Mage de guerre – Stephen Aryan

Relativement convenu dans sa première moitié, ce roman devient phé-no-mé-nal dans la seconde : un nouveau classique est né

battlemage

Ce roman, le premier d’une trilogie, a été publié chez nos amis anglo-saxons le 24 septembre… 2015. Oui, oui, vous avez bien lu, il y a à peine six mois ! Bragelonne en propose donc une traduction très peu de temps après sa sortie (on est très loin de certains chefs-d’oeuvre de la Fantasy, qui n’ont été publiés en France que bien des années après leur sortie anglaise ou américaine), et la sortie française du tome 2, dont la parution est prévue le 12 avril en Angleterre, est également inscrite au programme de l’éditeur pour le 29 juin 2016 ! On peut donc saluer le travail de l’éditeur et du traducteur et leur célérité !

Inutile, donc, de dire à quel point les gens de chez Bragelonne ont l’air de croire dur comme fer en ce roman. L’auteur anglais confesse une grande admiration pour (entre autres) David Gemmell, et une considérable influence de ce dernier sur sa propre oeuvre. Alors, est-ce un bon livre, l’élève s’est-il hissé à la hauteur de son illustre maître ? Je ne vais pas faire durer le suspense : oui, ce roman est une baffe monstrueuse (probablement, j’ose le dire, un nouveau classique), oui, Stephen Aryan s’est élevé bien haut, parfois plus haut que ses aînés (Erikson en tête, du moins sur un plan bien précis), mais non, ce livre n’est pas parfait, il y a certaines choses maladroites dedans (en même temps, c’est le premier roman de l’auteur, donc une certaine indulgence est de mise).

I’m so bad (baby i don’t care)* (= Genre)

* Motörhead, 1991.

Certains lecteurs du blog vont finir par croire que je ne lis ou n’apprécie que ça (ce qui est complètement faux : la preuve, une des prochaines critiques prévues est celle de Téméraire, pourtant pas vraiment de la Dark Fantasy !), mais une fois encore, nous voilà avec un roman hautement sanglant et explicite. Nous avons droit à une scène extrêmement violente dès le premier chapitre, et lorsqu’un des personnages se promène dans les rues de la capitale, il tombe sur une mineure qui vend son corps aux soldats de passage afin de se payer une autre dose de la drogue à laquelle elle est accro. La première escarmouche de la guerre qui est au centre du récit est déjà bien brutale, et que dire de la scène qui voit l’apparition du chef des méchants, assez prodigieusement malsaine ? Nous avons droit aux scènes « sa sainteté dans un bordel spécialisé dans les très jeunes filles », à une séance de torture et, évidemment, ai-je envie de dire, à une bonne vieille scène SM. Il y a, enfin, un nombre conséquent de scènes qui relèvent carrément de l’Horreur la plus pure, décrites avec un luxe malsain (mais jouissif !) de détails. Et que dire de certains passages, qui pourront choquer certaines lectrices et certains lecteurs, pas vraiment habitués à ce genre de langage plus qu’explicite (je pense aux lecteurs de certaines des autres parutions Bragelonne, qui risquent d’avoir un sacré électrochoc en lisant ce roman !) :

Avec une de mes burnes dans la bouche, elle fredonnait une chanson. Extraordinaire ! J’ai déchargé si fort que j’en ai eu dans les yeux.

Étrangement, pourtant, à d’autres moments, l’auteur / le traducteur / l’éditeur se montre beaucoup plus timide, puisqu’un juron typique est « Par les gonades du Créateur ! » : au point où ces trois là en étaient dans l’explicite et parfois l’horreur, ils auraient pu dire les couilles, hein 😉

Pourtant, malgré des convergences plus qu’évidentes, est-ce que ça relève du grimdark (pensez au Trône de Fer, à Joe Abercrombie ou Glen Cook : une fantasy noire, réaliste, cynique, violente, sexuelle, etc, où tout est décrit, surtout le plus glauque) ? Pas vraiment, en fait. C’est du grimdark canada dry : ça en a l’air, mais ça n’en est pas, car il en manque deux composantes essentielles : l’ambiguïté morale et la complexité psychologique des personnages d’une part, et le côté crépusculaire (de fin d’un monde) et cynique d’autre part. Là, les protagonistes veulent faire triompher le bien et la justice, et ils croient en la victoire de leur cause dur comme fer, même s’ils sont battus dans une première phase et qu’il faudra éventuellement entrer en Résistance. De plus, sans renier la réalité militaire, ils gardent toujours des rêves, des projets et des espoirs pour l’avenir.

