Torche de la liberté – David Weber / Eric Flint

Une première partie frustrante, une seconde moitié beaucoup plus efficace, et surtout la découverte (enfin !) de Mesa

torche_liberteTorche de la liberté est le deuxième roman (coupé en deux tomes d’environ 375 pages chacun) du cycle La couronne des esclaves, après le livre du même nom. Il s’agit d’une série dérivée du cycle d’Honor Harrington. Le troisième tome, qui sera également coupé en deux, paraîtra fin septembre sous le titre Les bas-fonds de Mesa.

Malgré le fait que ce roman soit affligé du défaut majeur de certains des tomes tardifs de la saga Honor Harrington (il est très, très verbeux -et abuse des points de vue multiples-, au détriment de l’action et / ou du rythme), sa lecture est très utile (bien que pas à proprement parler indispensable) pour comprendre pleinement En Mission (le tome 12 du cycle principal). En effet, il donne au lecteur une image beaucoup plus complète de Mesa, une puissance qui est un acteur majeur dans tous les cycles de l’Honoverse (principal + tous les secondaires).

Ce cycle dérivé est beaucoup plus orienté espionnage et opérations clandestines que la saga principale, qui est de la pure SF militaire (lourdement mâtinée de politique). Cependant, une bonne centaine de pages du tome 2 est consacrée à une bataille spatiale d’envergure, se déroulant autour de la planète Torche. 

Contexte, protagonistes

L’intervalle temporel couvert par ce roman est inhabituellement grand pour un livre de l’Honorverse : il s’étend de Novembre 1919 à Avril 1922 P.D, ce qui le fait démarrer à l’époque de La couronne des esclaves (et un peu avant L’ombre de Saganami, le premier livre de l’autre cycle dérivé de la saga principale) et terminer juste avant la fin de En mission, après le début de L’orage gronde ou celui de L’ombre de la liberté (troisième volume de l’autre cycle dérivé). La conséquence est que de nombreux événements sont mentionnés, et qu’il vaut parfois mieux avoir lu les livres en question (particulièrement ceux du cycle Saganami), faute de quoi on passe à côté de certaines références. Comme le fait qu’il ne s’agit pas de la première apparition du vaisseau d’exploration / scientifique Joie des Moissons, par exemple. Et je ne parle pas du chapitre 15, qui fait référence à la fois au cycle Saganami et à l’attaque de Mesa contre Manticore qui a lieu dans le cycle principal.

L’intrigue met en jeu de nombreuses factions, à commencer par le tout nouveau Royaume de Torche. Nous retrouvons donc les personnages de La couronne des esclaves, certains (Victor et Anton, principalement) étant beaucoup plus présents ou mis en vedette que d’autres. Mais ce que j’appellerais les « factions principales » de l’histoire sont loin de s’arrêter à ça : il y a les autorités du secteur de Maya (de plus en plus indépendantes par rapport au gouvernement central Solarien, qu’elles manipulent -ainsi que celui d’Erewhon- pour se constituer leur propre Flotte), les éléments renégats de la Flotte Populaire de Havre, un triplé Manpower / gouvernement Mesan officiel / Alignement Mesan (voir plus loin), les forces spéciales de Beowulf, et surtout, tout un tas d’intervenants mineurs (voir plus loin).

Le point principal de l’intrigue est en fait double : d’abord, Anton et Victor vont être conduits à se poser beaucoup de questions sur Manpower et Mesa, et donc à aller enquêter… sur place. Leur chemin va croiser celui de fonctionnaires de haut niveau, qui ont des raisons de douter du bien-fondé de la politique de leur nation, et cela va conduire à des conséquences pour le moins… explosives. Ensuite, le second pivot de l’intrigue est justement l’opération mise sur pied par Mesa pour aller donner une leçon aux sécessionnistes de Torche, opération qui va mettre en jeu des ramifications lourdement reliées à des tomes antérieurs (dans la chronologie interne de l’Honorverse) et postérieurs du cycle principal.

Narration : des défauts, des défauts et encore des défauts

En effet, il y a un point très, très pénible dans la narration : durant une très grosse partie du tome 1, le point de vue (pdv) change à chaque chapitre, ou quasiment. Pas grave, me direz-vous, ça se fait dans de très nombreux livres. Sauf que là, quasiment à chaque fois que le pdv change, c’est pour introduire de nouveaux personnages (j’en profite pour vous signaler qu’il y a bel et bien un Dramatis Personae… à la fin du tome 2. Si vous achetez les deux en même temps, sachez-le, il pourra être utile pour pouvoir suivre). Les dizaines, puis les centaines de pages défilent, et chaque fois qu’on croit que tous les protagonistes ont été introduits, paf, rebelote. On finit même par se demander à quel stade du livre ça va s’arrêter.

