L’œil d’Apophis – Numéro 3

Eye_of_ApophisTroisième numéro de la série d’articles l’œil d’Apophis (car rien n’échappe à…) ! Je vous en rappelle le principe : il s’agit d’une courte présentation (pas une critique complète) de romans qui, pour une raison ou une autre, sont passés « sous le radar » des amateurs de SFFF, qui ont été sous-estimés, mal promus par leur éditeur, ont été noyés dans une grosse vague de nouveautés, font partie de sous-genres mal-aimés et pas du tout dans l’air du temps, et j’en passe. Chaque article vous présente trois romans : après Les envoyés, Reconstitué et Voyageurs dans le numéro 1, puis La voie terrestre, L’IA et son double et Suprématie dans le numéro 2, je vous propose aujourd’hui de (re ?)découvrir La ruche d’Hellstrom par Frank Herbert, Voyage par Stephen Baxter et Point d’inversion par Catherine Asaro.

Il peut paraître étonnant de mettre des auteurs du calibre d’Herbert et Baxter dans une série d’articles consacrés à des auteurs ou livres méconnus (voire quasi-inconnus), négligés, sous-évalués, et ainsi de suite. C’est oublier un peu vite que tout le monde n’est pas un amateur éclairé suivant de près l’actualité, et que par exemple, Baxter n’a pas, auprès du grand public, l’aura de Clarke ou d’Asimov : il est connu des aficionados, pas de ceux qui lisent un peu de SF de temps en temps (et jusqu’à une date récente, on aurait pu faire le même genre de constat pour Ian McDonald ou les auteurs qui ont été publiés dans la collection Une heure-lumière). Quant à Frank Herbert, l’aura de Dune a complètement éclipsé le reste de son oeuvre, alors qu’il y a des choses très intéressantes dedans. Et comme nous le verrons dans le numéro 4 de L’œil d’Apophis, un roman peut faire partie des plus grands chefs-d’oeuvre du genre et pourtant être inconnu de la grande majorité des lecteurs de SF.

Attention, je ne vous dis pas forcément que les romans que je vous présente sont des chefs-d’oeuvre à acheter absolument, ils peuvent avoir des défauts parfois importants. En revanche, ils ont aussi de grandes qualités, qui en font des lectures très intéressantes pour certains lecteurs ou dans le cadre de certaines thématiques précises de la SFFF.

Vous pouvez retrouver tous les articles de la série en cliquant sur ce tag, également présent en fin d’article et en bas de la barre latérale du blog. 

La ruche d’Hellstrom – Frank Herbert

hellstromJe suis loin d’avoir lu tout ce que Frank Herbert a publié, mais j’en ai néanmoins lu bien plus que le lecteur de SF moyen, qui, le plus souvent, se contente de Dune et de quelques-unes de ses suites… Néanmoins, parmi les romans de l’auteur hors-cycle de Dune, La ruche d’Hellstrom est un de ceux qui m’a le plus marqué (avec Destination Vide), par son côté vertigineux et inquiétant. Une agence gouvernementale américaine ultra-secrète envoie des agents surveiller une vallée de l’Oregon dans laquelle s’est installé un entomologiste, le docteur Hellstrom. Ce que l’agent Janvert découvrira à propos des projets scientifiques de cet homme va bien au-delà de tout ce qu’il pouvait imaginer…

Dans ce livre, l’auteur explore quelques uns de ses thèmes de prédilection, comme la survie à tout prix de l’espèce humaine dans un environnement hostile (cf les Fremens), la planification sur le très long terme, la spécialisation du corps humain et l’évolution de l’espèce déjà abordée dans Dune, l’évolution des sociétés ainsi que les manipulations génétiques et l’eugénisme pratiqués par des organisations aux buts occultes (on retrouve aussi le, hum, « recueil » de gènes utiles à l’avancement du projet par des agents féminins spécialement entraînés). Ce n’est pas un livre qu’il faut aborder pour ses personnages (qui sont très loin d’avoir le charisme de ceux de Dune) ou son intrigue proprement dite (qui se réduit à une enquête dont le seul intérêt est de dévoiler peu à peu les caractéristiques du projet d’Hellstrom), mais pour ses thèmes de fond et ses révélations glaçantes sur le passé et le futur de l’espèce humaine. Le nouveau modèle de société et d’humanité qu’il propose a été, par la suite, repris par d’autres auteurs, au moins partiellement (dont Stephen Baxter), même si sa paternité peut être attribuée en réalité plus à René Barjavel qu’à Herbert lui-même (à ceci près que la version qu’en propose ce dernier est, à mon avis, nettement plus solide). Signalons aussi que ce dernier a été fortement influencé par un film antérieur mettant en scène un docteur Hellstrom (allant jusqu’à demander la permission de reprendre le nom dans son roman) et développant certains points communs avec ceux du livre.

