Aube de fer – Matthew Woodring Stover

Quand « Le Bon, la Brute et le Truand » rencontre Glen Cook et Christian Jacq

aube_de_ferAprès toute une série de livres intelligents, sensibles et humanistes, je me suis fait une réflexion : pour reprendre les mots éternels de Richard B. Riddick, « Quelque part, le long du chemin, je me suis égaré. Je suis devenu négligent. J’ai émoussé mon propre tranchant. J’ai alors commis ce qui est peut-être le plus grand des crimes… je suis devenu civilisé ». Cette douloureuse prise de conscience effectuée, j’ai décidé de me reprendre en main, de refaire du Culte d’Apophis un autel à la barbarie, une chapelle à la gloire de la violence, un hymne à la destruction : place donc à la Fantasy de l’âge du Bronze, un truc bien brutal, dont l’héroïne est une princesse guerrière qui ferait passer Xena pour une ballerine (comme dirait un autre de mes philosophes préférés, ce bon vieux Johnny « Drama » Chase).

Je me suis donc rué sur Aube de fer, roman de Matthew Woodring Stover, auteur de Fantasy, de Science-Fantasy et de SF, dont quatre livres liés à Star Wars (y compris la novélisation de l’épisode III). Cet ouvrage est le premier tome d’un diptyque (le second n’ayant pas été traduit par l’Atalante et n’existant pas en version électronique en VO).

Genre, Univers, Personnages *

Barra Barra, Rachid Taha, 2000.

Pour une fois, pas de complications : le genre = Fantasy historique (mais voyez plus loin tout de même, il y a une subtilité), l’époque = aux alentours de 1224 avant J.-C. (soit un demi-siècle après la bataille de Qadesh et cinq ans après la fin du siège de Troie, au crépuscule du long règne de Ramsès II), le lieu = Tyr, province de Phénicie (à cette époque sous contrôle égyptien).

Nous suivons un trio de mercenaires, qui se sont récemment associés mais ont déjà formé des liens solides. Après quelques revers de fortune, ils décident d’aller chercher de nouveaux contrats à Tyr, la ville dans laquelle résident les parents adoptifs de l’élément féminin du groupe, Barra. A cette époque, la cité, sous suzeraineté égyptienne, est la plus cosmopolite du monde, et un centre florissant du commerce Méditerranéen. A Tyr, cette activité est dominée par cinq Maisons Marchandes, dont les « princes » sont les plus puissants notables de la ville, ceux qui détiennent le véritable pouvoir. Les parents de Barra, Péliarchus et Tayniz, sont des Clients (au sens romain du terme) de l’une d’elles, la Maison Penthédès (la plus puissante).

Nos trois chiens de guerre forment une compagnie à priori mal assortie, mais d’une efficacité redoutable. Ce sont un peu le Bon, la Brute et le Truand (comme dans le film de Sergio Leone) de l’Antiquité :

  • Le Bon – Leucas : grec, vétéran couturé de cicatrices de la Guerre de Troie, 35 ans, très grand et d’une force prodigieuse, le gaillard impressionne. Il a côtoyé les plus grands héros de son peuple lors des dix ans qu’a duré le siège de la ville d’Hector. Pugiliste, à la gueule cassée, je l’ai imaginé avec la tête de Mickey Rourke, personnellement. Il se révélera intellectuellement moins limité que ses compagnons le pensaient, et doté d’une étrange faculté à résister aux coups, comme s’il était béni par un dieu ou une déesse…
  • La Brute – Barra : 29 ans, rousse flamboyante, cette petite femme (sa taille la complexe) aux formes assez peu féminines est une boule de nerfs maniant d’une façon redoutable hache d’armes et de jet. C’est aussi une princesse Picte, fille du roi d’Eire (la façon dont elle s’est retrouvée « adoptée » par des négociants phéniciens, puis à déambuler à la recherche de baston d’aventure sur tout le pourtour de la Méditerranée est expliquée dans le livre). Partie de chez elle à 14 ans, après avoir donné naissance à un fils, elle a derrière elle dix ans d’expérience en tant que mercenaire et commerçante (elle possède des parts sur un des bateaux de sa famille adoptive). C’est aussi une acrobate hors-norme. Coléreuse, mal embouchée, elle attire pourtant  immédiatement la sympathie du lecteur. Elle aussi se révélera posséder un pouvoir unique (en plus d’un odorat hors-normes). Elle a pour compagnon Graegduz, un jeune loup « apprivoisé ».
  • Le Truand – Khépéru : cet égyptien se caractérise avant tout… par son odeur nauséabonde, résultat de la crasse qu’il accumule et des produits chimiques et autres herbes pas vraiment aromatiques qu’il transporte en permanence sur lui (il est alchimiste). Geignard, mesquin, pleurnichard, cupide, déloyal, ce vieux birbe aimant prendre l’apparence trompeuse d’un pauvre vieillard inoffensif est en fait adepte de toutes les perversions possibles et imaginables. Banni d’Égypte, cet individu rondouillard, un roublard de première (il triche aux jeux de « hasard », par exemple), fait parfois preuve d’une surprenante bravoure, et il se révélera, comme Leucas, plus complexe que ses compagnons ou le lecteur ne pouvaient l’imaginer de prime abord. Lui aussi attire tout de suite la sympathie du lecteur. Personnellement, il m’a rappelé Gobelin ou Qu’un-Oeil du cycle de la Compagnie Noire, mais en encore plus extrême.