Les personnages de Mage de Guerre ont ce côté très tranché (les gentils contre les méchants) qui est, au contraire, typique de la High Fantasy. A part la princesse Talandra, qui est prête à faire des trucs plus que borderline pour empoisonner l’existence de l’ennemi. Mais bon de toute façon, après avoir lu au moins la moitié du roman, vous comprendrez qu’il relève sans le moindre doute de la High Fantasy. D’autant plus que l’auteur en fait des tonnes pour vous prouver à quel point le dieu-empereur ennemi est un être épouvantable (les bains dans des baignoires de sang, les messagers porteurs de mauvaises nouvelles massacrés à mains nues, etc).

Bref, si vous êtes allergique à la fantasy sanglante, brutale et explicite (il y a des scènes qui relèvent clairement de l’horreur ou de l’érotisme glauque), vous pourriez, je pense, arrêter là votre lecture et oublier ce roman, car l’auteur n’y va vraiment pas avec le dos de la cuillère… Et pourtant, vous feriez une ÉNORME erreur (voir Le Twist et la conclusion).

L’influence de David Gemmell est puissante  : chaque chapitre nous montre les événements selon le point de vue d’un des trois personnages principaux (principalement, même si d’autres points de vue sont parfois adoptés, comme celui de Gunder, cet espion qui tente de déstabiliser la coalition ennemie de l’intérieur, ou celui de Nirrok, le serviteur personnel d’un des deux antagonistes), et deux d’entre eux, plus un des personnages secondaires, le général Graegor, de vieux briscards qui ont tout vu, sont très Gemelliens (voir Personnages). Comme chez cet auteur (ou chez Glen Cook, d’ailleurs), on est vraiment immergé dans les réalités du combat, on vit la peur des hommes qui ne l’ont jamais connu, la joie de s’en être sorti vivant, le chagrin pour la perte d’un compagnon tombé, la fraternité entre compagnons d’armes, et ainsi de suite.

Le livre relève donc également de la Fantasy militaire, puisque deux des trois protagonistes sont, respectivement, un soldat et un Mage de guerre, tandis que la troisième est la princesse du royaume, qui est également responsable de son réseau d’espionnage et de propagande (un aspect très, très richement rendu). L’aspect militaire est vraiment ultra-complet, notamment via la description minutieuse (sans être interminable ou pénible) des préparatifs d’une guerre : recrutement, entraînement, logistique, utilisation d’espions et de propagande dans le camp ennemi, préparation de points de repli en cas de défaite, etc.

Enfin, la religion (une multitude de cultes) a une place très importante (et très habilement rendue) dans l’univers et dans l’intrigue. Sur ce plan là, il y a de nettes convergences avec les œuvres de Steven Erikson et d’H.P. Lovecraft (si, si). Pour résumer, il y a un Créateur, doyen des dieux qui est un jour parti en laissant un Commandement absolu aux autres divinités : vous vous pliez à ce que les hommes décideront à votre sujet, et pas l’inverse, bref vous ne vous mêlez plus de leurs affaires.

Contexte

Au moment où le récit débute, le royaume que servent les trois protagonistes est au bord d’une invasion : en effet, Taïkon a pris le pouvoir dans sa propre nation, et, dans la foulée, a unifié tout l’Ouest dans une croisade. Il a fait croire que le roi du Seveldrom était un hérétique, brûlant les temples et les livres saints, passant les prêtres au fil de l’épée, ce qui bien entendu complètement faux (la tolérance religieuse -ou pour les incroyants, d’ailleurs- est de mise en ce royaume). Il n’a pas eu de mal à convaincre les plus extrémistes des nations de l’Ouest (celles où la loi et la religion se mélangent allègrement), et quand il y a eu des réticences, les pays en question ont vu certaines de leurs villes rasées, jusqu’à ce qu’ils finissent par se joindre avec « enthousiasme » à l’expédition. Mais même pour ceux qui n’ont pas eu besoin d’être convaincus à la pointe de l’épée, les motivations ne sont pas toujours d’un ordre aussi spirituel qu’on pourrait le penser de prime abord : comme dans les Croisades historiques, des considérations tout ce qu’il y a de terre-à-terre entrent en jeu. Après tout, Seveldrom possède de riches pâturages et des terres arables qui éveillent depuis longtemps la convoitise de ses voisins…

