L’eau dort – Glen Cook

Une pluie de révélations !

eau_dort_1L’eau dort est le neuvième et avant-dernier tome du cycle de la Compagnie Noire (il n’est estampillé tome 10-11 dans l’édition française qu’en raison de la coupure systématique en deux livres depuis le roman précédent). C’est aussi le troisième volume du sous-cycle des Livres de la Pierre scintillante. Comme à mon habitude, je vous en propose la critique complète en une seule fois.

Après l’incroyable retournement de situation de la fin du roman précédent, et le cliffhanger associé, il était évident que beaucoup de choses allaient changer dans celui-ci. Mais ce à quoi je ne m’attendais pas vraiment, en revanche, est l’avalanche de révélations, qui jettent du coup un tout nouvel éclairage sur les livres antérieurs. J’ai toujours loué le fait que chaque tome de la Compagnie Noire change quelque chose (le narrateur, le mode de narration, le lieu de l’action, la temporalité, etc) par rapport à son prédécesseur, mais celui-ci constitue probablement le changement le plus radical de tous, à la fois en terme de protagonistes et de transmission d’informations au lecteur : Cook était resté jusque là très opaque sur certains points, et dans L’eau dort, il change complètement sa manière de faire, noyant presque le lecteur sous des révélations qui, pour certaines, sont complètement inattendues.

Attention, par contre : arrivé au tome 9 d’un cycle, les spoilers sur les romans précédents sont plus ou moins inévitables, mais sur ce livre en particulier, il est quasiment impossible d’en faire une chronique sans vous spoiler horriblement ses prédécesseurs. Je vous garantis une absence de spoilers majeurs sur les événements propres à ce tome 9, pour le reste la lecture de cette critique est à vos risques et périls. Si vous ne voulez pas vous gâcher certaines surprises de taille si vous n’avez pas encore fini Elle est les ténèbres, je vous conseille de passer directement à la conclusion. 

Situation

Quinze ans se sont écoulés depuis que la plupart des personnages principaux ont été mis en stase temporelle de l’autre côté de la Porte d’Ombre. La responsable du méfait a pris le pouvoir à Taglios, sous le nom de la Protectrice (officiellement, c’est toujours la Radisha qui est aux commandes, mais dans les faits, la sorcière dirige). Avec l’aide de Mogaba, elle a méticuleusement détruit la puissance de la Compagnie noire, de ses soutiens et alliés, et a étendu le territoire Taglien dans les guerres de Kiaulune. Le nouvel empire se croit débarrassé de nos mercenaires préférés… mais il se trompe.

En effet, Gobelin et Qu’un-œil n’ont pas été pris dans la nasse, il y a quinze ans ou lors des guerres de Kiaulune, et alors qu’on les croit morts, ils sont toujours bien vivants. Si le premier est toujours vif, le second est au bout du rouleau, approchant de l’âge vénérable de deux siècles. La plupart des Nyueng Bao s’en sont également sortis, et continuent à être le plus fidèle soutien de ce qui reste de la compagnie, dont le membre le plus emblématique est désormais… Roupille (qui est d’ailleurs également Annaliste et narratrice principale). Oui, oui, Roupille, le personnage de troisième ordre des tomes précédents ! Car tel est le gros intérêt de ce roman : les cartes ont été totalement rebattues suite à la mise hors-jeu de Toubib, Madame et compagnie. Faute de mieux, ce qui reste de l’Unité en est réduit aux sous-fifres, à deux sorciers vieillissants et à ceux qu’on avait considéré jusque là plus comme des alliés que comme des Frères de la Compagnie à part entière. J’ai personnellement beaucoup apprécié cette technique littéraire, qui a consisté à complètement changer la focalisation sur les personnages, ceux de première importance devenant quasi-absents d’une grosse partie du récit et ceux au troisième plan étant, au contraire, propulsés sur le devant de la scène.

Si Roupille, l’Annaliste, est le chef informel de la Compagnie, la véritable âme, la colonne vertébrale de l’unité, désormais entrée dans la clandestinité, est Sahra, la femme de Murgen. Murgen, qui, grâce à son don, peut rendre visite sous forme désincarnée à ses compagnons d’armes, et qui constitue pour eux une source d’informations inestimable, l’espion parfait (quelques chapitres adoptent d’ailleurs son point de vue). C’est la volonté inébranlable de Sahra de délivrer physiquement son mari qui pousse les nouveaux membres de la Compagnie, dont certains n’ont jamais connu Toubib et les autres, à avancer et à prendre des risques.

Durant ces quinze ans, l’enfant de Sahra et Murgen, Tobo, a grandi, tout comme la toile d’araignée tissée par la Compagnie, entrée dans la clandestinité, pour infiltrer Taglios, son palais et son administration. A coup d’actions « terroristes », d’assassinats ciblés, de subterfuges et de roublardises, le mouvement maintient sous pression la Protectrice, sa police secrète (les Gris) dirigée par Saule Cygne et l’armée commandée par Mogaba. Elle promet aux traîtres une terrible vengeance, tout en préparant une expédition de secours vers la Plaine scintillante. Encore faut-il trouver une autre clé qui ouvrira à nouveau la Porte d’Ombre…

(Changement de) personnages 

Ce tome met particulièrement à l’honneur les personnages féminins, protagonistes (Sahra, Roupille) ou antagonistes (la Protectrice, Kina, la Fille de la Nuit, la Radisha). Si Madame avait déjà eu l’honneur d’être sous les feux de la rampe et de diriger la Compagnie, aucun tome n’avait, jusque là, donné une telle importance aux femmes, toutes et pas seulement une en particulier.