Autant le dire, il ne s’agit hélas pas du seul problème du livre : il y aurait eu de l’élagage éditorial à faire, tant il y a de bla-bla (défaut commun à tout ce qui a été écrit par Weber et / ou Flint passé un certain point dans le cycle principal ou les dérivés). Entre les choses qui sont potentiellement pertinentes mais beaucoup trop développées (la relation entre Simoes et McBryde, par exemple) et les descriptions à n’en plus finir totalement superflues (l’histoire du plus gros marchand de glaces de Beowulf, celle du parc d’attraction, celle des Aventures de Fong-Ho), l’impact sur le rythme ou le sentiment que ce livre n’est pas qu’une immense description, sans action, est assez colossal. Pourtant, quand action il y a (que ce soit une opération spéciale ou une bonne vieille bataille spatiale dans la grande tradition de l’Honorverse), c’est souvent prenant et efficace. De même, la scène qui réunit Honor Harrington (présente dans un seul petit chapitre), Victor et Anton est d’anthologie.

Bref, la mise en place est certes nécessaire, mais il faut un peu mieux la soigner, parce que là elle est à la limite de l’insupportable.

Signalons aussi l’utilisation à répétition d’un humour qui finit par être lourdingue, basé sur le contraste entre des personnages particulièrement versés dans l’histoire ancienne (comprenez : celle de notre propre époque) et d’autres qui ne saisissent jamais les références correctement. La première fois, ça fait sourire, la douzième, nettement moins.

Enfin, petit défaut mineur mais agaçant : on finit par se perdre dans les innombrables sigles de Flottes : VFSM, VFAM, VFLS, VFPE, j’en passe et des meilleurs, bref ça devient un peu lourd à la fin.

Le gros intérêt du livre : Mesa

Outre le fait de voir, après sa fondation (dans le livre précédent du cycle), la construction des institutions du Royaume de Torche (dont sa Flotte), et la bataille spatiale (quasi-)finale (très détaillée), le très, très gros intérêt de ce livre est d’en apprendre plus sur Mesa. Jusque là, c’était juste la planète d’origine de la terrible multiplanétaire esclavagiste Manpower. A partir de ce roman, ça devient beaucoup, beaucoup plus. Car en fait, il y a, très loin derrière Manpower, derrière même le gouvernement officiel du système stellaire, une organisation, l’Alignement Mesan, qui tire les ficelles et qui a un projet… grandiose. Disons que l’Alignement est un peu le mélange de la Fondation d’Asimov avec le Bene Gesserit de Frank Herbert, si vous voyez ce que je veux dire.

La conséquence est un changement assez conséquent de paradigme : Manpower n’est pas le véritable ennemi, c’est juste une couverture (involontaire, car même pas au courant) pour l’Alignement Mesan. Une organisation qui, d’ailleurs, se révèle posséder des ressources très surprenantes, situées dans des endroits qui le sont encore plus. Mais je vous laisse découvrir tout ça par vous-même…

La société de Mesa ressemble à celle de l’Afrique du Sud sous le régime de l’Apartheid, avec un système de castes : 30 % de citoyens libres, 10 % de descendants d’esclaves génétiques affranchis (l’affranchissement étant désormais interdit), servant de contremaîtres, et 60 % d’esclaves. Tout ça croisé avec un système d’Etat-Entreprise, comme ils disent dans GURPS Space, dans lequel tous les citoyens libres ont des actions. Et complexifié par le fait que même parmi les citoyens libres, il existe une seconde stratification, basée sur la lignée génétique et son classement en catégories gamma, beta et alpha (la plus prestigieuse). Alors attention, hein, je ne vous parle pas là d’un truc simpliste sorti tout droit d’une dystopie Young Adult, mais d’un vrai plan multi-millénaire à coups de manipulations génétiques et autres accouplements dirigés eugénistes à la Dune.

Les aperçus que l’on a du système Mesan et surtout de l’Alignement et de son Plan (avec un grand « P ») donnent clairement envie de se jeter sur la suite de cet arc, qui se trouve essentiellement dans le cycle principal (celui d’Honor Harrington proprement dit).

En conclusion

Mon impression à propos de ce livre (tome 1 + 2) est très ambivalente : d’un côté, la narration du tome 1 est tellement lourde et pénible qu’il me serait difficile, sur ce seul plan, d’en conseiller l’achat. Les changements de point de vue (et l’introduction de nouveaux personnages) incessants ne sont que l’arbre qui cache des scènes inutiles, un élagage éditorial qui n’a pas été fait correctement, ce qui conduit à un roman qui, dans sa première moitié, est plat et sans action. Clairement, la mise en place est beaucoup trop longue. Par contre, le tome 2 est franchement intéressant, bref, quand ça décolle, ça décolle vraiment.

Mais l’essentiel n’est pas là : ce roman nous fournit des clefs extrêmement utiles pour comprendre pleinement certains événements qui surviennent dans le cycle principal et qui sont liés à Mesa. Car Torche de la Liberté, c’est tout simplement Mesa pour les Nuls, rien de moins. Si vous voulez comprendre cette civilisation, connaître certains de ses secrets (et il y en a…), l’achat de ces deux livres sera indispensable. Même s’ils présentent de nombreux défauts d’écriture.

Pour aller plus loin

Ce roman est le second d’un cycle : retrouvez sur Le culte d’Apophis les critiques du tome 1 et du tome 3.

 

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