La chaîne des chiens – Steven Erikson

Une fin extraordinaire

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Malgré ce que la couverture de l’édition française affiche, il ne s’agit pas du tome III du cycle mais de la seconde partie du tome II de la VO. Nous l’appellerons donc tome 2.5. Si vous voulez vous rafraîchir la mémoire sur le tome 2.0, vous trouverez sa critique ici.

Ce qui frappe immédiatement, c’est la couverture épique et esthétique. Elle attire l’œil et incite à s’intéresser au contenu du roman, même si on ne connaît pas le cycle (même si évidemment, un livre ne saurait se réduire à sa couverture -bonne ou mauvaise-).

Mais trêve de bavardages, passons au vif du sujet : cette deuxième partie du tome 2 est-elle aussi intéressante que la première, le tome 2 dans son ensemble est-il à la hauteur du premier ?

Révélations et précisions sur l’univers

Certains nouveaux pans de l’univers se dévoilent, certains que nous ne connaissions pas du tout, d’autres qui étaient juste imprécis. Nous apprenons par exemple que sous l’Empereur, il existait un autre Corps d’assassins / espions impériaux que la Griffe : dénommée la Serre, cette seconde organisation opérait à l’extérieur de l’Empire, alors que la Griffe opère à l’intérieur de ses frontières (essentiellement comme police secrète). Pensez à la différence entre FBI (contre-espionnage intérieur) et CIA (espionnage extérieur) si vous voulez. Lorsque l’Impératrice a pris le pouvoir, elle a fait massacrer les agents de la Serre par ceux de la Griffe, dans un parallèle fictif de la neutralisation des SA par les SS lors de la Nuit des Longs Couteaux.

De même, la nature des pratiques magiques se dévoile enfin un peu : nous apprenons que dans le passé, la magie était dans les hommes (ou autres races) eux-mêmes, alors qu’aujourd’hui, elle est dans les Labyrinthes, et que le Mage doit ouvrir le sien pour y accéder. Nous avons également des précisions sur les change-forme, qui, loin du banal loup-garou qui transmet sa maladie / malédiction / son état par sa morsure, sont en fait une race : on naît change-forme, on ne le devient pas.

Les expressions « livre Malazéen des Glorieux Défunts » et « Chaîne des Chiens » trouvent une explication (pour la première, il était temps me direz-vous…). On savait que la seconde était liée à Coltaine et au convoi de réfugiés qu’il escorte sur des milliers de kilomètres, mais on découvre qui sont les chiens et qui tient qui en chaîne.

Toujours concernant les précisions, le tome 1 donnait une échelle d’au moins 300 000 ans. Dans ce tome 2.5, ce sont des civilisations plus anciennes qu’un million d’années qui sont évoquées par Icarium (sur lequel on en apprend, au passage, beaucoup plus). Personnellement, je ne connais aucun livre de Fantasy qui fait remonter l’historique de son univers aussi loin. En SF, oui, des durées encore plus vertigineuses sont courantes, mais en fantasy, les historiques les plus ambitieux (du moins, ceux que je connais, je n’ai pas la prétention de tout savoir sur ce genre là, en tout cas bien moins qu’en SF) ne remontent, au mieux, qu’à quelques milliers d’années, parfois quelques dizaines. Voilà une preuve de plus, s’il vous en fallait encore une, du caractère incroyablement ambitieux et hors-normes de ce cycle.

Enfin, alors que nous entendions parler d' »Ascendants » depuis le début, nous avons droit à une explication du terme : il s’agit en fait d’ex-mortels qui se sont hissés à un niveau divin (c’est le cas de Trône-Fantôme et de Cotillon). Au passage, nous en apprenons encore un peu plus sur les Azaths, dont nous avions déjà pu jauger la considérable puissance à la fin du tome 1.