La ruche d’Hellstrom ne se destinera pas à tous les profils de lecteur, du fait de sa profondeur combinée à son absence d’éléments attractifs (action, romance, rythme, etc) pour l’individu lambda. Le futur dystopique qu’il dessine ne sera pas, lui non plus, de nature à plaire à tout le monde. Mais en revanche, si vous êtes sensible aux thématiques exposées plus haut, et appréciez l’exceptionnelle acuité de la pensée d’Herbert, c’est avec un sentiment d’intérêt mêlé d’effroi que vous prendrez connaissance des projets de la famille Hellstrom pour l’espèce humaine et son futur.

Voyage – Stephen Baxter

voyage_baxterDans ce roman (coupé en deux par l’éditeur français), Stephen Baxter mêle à son genre de prédilection, la Hard SF, un aspect uchronique : en effet, le point de divergence entre son univers et le nôtre est le fait que ce soit Jackie et non John Kennedy qui périsse lors de l’attentat de Dallas. Lors de la présidence suivante, celle de Nixon, son prédécesseur fait pression pour que l’exploration spatiale habitée se poursuive, et qu’après la Lune, le prochain objectif soit Mars. A partir de là, le roman entrelace deux lignes narratives (et temporelles), à savoir la mission en elle-même, en 1986, et les étapes (techniques mais aussi et peut-être surtout politiques, administratives et médiatiques) qu’elle a dû franchir avant de devenir une réalité.

Disons-le tout de suite, ce livre n’est en aucun cas taillé pour plaire à tout le monde : des explications techniques détaillées concernant le propulseur nucléaire NERVA au parcours du combattant politico-mediatico-administratif nécessaire pour faire du vœu d’aller sur Mars immédiatement après la Lune une réalité, en passant par les différences entre ce programme spatial uchronique et celui de notre propre Histoire, il y a de quoi lasser ceux qui ont acheté Voyage (à ne pas confondre avec Voyageurs de Neal Asher, dont je vous parlais en Mai) en pensant y trouver l’histoire, contée sur un ton héroïque et nerveux, d’une vigoureuse conquête spatiale (alternative). Stephen Baxter prend son temps, décrit tout en détails (y compris les arcanes byzantines du financement du programme et de la lourdeur technocratique et administrative de la NASA), sans doute trop pour certains, mais pour le plus grand bonheur d’autres lecteurs, qui vivront les joies et les peines des astronautes, des ingénieurs et des techniciens comme s’ils y étaient. Si vous aimez à la fois la Hard-SF et l’Uchronie, ce roman est un achat in-dis-pen-sa-ble. De plus, et c’est à souligner, c’est un des rares qui s’intéresse au voyage vers Mars proprement dit (et pas à ce qui arrive une fois sur place, comme chez Kim Stanley Robinson, Ben Bova ou Andy Weir) et surtout à sa genèse (notamment technique).

Point d’inversion – Catherine Asaro

point_inversionCe livre est le premier d’un vaste cycle, mais il peut aussi parfaitement s’envisager comme un one-shot. Comme Voyage, il mêle des éléments qu’on a assez peu l’habitude de voir associés, c’est-à-dire à la fois un côté Hard-SF, un côté romance assez affirmé et surtout une très puissante importance dans l’univers et l’intrigue de facultés empathiques et télépathiques, d’habitude associées plutôt à la Soft-SF ou au Space Opera à l’ancienne. De cette association inhabituelle a d’ailleurs largement découlé à la fois le succès du livre chez certains et son insuccès chez d’autres (les amateurs de Hard-SF se plaignant de l’aspect romance, et inversement). En fait, les seuls à avoir été pleinement satisfaits ont été les aficionados de SF militaire, puisque Point d’inversion relève aussi (et sans doute surtout) de ce sous-genre.

L’univers est très inhabituel : ce sont trois sous-espèces humaines qui se partagent l’espace connu, les terriens n’étant que la troisième roue du carrosse, tout à fait minoritaire. Les deux autres descendent de mayas enlevés sur Terre des milliers d’années auparavant par une espèce extraterrestre inconnue, avant d’être déposés sur une lointaine planète et de développer leur propre technologie à l’aide des vaisseaux laissés par leurs ravisseurs. Ils se sont ensuite répandus sur des centaines de mondes, formant deux empires rivaux, les Skoliens et les Eubiens. Lorsque les « vrais » terriens se sont à leur tour répandus dans l’espace, ils l’ont trouvé déjà mis en coupe réglée par ces humains télépathes. En effet, les deux peuples issus de leur passé ont développé un vaste programme de manipulations génétiques devant leur donner puis renforcer leurs facultés empathiques, voire télépathiques. Les Skoliens utilisent un réseau de communication psi (d’origine extraterrestre) qui se joue des limites traditionnelles de l’espace-temps pour permettre de transmettre instantanément des messages à travers tout l’espace connu. Les manipulations des zones du cerveau des Eubiens ont en revanche donné lieu à une conséquence aussi malvenue qu’inattendue : leurs centres de réception empathique et du plaisir (sexuel) se sont trouvés liés, ce qui fait que plus ils ressentent de puissantes émotions chez les autres, plus ils prennent un plaisir qui peut aller bien plus loin qu’un simple orgasme. Et malheureusement, leur caste dirigeante, les Aristos, cherche activement à créer la douleur chez les autres (particulièrement d’autres empathes) afin d’activer ce phénomène, devenu une véritable drogue.

