Le marteau de Thor – Stéphane Przybylski

Très bon roman, bon second tome, mais je ne suis toujours pas pleinement convaincu

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Ce roman est le second tome de la Tétralogie des Origines, après Le château des millions d’années. Il en a toutes les qualités (le côté haletant qui fait qu’on le dévore plus qu’on ne le lit, la reconstitution historique absolument sidérante de précision, l’ambition et la maîtrise de la structure narrative, la richesse et la complexité des personnages – du moins la plupart-), mais on y retrouve également certains des défauts du premier tome (la structure à base de flash-backs un peu trop exigeante principalement).

J’ai également constaté dans ce tome 2 l’apparition de nouveaux défauts ou l’aggravation de défauts existants qui font que, malgré d’indéniables et importantes qualités, je ne suis toujours pas à 100 % convaincu par cette Tétralogie pour le moment. 

Nouveaux lieux, nouvelles têtes, têtes connues

Après la capture de Schmundt par les anglais, la momie et les pièces de technologie extraterrestre sont rapatriées en Angleterre. Saxhäuser, lui, a survécu (quelle surprise…), secouru par les extraterrestres, qui lui font des révélations puis le déposent sur les côtes ibériques, d’où il va reprendre contact avec l’Amiral Canaris mais sans que la nouvelle de l’exagération des rumeurs sur sa mort ne se répande (particulièrement chez les SS).

Le gros de la narration (en dehors des flashbacks, évidemment) se concentre sur le commando nazi qui va se rendre en Angleterre pour libérer les prisonniers (ils ne sont pas au courant de la noyade -présumée- de Saxhäuser) et tenter de récupérer leurs découvertes. On y retrouve des têtes connues (comme Albrecht), ainsi que de nouveaux personnages, au premier rang desquels se trouve la redoutable et perverse Maud Alten, aristocrate anglo-danoise passée corps (vous allez bientôt comprendre…) et âme du côté nazi.

Les nouveaux personnages bénéficient du même degré d’approfondissement à coups de flash-backs expliquant leur psychologie, leurs motivations et leur historique commun que les anciens. Que ce soit côté anciens ou nouveaux personnages, j’ai apprécié l’absence de manichéisme, un des anglais (Rourke) se révélant dans son genre aussi immonde que les allemands, et les américains se révélant être des manipulateurs sans état d’âme capable de tuer leurs « alliés » anglais pour les empêcher de parler. J’ai aussi apprécié que, sans tomber dans les excès du Trône de Fer, l’auteur n’ait pas hésité à se débarrasser froidement de plusieurs personnages (dont au moins un pas-si-secondaire).

Le déplacement du cadre de l’action vers l’Angleterre (pour l’essentiel) donne à ce tome une ambiance sensiblement différente de celle du premier, mais tout aussi réussie. Les passages à bord du U-Boot donnent un vague (mais très plaisant) côté Das Boot ou U-571 (pour le grenadage) à l’ensemble. La fin est très réussie, pas dans le genre de celle du premier tome (il n’y a cette fois pas de cliffhanger) mais plutôt dans le genre « scène coup de poing de blockbuster estival hollywoodien ».

Rien ne change… 

Comme je le disais en introduction, on retrouve toutes les qualités qui m’avaient fait adorer le premier tome :

  • un sens aigu du rythme et des personnages (c’est vraiment remarquable de la part de l’auteur, lorsqu’on y pense, sachant qu’il s’agit de ses deux premiers romans).
  • une immersion impressionnante offerte au lecteur dans les grands événements de l’époque (Stéphane Przybylski est historien, et se sert de ses connaissances à fond et habilement, en décrivant avec précision et justesse l’ambiance de ces années noires).
  • une structure narrative d’une ambition rafraîchissante (sans vouloir décrier les auteurs SFFF français, on a plus l’habitude de voir ça chez les auteurs anglo-saxons que chez les nôtres) et qui, surtout, permet d’expliquer très finement les motivations des personnages en insérant un flash-back approprié qui justifie leurs motivations dans le présent de l’intrigue.