Histoire de se donner un peu plus de légitimité, Taïkon a avalé un artefact qui lui permet de guérir instantanément de ses blessures, ce qui lui donne ainsi l’aura de ces prophètes immortels, défenseurs de la Religion, dont parlent les Écritures. Inutile de dire que la propagande de Seveldrom s’en est donnée à cœur joie, parlant d’une faculté inhumaine alimentée par des sacrifices humains et autres rites cannibales. La Vérité est la première victime de la guerre, c’est bien connu… Mais cela n’empêchera pas, toutefois, l’émergence d’un culte dédié à celui que certains appellent le Roi Fou, mais que ses fidèles surnomment le dieu-empereur, l’homme qui ne peut être tué.

Étant donné qu’il va se frotter aux redoutables Mages de guerre ennemis, il s’est entouré du Nécromancien et de ses Acolytes (les Éclats ; l’explication de ce terme et de la nature de ces acolytes est tout simplement passionnante et plutôt originale -pour de la Fantasy-), une bande de redoutables sorciers. Ses troupes, convaincues de servir une juste cause et d’être les héros allant purifier un pays corrompu, ouvrant ainsi une nouvelle ère de paix et de prospérité, sont fanatisées à un point tel que leur efficacité au combat en est décuplée.

Des races non-humaines (des sortes de Faunes / Satyres sans jambes de bouc -ou d’humains d’ascendance démoniaque comme les Tieffelins de Planescape-, les Morriniens, et des hommes lézards / batraciens / poissons, les Vorgas) sont présentes dans cet univers. Certains ont même des positions importantes, comme l’intendant de Seveldrom ou Shanimel,  la lieutenante (et amante) de Talandra, qui sont des Morriniens. Comme dans beaucoup de productions de Fantasy d’envergure relativement récentes, on remarque en revanche la totale absence des races classiques du genre, elfes et nains en tête.

Parallèles

Il y a, outre les influences littéraires, bien des parallèles soit avec le monde réel, soit avec des univers non-littéraires (ou non-Fantasy) connus : les Élus de Taïkon évoquent un mélange de SS et de Talibans, et on nous parle de camps de la mort, d’expériences sur des cobayes vivants, de fosses communes et du martyr de certaines races / ethnies / pays (le Shael notamment), d’intégrisme dans des pays mélangeant allègrement loi et religion, et ainsi de suite.

Difficile de ne pas y voir des parallèles avec l’Holocauste, le nazisme, l’intégrisme islamiste, bref avec le monde réel. Ce genre de procédé, dans la construction de son monde, est, pour un auteur, une épée à double tranchant : il apporte de la cohérence et de la profondeur, certes, place certains lecteurs en terrain de connaissance et les place plus dans leur zone de confort que des univers beaucoup plus imaginaires ou exotiques, mais d’un autre côté, c’est un procédé facile, assez pauvre, et qui diminue l’intérêt du roman aux yeux d’autres catégories de lecteurs (et je me placerais plutôt de ce côté là de la barrière). Tout est question de dosage et de subtilité, et chez Stephen Aryan c’est un peu fait « à la barbare », c’est un peu gros, pas assez subtil. Mais bon, il ne faut pas perdre de vue que c’est encore un écrivain inexpérimenté.

De même, il y a des parallèles avec le passage du côté Obscur chez les Jedis qui sont loin d’être subtils. Adaptée au contrôle du Pouvoir par les Mages, l’idée n’est pas, en soi, inintéressante, mais bon, c’est pareil, c’est amené avec de gros sabots. Et puis bon, appeler le Mage de guerre en chef ennemi le « Nécromancien », à part vouloir rendre hommage à Tolkien, je ne vois pas trop en quoi c’est pertinent : c’est tellement banal que ça en devient ringard. Et toujours à propos de Star Wars, le coup du « je suis ton père » amène plus un sourire qu’un effet dramatique, à vrai dire, tellement c’est convenu.

