvoir des Sociétés militaires privées (SMP), robotisation accrue du champ de bataille, ouverture de toutes les branches de l’armée et du combat en première ligne au personnel féminin, présence augmentée de zones de non-droit type Etat Islamique ou Waziristan dans les zones tribales du Pakistan (notez au passage que les exécutions mises en scène sont devenus tellement fréquentes qu’il en faut une particulièrement horrible pour capter l’attention des médias). L’aspect SF d’anticipation (pour une explication de ce que recouvrent les noms de sous-genres, je vous invite à consulter mes articles consacrés à ce sujet) est particulièrement solide : pour avoir lu un livre et vu plusieurs documentaires consacrés aux drones, à leur futur et aux technologies émergentes dans ce domaine, j’ai été épaté par la qualité de ce volet du roman de Linda Nagata.

Il y a également un petit aspect Postcyberpunk : il existe des IA (faibles), et un des personnages a une main et un œil artificiels (suite à des blessures reçues au combat). Cependant, ces technologies sont encore peu développées : l’œil en question ne voit qu’en basse résolution et en noir et blanc, et la main est loin d’avoir les possibilités de sa contrepartie organique. On est donc globalement plutôt éloigné des possibilités presque super-héroïques qu’on peut voir dans certains « vrais » livres Cyberpunk (même si un autre des personnages a une audition artificielle qui a des possibilités supérieures à celles de l’oreille humaine).

Enfin, c’est le plus évident, mais ce livre est aussi et surtout de la SF militaire : les personnages sont quasiment tous d’anciens soldats travaillant pour / ayant fondé une SMP, l’action est très présente au début et à la fin du livre (avec un gros ventre mou au milieu), et les thématiques essentielles tournent autour de l’armée et de son futur.

Cet univers a subi deux évolutions militaires successives, la dernière ayant eu lieu moins d’une dizaine d’années auparavant : la première a consisté en l’acquisition d’une autonomie de plus en plus grande pour les engins militaires (hélicoptères, drones de la taille d’avions, navires, tanks, etc), mettant au passage à la retraite la plupart des pilotes, la seconde en l’apparition de micro- ou macro-drones pilotés par IA et capables d’opérations entièrement autonomes, sans supervision humaine (bien que les Compagnies respectables, qui cherchent à obtenir la sanction du gouvernement US et des contrats gouvernementaux, n’emploient jamais d’armements entièrement autonomes, préférant le pilotage par téléprésence ou la validation continuelle des actions).

Les drones et robots sont un extraordinaire multiplicateur de force : avec ceux que l’on a acheté, ceux qu’on loue (il existe tout un microcosme de compagnies spécialisées dans la fourniture de services aux SMP) et surtout ceux que l’on conçoit et fabrique (les imprimantes 3D sont reines, ça va sûrement faire plaisir aux lecteurs d’Emma Newman  :D), une corporation employant quelques dizaines de personnes, d’une valeur d’à peine quelques dizaines de millions de dollars et existant depuis quatre ans peut lancer des opérations quasiment avec les possibilités de recueil de renseignements et de frappe, ainsi que l’autorité, d’une nation souveraine !

Les drones sont de toute taille, depuis celle d’un moustique jusqu’à celle d’un avion de chasse ou quasiment. Certains sont seulement terrestres, d’autres seulement aériens, d’autres encore sont dotés à la fois de réacteurs et de pattes. Le biomimétisme est roi : certains ont une forme d’oiseau, d’autres de serpent ou d’insecte. Certains autres sont plus classiques, cependant : Blackbird, par exemple, est juste un banal hélicoptère piloté par IA. Leurs missions sont très diverses : collecte de renseignement, d’ADN, surveillance du champ de bataille, transport, appui-feu, voire attaque directe (injecteurs de toxines sur les robots moustiques, drones-kamikazes dotés d’une charge explosive, canons, missiles, etc).

