Le vaisseau elfique – James Blaylock

Bilbo le Hobbit, tel qu’aurait pu l’écrire Terry Pratchett 

vaisseau_elfique_blaylockJames Blaylock est un auteur californien considéré comme un des pionniers du Steampunk. Un grand nombre de ses livres est caractérisé par une écriture pleine d’humour et / ou par des événements fantastiques se déroulant non pas dans un monde imaginaire mais chez nous, ou plus précisément, très souvent, chez lui, dans le Comté d’Orange (certains classent les ouvrages concernés dans le Réalisme magique).

Rien de tel pour Le vaisseau elfique, premier tome d’une trilogie appelée Oriel en VF et Balumnia en VO. Inspirée par certains classiques de la littérature jeunesse (dont Bilbo le Hobbit), cette Light Fantasy est issue d’une (lourde) réécriture du premier roman de Blaylock (qui n’a été publié dans sa version de base que des décennies après son écriture), The man in the moon. C’est Pierre-Paul Durastanti qui a assuré la traduction, qui, d’après cette entrevue accordée à mon estimé confrère Nicolas Winter, lui a donné bien du fil à retordre, non pas parce que le texte original serait particulièrement ardu, mais parce qu’il avait la volonté d’en rendre le meilleur équivalent possible en français. Et c’est d’ailleurs sur le conseil du sympathique Pierre-Paul que j’ai acquis ce roman, lors d’une des Grosses OP Bragelonne en 2016.

Univers

L’univers est centré sur un fleuve, l’Oriel. Des villages et autres comptoirs commerciaux sont disséminés le long de ses berges, jusqu’à la mer, au bord de laquelle vivent… des nains (voir plus loin), tandis que dans les Hautes-Terres (les Montagnes Blanches) où il prend sa source, vivent… des elfes. Si le gros du territoire est civilisé, il existe tout de même des Gobelins dans le Bois du même nom, plus quelques Trolls.

Le style de vie et la technologie évoquent la fin du XIXème siècle (dirigeables, sous-marin, canons), bien que l’action se déroule dans un monde imaginaire. La magie coexiste avec la technologie, et il arrive d’apercevoir des galions volants et d’autres impossibilités.

Intrigue

Jonathan Bing, maître fromager de Havreville, est connu jusqu’à la lointaine mer pour ses fameux fromages aux raisins. Chaque année, il les fait convoyer par des marchands auprès des Nains côtiers, qui lui renvoient en échange leurs non moins délicieux Pains d’épice, ainsi que des jouets elfiques pour la Noël.

Sauf que cette année, les marchands ont fui, et la rumeur prétend que certains comptoirs commerciaux ont été détruits lors de la récente tempête. Seule solution pour éviter que les pitites nenfants n’aient ni friandises, ni cadeaux pour Noël : que quelqu’un se décide à convoyer lui-même les fromages vers la ville de Maremme, avant de remonter le cours de l’Oriel chargé des gâteaux et des joujoux. Et devinez qui est désigné volontaire d’office ?

Bing sera accompagné, dans son voyage en radeau (coucou Huckleberry Finn…) vers la mer, par son fidèle chien Achab, par le professeur Artémis Wurzle, un « vieux de la vieille » auto-proclamé qui, cinq ans auparavant, a trouvé l’épave d’un navire elfe, ainsi qu’une de leurs armes, un curieux tromblon-hautbois, et enfin par Dooly, un très jeune homme qui raconte à qui veut l’entendre (et même à ceux qui ne veulent pas…) des histoires de / sur son papy. Un grand-père qui s’avérera n’être rien de moins que Théophile Escargot, le gentleman-aventurier et maître-voleur.