Enfin, l’auteur étant un spécialiste des comics, il est très facile de déceler l’influence que ces derniers ont eu sur son écriture, particulièrement sur l’utilisation de la Magie et sur les personnages. Je suis quasiment certain que beaucoup de choses ont été modelées sur la « mythologie » des Lantern Corps de DC Comics (le Dieu-Lanterne, déjà, est plus que suspect…). Dans cette optique, le Nécromancien est un Black Lantern, Vargus un Blue Lantern, la plupart des Mages de Guerre des Green Lantern et Balfruss et Finn sont un mélange de Green et de Red Lanterns (variante « juste colère »). En plus, il faut avouer que l’utilisation du Pouvoir par les Mages lors des combats, notamment pour créer des constructs, ressemble d’une façon troublante à la façon de se battre des différents Lanterns.

La magie

Avec un titre comme Mage de guerre, ce roman se devait d’avoir un « système de magie » riche et cohérent. De ce point de vue là, c’est une grande réussite (on est loin de Sanderson en terme d’originalité, cependant, tout ça reste assez classique). Les enfants qui ont le Don peuvent puiser le Pouvoir à la Source. Cela se manifeste par des effets « poltergeist » essentiellement. Des recruteurs au service du Conseil Gris sillonnaient jadis les royaumes et les villages à la recherche de tels enfants (étant donné l’admiration confessée par l’auteur à Babylon 5, je ne serais pas surpris si ce terme de « Conseil Gris » était un hommage à celui de cette série). Afin d’assurer la sécurité de l’entourage des enfants, ces derniers étaient alors conduits à la Tour Rouge, afin d’y passer plusieurs années à maîtriser leur pouvoir sous la sage supervision des membres du Conseil.

Mais ça, c’était avant…  Le Conseil est parti à la recherche d’un enfant annoncé par une prophétie, dont l’arrivée doit changer le monde pour les siècles à venir, et depuis, tout le système s’effondre. Il n’y a plus qu’un recruteur par royaume, ce qui fait que la plupart des enfants dotés du Don meurent, à cause de pouvoirs incontrôlés, avant d’atteindre leur puberté. Les autres, ceux qui parviennent à la Tour, ne sont plus formés que par des mages de seconde zone, qui ne peuvent assurer le même enseignement que ceux du Conseil. Enseignement qui ne dure plus que quelques mois au lieu de plusieurs années… Bref, toute cette organisation est condamnée si rien ne change rapidement.

Les Mages peuvent sentir la présence de leurs pareils, et peuvent aussi établir un lien entre eux afin qu’un seul canalise toute la puissance du groupe. Leurs pouvoirs sont très importants, puisqu’ils incluent, par exemple, le contrôle des éléments (foudre, tornades), la création d’illusions, la télépathie, la projection d’un corps astral à distance, la génération de boucliers ou de champs de force, et la création d’armes énergétiques (marteau, fouet, lanières, lance, épée, rayon, etc) que ne renierait pas un Lantern. Par contre, les arts de la guérison sont en grande partie perdus (ce qui est tout de même ballot pour un magicien qui est supposé passer son temps sur des champs de bataille…).

Les combats entre Mages de guerre sont absolument prodigieux : on est même au-dessus du Cycle Malazéen des Glorieux Défunts de Steven Erikson, qui était pour moi jusque là l’absolue référence en la matière (avec La Compagnie Noire de Glen Cook). Sur ce plan là, Stephen Aryan a clairement dépassé ses maîtres, ce qui n’est pas un mince exploit et se doit d’être salué. Saluons aussi le fait d’avoir très bien fait sentir le gouffre qui existe entre un Mage et un « simple mortel » : cet aspect là est poignant et très justement rendu.

Personnages

Les personnages principaux sont au nombre de trois : Vargus, le soldat vétéran au passé mystérieux; Balfruss, le Mage de guerre qui donne son nom au roman ; et enfin Talandra, la belle princesse du royaume de Seveldrom :