Personnages, intrigue et thématiques

True Brighton est une ancienne pilote d’hélicoptère de l’armée américaine de 49 ans (mais particulièrement athlétique et affûtée pour son âge), mise à la retraite par la robotisation des appareils. Elle travaille désormais en tant que directrice des opérations (sous le surnom de « Mama ») pour Requisite Operations Incorporated (ou ReqOps), une SMP modeste (= c’est pas Blackwater, hein) mais compétente de la région de Seattle. Elle est sous les ordres de Lincoln Han qui, comme deux membres de la Force de réaction rapide de la Compagnie, faisait partie d’une unité d’élite des forces spéciales (aujourd’hui dissoute), Rogue Lightning. Le fils aîné de True, Diego, fut membre de ce groupe, jusqu’à ce qu’il soit tué d’une façon particulièrement atroce en Birmanie par une organisation terroriste, la Saomong Cooperative Cybernetic Army (CCA), qui a filmé l’exécution et l’a diffusée dans le monde entier.

ReqOps est engagée pour aller secourir Fatima Atwan, une jeune médecin américaine idéaliste en mission humanitaire qui a été enlevée par Hussam El-Hashem, leader de la Coalition Al-Furat, et un des nombreux seigneurs de guerre opérant dans la TEZ (Tigris-Euphrates Zone), zone de non-droit qui est « le dernier vestige du Califat » (comprenez : Daesh). L’auteure remarque avec intelligence que sous prétexte de religion et de grandes causes, ces groupes ne sont en fait que des bandits faisant du « chantage à la protection » et des enlèvements pour gagner de l’argent, le seul et réel but. La jeune femme est détenue avec plusieurs autres occidentaux depuis quatre mois, et serait battue et violée quotidiennement.

Lincoln Han ne gère pas sa société tout à fait comme les autres : en raison de son passé (qui sera détaillé dans le livre), il est susceptible de mener des missions « pour la bonne cause », même s’il n’y gagne pas d’argent. Et cette histoire de prise d’otages éveille en lui comme en True de douloureux échos de la perte qu’ils ont subi (lui de son subordonné -il était le chef de Rogue Lightning-, elle de son fils aîné). Ayant fait le « sale boulot » lorsqu’il était dans les forces spéciales, Lincoln a fondé, en réaction, une compagnie dotée d’une certaine éthique. ReqOps accepte donc la mission.

La phase préparatoire et la mission elle-même sont très intéressantes, et l’occasion de voir tout un tas de nouvelles technologies (robotiques) en action : pourtant, alors qu’on aurait pu croire qu’elles auraient pu constituer le gros du livre, avec la libération des otages comme point culminant de l’intrigue, elles ne durent que moins du quart du bouquin et ne servent que de prétexte à trouver plusieurs indices qui jettent une lumière nouvelle sur la mort de Diego, le fils de True. Le reste de l’histoire servira donc à démêler l’écheveau complexe de mensonges et de complots corporatistes et gouvernementaux qui cachent la vérité. Je n’en dis pas plus volontairement pour ne pas spoiler !

Mais plus que ça, j’ai envie de dire que l’intrigue, si solide soit-elle, n’est qu’un prétexte pour développer le vrai cœur de l’ouvrage, à savoir ses thématiques : robotisation de la guerre rendant le soldat humain obsolète (un robot est facile à fabriquer, plus efficace -pas de doutes, pas de pitié-, et si l’un d’eux est détruit, cela ne déclenche pas le drame qu’est la mort d’un humain) et place du soldat humain dans ce nouveau paradigme militaire (en tant que superviseur, à des milliers de kilomètres de l’action), dangers (mais aussi possibilités) des armements intelligents autonomes, menaces que fait peser sur la paix mondiale l’état de guerre perpétuelle qu’a tout intérêt à faire émerger et perdurer le secteur des SMP. A ce sujet, c’est d’ailleurs le seul point où j’ai trouvé que la réflexion de Linda Nagata était un peu maladroite : elle oppose cet état de guerre perpétuelle (comme celui qui oppose les seigneurs de guerre rivaux dans la TEZ) qu’ont tout intérêt à entretenir les SMP à un état de paix que les nations auraient intérêt à maintenir, pour des « raisons politiques et économiques ». C’est une vue naïve de la chose : à condition que les combats ne se passent pas sur votre propre sol, vous avez (si l’on raisonne cyniquement) au contraire, en tant que pays, tout intérêt à intervenir militairement en permanence… à l’étranger. Les raisons en sont multiples : test et validation d’armements (qui, au passage, se vendent mieux une fois qu’ils ont fait leurs preuves au combat : cf le Rafale), boost de l’économie via les appareils perdus à remplacer, les munitions à fabriquer ou la reconstruction du pays en guerre une fois les combats achevés, ouverture de marchés (pétrole, etc), possibilité d’installer des bases militaires un peu partout, affirmation de votre statut de puissance militaire globale sur la scène internationale, etc.

