Elle est les ténèbres – Glen Cook

Un tome 8 un peu trop long, un peu lent, mais marqué par des révélations et autres rebondissements vraiment passionnants

darkness_1_cookElle est les ténèbres est le huitième tome du meta-cycle de la Compagnie Noire, et le second des Livres de la Pierre scintillante. Alors que le tome 7 avait, de façon assez surprenante, évacué la poursuite de la Fille de la Nuit et la bataille finale contre les Maîtres d’Ombres au profit de flash-backs à l’époque du siège de Dejagore, ce roman se consacre en revanche entièrement à la vengeance tant attendue de nos héros contre leurs ennemis jurés. Et en amples détails, qui plus est : Elle est les ténèbres est, à ce stade du cycle, le plus gros des romans qui le composent. C’est pourquoi les deux éditeurs français (l’Atalante et J’ai lu) l’ont coupé en deux tomes. Personnellement, je l’ai lu en édition intégrale, semi-poche, et je vous propose donc la critique de ces deux parties (de l’intégralité du roman original) en même temps.

Comme dans le tome précédent, c’est Murgen qui est Annaliste, Porte-étendard et narrateur. Un narrateur partiellement omniscient puisqu’il continue à utiliser les capacités de Fumée à son profit, en plus de développer celles dont il a lui-même fait preuve dans Saisons funestes. Glen Cook nous fait donc voyager à travers les milliers de kilomètres et le temps, nous montrant sous forme de (petits) flash-backs certains événements ou suivant simultanément ou presque des personnages dispersés à travers un immense territoire. 

Avertissement : arrivé au huitième tome d’un cycle, le spoil plus ou moins involontaire sur l’intrigue ou les révélations des tomes précédents est inévitable. Je fais tout mon possible pour que ça n’arrive pas, mais soyez-en conscient quand-même si vous n’avez pas encore lu le tome 7 ou les précédents. Par contre, cette critique est garantie sans spoiler majeur sur l’intrigue de ce tome 8.

Cry Havoc

Le lecteur l’attendait, Toubib et Madame s’y préparaient depuis plusieurs années (à coups de pyramides de réserves de ceci ou de cela) : cette fois ça y est, la Compagnie et ses auxiliaires Tagliens se lancent à l’assaut du cœur du territoire des Maîtres d’Ombres, dont un seul à survécu, Ombrelongue. Et, chose pratique, il a agrégé autour de lui tous les ennemis de la Compagnie : Narayan Singh, Lame, Mogaba, un certain Asservi, et bien entendu la Fille de la Nuit. Afin de prendre leurs adversaires au dépourvu, Toubib lance sa campagne… en plein hiver. De fait, bien aidée par le comportement étrange d’Ombrelongue (qui agit en dépit du bon sens sur le plan militaire et surtout bride complètement le redoutable Mogaba, génie stratégique et tactique), la Compagnie va de succès en succès, et franchit sans encombre la chaîne des Dhanda Presh (voir carte ci-contre).

Toubib et ses hommes sont aussi bien aidés par les nouvelles inventions des fabriques d’armes de Qu’un-Oeil (et ses bombes incendiaires) et surtout de Madame : elle a mis au point des bambous lanceurs de boules de feu / d’énergie qui ne sont pas sans rappeler des pistolets, des fusils, bazookas ou, montés sur des chariots, des… orgues de Staline ! Bref, dès 1997 (date de publication du livre en VO), Glen Cook se place en quasi-précurseur de la Flintlock / Gunpowder Fantasy ! Les bambous sont des armes à répétition, conçues avant tout pour lutter contre les Ombres mais capables de gros dégâts contre les gens et les infrastructures également.

Lorsque les conditions deviendront trop mauvaises, la Compagnie s’arrêtera pour un long moment, avant de se lancer dans l’assaut final : celui de Belvédère, la forteresse d’Ombrelongue. Et c’est à ce stade du livre que ça se gâte…

Problèmes de rythme et de longueur

Le souci, c’est que le livre est trop long et entre un peu trop dans des détails assez inutiles, particulièrement par rapport à tous les tomes précédents, dont une des caractéristiques marquantes est qu’ils allaient toujours à l’essentiel. Les phases du type « on se terre dans nos bunkers en attendant que la neige / pluie cesse ou en attendant le bon vouloir du Capitaine ou de Madame » sont beaucoup trop longues, et plombent un rythme qui, dans ce cycle, s’était toujours révélé bon. Alors certes, il y a de très, très nombreux retournements de situation et autres révélations qui réveillent périodiquement l’intérêt, et il serait abusif de dire qu’on s’ennuie. Par contre, il est incontestable que 1/ on fait des comparaisons négatives par rapport aux romans précédents et que 2/ faire plus long, pourquoi pas, mais à condition de faire long et toujours intéressant. J’ajoute que certaines choses sont très étranges : il y a de nettes longueurs sur certains passages sans intérêt majeur, mais par contre ce qui promettait d’être absolument épique (vu qu’on nous rabâche depuis je ne sais combien de tomes combien cette forteresse est censément imprenable et hors-normes), à savoir l’assaut de Belvédère, est pratiquement évacué d’un revers négligent de la main. Voila qui se révèle décevant, et quelque peu incompréhensible.