  • Vargus : ce vieux briscard, très Gemellien, est un vétéran d’innombrables batailles. L’auteur lâche d’emblée des allusions sur son passé qui incitent à se poser pas mal de questions sur sa nature réelle. Il met en place, au sein des troupes, une Confrérie de soldats (je vais en reparler très bientôt). Un peu avant la moitié du roman, on découvre sa vraie nature, et c’est… comment dire… un sacré choc !
  • Balfruss : c’est, de prime abord, le moins intéressant des trois personnages principaux (pas tellement en lui-même, mais plutôt en comparaison). Pourtant, les scènes de combats magiques épiques au centre desquelles il sera tout au long du livre font que son titre, Mage de Guerre, n’est pas usurpé.
  • Talandra : c’est (et de très loin) le personnage le plus psychologiquement ambigu et complexe du livre. Maîtresse espionne, elle possède une « Bibliothèque Noire » remplie de dossiers sur les grands personnages de ce monde, plus genre vices que vertus, si vous voyez ce que je veux dire. Mais bon, fallait-il vraiment céder à certains effets de mode en en faisant une homosexuelle ? Je ne vois pas trop ce que ça apporte à l’histoire, personnellement. Ça participe juste à l’impression persistante de racolage générée par les prostituées mineures, la scène SM, les scènes bien gores, et compagnie. Par contre, on apprécie vraiment qu’on échappe complètement aux clichés soit de la princesse potiche en détresse, soit de la princesse badass en armure de plates.

Les personnages secondaires vont du stéréotypé à l’extrême (Graegor, Vannok, Shanimel) à l’intéressant (la plupart des autres Mages de Guerre : Ecko, Darius, Eloïse), voire au très intéressant (Finn, Gunder, Thule). Le livre est cependant un peu court pour les développer autant qu’on l’aurait voulu (surtout que, d’après ce que j’en sais, le second roman du cycle repart avec de nouveaux personnages principaux).

La Confrérie

Vargus va créer autour de lui une Confrérie au sein des troupes, en gros l’idée que le soldat qui se tient à tes côtés est ton frère d’armes (et pas juste le gars qui se tient à ta droite ou ta gauche), qu’il te faut apprendre à le connaître avant d’aller le combat, et le protéger comme s’il était de ton sang pendant celui-ci. Parce que du coup, ça renforce la cohésion et l’efficacité des troupes.

Ah. Parce qu’il a fallu qu’un type s’amène après je ne sais pas combien de siècles de guerres incessantes pour enseigner la camaraderie militaire ? Il a déjà entendu parler du Bataillon Sacré Thébain, Mr Aryan ? Des Thermopyles ? De la Easy Company ? Autant le dire tout de suite, pas besoin d’être amateur d’histoire militaire (comme votre serviteur) pour déceler que cette idée est sérieusement bancale. Partout, dans l’histoire et dans le monde, cette notion a émergé spontanément, bref, le fait que, dans le roman, il faille un pingouin bien précis pour l’expliquer à des béotiens ébahis devant tant de perspicacité me laisse pantois.

Evidemment, c’est plus compliqué que ça : la manœuvre n’a pas tout à fait les buts que le lecteur lui prête, mais il n’en reste pas moins que son caractère assez irréaliste rend du coup une partie de l’histoire un peu bancale.

Le Twist

Arrivé à un peu moins de la moitié du livre, je commençais vaguement à lire en diagonale, non pas parce que c’était mal écrit ou pas intéressant, mais parce que l’auteur me semblait jouer une partition convenue, dans la lignée des auteurs de référence du genre ou de ceux envers qui il avait de l’admiration. Sans compter que je trouvais qu’il en faisait un peu trop dans le glauque, l’horreur, le scabreux et au niveau langage par moments. Si j’avais eu à rédiger la conclusion de ma critique à ce moment là, j’aurais qualifié ce roman de pas inintéressant mais n’apportant en revanche rien de neuf (sauf sur le plan des affrontements entre Mages).

Et j’aurais eu tort… En effet, alors que Vargus est dans une taverne, un homme étique et blessé, malade, apparaît : le soldat le présente comme son frère et l’emmène « se faire soigner ». Sauf qu’on va ensuite découvrir la nature de la fratrie et celle du soin. Et autant le dire carrément, ces révélations vont décupler l’intérêt de ce roman jusque là relativement banal et un peu racoleur. Là, du coup, je ne lisais plus vaguement en diagonale, mais mot après mot avec ju-bi-la-tion.

Il serait évidemment criminel de ma part de vous dévoiler ce revirement, mais disons qu’on y trouve très fortement les influences de Gemmell et d’Erikson, et qu’on entre de plein pied dans la plus vertigineuse des High Fantasy.