Nous suivrons Soz Valdoria, héritière impériale Skolienne et pilote de combat d’élite appartenant aux Jagernauts, des combattants puissamment améliorés par la nano- et même la pico-technologie, et possédant une IA intégrée à leur colonne vertébrale. Leurs pouvoirs psi leur permettent de plus de ne faire plus qu’un avec le chasseur qu’ils pilotent, devenant alors une force hybride mortelle. Les combats sont magistralement décrits, et font appel à de nombreuses notions Hard-SF, comme une composante imaginaire (au sens mathématique) pour la vitesse, permettant de dépasser les limitations de la Relativité générale. Catherine Asaro est en effet une scientifique, et jouer dans certains de ses romans avec des notions telles que les Bouteilles de Klein ne lui fait pas peur !

Le roman balaye de nombreuses thématiques, du militaire (les combats, mais aussi le difficile équilibre à trouver entre l’empathie du télépathe et la froide efficacité cybernétique du combattant amélioré par la nanotechnologie) à la romance impossible en passant par les intrigues politiques liées à une héritière impériale. Son univers à la fois très riche et original, son héroïne attachante et la multitude de sous-genres auquel il appartient pourront plaire à une vaste variété de lectrices et de lecteurs, bien que, comme je l’ai souligné, certains mélanges puissent constituer des points de crispation, voire de blocage : je ne suis pas certain que tous ceux qui seront là pour l’univers ou la romance adhéreront complètement à l’aspect Hard-SF et / ou militaire, ou que les fanatiques de Hard Science vont forcément adhérer aux pouvoirs psi (même s’il y a une vraie explication neurologique derrière ; de plus, c’est sans doute une des premières fois qu’on nous explique pourquoi l’antagoniste est si méchant -et la réponse n’est pas PARCE QUE !-).

20 réflexions sur “L’œil d’Apophis – Numéro 3

  1. Ah! C’est une excellente pioche! J’ai les 3 romans dans ma wish-list. La ruche d’Hellstrom est peut-être celui qui me tente le moins des 3 pour justement l’absence de points attractifs tel que l’action, le rythme ou la romance (encore que ce dernier soit à double tranchant). Bon ma PAL est pour l’instant épaisse de 3 ans de lecture. Ces titres vont rester un peu dans ma wish, mais je suis heureuse de les y avoir.
    Je remarque que sur les 6 précédent titres, je n’ai qu’un absent : 3 sont déjà lus, et 3 dans ma PAL. Je peux souligner que ce sont des propositions tout à fait alléchantes pour l’amateur même lambda de SFFF.
    Cela n’a rien à voir, je vois que tu lis le Mealing que j’ai repéré depuis un bon moment, sans doute un de ceux que j’ai vraiment hâte de découvrir (en VF, mais nous verrons), il semble vraiment réussi et costaud d’près les échos. les premiers passages confirment ou pas?

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    • Merci.

      C’est très, très bon. C’est un mélange de Flintlock, de guerres coloniales entre puissances rivales dans une pseudo-Amérique, de Révolution qui couve, et de pseudo-français (les protagonistes) vs des pseudo-anglais avec des pseudo-indiens en observateurs. Et surtout, le, ou plutôt LES systèmes de magie sont au top. Et en plus de tout ça, c’est une tentative de remise à neuf de la High Fantasy à élu et prophéties : pourquoi avoir UN élu lorsque tu peux en avoir… trois ? Critique à suivre en fin de semaine.

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  2. Ho super !
    Je ne connaissais pas du tout le premier mais il pourrait tout à fait me plaire.

    Le second j’ai plus de doute n’étant pas du tout portée sur la hard SF, j’ai déjà plus ou moins abandonné l’auteur et je ne comptais pas retenter un autre livre de lui, mais bon, je ne suis jamais totalement fermée non plus, à voir.

    Par contre vu ta description je pense que celui qui a le plus de chance de me plaire c’est le troisième, d’ailleurs la série était dans ma liste des séries « classiques » de SF à tester depuis un moment. D’autant que je peux maintenant dire que la SF militaire et d’aventure est vraiment ce qui me plait le plus dans tout ce que la SF présente comme sous genre, et que je n’ai rien contre une petite romance du moment que ce n’est pas mièvre ou omniprésent. Du coup celui ci il va passer dans ma PAL je pense assez rapidement !

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  3. Bon ben, ce coup-ci les trois me plaisent. Je ne te remercie pas !

    Sinon : « Je suis loin d’avoir lu tout ce que Frank Herbert a publié, mais j’en ai néanmoins lu bien plus que le lecteur de SF moyen » Merci de me rappeler qu’il faut que je finisse Dune XD

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  4. Coucou
    La ruche d’Hellstrom serait possiblement celui qui me plairait le plus, sans rythme n’est pas forcément un problème si la réflexion est prenante et ça a l’air d’être le cas

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