La traversée infernale

J’ai déjà évoqué dans la critique du tome 2.0 le côté très immersif de la description de l’interminable retraite orchestrée par Coltaine vers Aren, la dernière cité encore sous contrôle impérial du continent. On monte encore d’un cran à ce niveau dans ce tome 2.5, et on est vraiment dans le sang, les larmes et la sueur jusqu’au cou. Le pauvre Coltaine doit faire face, outre à la lente érosion de ses troupes et à un ennemi qui devient de plus en plus habile, aux tracasseries que ne cesse de lui infliger le conseil des nobles faisant partie du convoi. Malgré tout, il continue à faire preuve d’immenses qualités de stratège, bien aidé par les sorciers Wickans et par les Sapeurs Malazéens, jamais à court de mauvais coups à infliger à l’adversaire. Les premiers, notamment, emploient un sort absolument spectaculaire, basé sur l’énergie vitale, pour aider l’armée à submerger une fortification ennemie. La fin de ce calvaire (et même, pour être plus précis, la double fin) est magistralement bien rendue, très poignante aussi.

Ces passages du livre sont, sans conteste possible, les plus réussis, les plus immersifs et les plus intéressants. Les Wickans ont désormais pris une place d’honneur dans mon panthéon personnel des grands peuples guerriers de Fantasy, tout comme leur chef, Coltaine, a pris la sienne parmi les grands chefs militaires du genre.

Faux-semblants

Ce que j’aime bien avec Steven Erikson, c’est que rien n’est vraiment ce qu’il semble être. Un personnage a l’air de troisième ordre ? Il se révélera être au seuil de l’Ascendance. Il y a une description volontairement un peu nébuleuse, vous avez toutes les raisons (logiques) de croire qu’elle concerne un des personnages ? Perdu, elle en concerne en fait un autre. Un personnage se méfie d’un autre ? les événements prouveront qu’il avait raison de se méfier… mais pas du tout pour ce qu’il croyait ! Bref, on est tout le temps (agréablement) surpris, peu de choses se révèlent prévisibles ou cliché.

De même, de nombreux personnages semblent mourir dans ce tome (parfois, on se demande si ce n’est pas un tome du Trône de Fer !) , mais sont-ils vraiment décédés ? La question reste posée, au moins pour deux d’entre eux (et je pense que c’est également certainement le cas pour un troisième).

Toujours au chapitre personnages, outre Duiker, Coltaine, le mystérieux Karpolan Demesand (de la Guilde Marchande), Panek (l’enfant crucifié transformé en être aux terrifiants pouvoirs par la démone Apt), Perle, Minala et Felisine, c’est le duo Icarium / Mappo qui focalise l’attention, en raison de la très belle amitié qui les lie et du terrible fardeau qui pèse sur les épaules du second de ce fait. Les personnages, anciens ou nouveaux, sont tous plus intéressants les uns que les autres (à l’exception, à mon avis, d’Iskaral Pust). Kalam, qui avait déjà acquis plus d’importance dans le tome 2.0, en prend encore plus dans le 2.5.

Scènes épiques

Si vous avez lu les tomes 1 et 2.0 (ou leurs critiques), vous ne serez pas étonnés par la présence de scènes, de batailles ou de combats principalement (mais pas que, cf l’apparition du dragon mort-vivant dans le Labyrinthe), absolument épiques, dont la poursuite dans le dédale qui s’étend autour de la Maison Azath ou la lutte d’un Kalam isolé et blessé contre des hordes d’assassins de la Griffe. A nouveau, les change-forme, D’ivers et Soletakens, font la preuve de leur considérable pouvoir : cette fois, ils ne se contentent pas de se changer en essaims de dizaines ou centaines de rats ou de mouches, mais en véritables hordes apocalyptiques dans lesquelles un change-forme devient des dizaines de milliers de rongeurs ou d’insectes !

Mais les scènes qui frappent le plus, quasiment à  la manière d’un coup de poing, sont celles qui ont lieu à Aren après l’arrivée de la colonne des réfugiés, notamment celle impliquant Squint et Coltaine et celle de la sortie des troupes impériales. Les 75 dernières pages du livre, environ, sont absolument extraordinaires. Certes, ce terme peut parfois être galvaudé, mais il se justifie totalement dans ce cas là : pensez aux scènes les plus coup-de-poing du Trône de Fer, à leur atmosphère épico-dramatique, quasi-Shakespearienne, et vous aurez une bonne idée de la dimension de celles de la fin du livre. Rien que pour ces derniers chapitres, ce tome, ce cycle, ont leur place au panthéon de la Fantasy.