Style, Rythme

Le style de l’auteur est agréable, fluide et efficace, et le rythme est constant et assez rapide. Ce qui m’a posé problème dans la première moitié du roman n’est aucun de ces éléments là, mais plutôt les stéréotypes et les hommages un peu balourds à ses œuvres ou auteurs préférés. Par contre, on dé-vo-re la seconde partie tellement on veut en savoir plus sur Vargus, tellement la guerre devient épique et les combats entre Mages de Guerre encore plus. Il y a des scènes qui crèvent le plafond en termes d’intensité dramatique et de côté épique.

L’auteur est particulièrement à l’aise dans de nombreux volets : religion, espionnage, description des combats individuels, et évidemment rendu des grandes batailles. On apprécie également quelques petites révélations plus ou moins secondaires ou prévisibles en fin de roman. Et surtout, on apprécie cette fin qui règle l’écrasante majorité des intrigues et le sort des protagonistes (à part toute l’histoire du Conseil Gris et de la Prophétie, qui demeure toujours aussi mystérieuse) : si vous ne souhaitiez pas poursuivre la lecture du cycle (mais pourquoi feriez-vous ça, hein ?), vous pourriez tout à fait lire ce tome 1 comme un One-shot sans avoir un sentiment d’inachevé à la fin.

En conclusion

Si la première moitié du roman ne donne pas le sentiment de révolutionner la Fantasy épique ou à la Fantasy militaire (sans que le texte soit désagréable, bien au contraire), en revanche, la seconde est absolument phénoménale. L’auteur a su combiner les éléments les plus percutants du gritty (sans en garder l’atmosphère cynique et crépusculaire) avec les éléments les plus épiques de la High Fantasy. Il s’est permis le luxe, sur le plan de la magie, de battre Steven Erikson (même si ce dernier lui reste de loin supérieur sur le plan de la construction d’univers et des personnages), de faire aussi prenant que Gemmell et d’immerger son lecteur dans les combats au moins à l’égal de Glen Cook, excusez du peu !

C’est un livre coup-de-poing, à déconseiller aux âmes sensibles tant les scènes horribles, glauques ou violentes y surabondent, mais c’est aussi un roman que les adeptes d’une Fantasy à très grand spectacle vont vénérer. Quelqu’un a déclaré au sujet de ce cycle que l’auteur « amenait un côté épique à la Fantasy épique », et je ne peux que souscrire à ces propos.  Certes, ce roman n’est pas parfait (j’ai exposé ses défauts en détails), mais l’auteur a incontestablement un énorme potentiel (il faut se rappeler que c’est son premier livre). On espère juste qu’il saura, à l’avenir, se démarquer de ses influences pour proposer quelque chose de plus original et de plus personnel.

Malgré des défauts, je vais peut-être m’avancer un peu mais je pense sincèrement qu’on tient là un nouveau classique, un roman auquel les autres vont être comparés, que ce soit en terme de description d’une guerre de bout en bout et sous tous les aspects, d’intensité dramatique et de combats magiques épiques.

Pour aller plus loin

Ce roman est le premier d’une trilogie : retrouvez sur Le Culte d’Apophis les critiques du tome 2 et du tome 3.

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de l’Ours Inculte, celle de Lutin sur Albedo, de Blackwolf, de Xapur, de Camille Latouche sur avisdupublic.net, de Lorhkan, de Boudicca,

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27 réflexions sur “Mage de guerre – Stephen Aryan

  1. Excellent commentaire, comme d’habitude, qui réussit à me faire sentir que ce n’est pas pour moi. Trop trash.
    Par ailleurs vous ne faites pas référence à Joe Abercrombie, j’en suis surpris car à mon idée cet auteur anglais est le sommet de la Fantasy noire (oui, meilleur encore que Glen Cook) ?
    Sinon quant à la vitesse de parution, il faut savoir que le livre imprimé était prêt dès juin 2015, ce qui veut dire que le texte, au moins sous forme d’épreuves devait être disponible depuis au moins 6 mois avant.
    Ce qui explique la vitesse de sélection et de traduction. De plus en tant que spécialiste, Bragelonne lit très en avance les ouvrages « à succès ».
    Par contre le livre semble ne pas encore avoir pris, une vingtaine de commentaires aperçus sur amazon.com me semble très faible ?