L’intrigue se divise en trois parties : descente du fleuve (une grosse moitié), séjour à Maremme puis remontée du cours du fleuve. Dans les deux sens, nos compagnons d’aventure seront confrontés à bien des péripéties, que ce soit les bancs de sable, les gros orages, les trolls, les gobelins (qui portent chemise et pantalon et sont fous, fous, fous, un peu comme ceux de Warhammer ou les Gremlins du film du même nom), des animaux intelligents, les morts-vivants et surtout Selznak, le « Nain de la forêt » (!), sorcier et nécromancien, qui commande aux animaux et au climat. Ils feront aussi de belles rencontres, comme les camelots menés par l’Écuyer, les elfes dirigés par Twickenham, le Magicien Milo ou l’Homme-de-la-lune qui donnait son nom au précurseur du roman.

Convergences et divergences avec l’oeuvre de Tolkien

Une des principales influences de Blaylock pour l’écriture de ce roman a été Bilbo le Hobbit, et le moins qu’on puisse dire est que c’est visible comme le nez au milieu de la figure, tant les convergences sont nombreuses :

– Le personnage principal (humain, ici) est très attaché à son confort, et sa conception du bonheur est de se retrouver au chaud, au sec, la panse bien remplie, au coin du feu avec un bon livre, une pipe et un verre de cognac.

– Les repas, leur composition et leur description ont une grande importance dans le récit, tout comme le tabac.

– Le protagoniste se retrouve embarqué un peu contre son gré dans une aventure extraordinaire, impliquant des elfes, des Nains, un conseil de guerre parlant entre autres d’anneaux, d’un artefact de pouvoir (ici une montre) et d’un sorcier / nécromancien (ici un Nain).

– Un personnage important est un maître-cambrioleur doté d’un objet magique le rendant invisible.

– Les chansons et autres poèmes sont particulièrement mis en avant.

Il y a cependant aussi des divergences avec l’oeuvre de Tolkien :

– La principale est dans le ton, qui est largement différent : si Le vaisseau elfique est, comme Bilbo le Hobbit, une oeuvre destinée (principalement) à la jeunesse, le second a cependant un côté épique (il y a un dragon, une grande bataille et l’incendie d’une ville, après tout) complètement absent du livre de James Blaylock, où même le « redoutable » sorcier-nécromancien Selznak a des pouvoirs qui relèvent plus de la farce magique que de la plus cruelle des sorcelleries à la Glen Cook. Et pour cause : si l’humour n’est pas absent du roman de Tolkien, il n’atteint cependant pas le niveau de celui de Blaylock, qui frôle assez souvent le délire à la Pratchett, que ce soit dans les dialogues, les situations cocasses, la caractérisation de certains personnages (dont Dooly ou l’Écuyer), ou même dans un worldbuilding partiellement anti-Tolkiennien (voir ci-dessous).

Blaylock a pris un malin plaisir à s’emparer des stéréotypes popularisés par Tolkien et à les inverser : dans son univers, ce sont les Nains qui vivent dans la forêt et au bord de la mer, et les elfes qui vivent dans les Hautes-Terres (on entend aussi parler d’elfes… pirates vivant sur une lointaine île Océane). On y croise des elfes rondouillards pour certains, souvent expansifs et dotés d’un redoutable sens de l’humour, tandis que les Nains sont modestes ! Et même des demi-nains (c’est la seule fois en plus de trente ans de lectures Fantasy qu’il en est fait mention, à part dans l’univers Dark Sun pour AD&D2)…

– Contrairement au Hobbit, ce sont ici les elfes (et pas les Nains) qui fabriquent des jouets « magiques ».

Humour, à qui ce livre est-il destiné ?

Je le disais, l’humour est omniprésent, le ton léger, le roman avant tout destiné soit à des enfants, soit à des gens qui en ont gardé l’âme, à des nostalgiques du Hobbit qui aimeraient bien lire quelque chose d’un peu similaire ou encore à des fans de Tolkien ET de Pratchett dont le rêve est de voir ce qu’aurait pu donner une oeuvre mélangeant leurs codes respectifs. Personnages farfelus (voire grotesques) mais amusants, dialogues désopilants (voir plus loin), comportement absurde (l’Écuyer, une fois encore), comique de répétition (l’odyssée du chapeau de Gilroy Bastable), parodie en forme d’hommage à la high Fantasy de Tolkien, lois scientifiques hilarantes (les ingénieurs et scientifiques parmi vous vont adorer), cet univers de Light Fantasy a tout pour plaire aux amateurs du genre.

