Par les chemins de la soie – Naomi Novik

Feuer Frei !

temeraire_3Le titre (français) de ce troisième tome de la saga Téméraire, Par les chemins de la soie, est particulièrement trompeur, car si son intrigue nous conduit bien sur la route de la soie, les parties se déroulant en Asie puis à Constantinople sont finalement mineures par rapport à la deuxième moitié du livre, qui se concentre sur la Campagne de Prusse et de Pologne. Laurence et Téméraire, faisant escale à Macao après leurs aventures du tome 2, reçoivent l’ordre de filer ventre à terre vers l’Empire Ottoman, où ils doivent assurer le transport vers la verte Albion de trois œufs de dragons vitaux pour l’effort de guerre contre Napoléon (et de préférence avant qu’ils n’éclosent, faute de quoi ils ne seront bons qu’à être refilés à Daenerys Targaryen à prix discount). Problème : l’Allegiance, le transport de dragons qui les a convoyés en Chine, a subi un feu et ne sera opérationnel que dans deux mois. Une seule solution pour tenir les délais : partir par l’intérieur des terres, sous la conduite d’un guide anglo-asiatique mystérieux. 

Wanderings *

Lunatic Soul, 2010.

J’avoue que le début me laisse un peu dubitatif, car je crains que Naomi Novik ne nous refasse le coup du tome 2, à savoir un voyage finalement très long par rapport aux scènes qui se déroulent dans le pays de destination. Mais non, le périple vers Constantinople ne prend « que » 130 pages. A part l’implication de la dragonne albinos qui est devenue l’ennemie de Téméraire (ce n’est pas un spoiler, c’est sur la quatrième de couverture), le comportement très ambigu de Tharkay, le guide de Laurence, et le fait qu’on en apprenne un poil plus sur les dragons sauvages, cette première partie n’a rien de franchement passionnant (même si elle pose des jalons pour certains des tomes suivants ou la fin de celui-ci). Il y a bien une vague attaque de bandits, mais bon, on est loin, à ce stade, de la Fantasy militaire du tome 1.

Au passage, puisque je vous parlais de la quatrième de couverture, je la trouve assez trompeuse : rien, à sa lecture, ne laisse présager que 205 pages sur 460 vont se dérouler en Prusse et en Pologne. Le lecteur s’attend à beaucoup d’exotisme, que ce soit sur la Route de la Soie ou à Constantinople, et pas forcément à se retrouver en plein cœur de l’Europe.

La partie qui se déroule à Constantinople est plutôt intéressante, avec des rebondissements, des surprises, de l’action, un petit aspect enquête / polar pas dégueu, de l’exotisme et surtout une ambiance et une reconstitution de la vie Ottomane parfaitement bien rendues. De mon point de vue, le contrat serait rempli si, encore une fois, je n’avais pas été surpris par la brièveté de cette seconde partie : 125 pages. Du coup, le titre français de ce tome 3, Par les chemins de la soie (et qui, au passage, ne rappelle en rien le titre original : Black powder war), me paraît bien mal choisi, puisqu’il ne reflète finalement qu’une partie du livre.

tumblr_m71ettLtHE1rs4g4mo1_500Téméraire et son équipage vont en effet passer ensuite par l’Autriche, puis la Prusse, ce qui, du coup, n’a plus rien à voir avec la Route de la soie. Par contre, oh joie, oh bonheur, il y a un gros recentrage sur l’aspect militaire des choses (parce que, bon, les longs plaidoyers de Téméraire sur les conditions de vie du prolétariat draconique britannique, hein, ça va bien cinq minutes…), ainsi qu’une courte mais fascinante description de la version uchronique de l’Austerlitz local. L’aspect fantasy politique n’est pas oublié pour autant, bien au contraire : le jeu de « je t’aime : moi non plus ! » auquel se livrent les principales puissances de l’époque, alliées de circonstance mais promptes à changer d’allégeance au gré des revers ou des opportunités, est correctement décrit.

