Le couteau aveuglant – Brent Weeks

Un second tome mené tambour battant

couteau_aveuglantLe couteau aveuglant est le second volet du cycle Le porteur de lumière, après Le prisme noir. C’est le plus petit des trois tomes parus jusqu’ici (cette saga avait été conçue à l’origine comme une trilogie, mais va en réalité bientôt s’enrichir d’un quatrième volume), enfin si on peut qualifier de « petit » un livre de près de 700 pages.

L’intrigue débute quelques jours à peine après l’évacuation de Garriston, et met en jeu les mêmes personnages que dans le livre précédent. Si, si, y compris l’insupportable Kip. Qui, croyez-le ou pas, va devenir intéressant. Étonnant, non ? Vous retrouverez dans ce tome 2 tout ce qui vous a séduit dans son prédécesseur, sans la plupart des défauts de ce dernier (notamment son début diesel ou le personnage de Kip qui n’était absolument pas au niveau des autres).

Le rythme

Un des deux gros défauts du tome 1 était que non seulement il démarrait très, très lentement, mais qu’en plus, étant donné son énorme longueur globale (pas loin de 1000 pages), cette fraction représentait en valeur absolue pratiquement un petit roman à elle seule ! Soyez rassurés, ce problème n’existe pas dans ce deuxième tome : le livre commence fort, il se passe sans arrêt quelque chose (sans que cela finisse par être lassant, comme ça peut l’être dans d’autres romans, sous la plume d’auteurs moins habiles), et comme dans le tome 1, il y a régulièrement de gros coups de théâtre histoire de faire passer (encore) une vitesse au rythme et à l’intérêt.

Evidemment, les choses s’accélèrent de plus en plus au fur et à mesure qu’on avance, surtout dans le dernier quart qu’on dévore plus qu’on ne le lit.

Les personnages, anciens ou nouveaux *

Instant Karma (We all shine on), John Lennon, 1970.

Ce qui est très intéressant, c’est que les trois personnages principaux du tome 1, dont Gavin et Kip, évoluent, et de façon très surprenante qui plus est. Alors que vous pensez que l’un d’entre eux va triompher après des années d’effort, il subit un revers inattendu. Alors qu’un second était au faîte de sa puissance, il va commencer à perdre les couleurs. Enfin, alors que Kip n’était pas bon à grand-chose (à part le sarcasme au pire moment), il va changer de dimension dans ce livre.

En effet, Kip va être envoyé à la Chromerie par son père, pour tout un tas de raisons politiques. A la fois pour accomplir la volonté de son père et ses objectifs personnels, l’adolescent va essayer d’intégrer les Gardes Noirs. Mais si, vous savez, le service de sécurité du Prisme, les nanas et les types qui, si nous étions dans D&D ou Pathfinder, seraient biclassés guerrier-magicien. Bref, des super-badass qui peuvent vous mettre la nuque à 90° à mains nues, vous enfoncer un projectile de luxine dans le globe oculaire, vous trancher le col à l’épée ou vous récurer l’oreille à coup de balle de mousquet. Ou tout ça en même temps. Certains osent même murmurer que la dernière fois que le légendaire guerrier Cheuke-Nor Isse les à croisés et qu’ils lui ont proposé un p’tit entraînement viril, il aurait répondu « je peux pas, j’ai piscine ».

Cet aspect entraînement et surtout examens de passage est très détaillé (mais pas trop) et franchement intéressant (notamment parce que Kip ne se révèle pas instinctivement super-badass dans l’exercice mais fait avec ce qu’il a, ce qui aide le lecteur a s’identifier à lui). Si Kip est encore parfois affligé de son syndrome de La Tourette, il devient peu à peu plus posé, plus réfléchi, moins instinctif. Bref, un homme et plus un garçon. Cet aspect initiatique est bien géré et plaisant.

Le pauvre va aussi devoir jouer à Magic, ou au Tetra-Master de Final Fantasy IX, c’est comme vous voulez (pardon… aux Neuf Rois) avec son pépé, l’épouvantable Andross Guile, qui n’a décidément absolument rien de sympathique. Heureusement, il va être soutenu par des camarades aspirants à la Garde Noire fort attachants, comme Teia ou Cruxer. Dans le genre pourriture, nous avons aussi droit à une autre belle brochette tout droit venue du tome 1, comme Aglaia Crassos ou Zymun.

Narration

Globalement, la narration se concentre, en alternance d’un chapitre à l’autre, sur Gavin (Gavin / Karris, même, souvent), puis sur Kip (à part égale ou quasiment), avant d’alterner parfois sur Liv (+ le seigneur Omnichrome et Zymun) et, quelques fois, sur d’autres personnages, comme le Canonnier ou l’occupant de la prison très spéciale décrite dans Le Prisme Noir. Certains de ces chapitres intermédiaires ultra-courts sont, d’ailleurs, assez obscurs jusqu’à ce qu’on atteigne la fin et qu’on puisse y voir un peu plus clair (heureusement, comme je le disais, ils sont très, très peu nombreux).