C’est donc aux amateurs de Fantasy (très) humoristique, voire délirante et parodique, que se destine avant tout ce livre, en étant bien conscient qu’il est sûrement plus adapté à des enfants (et je dis bien : enfant, pas adolescent) qu’à des gens plus âgés. Son intrigue très bénigne (rien, ni les antagonistes, ni les situations, n’est vraiment méchant, plus bête, un peu fou ou farceur qu’autre chose) en fera le roman d’initiation idéal pour des tout petits, avant de passer à du Young Adult ou à de la Fantasy « adulte », sous le contrôle vigilant de papa ou de maman, qui ne vont pas faire lire au marmot du grimdark / de la Dark Fantasy à 11 ans, sinon après les machins vont se transformer en Apophis une fois devenus adultes (quoi que la question se pose de savoir si je le suis vraiment, m’enfin ceci est un autre problème…).

Bon, si par contre, vous vomissez la Fantasy à la Pratchett, que vous cherchez du Dark, de l’épique, de la b***e et des haches qui tâchent, vous êtes clairement à la mauvaise adresse. Encore que : les délires à la Pratchett me laissent certes froid, mais ça ne m’empêche pas d’apprécier une belle écriture lorsque j’en croise une. Ce qui me conduit à…

Traduction, écriture

Certains passages sont un bijou d’écriture (et d’humour), tandis que dans d’autres, Pierre-Paul Durastanti a réalisé de véritables miracles en terme de traduction et d’adaptation (je n’imagine même pas le casse-tête qu’à du être le chapitre dans lequel apparaissent les camelots, et où ils déclament chansons et poésies, le tout bardé de rimes). Un exemple : lorsque le Professeur Wurzle parle d’entropie, Dooly, qui est un jeune-homme un peu (non, beaucoup) chien fou et comprend tout de travers (et ne s’exprime guère mieux), lui répond : « L’antre aux pis ? L’étable ? ». Bref, qu’on adhère aux délires ou pas, qu’on ait gardé son âme d’enfant ou non, il y a des choses bien agréables là-dedans, comme cette atmosphère champêtre, Tolkienienne, bénigne, sans morts, violences, décapitations, mutilations, viols et autres joyeusetés de plus en plus typiques dans la Fantasy post-G.R.R Martin.

Un mot sur l’édition électronique

Et ce mot sera : mauvaise. Très mauvaise. Les problèmes sont légion : ponctuation manquante ou en trop, lettres mises en exposant, espaces manquants, sauts à la ligne suivante en trop, signes de ponctuation utilisés à mauvais escient, à la place d’un autre (un point d’interrogation au lieu d’une virgule, par exemple), italique utilisé sans objet, etc.

En conclusion

Cette Light Fantasy plutôt destinée aux enfants (ou à ceux qui en ont gardé l’âme) mélange avec bonheur les codes de Tolkien et de Pratchett pour narrer les sympathiques (et délirantes) aventures d’un fromager qui, grâce à l’aide d’improbables compagnons, va sauver le Noël des enfants de son village en entreprenant un voyage semé d’embûches vers la mer, descendant le fleuve Oriel pour échanger ses fameux fromages aux raisins contre les jouets elfiques et autres pains d’épice nains. Il affrontera en chemin des Trolls maladroits, des gobelins farfelus et un sorcier Nain plus farceur que réellement méchant.

