Guerre et Dinosaures – Victor Milan

Un univers mélangeant beaucoup trop d’influences, une narration un peu trop sur courant alternatif

dinosaur_warVictor Milan est un auteur américain très prolifique et adepte, comme son ami Daniel Hanover, de l’utilisation de pseudonymes. Il a rédigé plus de 100 romans, dont certains situés dans des univers partagés célèbres, comme ceux de Star Trek, des Royaumes Oubliés, Wild Cards (série de livres popularisée par G.R. R. Martin)  ou Battletech. Il écrit aussi bien de la science-fiction (orientée cyberpunk) que de la Fantasy. Le roman qui nous occupe aujourd’hui fait partie de ce dernier genre (du moins au premier abord : les choses sont en fait plus complexes) : c’est le premier d’une trilogie qui, à terme, pourrait être étendue à un second cycle de 3 romans, plus des textes courts. La sortie du second tome est prévue (en anglais) en juillet.

Comme le souligne la citation de  G.R.R. Martin sur la couverture, ce cycle peut être considéré comme « un croisement entre Jurassic Park et le Trône de Fer ». Mais est-on sur la qualité de ce dernier ? Vous et moi avons déjà rencontré ce genre de comparaison, par exemple sur Les Mille noms de Django Wexler, et à chaque fois elle s’est révélée peu pertinente, sinon grossièrement exagérée. Ne faisons pas durer le suspense : la réponse est non, nous sommes loin de la qualité de l’illustre cycle de G.R.R Martin. 

La bande-annonce n’est pas le film

D’habitude, je ne reproduis pas sur le blog le résumé du roman qui se trouve sur la quatrième de couverture, d’une part parce que je vous détaille, dans ma critique, l’intrigue et les caractéristiques de l’univers, et d’autre part parce que je vous estime assez grands pour aller le lire tout seul sur votre site marchand préféré ou dans votre librairie favorite. Mais là, j’avoue qu’il est tellement alléchant que cette fois, je vais vous le proposer. Il faut avouer que ça donne envie :

Paradis. Pour les dieux, un simple plateau de jeu, le théâtre de leurs passions et luttes de pouvoir. Pour les hommes, c’est une terre brutale et violente, divisée entre dynasties rivales, déchirée par les ambitions et les croyances religieuses, constamment menacée par le machiavélisme politique.

Dans cet état de guerre règnent les dinosaures. Élevés, dressés dès leur plus jeune âge, ils deviennent des armes redoutables dominant les champs de bataille. Et c’est lors d’un affrontement épique dont le fracas pourfend la terre et déchire le ciel que l’énigmatique seigneur Karyl Bogomirskiy est défait par traîtrise et laissé pour mort.

À son réveil, partiellement amnésique, il découvre qu’il est désormais pourchassé. Il se lance alors dans un voyage qui va faire trembler le monde, jusqu’aux trônes des dieux…

Globalement, le résumé est le reflet du livre, à deux gros « détails » près : le côté épique est finalement bien peu présent, et après avoir achevé ce tome 1, je cherche encore le voyage vers les Trônes des Dieux (qui viendra surement, mais pas dans ce tome en tout cas).

La planète Paradis*

Paradise City, Guns’n’Roses, 1988.

J’ai pris immédiatement Victor Milan en sympathie : en effet, dès la première page de son roman, il explique que la planète Paradis n’est ni la Terre future, ni celle du passé, et encore moins un monde parallèle (mais que toutes les autres hypothèses restent ouvertes). Autant dire qu’il me mâche le travail pour classifier son livre.

On tourne la page, et on tombe sur la carte de ce monde : ce qui frappe, c’est qu’elle ressemble à celle de l’Europe médiévale (on est donc sur de la Fantasy historique à la Guy Gavriel Kay : ce n’est pas la Terre, c’est un autre monde, ce n’est pas une uchronie mais c’est très inspiré par une de ses périodes historiques et par la zone géographique associée), avec des pays comme l’Alemania, l’Anglaterra ou l’Españe, mais ce n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt.

(ATTENTION SPOILERS) En effet, le continent sur lequel se déroule l’action s’appelle Aphrodite Terra, et un des océans est l’Oceano Guinevere. Cela ne vous dit sans doute rien, mais en revanche, votre serviteur est un passionné d’astronomie, en particulier des cartes planétaires. Et il se trouve qu’il y a un haut-plateau qui s’appelle Aphrodite Terra sur Vénus, ainsi qu’une vaste plaine, située en-dessous du niveau moyen de la planète, appelée Guinevere Planitia. Si l’étoile du Berger avait des océans, Aphrodite serait un continent et Guinevere une mer, et relativement l’une à l’autre, elles se situeraient exactement comme sur la carte présentée dans le livre. Plus troublant encore, dans ce monde, le soleil se lève… à l’ouest ! Et devinez quelle est une des deux planètes du système solaire à avoir une rotation rétrograde par rapport à celle de la nôtre ? Vous avez gagné, c’est Vénus.