Le problème est qu’on retrouve aussi les défauts du premier tome :

  • Un mélange des genres flou : Si l’équilibre SF / roman historique est meilleur que dans le tome 1 (voir plus loin), il reste beaucoup de scènes qui n’ont finalement que pour seul but de brosser le portrait d’une époque et de ses personnages emblématiques, sans rien apporter à l’intrigue centrée sur les extraterrestres. On peut classer une partie des scènes avec Heydrich dans cette catégorie là, par exemple (l’auteur passe trop de temps à nous montrer « vous voyez ? Cet homme est un monstre et il terrifie tout le monde ! ». Inutile de multiplier ces scènes, une ou deux suffisent, après c’est du remplissage ou alors on glisse du roman à l’essai historique). Ces scènes intéresseront évidemment l’amateur d’histoire (dont je suis), mais beaucoup moins le pur lecteur de SF, qui va trouver qu’elles nuisent au rythme et sont de trop. Enfin, même si, apparemment, on est plus sur de l’Histoire secrète que sur de l’uchronie, on reste encore dans le flou à ce niveau là. Au bout de deux tomes sur quatre, c’est tout de même un peu gênant (ou alors l’auteur nous réserve de gros coups de théâtre pour la fin du tome 3 ou 4 ?).
  • Une structure vraiment très, très complexe, sans doute trop pour certains lecteurs : non seulement on garde le système de flash-back (plus quelques flash-forward) du tome 1, mais on va encore plus loin dans ce système là (voir plus loin). Même moi, qui n’avais pas été gêné à ce niveau là lors de ma lecture du tome 1, j’ai eu un peu de mal avec celui-ci. Et pourtant, il vous suffit de faire un tour sur ce blog pour voir que les lectures complexes (en terme de structure, de nombre de personnages ou de lignes narratives) ne me font pas peur et que j’y suis habitué. J’ai un peu peur que l’auteur tire un peu trop sur la corde et se coupe de ces lecteurs qui n’aiment pas ce genre de complexités narratives et préfèrent une narration plus fluide et plus directe.
  • Certains personnages ressemblant un peu trop à ceux d’œuvres connues : autant je ne suis pas d’accord pour dire, comme certains, que Saxhäuser n’est qu’une version nazie d’Indiana Jones, autant il faut reconnaître qu’au moins trois personnages sortent tout droit des références séries TV / films de la quatrième de couverture du premier tome. Il y a tout d’abord Mr. Lee (l' »homme à la cigarette »), puis l' »homme très soigné » (qui évoque celui de X-Files, là encore) et enfin Maud Alten, qui non seulement hérite de tous les clichés sur les espionnes nazies (voir plus loin), mais qui en plus a l’air de la sœur jumelle du personnage d’Elsa dans Indiana Jones 3.

… ou presque (et pas toujours en bien)

Il y a aussi des changements par rapport au tome 1, et malheureusement une partie sont, pour moi, négatifs :

  • Le système de flash-back franchit parfois encore un niveau, et on se retrouve avec un retour en arrière année / mois / jour et heure / minute : autant dire que le fait de devoir faire attention à l’heure en plus complexifie encore une lecture qui n’était déjà pas toujours facile.
  • Un découpage en micro-paragraphes pas toujours utile : je vais prendre un exemple, le moment où les anglais tombent sur les trois allemands dans les ruines : était-il vraiment utile de faire varier autant les points de vue, alors que chaque paragraphe se passe exactement à la même heure ? Il aurait mieux valu l’équivalent narratif d’un plan-séquence, une narration ininterrompue, parce que là, tel que ça a été fait, c’est inutilement lourd.
  • Des flash-backs sans utilité ou pas utiles pour tous les types de lecteurs : j’ai déjà parlé des flash-backs sur Heydrich, mais il y a en a d’autres qui sont encore plus contestables. Par exemple, quel est l’intérêt de faire un flash-back sur le commandant en second de l’U-Boot… juste avant sa mort ? A part faire du remplissage et donner encore un aperçu de ce monstre froid qu’était Heydrich, franchement, je ne vois pas.
  • Un personnage stéréotypé : alors que j’avais applaudi des deux mains devant la subtilité et la complexité de la psychologie des personnages du tome 1, Saxhäuser en tête, j’avoue avoir été déçu par Maud Alten. Oh certes, elle bénéficie du même système de flash-back que les autres, afin d’expliquer et d’étoffer sa personnalité et son background, mais seigneur, que de clichés : la belle espionne allemande blonde (ou du moins travaillant pour le compte des allemands), femme fatale, nazi fanatique (bien plus que certains militaires qui l’entourent…) et sexuellement perverse (cf la scène SM à Londres), vraiment ? Ce n’est pas beaucoup trop cliché ? D’ailleurs, puisqu’on parle de sexe…
  • Des scènes sexuelles inutiles : on constate dans ce tome 2 une multiplication de scènes de sexe, bien plus que dans le tome 1. Je n’ai rien contre ce genre de scène, à la seule condition qu’elles apportent quelque chose à la construction de l’intrigue ou des personnages. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici : les deux tiers d’entre elles n’apportent rien à ce niveau (je pense à celles mettant en scène Heydrich, à quatre de celles mettant en scène Maud- particulièrement la scène SM et celle dans la cuisine qui n’apportent rien à l’intrigue- et à celle impliquant l’homme à la cigarette), et à part attirer le chaland qui en est avide, je peine à voir leur intérêt (oui, merci, on a compris que Maud aime se taper tous ces fringants officiers nazis dans leur bel uniforme noir juste sous le nez de son mari anglais, on peut arrêter maintenant ? En plus, bon, les toilettes -deux fois-, la banquette arrière et les écuries, vraiment ?). Par contre, je  vois tout à fait leur intérêt dans certains autres cas, quand cela explique par exemple les relations entre Albrecht, Maud et Friedrich. Mais bon dans l’ensemble, je pense que l’auteur a largement assez de talent pour s’éviter (et nous éviter…) l’emploi abusif de procédés aussi racoleurs que malhabiles.