Facilités scénaristiques

Ce tome 2.5 a donc beaucoup de points positifs, mais également un point négatif en particulier qui, personnellement, me dérange assez : un nombre un peu trop élevé de Deus ex machina dans le dernier tiers de l’intrigue. Que ce soit Fiddler et son coquillage magique, les deux interventions de la Guilde Marchande ou celle des Khundryls, la surprenante aide des impériaux à Minala pour traverser les eaux du port de Cité Malaz, ou d’autres exemples encore, des retournements de situation sortis de nulle part sauvent de façon artificielle certains groupes de personnages dans des situations désespérées. Ce genre de facilité scénaristique me gène, d’autant plus lorsque l’auteur a, par ailleurs, une grande maîtrise de son univers et du reste de l’intrigue.

Une traduction parfois bancale

Autre souci, il y a parfois des problèmes avec la traduction, à un point suffisant pour en devenir agaçant : anglicismes, traductions maladroites (mémoires au lieu de souvenirs), faux-amis, sans compter quelques erreurs de français grossières ou des mots employés à mauvais escient, du genre un bruit qui raisonne au lieu de résonne. Voilà qui, à mon sens, signe un manque de relecture.

En conclusion

L’ensemble du tome 2 (2.0 + 2.5) se révèle encore plus intéressant que le tome 1. Le fil rouge de la narration (très éclatée entre différents groupes de personnages, qui finissent cependant souvent par se croiser) est constitué par la retraite militaire menée par Coltaine vers la dernière des Sept Cités sous contrôle impérial, et, du fait de son côté très immersif, c’est clairement le gros point fort du livre : on a vraiment l’impression d’y être. Si l’aspect militaire en Fantasy ne vous dérange pas (voire si vous l’appréciez), c’est vraiment quelque chose à lire. D’ailleurs, si vous êtes un adepte de Fantasy tout court, ce tome 2 prouve que ce cycle est sans conteste un incontournable du genre, grâce à son ambition et à la richesse démesurée de son univers, et grâce à la puissance de certaines scènes des derniers chapitres.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez avoir un deuxième avis sur ce roman, je vous conseille la lecture des critiques suivantes : celle de Nicolas Winter sur Just a word (sur la totalité du tome 2 de la VO),

Ce livre est le tome 2.5 (seconde moitié du tome 2 unique de la VO) d’un cycle : vous pourriez donc être intéressé par la lecture des critiques du Tome 1, du Tome 2.0

 

16 réflexions sur “La chaîne des chiens – Steven Erikson

  1. Je ne connais pas du tout. Il faut que je lise ta critique sur le tome initial. A priori c’est un cycle magistral, mais c’est impossible en prenant en court de savoir si cela fait un : +1 à ma PAL.
    Je cours du coup chercher la critique du premier tome.

    C’est quoi ces histoire de ping back? J’ai la même chose sur mon site ici : https://loetitbee.wordpress.com/ (il y a des critiques de livres là aussi!)

    et j’avoue que je m’interroge…

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  2. Ping : Les jardins de la lune – Steven Erikson | Le culte d'Apophis

  3. Ping : Les portes de la maison des morts – Steven Erikson | Le culte d'Apophis

  4. Ping : La promesse du sang – Brian McClellan | Le culte d'Apophis

  5. Ping : Tag – Je suis un fanboy (2) | Le culte d'Apophis

  6. Ping : The crimson campaign – Brian McClellan | Le culte d'Apophis

  7. Pourquoi ne pas avoir poursuivi ce cycle qui est votre cycle de réference en epic fantasy? Lus mais pas chroniqués, ou finalement pas le courage de les lire ca c’est au final quand même pas fun à lire ?