Au fur et à mesure qu’on avance dans le récit, on comprend que les Huit Créateurs, qui sont censés avoir transformé l’Ancien Enfer (sur Vénus, l’atmosphère est toxique, à une pression écrasante, assez chaude pour faire fondre le plomb et avec des pluies d’acide sulfurique…) en la planète Paradis, et vivre dans la « Lune invisible », avant de transporter l’homme (et les cinq amis -chien, chat, cheval, chèvre, furet-, plus les céréales comestibles) depuis l’Ancienne Demeure (où il fait plus froid, où on est plus lourd, et où le jour à une durée différente), sont en fait (probablement) des humains technologiquement avancés (ou des extraterrestres ?) qui ont terraformé Vénus (et d’une façon radicale, par exemple en changeant la vitesse de rotation, la composition et la densité atmosphérique, et en remorquant la planète naine Eris de l’autre bout du système solaire afin qu’elle lui serve de Lune) avant d’y installer des versions génétiquement modifiées d’êtres humains (système immunitaire amélioré les rendant quasi-insensibles aux maladies, espérance de vie -sauf mort au combat- de plusieurs siècles, peut-être même infinie). Depuis, ils observent, depuis leur « lune invisible » (=une station spatiale, visiblement).

Un sidérant mélange de genres et d’influences

Je résume : nous avons donc des dinosaures « à la Jurassic Park », des intrigues politiques style Trône de Fer (mais sans leur qualité, je le précise tout de suite), des gens qui observent une humanité primitive du haut de leur station orbitale (comme dans la trilogie Helliconia), avec un aspect science-fantasy (en filligrane) et Planet Opera (un poil plus marqué), des humains qui se servent de reptiles comme montures (pour rester dans le genre science-fantasy, comme dans le cycle de Pern), plus un contexte type Fantasy historique à la Guy Gavriel Kay (sans compter que la carte du tome 1 est loin de couvrir toute la surface de Paradis, puisqu’on nous parle de pays qui ne sont pas dessus : équivalents de la Chine, du Japon, de l’Italie, du Brésil, etc). Et tout ça, ça fait beaucoup. Beaucoup trop même. (FIN DES SPOILERS)

L’argument principal de vente de ce livre, celui qui est sur la couverture, c’est le mélange de fantasy politique type Trône de Fer avec des dinosaures. Je trouve personnellement qu’ajouter les terribles lézards à de la Fantasy « classique » était suffisamment compliqué sans se mettre la pression pour écrire un aspect politique fouillé en plus. Et ce n’est que le début : avec un écrivain suffisamment habile, le mélange dinos + politique aurait pu fonctionner. Sauf que Victor Milan ne l’est pas. Et qu’en plus, il a sur-ajouté des couches supplémentaires, en termes 1/ de complexité et 2/ de mélange des genres pas toujours très heureux.

Faire de la Fantasy politique avec des dinos ? Ok. Mais ajouter en plus un aspect Fantasy historique à la Guy Gavriel Kay fait qu’on a le sentiment d’avoir affaire à un livre qui essaye de plaire à trop de catégories de lecteurs à la fois, sans jamais convaincre totalement dans aucun des sous-genres mélangés. Et comme si ça ne suffisait pas, allez hop, on ajoute un aspect science-fantasy par-dessus le reste …

Mon avis personnel est qu’on sature, qu’à force d’avoir essayé de mélanger trop de choses, on arrive à un gloubi-boulga insipide et à un monde assez bancal. Personnellement, quitte à mélanger dinos + politique, je me serais arrêté là, en créant un monde complètement imaginaire et en laissant tomber les parallèles historiques et l’aspect science-fantasy (même si celui-ci est très intéressant, il est clairement de trop).