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    • Merci. Je fais référence à Abercrombie dans la définition du gritty (juste après le passage sur les, hum, gonades du Créateur). Mais pour moi, la comparaison la plus évidente n’est pas cet auteur mais Steven Erikson (je ne peux pas entièrement dire pourquoi sans spoiler épouvantablement, il va falloir me faire confiance). Et David Gemmell, vu que tout le monde, de l’auteur à l’éditeur, la fait.

      Concernant la vitesse de traduction, à vrai dire il y a eu encore plus réactif : les allemands ont proposé une version Kindle 8 jours AVANT la sortie de la version physique anglaise :). Par contre, je ne pensais pas que le texte final était disponible autant de temps avant la sortie, vous me l’apprenez.

      Pour le reste, je pense que le livre est victime d’une première partie très convenue, comme je l’explique dans ma critique. Si la seconde moitié avait été du même tonneau, j’aurais clairement parlé d’un livre sympathique mais n’apportant rien de plus au genre, marchant trop dans les pas des auteurs de référence et avec un côté un poil racoleur et maladroit, premier livre oblige. Mais bon, clairement, à partir d’un certain stade, ce roman change complètement de statut. Encore faut-il aller jusque là.

      Et puis bon, ce n’est pas la fantasy militaire qui manque (même si on est plus sur de la Flintlock qu’autre chose ces derniers temps, j’ai l’impression), donc il va peut-être falloir un peu de temps pour que le buzz se fasse.

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      • Désolé, j’avais raté la référence. Il est vrai que vous faites lourdement référence plutôt à Erikson et Gemmell. Or je n’ai pas adhéré au premier, quant au second je trouve qu’il a trouvé son maître en Joe, justement ! Ce qui ne m’empêche pas de l’avoir beaucoup aimé !

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    • Je t’avoue que j’y suis allé en reculant moi aussi. Ce qui fait que pour minimiser les risques, je l’ai pris en numérique et pas en version physique, malgré cette couverture du feu de dieu. Et pendant la première moitié de la lecture, je n’étais qu’à moitié rassuré. Par contre après…

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      • Hop, fini récemment. Pas aussi enthousiaste que toi, mais j’ai passé quand même un bon moment, même si certains éléments restent un peu trop inexpliqués (les origines du Nécromancien ou celles de Vargus par exemple). En espérant qu’on en sache plus dans le tome 3…

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  2. Bon ben voilà, je n’étais pas du tout, mais pas du tout convaincue par ce roman. J’ai été trop déçue des Fantasy Bragelonne à la longue malgré de rares éclaircies ici et là. Peut-être ai-je trop lu de fantasy…. Enfin, je n’avais pas l’intention de le lire, et pour tout dire une partie de ta chronique au sujet de l’aspect gritty renforçait cette certitude. A quoi bon lire un énième Glen Cook ou Erikson (au programme) ?
    Mais, finalement ton enthousiasme a fait basculer mon idée première et surtout la deuxième partie de ta chronique. J’ai qu’une petite réserve, c’est sur le glauque. J’ai du mal avec le très glauque ou le malsain.
    Ps : je me sens un peu taquinée au sujet des lecteurs de ton blog qui te pense accro au gritty! (Ce n’est pas le cas)

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    • Non, non, je n’ai pas pensé à toi pour le gritty, pas d’inquiétude !

      En revanche, je sais que certains lecteurs-trices / abonné(e)s du blog se sentent plus en phase avec une fantasy type Mémoires de Lady Trent / Téméraire qu’avec quelque chose qui fait la part belle à l’aspect guerrier du genre, d’autant plus si le roman concerné est très noir, cynique et malsain.
      A ceux-là, je veux dire que je vais faire un gros effort pour proposer des critiques variées, histoire que chacun puisse en lire qui correspondent à ses propres goûts. Je ne vais évidemment pas acheter et lire quelque chose qui ne me correspond pas du tout (même si je suis persuadé qu’il faut parfois s’ouvrir à de nouveaux horizons), mais je vais tenter (tout dépendra des nouveautés) d’équilibrer entre fantasy guerrière et noire et fantasy plus light, et également entre fantasy / SF / Uchronie / Fantastique (même si je suis très peu Fantastique, à vrai dire). Parce que là, même à cent bornes de distance, je sens le désespoir de Renaud, qui ne voit point de Hard-SF à l’horizon (des événements) poindre !