Tous les changements ne sont pas mauvais cependant :

  • l’alternance d’angles narratifs (interrogatoire, compte-rendu écrit, récit en direct d’un des protagonistes comblant les blancs des deux précédents) permettant de dépeindre le raid sur le château est par exemple remarquable, et fait encore franchir à la narration un palier supplémentaire en terme de qualité. J’ai aussi apprécié, dans le genre, l’utilisation du journal de guerre d’Albrecht.
  • De plus, ce que je présente comme une complexité supplémentaire (l’ajout de l’heure dans les flash-backs) est aussi une richesse en plus, d’un autre point de vue.
  • L’équilibre SF / roman historique est meilleur que dans le premier tome, même si dans l’esprit, le livre tire encore très (trop ?) nettement vers le second. En tout cas, le pur amateur de SF qui ne fait que peu de cas du contexte historique (et je précise que je ne fais pas partie de cette catégorie là de lecteurs) en a un peu plus pour son argent, en terme de scènes spectaculaires ou d’explications sur la nature, la provenance et les projets des extraterrestres.

Un petit mot sur la présentation : à nouveau, la couverture signée Aurélien Police est superbe et réussit, chose que j’apprécie toujours, à concentrer le maximum de points marquants / caractéristiques du livre sur l’illustration.

En conclusion

Certes, ce tome 2 est clairement un très bon roman, qu’on lit avec plaisir. Pour un premier cycle, on reste impressionné par la qualité atteinte par l’auteur, et par l’ambition dont il fait preuve. Il n’a assurément pas choisi la voie de la facilité, notamment sur le plan de la narration (avec un système de flash-backs de plus en plus complexe au fur et à mesure qu’on avance dans la tétralogie). C’est sans conteste, pour le moment, une série de romans qui n’a pas à rougir par rapport à la production anglo-saxonne.

Mais je ne suis pas encore convaincu à 100 % qu’on tienne vraiment un chef-d’oeuvre (juste deux très bons livres pour le moment, et c’est déjà pas mal !). Il y a, pour moi, trop de maladresses (scènes de sexe gratuites, scènes de remplissage pas toujours utiles), un degré de complexité parfois inutile dans la narration et un équilibre SF / roman historique qui bien que s’améliorant notablement, n’est toujours pas idéal (du moins pour moi). Et franchement, au bout de la moitié du cycle, c’est vaguement inquiétant. J’ai un peu peur que le tome 4 ne renverse totalement la balance et en fasse au contraire trop dans ce registre là.

Globalement (et je dis bien globalement), ce tome 2 est à la hauteur du premier, même si je regrette l’apparition de procédés faciles comme les scènes de sexe inutiles ou celles de remplissage qui, à mon avis, sont un pas en arrière en terme de qualité, et pas un pas en avant.