Des personnages pas toujours convaincants, une narration peu inspirée

Il y a quatre personnages principaux : Karyl, le noble capitaine mercenaire trahi par ses employeurs et laissé pour mort sur le champ de bataille, Rob (cette tendance des écrivains gravitant autour de G.R.R. Martin à utiliser des noms phares -voire même des copies éhontées de personnages- du Trône de Fer dans leurs propres œuvres est prodigieusement agaçante… C’est comme cette histoire de Trône Denté, ça énerve plus qu’autre chose) le Maître-Dinosaure en partie responsable de la défaite de Karyl mais qui devient son lieutenant, Jaume le champion impérial (Jaume, Jaime… vous voyez où je veux en venir ?) et grand rival de Karyl, et enfin la princesse impériale Mélodia, la fiancée de Jaume. Plus le Duc Falk, un personnage à la carrière politique assez fascinante, aux changements d’allégeance qu’aurait pu chanter Jacques Dutronc, et qui fait la Révolution pour… donner plus de pouvoir au souverain !

Les deux plus intéressants sont Karyl et Jaume (un mélange entre Le Cid et Pélopidas, le commandant du Bataillon Sacré Thébain). Rob est stéréotypé et assez peu développé, tandis que Mélodia est assommante. 

Le gros problème de ce livre est qu’il se passe des choses à peu-près sans arrêt, mais qu’on peine à s’y intéresser (sauf dans les 140 dernières pages). L’auteur a un style étrange : pas mauvais, mais qui peine très souvent à impliquer ou immerger son lecteur. Sauf, je le répète, sur le dernier quart, en gros, bien plus motivant (et avec une fin qui pose d’intéressants jalons pour la suite, sans compter cette histoire de Créateurs que je voudrais bien voir résolue…).

J’ai lu que pas mal de gens avaient été déçus par l’aspect dinosaure, ce qui n’a pas vraiment été mon cas : j’ai trouvé leur utilisation au combat, à la chasse ou pour les travaux de force bien décrite et bien pensée. Par contre, l’aspect politique est terriblement décevant : d’une part on est loin du Trône de Fer, d’autre part aucune des péripéties n’est, sur ce plan, crédible.

J’ai été surpris par une certaine absence de côté gritty : oh certes, il y a du sang, des viols et de la bouse de dinosaures, il y a deux scènes de sexe (dont une non-consentie), mais on reste dans de relatives limites de sobriété (la première scène olé-olé est décrite avec d’assez amples détails, par exemple).

En conclusion

Un roman qui essaye de mélanger trop d’influences ou de genres à la fois, ce qui donne un résultat qui ne tient pas vraiment debout. Des personnages perfectibles (deux sur les quatre principaux) et une narration sur courant alternatif (qui fait qu’on réussit difficilement à s’y intéresser et encore plus à s’immerger dans le monde ou la peau des personnages) à part dans le dernier quart. Pourtant, ce dernier rattrape pas mal tout le reste, et pose d’assez intéressants jalons pour la suite. Il y a de bien motivantes questions non résolues, par exemple à propos de Frère Jéronimo, des Huit Créateurs ou des Anges Gris. Sans compter le fait que le destin de Mélodia va (enfin) croiser ceux de Karyl et de Rob, qu’on laisse en bien mauvaise posture…

Même si je me suis ennuyé pendant les trois premiers quarts du livre, et si j’estime que ce roman, qui avait tout pour être épique, est un échec relatif (et ne mérite pas sa réputation de grosse sortie de 2015 aux USA), je lirai cependant le second tome. Il y a assez de choses en suspens pour me motiver, et après tout, si j’ai laissé sa chance sur ce plan à Ann Leckie, pourquoi pas à Victor Milan, qui, tout compte fait, fait bien mieux qu’elle…

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de BlackWolf, celle de Xapur,

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16 réflexions sur “Guerre et Dinosaures – Victor Milan

    • Hélas pour moi, les cinq derniers livres lus, celui-ci y compris, se sont révélés être des déceptions, allant de légère ou relative à totale. Heureusement, le roman en cours (Mémoire, de Mike McQuay), se révèle beaucoup plus motivant (du moins après la première centaine de pages).

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  1. Ce n’est pas la première critique réservée que je lis. C’est en revanche la plus attendue pour moi et je vais donc vraiment attendre le tome 2 pour me poser la question de l’acquisition ou pas. Merci de cet éclairage. Comptes-tu lire la suite ?

    Pour l’instant, j’écarte le livre qui était sur ma PAL…

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    • J’aime beaucoup la couverture moi aussi. Et c’est vrai que sur le papier, une Fantasy à dinosaures avait un énorme potentiel. Pour l’instant, mon avis est effectivement mitigé, mais je prévois de l’affiner, dans un sens ou dans l’autre, avec la lecture du tome 2, qui sort en septembre.

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