Il y a d’ailleurs une anecdote très intéressante : à un moment, Toubib fait une analyse des Livres de Murgen, et on a l’impression d’une vraie mise en abyme. Car la façon dont l’ancien annaliste juge le travail du nouveau pourrait être celle dont Cook juge son propre travail : pas assez de descriptions, s’étend plus que nécessaire, et ainsi de suite.

Je reviens sur ces révélations et autres rebondissements : ils sont légion. Vraiment. Entre les changements d’allégeance surprise (très nombreux), les personnages qu’on croyait morts et qui ne le sont pas, un stratagème incroyable de Toubib, l’explication du retour des pouvoirs de Madame (une grande réussite), un personnage tertiaire qui ne se révèle (doublement) pas être ce qu’il paraît être, les origines des Compagnies Franches et leur nombre exact (douze), on en prend plein les yeux. Ajoutez à cela quelques combats épiques et un humour (notamment une certaine anecdote concernant Qu’un-Oeil), une gouaille et un argot toujours au rendez-vous, et on ne peut certainement pas dire que globalement, on ait affaire à une lecture dispensable, bien au contraire. Juste critiquable sur certains points. L’un d’entre eux, d’ailleurs, me dérange tout particulièrement.

Être ou ne pas être, telle est la question

J’en avais déjà parlé dans la critique d’un tome précédent, mais si j’ai beaucoup d’admiration pour Glen Cook, en revanche un point m’agace particulièrement chez lui arrivé à ce stade du cycle : une incapacité à faire mourir la plupart des antagonistes pour de bon. A part le Dominateur, dont on est raisonnablement certain qu’il ne reviendra pas, ainsi que les autres Maîtres d’Ombres qu’Ombrelongue, la plupart des autres « méchants » ne restent pas morts lorsqu’ils sont censés avoir été zigouillés, ou ne restent pas prisonniers même lorsqu’on a pris toutes les précautions imaginables pour les neutraliser. Je pense qu’arrivé à un certain point, il faut que le grand ennemi soit vaincu et laisse sa place à un nouvel antagoniste, si besoin, ce qui évite la lassitude du lecteur qui revoit toujours les mêmes têtes, et se dit « pfff, tout ça pour revenir au point de départ ».

J’ajoute que désormais, le phénomène commence aussi à s’étendre… aux protagonistes. Ne pleurez pas forcément certains disparus, ils pourraient bien revenir… Bref, là, clairement, Cook use et abuse du procédé, jusqu’à l’overdose, en tout cas pour ma part.

Personnages

Cela faisait quelques tomes que Gobelin était en retrait (surtout par rapport à Qu’un-Oeil), et le grand éclatement des personnages dans diverses missions et des lieux différents va nous donner l’occasion de le revoir un peu plus. Qu’un-Oeil, lui, est toujours autant présent, voire un poil plus. Madame fait son retour au premier plan, ainsi que certains anciens de la Compagnie dont nous n’avions pas forcément eu de nouvelles depuis un bon moment.

Mais les deux personnages qui évoluent le plus et sont le plus mis en vedette restent Murgen (c’est le narrateur, après tout) et Toubib : ce dernier, de plus en plus taciturne, se révèle changer de dimension en tant que chef de guerre, et être un vrai fanatique dans sa quête du Khatovar. Par contre, j’ai été surpris par la nature de la (non-)relation entretenue par lui et Madame avec la Fille de la Nuit, même si, rétrospectivement, elle est assez logique. Quant à Murgen, il va aller de surprise en surprise, certaines bonnes, d’autres… beaucoup moins.

Au passage, l’absence de carte et de Dramatis Personæ se fait cruellement sentir : les personnages sont extrêmement nombreux, certains ne sont pas apparus depuis longtemps et étaient de deuxième ou de troisième ordre à l’époque, ce qui fait qu’on a du mal à s’en souvenir, et enfin, l’éclatement de la narration sur beaucoup de lieux différents (plus les voyages) fait que l’absence de carte est un gros point noir (si besoin, voyez celle fournie plus haut).