Barra, bien que, de façon informelle, chef du trio, à beaucoup de mal à se faire reconnaître comme telle, ou même comme une interlocutrice valable, à Tyr du simple fait… qu’elle est une femme.

Globalement, outre Sergio Leone, le livre rappelle à la fois Glen Cook (pour le ton général et le personnage de Khépéru) et un peu Christian Jacq, pour le cadre mêlant égyptiens, Phéniciens, Hittites, Grecs, Pictes et compagnie. Cadre, d’ailleurs, qui est très bien reconstitué, jusqu’aux odeurs (l’odorat a une grande importance dans le livre), et qui tient parfaitement compte des particularités culturelles des uns ou des autres (et tout spécialement celles des grecs).

Intrigue

Tyr a un problème : toutes les Maisons Marchandes sont frappées par des attaques (entrepôts incendiés, navires qui disparaissent corps et biens, caravanes attaquées), et de plus, les tavernes et lupanars qu’elles exploitent semblent frappées d’une terrible malédiction. De toute évidence, une des Cinq a engagé un puissant sorcier pour affaiblir ses concurrents dans la guerre commerciale qui les oppose, et se frappe elle-même pour détourner les soupçons. Mais laquelle ? Barra et ses compagnons arrivent sur ces entrefaites, et suite à un incident avec un ours, attirent l’attention de tous. Une des Maisons va alors les engager pour découvrir l’identité du magicien. Va ensuite s’ensuivre une enquête rondement menée par l’auteur, entrecoupée de scènes d’action pas dégueulasses (ou plutôt si, tant elles sont sanglantes, mais elles sont en revanche très bien décrites 😀  )

Si les Maisons sont au croisement de la Corporation moderne et de la Mafia, avec notamment le célèbre chantage à la protection, l’affaire va cependant, au cours du récit, révéler des ramifications politiques en lien avec les égyptiens. De même, l’aspect fantasy va lui aussi évoluer tout au long du livre : alors que certains événements, comme la prétendue « malédiction » des tavernes, vont trouver une explication rationnelle, plus l’intrigue avancera, et plus une vraie et incontestable magie va apparaître. Attention, il ne s’agit en rien d’une ambiguïté laissée à la discrétion du lecteur comme dans un roman Fantastique, ou d’une double explication dans le genre de celle qu’on trouve dans le Gilgamesh de Silverberg, car dans les deux cas (début rationnel et fin magique), aucune confusion n’est possible. Notez que le vil sorcier invoque les Enfants d’Apep (comprenez : démons), ce dernier nom étant une autre appellation pour le dieu… Apophis !

Le point de vue principal adopté dans la narration est celui de notre trio de choc, mais parfois l’action est vue par les yeux des antagonistes… ou de leurs victimes. De même, il y a un vague aspect épistolaire, via les lettres envoyées par Barra à ses deux fils, au pays, le biologique et l’adopté.

Le roman est rondement mené, très bien rythmé, et nous en apprendra plus sur le trio, particulièrement sur Barra et Khépéru, qui cachent des blessures secrètes. De plus, comme précisé plus haut, l’égyptien et le grec se révéleront, chacun dans leur genre, moins « bourrins » qu’imaginé au départ. La fin fait un relais avec le roman suivant, qui met en jeu les tribus Habirou, des ancêtres des Hébreux.

Un mot sur les combats, particulièrement sanglants et explicites, comme l’ensemble du livre d’ailleurs. Je préfère prévenir, ce livre, bien que doté de personnages fort attachants, ne fait pas dans la dentelle.

En conclusion

Ce petit livre de Fantasy Historique pas franchement connu nous projette dans l’Antiquité, à la fin du long règne de Ramsès II, quelques années après la fin du siège de Troie. Nous y suivons un trio de mercenaires, sorte de « Le Bon, la Brute et le Truand » antique mené par une princesse guerrière Picte particulièrement féroce, maniant la hache avec une mortelle dextérité. L’intrigue, qui cherche à déterminer pour qui travaille le vil sorcier qui essaye de couler les cinq Maisons Marchandes possédant le vrai pouvoir dans la grande cité de Tyr, se balade entre polar, complot à ramifications politiques, magie et action. Les protagonistes sont fort sympathiques, l’aspect enquête rondement mené, les combats très explicites, le rythme impeccable, bref cet improbable mélange entre Sergio leone, Glen Cook et Christian Jacq fait passer un moment franchement agréable, sans prise de tête. Voilà qui achève de convaincre que le cadre antique, négligé dans les romans de Fantasy modernes (à part dans quelques cas, le plus évident étant celui de David Gemmell), est largement plus intéressant que le sempiternel médiéval-fantastique qu’on nous ressert à toutes les sauces depuis… oh, plus que ça.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca sur le Bibliocosme,