Les particularités de la pensée militaire Prussienne sont bien prises en compte, que ce soit au niveau des hommes ou de leurs dragons : discipline de fer, militarisme virulent, rigidité dans l’application des doctrines tactiques et stratégiques héritées de Frédéric le Grand.

La bataille d’Iéna

Pour ceux qui ne sont pas férus d’histoire militaire, Iéna (et sa bataille « sœur », Auerstaedt) constitue une des plus grandes victoires de Napoléon, alors qu’elle n’a pas, auprès du grand public, l’aura de celle d’Austerlitz. Iéna (14 octobre 1806), c’est la décapitation de la puissance militaire Prussienne, la Saxe qui glisse dans l’orbite française, la moitié du territoire de la Prusse qui passe sous contrôle de Paris (ainsi que la plupart de ses plus puissantes forteresses), et le versement d’énormes indemnités de guerre. Iéna, c’est le germe des trois guerres à venir entre Français et Allemands (1870, 1914, 1940). C’est aussi la blitzkrieg avant l’heure et côté français : 19 jours seulement entre le début de la Campagne et la prise de Berlin !

Globalement, Naomi Novik respecte les conséquences de la bataille, même si la présence de dragons modifie évidemment certains événements. C’est l’occasion de voir toute la souplesse de la pensée tactique, opérationnelle et stratégique française en action, comme ces tactiques aériennes peu orthodoxes qui prennent les Prussiens complètement au dépourvu, comme ces accessoires qui permettent de combiner de façon meurtrière cavalerie et dragons (ce qui est impossible en temps normal, les chevaux paniquant dès qu’ils flairent les puissants reptiles), ou comme ces transports de troupes, d’artillerie, de matériel et de ravitaillement aéroportés un siècle et demi avant l’utilisation des hélicoptères lors des guerres d’Algérie ou du Vietnam (ou de l’utilisation de parachutistes lors de la Seconde Guerre Mondiale). Bref, Naomi Novik a su combiner avec brio guerres Napoléoniennes, guerres postérieures et présence des dragons, alors que franchement, ce n’était pas une tâche forcément évidente.

Sa reconstitution de la bataille, et surtout de la retraite qui la suit, est assez magistrale (avec quelques combats aériens haletants, combats qui manquaient assez cruellement dans le tome 2), avec une ambiance crépusculaire très bien rendue. Il faut souligner, au passage, qu’il s’agit clairement du moins Young Adult des trois premiers tomes, et que cette atmosphère sombre et très militarisée risque de ne pas forcément plaire à toutes les catégories de lecteurs. Le récit se concentre sur l’action des forces Prussiennes, les Russes ne sont évoqués qu’en quelques phrases (et évacués, uchronie oblige, du siège de Dantzig).

Personnages

IskierkaTout en intégrant à son récit les acteurs de premier plan de la Campagne de Prusse (le Prince de Hohenlohe, la Reine Louise, etc), Naomi Novik s’arrange aussi pour donner un rôle important à Téméraire et Laurence, sans pour autant qu’ils arrivent à changer la donne. Le personnage de Tharkay est franchement intéressant, plus complexe et ambigu que les humains rencontrés jusque là dans la saga (très stéréotypés, en général). Mais tout comme dans le tome 1, ce sont les dragons qui volent la vedette aux humains : qu’ils soient sauvages, chinois, ottomans ou prussiens, c’est un plaisir de découvrir de nouvelles espèces, de nouveaux comportements, d’autres mentalités.

Et puis évidemment, il y a Iskierka : ne comptez pas sur moi pour vous en dire plus à son sujet, il vous faudra lire ce roman pour tout savoir sur elle. Cette dragonne va avoir un rôle fondamental à jouer dans les tomes suivants, ce qui la rend déjà très intéressante, et d’autant plus quand on se rend compte que la demoiselle a un caractère pour le moins… flamboyant (et très amusant pour le lecteur) ^^

En conclusion

Ce tome 3 offre beaucoup moins d’unité, de lieu ou d’ambiance, que les deux précédents : on y voyage autant que dans un James Bond (on commence à Macao, puis on suit la Route de la Soie, avant d’arriver à Constantinople, de passer en Autriche, puis en Prusse, avant de terminer sur les rivages de la Baltique) et on passe d’une ambiance exotique à la noirceur des guerres européennes de la Quatrième Coalition.