Par contre, il y a un point assez bizarre et qui, pour tout dire, me dérange dans ces chapitres faisant office de courts interludes : ils sont narrés à la première personne du singulier, contrairement à ceux mettant en jeu les protagonistes (ou désormais également les antagonistes, avec Liv). Ce n’est pas tellement cette différence de mode de narration qui me choque (encore que…) mais plutôt le fait que rien ne la justifie ou ne l’explique.

Liv a le mérite de nous donner un point de vue dans le camp opposé dans la guerre entre la Chromerie et le Prince des Couleurs (personnage qui s’étoffe également et devient encore plus fascinant), ce qui nous permet de constater à quel point elle a été endoctrinée / à développé un syndrome de Stockholm / a basculé du côté obscur. C’est flagrant durant la scène avec le miroir au sommet de la pyramide. C’est donc également un personnage qui évolue dans une direction diamétralement opposée à celle suivie dans le roman précédent.

Le magicbuilding *

Colors, Iced Earth, 1990.

Comme je l’expliquais dans la critique du tome 1, le magicbuilding (construction du système de magie de son monde imaginaire) de Brent Weeks est incroyablement détaillé. On aurait pu croire que tout avait été dit, mais non, l’auteur introduit de nouveaux concepts ou affine (voire même remet en cause !) ceux qui existaient déjà : Translucification forcée, décomposeurs de lumière, dons autres que ceux de Créateur et de Prisme (Miroir, Troisième œil), becs-de-fer et chiens de l’enfer, Banes, les nouvelles notions à assimiler sont nombreuses, autant que les bonnes idées d’ailleurs. La grosse nouveauté est l’introduction d’une nouvelle luxine (appelée Paryl) correspondant aux rayons T(erahertz), bref la gamme de fréquences qui s’étend en-dessous de l’infrarouge, et qui possède l’intéressante propriété de permettre de voir au travers des vêtements des gens. Pour voir s’ils ont des armes sur eux, hein, bande de petits vicieux !

La Paryl entraîne aussi plusieurs nouveautés, qui ne sont que suggérées (une autre « couleur » correspondant aux micro-ondes, qui se trouvent encore plus bas dans le spectre électromagnétique), voire même qu’on ne découvre qu’en lisant les annexes (le « Chi », une couleur qui correspond à l’autre extrémité du spectre, les rayons X et Gamma).

Toujours au chapitre magie, les combats sont toujours aussi intéressants, surtout quand on prend en compte la présence encore accrue des mousquets et des canons : c’est de la plus pure gunpowder fantasy dont il s’agit (certains utilisent indifféremment ce terme et celui de Flintlock Fantasy; pour d’autres, cette dernière n’est qu’une sous-catégorie spécifique de la gunpowder).

The Black Prism map final

Carte des Sept Satrapies (source : site de l’auteur) : pour une version pleine taille, cliquer ici.

Le monde s’étoffe

Nous visitons de nouveaux coins du monde au cours de cette guerre à Tyrea et dans l’est d’Atash, constatons dans les annexes que l’analogie avec l’antiquité méditerranéenne est plus que jamais valable, et découvrons de nouveaux titres ou noms d’objets / véhicules qui sont autant d’emprunts à des civilisations terrestres, bien que nous nous trouvions dans un monde imaginaire (dey / deya -origine ottomane, corrégidor -titre espagnol-, et ainsi de suite).

Le plus intéressant est que le séjour prolongé de Kip à la Chromerie nous permet de découvrir les lieux plus en détails, ainsi (et surtout) que la ville qui se situe autour. Nous avons enfin un aperçu, que ce soit au cours du récit (mention de la récente invention de la presse à caractères mobiles) ou dans les annexes (comparaison des différents types de mousquets et de leurs méthodes de fabrication), de la technologie de ce monde, technologie qui, Flintlock / Gunpowder Fantasy oblige, est très en avance sur celle d’un monde « classique » de Fantasy.

Explications… ou pas, et quelques défauts à relever

Ce tome 2 possède de très, très riches annexes qui, outre un dramatis personæ quasi-indispensable, comprennent des explications sur la magie qui sont franchement bienvenues. Nous en apprenons par ailleurs nettement plus sur l’expression qui donne son nom au cycle, « Porteur de lumière ».

Par contre, les Banes jouent un rôle important dans une bonne moitié de l’intrigue, et il faut arriver à la fin du livre, en gros, pour commencer à comprendre exactement ce qu’ils sont. Jusque là, on galère quand-même pas mal sur ce point précis, ce qui est tout de même embêtant vu qu’ils constitue un élément majeur de l’intrigue.

Enfin, pour finir avec le chapitre « absence d’explications », la véritable signification du titre de ce tome 2 ne prendra son sens que dans… ses deux derniers chapitres, en gros. Ça fait long à se demander « mais pourquoi l’avoir appelé comme ça ? ».

Toujours au chapitre des défauts, notons la quantité assez dérangeante de Deus ex Machina qui interviennent lors de l’examen d’admission de Kip dans les rangs des Gardes Noirs. Qui, d’ailleurs, ne se passe absolument pas comme vous pourriez l’imaginer de prime abord.