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  8. Bon, j’ai relu ta critique, je me posais la question si je devais continuer ou pas la lecture. Dans mon esprit cela ne colle pas avec d’une part une vision très binaire (les gentils sont très très gentils et les méchants sont très méchants et davantage encore) et d’autre part des scènes violentes et crues. Bref, il y a une dissonance…comme tu l’écris si justement, la dose de cynisme est absente. Quant au début de l’histoire, c’est éculé et usé pour l’instant.
    Je crois avoir deviner la nature de Vargus dès son dialogue avec l’aubergiste dans le premier chapitre…
    Bon, j’en suis à 64 pages, alors cela peut encore changer et tu indiques que la deuxième moitié est meilleure.

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  17. Lecture en cours… je dois être dans la première partie car si j’ai plutôt envie de poursuivre, mon impression reste mitigée. Je trouve comme toi les leçons de camaraderie guerrière assez balourdes (la façon même de vendre ce « serrage de coude » est gentillette, ne fait pas assez place à la nécessité, il me semble et, ce faisant, contraste avec les parties plus glauques ). Parlant du glauque, du réalisme, du cynisme, autant je trouve ça bienvenu quand cela s’insère avec naturel, autant ça me brise les « gonades » lorsque ça relève de la tartine de choque-bourgeois syndicale. Et là, je ne suis pas fixé. Mais j’avoue avoir surtout du mal avec l’écriture : il y a des passages vraiment maladroits (syntaxe spaghetti, structure de phrases répétitives ou répétions, tout simplement). Je ne me tiens pas pour un esthète et je pense avoir des attentes raisonnables, mais ça m’a sorti à plusieurs reprises de ma lecture : ça frotte. Ça n’est pas systématique, cependant. J’ai tendance à situer ces passages dans les scènes d’action, lesquelles ne sont pas les plus faciles à rédiger, j’imagine. Je lis en français et certaines des maladresses auxquelles je fais allusion seraient plutôt imputables à la traduction.
    Pourtant ça n’est pas rédhibitoire et je persévère. Moins pour ce que j’ai déjà lu que pour ce que j’attends de lire, certes mais l’envie d’aller au delà de la prochaine page est là. Et puis tu nous l’a bien vendue cette deuxième partie !

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    • Je me réponds à moi même. J’ai fini Mage de Guerre il y a quelques jours et j’en ressors plutôt séduit. Je ne reviens pas sur ce qui m’a gêné stylistiquement : j’ai été plus attentif après avoir rédigé l’avis précédent et ça c’est confirmé. Malgré tout je suis passé outre : les risques du biais de confirmation étant ce qu’ils sont, tout autant que celui de passer à côté du bouquin pour une mauvaise raison, je me suis laissé porter. Je ne le regrette pas : je n’ai pas le sentiment de m’être immergé dans un chef d’oeuvre, naturellement, mais plutôt dans une série B assumée et volontaire, ce qui peut être gage de bien des plaisirs. Et puis, comme ça a été relevé par le sombre monarque de céans, le récit prend une dimension surprenante ; pas une grosse claque dans la face pour moi mais de quoi en relever la lecture (comme dans « relever un plat », pas « relever la France », hein) . Je lirai sans doute la suite.

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    • Sombre Monarque qui est très attaché à la qualité des systèmes de magie semble n’avoir pas été trop rebuté par celui de Mage de Guerre (même s’il le juge, à juste titre, inférieur à celui développé par Erikson)… bon, c’est pas foufou non plus. Cohérent, mais guère original… ce n’est pas Erikson, en effet, ni Jemisin (cf. les Livres de la Terre Fracturée), ce qui est dommage vu l’importance de cette aspect du récit pour le livre. Et pour rester dans les thématiques liées aux gens de « pouvoir », je trouve que cette dernière (Jemisin) aborde de façon plus convaincante, plus nuancée (sic) et finalement plus concrète la question délicate des relations entre les moldus et les mages/orogènes/sorciers/mentalistes… Pour autant, c’était bienvenu et ça laisse entrevoir des forces susceptibles d’agir sur le développement des personnages et de l’intrigue.

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  18. Ping : Le saint des lames – Conn Iggulden | Le culte d'Apophis

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