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26 réflexions sur “Aube de fer – Matthew Woodring Stover

  1. Ça a l’air sympa 🙂
    Par contre, un point me turlupine : comment Barra fait pour supporter Khépéru avec son odorat hors-norme ?

    (et cette chronique ne serait-elle pas plus courte que d’habitude ? *frustrée*)

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    • C’est très sympa, oui 🙂

      La réponse est : difficilement ^^

      (un peu, oui, mais en même temps, vu que l’intrigue, le contexte et le genre sont très simples à résumer, il n’y a pas forcément besoin de vous infliger ma logorrhée habituelle 😀 )

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  2. J’avais bien aimé aussi 🙂 Mais dommage effectivement que la traduction du tome 2 ne soit pas d’actualité… Quant à ton association des personnages au célèbre trio Bon/Brute/Truand, je n’y aurais pas pensé mais c’est exactement ça ^^

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    • Le pire, c’est qu’il n’y a pas de version électronique en VO, et que les versions physiques ne se trouvent pas neuves. Et vu que je ne recours à l’occasion qu’en dernier recours…

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  3. Ping : Aube de fer | Le Bibliocosme

  4. Intéressant tout ça… Tout à fait ma came.
    Et oui, trop de subtilité, faut pas pousser !

    Citer Johnny drama dans une critique, c’est balèze quand même, respect ! (j’aime tes références culturelles :D)

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    • Oui, je pense que tu devrais aimer.

      Vouant un culte à Entourage (c’est, avec Californication et Lucifer, mon remède préféré à la morosité de notre époque), je me devais de placer Drama à un moment ou un autre 😀

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  5. J’adore ton intro. Et c’est vrai ! Place à la fanfare et à la percussion!
    J’attends du sombre, du tortueux et du sanglant dans le Culte d’Apophis, quelques sacrifices littéraires sur les autels de la qualité ( sorry, je sais que tu n’aimes pas les « navets », nous adorons tes critiques). Que diantre! Secoue un peu la PAL, et fait gémir les effarouché(e)s. Je m’emporte…

    Ca c’est un roman qui me plait, et la présence « Apepophis » dans les pages attire forcément la curiosité. Le seul hic c’est l’absence d’un tome 2 au diptyque. C’est un peu couillon.
    Autrement, c’est alléchant comme critique. Je te sens plus en verve que la dernière.

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  6. Apepophis est tout de même très anecdotique, l’auteur ne s’étend pas dessus, mais il m’a paru amusant de le signaler.

    C’est pas faux. En même temps, celle là a été bien moins compliquée à écrire, tout y est beaucoup plus simple. Je n’ai pas compté, mais si j’y ai passé une grosse heure, c’est le bout du monde, alors que pour le roman d’Ekaterina Sedia, c’était facilement deux fois et demi plus (il est beaucoup plus riche, en même temps).

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    • Ce qui est étonnant et regrettable à la fois : ce n’est certes pas un chef-d’oeuvre immortel de la Fantasy, mais c’est suffisamment bien fait pour permettre de passer un moment très sympathique et dépaysant.

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  7. Celui-là, il est dans mon collimateur depuis un bail, et je crois que je continue plus ou moins inconsciemment d’attendre qu’il passe en poche avant de l’acheter. Mais s’il a fait un bide à sa sortie, et vu qu’en plus c’est de l’Atalante, les probabilités que cela arrive sont sans doute proche de zéro…

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  8. C’est bien dommage en effet que ce très bon roman n’ait pas trouvé son public !
    Une autre pépite (aussi rare et peu connue) de cet auteur : « Les héros meurent aussi »…Les 3 livres suivants de la même série n’ont jamais été traduits,zut…

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    • Oui, j’ai repéré « Les héros meurent aussi », notamment en raison de son résumé assez peu banal, de la pure science-fantasy. Je suis heureux de savoir qu’en plus de l’originalité, la qualité est également au rendez-vous. Merci pour l’info 🙂

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    • C’est vrai, mais d’un autre côté ce tome 1 constitue aussi une histoire complète en lui-même, rien n’est laissé en suspens à la fin. Tu as juste un petit passage qui te donne une idée de ce que va être la prochaine aventure du trio infernal.

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  9. Ping : The rage of dragons – Evan Winter | Le culte d'Apophis

  10. Ping : L’œil d’Apophis – Numéro 16 | Le culte d'Apophis

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