Pour autant, les personnages masculins ne sont pas oubliés, le principal étant Tobo (qui va visiblement prendre une énorme importance dans le tome suivant). Mais, pour des raisons diverses, Saule Cygne, l’oncle Doj, Qu’un-oeil et Gobelin sont aussi mis en avant dans le roman.

D’une façon générale, les « nouveaux » personnages (je vais inclure ceux qui existaient déjà mais étaient particulièrement en retrait, comme Sahra et Roupille) sont très intéressants, et ont surtout le gros mérite de nous proposer autre chose que les têtes qu’on voyait jusque là sans arrêt ou quasiment depuis 8 tomes.

(Changement d’) ambiance

eau_dort_2On remarque d’abord que l’ambiance hindoue, qui montait progressivement en puissance depuis Jeux d’ombres, atteint ici son point culminant (notamment du fait que le triplement de la population de Taglios en moins d’une génération a fait que l’importance et l’observance de la caste et de la condition sociale ont énormément augmenté, et sont observées de façon plus stricte). Ensuite, les deux premières parties du roman (Taglios et voyage vers la Porte) ont un ton moins militaire et plus espionnage / infiltration / assassinat / terrorisme, qui était en grande partie absent du cycle jusqu’ici (la Compagnie a pour but de se venger de ceux qui l’ont trahie, malgré de multiples avertissements qu’en pareil cas, les conséquences seraient terribles). Et puis évidemment, le fait que les femmes soient à la tête de la compagnie modifie deux-trois choses aussi (Gobelin et Qu’un-œil s’en donnent notamment à cœur joie à propos du manque d’intérêt de Roupille pour les plaisirs charnels).

Enfin, la dernière partie (sur la Plaine) propose une ambiance proche de deux grands auteurs de Fantasy que je vais éviter de citer pour ne pas mettre la puce à l’oreille des connaisseurs à propos de certaines révélations. Et d’ailleurs, puisqu’on en parle…

Révélations

Glen Cook s’était jusque là montré très mystérieux, voire cryptique, sur tout un tas de points, dont certains étaient présents dès le tome 1 et dont d’autres sont apparus petit à petit dans le cycle, mais sans jamais être clairement expliqués. Dans ce tome, il répond à toutes les questions ou quasiment : nature de Khatovar, des Compagnies Franches, destin des compagnies autres que la Noire, provenance, nature et identité des Maîtres d’Ombres, nature de Kina, des Nyueng Bao, fonction exacte de l’Oncle Doj, nature de la Plaine qui s’étend de l’autre côté de la Porte d’Ombre, et j’en passe. Autant dire que pour le lecteur, c’est quasiment l’orgasme, et que ce tome devient ainsi in-dis-pen-sa-ble dans le cycle, tant il éclaire d’un jour nouveau tout un tas de points restés jusqu’ici obscurs.

Certaines de ces révélations étaient prévisibles pour le lecteur ayant lu ses classiques (les deux auteurs que j’ai consciencieusement évité de citer un peu plus haut), mais d’autres ne l’étaient pas du tout. L’une d’elles répond à une question qui est sous-jacente à une partie de la High / Dark / Fantasy épique : que fait un Grand Méchant lorsqu’il a conquis le monde ?

La fin n’est que partiellement prévisible (et réserve un grand moment d’émotion), et ouvre, une fois de plus, des perspectives fascinantes pour l’ultime tome du cycle, celui où tous les comptes vont être réglés.

En conclusion

Cet avant-dernier tome du cycle de la Compagnie Noire propose quelque chose de complètement neuf, vu que la fin du roman précédent a complètement rebattu les cartes en mettant au premier plan des personnages de deuxième, voire troisième zone jusque là. L’eau dort se résume donc à une quête de ce qui reste de la Compagnie, quinze ans après, pour faire payer les responsables, ainsi qu’à une mise en route du plan de sauvetage des disparus. Sauvetage qui donnera lieu à de nombreuses révélations explosives sur la nature exacte de tel ou tel peuple, personnage, dieu, organisation, endroit, bref qui vous donnera les clés de compréhension que Glen Cook vous a longtemps refusé. Ce livre est donc un incontournable du cycle, à lire absolument si vous voulez tout comprendre. Sa fin, riche en émotion, ouvre, une fois de plus, de fascinantes perspectives pour l’ultime tome, qui promet d’être aussi riche en vengeances longtemps attendues que certains épisodes bien connus d’un certain Trône de Fer.

Pour aller plus loin

Ce roman fait partie d’un cycle : retrouvez sur Le Culte d’Apophis les critiques :

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous recommande la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca (première partie, deuxième partie),

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17 réflexions sur “L’eau dort – Glen Cook

  1. Miam! miam!miam!
    Ouuuh, je sens que je vais me régaler! COmme d’habitude après la lecture de ta critique je n’ai qu’une envie : me précipiter sur La Compagnie Noire.

    Pour une fois, je vais pouvoir assouvir ce désir car je commence Château Noir dès ce soir!!!
    Merci, je me suis régalée à la lecture, et cela motive pour lire la suite du cycle.

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  2. Ping : La Compagnie Noire – Glen Cook | Le culte d'Apophis

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  10. Coucou,
    Qu’est-ce que ça m’agace ces éditeurs français qui coupent les bouquins en 2 et hop plein de sousous en plus pff.
    Cette série à l’air bien mais je vais d’abord lire toutes les sagas que j’ai dans la bibliothèque ^^

    Aimé par 1 personne

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