Un mot sur les personnages : leur psychologie est très solide (par exemple, le côté altruiste de Lincoln et le fait qu’il accepte la mission pour sauver Fatima aurait pu paraître émaner tout droit de la guimauve télé-évangéliste de la Bible Belt -« to do the right thing »-, mais il y a une vraie explication qui tient la route derrière et qui émane du vécu du personnage), parfois un peu trop d’ailleurs : au milieu du livre, il y a beaucoup d’introspection, qui n’est pas toujours pleinement indispensable au développement de l’intrigue, et aurait en tout cas pu être raccourcie pour donner un peu plus de punch au rythme. Car là est, à mon avis, le seul vrai problème de The last good man : il est très intéressant au début et à la fin, mais il est globalement un peu trop long et manque de nervosité au milieu. Je ne dirais pas tout à fait qu’on s’ennuie, mais parfois on trouve le temps un peu long, c’est certain. Si j’avais à émettre une autre critique, également, c’est que le basculement des drones « presque comme ceux d’aujourd’hui » à ceux plus SF pilotés par IA est un poil abrupt à mon goût, même s’il est très loin d’être impossible que les progrès dans ce domaine soient effectivement exponentiels plus que linéaires.

Ah oui, il y a un autre petit point de crispation, mais il est très personnel à vrai dire : l’auteure cite des fabricants d’armes, mais aucun n’est réel, tous sont inventés. Dans le cadre d’une anticipation, surtout aussi réussie, globalement, il aurait été à mon sens plus pertinent de se fendre d’un petit Heckler & Koch ou d’un Northrop-Grumman, hein.

En conclusion

Dans cette SF militaire et postcyberpunk, Linda Nagata nous propose une anticipation très solide de la guerre de demain (une à trois décennies, à vue de nez), dominée par les Sociétés Militaires Privées et des drones semi-autonomes pilotés par IA, de conception « maison » et fabriqués par imprimantes 3D. Nous suivons True Brighton, ex-soldat de 49 ans désormais directrice des opérations de ReqOps, société engagée pour libérer une otage dans les vestiges du Califat, désormais dominé par des seigneurs de la guerre. La mission ne sera toutefois pas au cœur du roman, mais un prétexte à la fois pour déterrer les sombres secrets du passé de plusieurs membres de l’équipe et surtout un alibi pour examiner les changements de paradigme militaire entraînés par la robotisation, les imprimantes 3D et les armements intelligents autonomes.

L’anticipation et les personnages sont extrêmement solides, le roman globalement vraiment bon, mais on peut déplorer une baisse de rythme et un peu trop d’introspection au milieu, et un livre globalement un peu long pour ce qu’il a à raconter. Au final, si vous cherchez une SF de futur proche réaliste, bien écrite et à l’intrigue et aux protagonistes bien conçus et finis, vous trouverez votre bonheur avec The last good man.

Niveau d’anglais : facile.