J’ai eu peur, au début, de retrouver la structure du tome 2, mais le voyage vers Constantinople fait un peu plus du tiers du livre « seulement » (ce que je trouve encore un peu trop long, personnellement). Par contre, la partie se déroulant dans cette ville, si elle est intéressante, est à mon sens trop courte, ce qui se révèle un poil frustrant.

Alors que le tome 2 accusait un relatif déficit d’action militaire (il ne faut pas oublier que le cycle, en plus d’être une uchronie de Fantasy, est aussi -et peut-être avant tout- de la Fantasy militaire et de la Flintlock), on retrouve, dans la deuxième moitié du roman, les batailles très immersives qui faisaient (du moins pour moi) l’intérêt du tome 1. Naomi Novik a bien intégrée la documentation en histoire militaire qu’elle mentionne en postface, et a parfaitement rendu les enjeux et l’atmosphère de la Campagne de Prusse et Pologne de 1806.

Un gros intérêt de ce tome 3 est enfin d’introduire deux personnages, un humain (Tharkay) et une dragonne (Iskierka), à la fois très intéressants et qui auront un rôle plus (la seconde) ou moins (l’anglo-népalais) grand à jouer dans les tomes suivants du cycle.

Je reste sur une impression relativement mitigée, toutefois : une grosse première moitié du livre est soit, pour moi, d’un intérêt relatif (passages sur la Route de la Soie), soit intéressante mais trop courte (passages dans l’empire Ottoman), tandis que la seconde moitié correspond tout à fait à mes attentes en matière d’uchronie de fantasy Napoléonienne à dominante militaire. Malgré tout, j’ai hâte de lire la suite des aventures de notre duo de protagonistes de choc… qui n’en est plus tout à fait un. Car ce sont désormais deux dragons et deux capitaines qui vont se partager la vedette, si j’ai bien tout saisi…

(Le dessin d’Iskierka est l’oeuvre d’Abelphee).

Pour aller plus loin

  • Si vous souhaitez avoir un autre avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Boudicca sur le Bibliocosme, celle de Lutin sur Albedo,
  • Ce livre fait partie d’un cycle, dont il est le troisième tome : vous pouvez retrouver sur Le Culte d’Apophis les critiques du tome 1, du tome 2, du tome 4

 

9 réflexions sur “Par les chemins de la soie – Naomi Novik

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  3. Ping : Téméraire, tome 3 : Par les chemins de la soie | Le Bibliocosme

  4. Mais si, mais si, je connais la bataille de Iena… Ok, je sors! Et c’est d’ailleurs en grande partie pour ce genre de construction/imagination que je vais lire ce livre. Iena avec des dragons!!!! Je l’ai commandé avec le tome 2, je crois que j’ai bien fait.

    Comme toi, je me demandais si les tomes 2 et 3 se déroulaient en Asie… Car aucun rapport avec Black Powder War ( même si l’Asie a déouvert la poudre noire), notre titre français.

    Supertes images et musique. Merci pour cette critique encore une fois excitante et si claire.

    PS : Daenerys aimerait beaucoup 3 dragons supplémentaires pour conquérir Westeros.

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    • Merci 🙂

      Oui, je me doute que tu connais Iéna, vu ton passé militaire, en gros le petit cours d’histoire militaire est pour tout le monde… sauf pour toi ^^

      Je pense que tu vas bien plus apprécier ce tome 3 que le 2, qui est comparativement très pauvre sur le plan des batailles (à part un pseudo-Rorke’s Drift à la fin).

      PS : le groupe mis en illustration musicale est polonais, ça m’a paru de circonstance.

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