Dotée d’une savoureuse écriture et d’une traduction / adaptation au top, cette aventure sera idéale pour l’histoire du soir à lire à un petit, comme premier livre à lui faire lire pour l’initier à la Fantasy, ou pour l’adulte qui a toujours rêvé de voir la fantasy farfelue de Pratchett rencontrer celle de Bilbo le Hobbit. En revanche, si vous êtes allergique à la Fantasy très, très humoristique, que vous n’entrez pas dans le délire et que vous voulez un roman adulte, noir ou épique, vous ne serez pas à la bonne adresse.

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27 réflexions sur “Le vaisseau elfique – James Blaylock

  1. Bon. Je k’ai dans ma PAL. Acquis comme toi pendant la grosse ops.
    Quand le nom de Terry Pratchett est apparu dans ta chronique, je fais « quiiiik ». A dose homéopathique, cela le fait, à plus grande échelle, généralement, cela ne passe pas. Et pourtant, je ne vais pas l’écarter de ma PAL, car il y des petites choses (le coup de l’entropie) l’aspect bucolique qui me séduisent. Et j’aime bien Tolkien. Et j’ai une fille qui lit!

    Merci pour ce retour très constructif pour moi (plus amatrice de Dark fantasy).

    Aparté : maintenant, je m’inquiéte vraiment pour le Djoker qui vient de virer tout son staff son le gourou setter soyeux qui lui a visiblement embrouillé les neurones.
    Ah j’ai perdu mon match hier soir (6-3 7-5) contre 4 classements au dessus. Contente quand même je suis.

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    • Ouais, j’avoue que je n’ai pas compris qu’il vire tout le monde (y compris son préparateur physique, chose que personne ne fait jamais, sauf incompétence manifeste) SAUF celui qu’il aurait précisément fallu virer, à savoir Pépé Imaz. Mais bon, en y réfléchissant un peu plus, je pense que le fait qu’il se sépare de Vajda n’est pas forcément mauvais, une nouvelle collaboration avec un autre entraîneur peut lui redonner un coup de fouet : regarde Nadal…

      Argh, désolé pour ta défaite. Par contre, on a eu un superbe Dodin / Cibulkova, ça promet beaucoup ce soir contre Mladenovic. D’ailleurs, il y a quelques (euphémisme !) beaux matchs aujourd’hui, Kerber / Bouchard, Wawrinka / Paire, Fognini / Nadal, Ferrer / Tsonga, Stosur / Halep, Dimitrov / Karlovic, et surtout un Zverev / Cilic qui promet beaucoup.

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      • Imaz (le setter soyeux) était à virer. Pour Vajda, je suis incertaine, mais parfois cela a du bon quand même. Nadal, et même Federer ou Stan ont prouvé que cett « thérapie » pouvait être bénéfique. En revanche, Fed n’a jamais viré tout le monde d’un coup (notamment son préparateur physique…). Donc, je m’inquiète.

        Non, c’était une très bonne défaite, je m’attendais à repartir en vélo…

        Plein de beaux matchs, je vais en suivre (en rédigeant une chronique du coup je vais y mettre 2 plombes) : Fognini Nadal, je veux le voi, Stan et Paire… en fait tous le tentent.

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  2. Je l’ai aussi eu avec la promo numérique, mais vu ce que tu en dis, je crains que ça ne soit pas du tout pour moi. Merci pour la chronique en tous cas

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  3. Je pense que ce n’est clairement pas pour moi. Par contre, ta critique m’amène à me dire qu’il faut vraiment que j’essaye Terry Prachett dont je n’ai, je l’avoue, jamais ouvert un bouquin !

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    • Moi aussi, à la base, je préfère l’épique, les grosses haches qui tachent et quand C TRO D4RK, mais bon, de temps en temps, je m’autorise une escapade dans de plus paisibles et bucoliques contrées 😀

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  4. Mince la fantasy humoristique c’est pas mon truc mais j’ai envie de le lire maintenant, c’est malin. Je vais le conseiller à Monsieur qui lit beaucoup de Pratchett, je pourrais toujours lui emprunter discrètement après *siffle*.

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