Enfin, notons que s’il se passe toujours quelque chose et qu’il y a des révélations et rebondissements toujours très intéressants, on a tout de même le sentiment que le livre est un peu trop long, même si cette impression est nettement moindre que dans le tome précédent.

De très grandes qualités

Certes, il y a des défauts (petits). Mais quelles qualités ! L’évolution des personnages, le système de magie qui s’étoffe encore, mais aussi une fabuleuse galerie de scènes à grand spectacle : le combat d’admission de Kip, l’attaque du vaisseau-amiral pirate, celle du fort, et bien entendu celle contre le Bane Vert à la fin.

Fin qui, d’ailleurs, est tout bonnement extraordinaire : un personnage, au bord de la ruine, a un coup de pouce inespéré du destin ; un autre, à la situation de plus en plus précaire depuis le début, tombe dans un trou sans fond ; le troisième enfin, alors qu’il est au faîte de sa gloire, perd brutalement tout et se fait capturer par un ennemi particulièrement inattendu (de par sa parenté avec lui…). Il y a deux cliffhangers in-sou-te-na-bles, qui vont m’obliger à m’arracher les cheveux pour revoir mon programme de lecture et insérer le tome 3 au plus vite…

En conclusion

Ce tome 2 évite en grande partie les erreurs du premier (départ diesel, personnage nettement moins intéressant que les autres même si autant mis en avant), et se révèle rythmé et passionnant de bout en bout. Avec ses multiples scènes à grand spectacle, ce très digne représentant de la Flintlock Fantasy ne déçoit jamais. Les anciens personnages s’étoffent et évoluent, parfois dans des directions surprenantes, et les nouveaux sont très intéressants (Teia). L’auteur, d’ailleurs, nous prend souvent à contre-pied, et finalement peu de choses sont prévisibles. La fin réserve deux énormes cliffhangers et donne une puissante envie de découvrir la suite.

Il y a certes quelques petits défauts (la notion longtemps floue dans le roman de « Bane », par exemple, alors qu’elle est centrale dans l’intrigue, quelques Deus ex Machina concernant Kip), mais ce tome 2 se révèle finalement plus solide que son prédécesseur. Sur deux tomes sur quatre, ce cycle se révèle pour le moment vraiment très recommandable, et sur le plan du système de magie, il gagne, dans ce tome 2, sa place parmi les œuvres de référence du genre.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Blackwolf,

Ce roman est le second d’une tétralogie : retrouvez sur Le Culte d’Apophis la critique du tome 1

 

 

17 réflexions sur “Le couteau aveuglant – Brent Weeks

  1. Ping : Le prisme noir – Brent Weeks | Le culte d'Apophis

    • Merci !

      Dans la colonne de droite, rubrique « liens » tu veux dire ? C’est normal, je trouve ton blog intéressant, et quand ça m’intéresse, j’ai envie de faire partager.

      Par contre, je le signale, j’ai beaucoup de retard dans le fait de rechercher si les unes ou les autres ont écrit des critiques sur les mêmes livres que moi, donc ne vous formalisez pas si vous voyez la critique d’untel citée dans les rubriques « pour aller plus loin » et que vous ne voyez pas la vôtre, c’est simplement dû au fait que ce genre de recherche prend du temps et que je n’en dispose pas assez, malheureusement.

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      • Oui, c’est exactement cela. Je vais faire la même chose sur mon site et mettre aussi les liens vers les blogs que j’aime bien. Évidemment, je ne manquerai pas de mettre le tien! Sinon, pour les liens vers les autres critiques ne t’inquiète pas pour cela!

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  2. C’est quand même super sympa d’avoir ce rappel de l’image en bandeau quand on clique sur l’article. J’adore (comme tu auras pu le remarquer ). Rien de plus motivant qu’une critique comme celle-ci pour inciter à démarrer le bouquin que j’ai dans ma PAL depuis ta critique du tome 1.

    Bravo et merci encore!

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    • Merci 🙂

      Le rappel d’image en bandeau, des fois ça fonctionne bien parce que l’image s’y prête, d’autres fois beaucoup moins parce que du coup le cadrage est bizarre (et à ma connaissance, il n’est pas modifiable). Par contre, le gros plus est que ça permet de faire quelque chose de propre et d’attractif quand on partage sur Facebook.

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  3. Coucou,
    Je n’ai toujours pas lu de Brent Weeks (pas taper 😉) mais j’ai bien 4 livres dans ma PAL dont le tome 1 de cette série faut vraiment que je me lance d’ici cet hiver
    Et en plus tu m’en s un petit lien sur Iced Earth je ne peux que te vénérer 😛

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  4. Ping : De l’Or à foison pour Août 2016 – Albédo

  5. Ping : L’œil brisé – Brent Weeks | Le culte d'Apophis

  6. Ping : Le miroir de sang – Brent Weeks | Le culte d'Apophis

  7. Ping : Le prisme noir – Brent Weeks | Le culte d'Apophis

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