Probabilité de traduction : très faible (un seul roman de Linda Nagata a été traduit, malgré une production assez abondante. De plus, inutile de vous rappeler la « popularité » de la SF « militariste » dans l’édition française… Bref, si l’Atalante ne décide pas de le traduire -et j’ai de très gros doutes là-dessus-, pas la peine d’espérer voir débarquer une VF).

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13 réflexions sur “The last good man – Linda Nagata

  1. Ça m’a l’air très intéressant =)

    J’avais lu un autre livre de cette auteur, le premier tome de sa trilogie The Red et qui était vraiment dans le même genre de contexte. Un futur très proche, des soldats cyber-augmentés, une guerre en Afrique, des drones (mais ils n’étaient pas au centre de l’intrigue), des mercenaires, des grosses entreprises de sécurité qui pèsent plus que les armées et qui déclenchant elles même des guerres ou les entretiennent pour continuer à faire affaire …
    Je l’avais qualifié de techno thriller parce que c’était extrêmement basé sur les technologies d’augmentation mais pas sur le coté cyberpunk (enfin pas l’ambiance qu’on trouve dans la cyberpunk habituelle) et que je ne connaissais pas le terme Nanopunk à l’époque 😛

    Je l’avais franchement bien aimé, c’était très militaire mais au final le sujet principal tournait autours des AI de plus en plus autonomes et complexes.
    Il m’avait fait me poser des tonnes de questions avec une intrigue bien menée et j’avais adoré les personnages dont le principal qui était cynique à souhait et le futur décrit faisait vraiment froid dans le dos 😛

    ça me donne vraiment très envie de lire la suite d’ailleurs, je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas encore fait !

    D’ailleurs j’avais écrit une petite chronique avant d’avoir mon blog mais je pense que je vais aller la mettre dessus parce qu’il le mérite, je la redécouvre en la lisant la xD

    Aimé par 1 personne

    • Oui, c’est le même genre, en un peu moins cyber- et avec plus d’emphase sur les drones / robots. Mais sinon, là aussi tout tourne autour des IA de plus en plus autonomes qui pilotent les engins, qu’ils soient volants, terrestres ou autres. Et effectivement, les personnages sont au top.

      Oui, oui, il faut remettre une petite chronique sur ton blog, je pense que pour les amateurs de techno-thriller ou de SF militaire de futur proche lisant l’anglais, c’est vraiment un auteur à découvrir.

      De mon côté, j’ai un autre de ses livres prévu dans le programme en début d’année prochaine, mais vu que j’étais déjà intrigué par sa trilogie Red et qu’en plus tu en dis du bien, je pense que je vais l’y insérer aussi 😉

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  2. Me revoilà connectée!
    C’est étonnant, je viens juste de lire une chronique sur un livre du même auteur, The Red, avec un ton et un environnement technologique similaires (un peu).
    Pour le contenu de The Last Good Man, je trouve l’angle d’attaque franchement très intéressant surtout dans un futur proche. L’enjeu est même actuellement de taille, tant on sait que l’information des champs de batailles est crucial (et tout autant dans les petits périmètres, guerillas,…) tout comme la préservation des soldats humains (et leur protection). Le recours à l’utilisation de drones est très révélatrice de cet axe d’attaque. (De là, avec l’actualité hexagonale….)
    Avant, avec Heinlein, ce furent les armures, on voit une évolution intéressante chez les auteurs de SF militaire qui réfléchissent la guerre de demain. Par contre, je ne sais pas sir les IA sont pour demain dans la machine militaro-industrielle car la méfiance (et même la défiance) est grande en raison de la prise de décision.
    Effectivement, le robot est sans état d’âme, remplaçable, l’IA nous l’imaginons mal avec une empathie énorme dans cet emploi, n’est)ce pas justement sa limite ?…. Inutile de te dire que je suis du coup fortement intéressée par ce roman.
    5au fait, nous ne te voyons pas beaucoup ces temps-ci, as-tu trop fêter la victoire du Maître à Wimbledon ?)
    Bref, merci pour cette découverte.

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