La fin est particulièrement réussie, et à elle seule, elle suffirait à m’inciter à vous conseiller la lecture de ce tome 8 : en quelque chose comme 5 pages, Glen Cook fait d’énormes révélations, et surtout rebat toutes les cartes. La situation s’inverse complètement, et du coup, des personnages de troisième zone vont être amenés, dans les deux derniers livres du cycle, à jouer un rôle de tout premier plan. Sur ce coup là, par contre, je dois dire que le coup du « il n’est pas mort, il n’est plus prisonnier, il blouse tous ses ennemis, et il est bien content » (le « Cthulhu style ») est très bien utilisé. C’est à cette occasion qu’on s’aperçoit que l’auteur a méticuleusement bâti tout un édifice, dont il ne nous donne toutes les clefs que dans ces fameuses 5 dernières pages (sur 615 dans l’édition semi-poche que je possède). Et pourtant, nous aurions du tout voir venir, car d’innombrables allusions étaient dispersées tout au long du livre… Bref, une grande réussite, qui donne furieusement envie de savoir comment la Compagnie va se sortir d’un cliffhanger aux dimensions bibliques.

En conclusion

Ce tome 8 est le premier pour lequel je relève autant de points vraiment négatifs : longueurs, manque de rythme, côté « les méchants ne sont jamais vraiment vaincus ou tués ». Pour autant, il ne manque pas de qualités, à commencer par de nombreuses révélations et autres retournements de situation très réussis (pour la plupart), souvent peu prévisibles. C’est surtout sa fin qui fait tout son intérêt : elle rebat les cartes d’une façon telle que le tome 9 va forcément faire souffler un énorme vent de fraîcheur sur le cycle. De ce fait, Elle est les ténèbres reste globalement un roman recommandable, même si pas vraiment au niveau des meilleurs tomes du cycle de la Compagnie noire.

Pour aller plus loin

Vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman ? Je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca (partie 1, partie 2) sur le Bibliocosme, celle de l’Ours inculte,

Ce roman fait partie d’un cycle : retrouvez sur Le Culte d’Apophis les critiques :

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27 réflexions sur “Elle est les ténèbres – Glen Cook

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  6. Ping : Le château noir – Glen Cook | Le culte d'Apophis

  7. Et pour les qualités, les 5 dernières pages en sus.
    Bon, il me tarde d’en arriver là pour pouvoir comparer avec toi. Ce n’est pas encore la cas. J’ai fait la « bêtise » (?) de commencer Erikson en VO…. C’est très inspiré de la compagnie noire.

    Du coup je me retrouve avec deux grands cycle à lire d’une bonne dizaine de tomes chacun!

    Aimé par 2 personnes

    • Sauf que les volumes d’Erikson sont beaucoup plus épais, qu’il a commencé une préquelle (deux tomes parus sur trois) ainsi que d’autres bouquins qui se déroulent dans le même univers sans se situer dans la ligne principale de la série et qu’Esselmont a déjà produit sept tomes qui complètent la saga d’Erikson

      Aimé par 1 personne

              • Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer… Présentement, je ris beaucoup à la lecture du tableau wikipédia.
                Bon, je vais déjà finir La Compagnie Noire, au rythme d’un roman tous les deux mois et un Erikson tous les 6 mois.
                Finalement, les difficultés du VO sont moindre qu’anticipées même s’il existe encore des termes qui me sont inconnus (à ma liseuse aussi). Ce n’est pas l’épreuve que je redoutais. Conclusion, je ne vais pas me gêner pour lire les œuvres en VO.

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                • C’est très intéressant : j’ai toujours entendu dire qu’Erikson employait un vocabulaire inhabituellement riche et qu’il était, de fait, très difficile à lire en VO, même pour un lecteur expérimenté. Si tu me dis que c’est exigeant mais sans plus, je vais me lancer dans le tome 3 très rapidement moi aussi (j’ai lu les deux premiers en VF).

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                  • Franchement, je suis assez surprise. Je ne vais pas mentir, les 50 premières pages ont été assez laborieuses. Mais, ensuite, je me suis aperçue qu’il adoptait un langage en fonction du point de vue du personnage que l’on suivait avec des tournures de phrases. Le vocabulaire est plus riche que ce que j’ai lu jusqu’à présent en VO (les laurie King et les HP, et une poignée de romans), ce sont surtout les expressions moins courantes qui ont coincé au début.

                    Plus abordable que la montagne que je m’en faisais. Je concluerais : Vas-y!!!

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                  • Le tome 3 est excellent, avec un tout autre point de vue et des personnages nouveaux et parfois très spéciaux (mais je ne vais pas spolier). Il y a aussi une scène fantastique à la fin (comme dans le 2ème avec les corbeaux).

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                  • 1 par an finalement semble effectivement une bonne option surtout avec des tomes volumineux. Pour cette année je vais tenter tome 1 et 2. Puis opterai comme toi pour un annuel.

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