Bref, c’est avec impatience que j’attends le tome 3 (prévu pour juin, il me semble), d’abord parce que je suis certain que je vais encore prendre un grand plaisir à le lire, et pour voir si les quelques erreurs de tir que j’ai pu constater dans ce tome 2 ont été corrigées. J’ai vraiment, vraiment envie d’être convaincu à 100 % par ce cycle. De plus, la courte apparition de Hess et la mission qui lui est confiée par Hitler laissent présager d’une explication tout à fait passionnante à sa petite escapade écossaise de 1941. Et toutes les allusions à la course à l’armement nucléaire (ainsi que le titre, Club Uranium) laissent présager quelques scènes totalement trépidantes.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Lutin, de Dionysos sur le Bibliocosme, de Celindanae et Lhotseshar sur Au pays des Cave Trolls,

Ce roman est le second d’une tétralogie : vous pouvez retrouver sur Le culte d’Apophis la critique du tome 1, celle du tome 3

8 réflexions sur “Le marteau de Thor – Stéphane Przybylski

  1. Aussitôt lu aussitôt chroniqué! Tu m’impressionnes! Que puis-je dire, si ce n’est que je souscrit en totalité sur ce que tu viens d’exposer. J’admire également la façon dont tu permets au lecteur de bien positionner le livre par rapport à leur goûts. Cette critique en est le parfait exemple, je retrouve exactement tout ce que j’ai pensé de ce 2° tome (qualités et défauts). Je vois que je n’ai pas été la seule parfois perturbée par ces flash-backs et à trouver que la lecture se révèle exigeante ( pas que cela me fasse peur habituellement).
    Pour les scènes de sexe, j’ai un procédé quand il y en a trop, je les passe…

    Merci, je me suis régalée à te lire.

    Aimé par 1 personne

    • Merci 🙂 Oui, je n’aime pas rédiger de critique longtemps après avoir lu un bouquin, je préfère le faire tant que j’ai bien tous les détails en tête.

      Sinon, je rédige mes critiques afin qu’elles correspondent à ce que je cherche moi-même comme renseignements quand j’hésite sur l’achat d’un bouquin et que je lis des avis dessus : en clair, ce qui peut poser problème, à quoi ça ressemble (ou pas d’ailleurs), les points forts, les points faibles, des infos sur le rythme, la structure, les personnages, l’intrigue, le monde, la cohérence (ou pas) de tout ça, etc. Comme ça, les gens ont toutes les infos concrètes pour dire : « oui, ça risque de me plaire », « non, aucune chance » ou encore « je vais adorer, c’est sûr, j’achète dès que possible », en plus de mon ressenti personnel.

      C’est clair que ça commence à devenir vraiment exigeant comme lecture : c’était déjà rock’n’roll dans le tome 1, mais là avec l’ajout de l’heure, il y a des fois où ça nuit vraiment à la fluidité de lecture. Sans compter que ça exige des conditions de lecture calmes et beaucoup de concentration. C’est pas encore le Livre Malazéen des Glorieux Défunts, mais honnêtement, nous n’en sommes plus très loin par moment. Ce qui m’inquiète un peu (pour l’auteur), c’est ce que si toi ou moi, qui sommes habitués aux lectures SFFF difficiles, on trouve ça malaisé, j’imagine à peine la réaction du type pas vraiment féru de SF et / ou pas habitué à des structures narratives bizarroïdes qui tombe là dessus… Je ne suis pas certain qu’il va acheter le tome suivant, du coup…

      Pour les scènes de sexe, sur le fond ça peut ne pas me déranger, dans deux cas : 1/ ça concourt à définir le personnage / ça participe clairement à l’intrigue ou 2/ le livre ne se prend pas vraiment au sérieux et assume le sexe de façon décomplexée, dans le style « j’en fais des tonnes dans le genre, et alors ? ». Dans le Marteau de Thor, les deux tiers de ces scènes sont complètement gratuites et ne servent à rien, et je n’ai pas le sentiment qu’on soit non plus dans un délire « le puissant sorcier-guerrier avec tout un harem de femmes lascives à ses pieds » (je vais d’ailleurs lire le mois prochain un roman dans ce goût là, appelé Fimbulwinter, où un type de chez nous est catapulté dans un monde de fantasy, acquiert des pouvoirs magiques monstrueux, et couche avec tout ce qui bouge, mortelles ou… déesses, de préférence à forte poitrine. Preuve qu’un petit délire comme ça, ça fait du bien de temps en temps, à condition qu’il soit pleinement assumé par l’auteur).

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