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    • Pour deux raisons : premièrement, les tomes 3+ n’étaient jusque là pas disponibles en français (cela va changer dès 2019), et Erikson est réputé ardu à lire en VO ; deuxièmement (et c’est la raison principale), les tomes 3+ sont énormes, dans les 1000-1200 pages chacun en édition poche. Et il est très difficile pour moi de caser un livre déjà sorti et aussi gros dans mon programme (https://lecultedapophis.com/prochaines-critiques/) alors que étant donné que je me concentre de plus en plus sur les nouveautés (VO surtout, mais aussi VF), il y a de moins en moins de place pour caser des monstres pareils. Je sais ce que je suis en mesure de lire chaque jour, et un tome du cycle Malazéen, c’est un tiers du mois qui ne sera pas consacré à autre chose.

      Dernier point, en ce moment j’ai deux autres gros cycles (Honor Harrington et celui de R. Scott Bakker) que je considère comme plus prioritaires que les tomes 3+ du cycle Malazéen, qui de toute façon sortira en VF prochainement. Donc tout cela mis bout à bout, je vois très mal pourquoi j’irais me lancer dans de la VO des tomes 3+ maintenant, alors que j’ai beaucoup plus urgent (urgent, hein, pas important) à lire. Il y a beaucoup d’Honor Harrington qui sort chaque année, en VO et en VF, des bouquins que je ne peux pas lire parce que je ne suis pas assez avancé dans 2 des 3 cycles (le principal et Saganami). Donc ma priorité cette année, c’est de me mettre à jour sur ça le plus possible, et comme là encore on parle de bouquins de 1000-1100 pages, il faut faire un choix et j’ai tranché pour de la VF, plus rapide et facile à lire, que pour la VO du cycle Malazéen qui sera plus lente et pénible à lire.

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      • Ok, je suis très peu familier avec le concept de programme de lecture (je lis pour mon plaisir uniquement, donc quand je termine un livre j’attaque …ce que j’ai envie au moment M), mais ca ma parait logique pour un bloggeur. Je posais la question car j’avais lu ailleurs que vous considériez ce cycle comme LE cycle le plus important de ces 20 dernières années. Hésitant à replonger avec les nouvelles traductions arrivant (et ayant abandonné au tome 8 en VO car ca le cycle devenait à l’epoque pour moi une purge et qu’il y a telleent à lire), je pensais pouvoir trouver une motivation nouvelle ici. Mais non alors. (Mais se prononcer sur un cycle se 10 tomes après en avoir lu deux est un peu hâtif dans ce cas :)).
        Par contre j’espere que les editions Leha auront les reins solides et pourront assurer les traductions de tous les tomes (car le succès commercial est malheureusement loin d’etre évident pour une telle série, surtout dans la durée, avec la concurrence croissante et le fait que c’est un petit éditeur) , quite à ne les publier qu’en numérique.

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        • Avant toute chose, merci d’employer le tutoiement, comme tout le monde et comme le précisent les règles du blog.

          Mais se prononcer sur un cycle se 10 tomes après en avoir lu deux est un peu hâtif dans ce cas :))

          Ah bon ? Et en avoir lu seulement 8/10, dont le dernier probablement en diagonale, est plus légitime ? Si on suit ce genre de raisonnement, assez risible pour un cycle comprenant 10 volumes de 500-1000 pages chacun (en version poche), dont 8 dans un anglais beaucoup plus littéraire que la moyenne, alors seuls sont légitimes pour en parler les quelques courageux capables de lire dans la langue de Shakespeare qui sont allés au bout de 10 volumes / 10. Point. Ce qui ne fait pas beaucoup de monde en France. Surtout que, franchement, pour quelqu’un connaissant un minimum la Fantasy, il ne faut qu’une fraction du seul premier tome pour comprendre sans le moindre doute qu’on est en face de quelque chose de totalement exceptionnel dans le cadre de ce genre littéraire, et en tout cas parmi les parutions de ces vingt (minimum) dernières années. Enfin, il est de notoriété publique (et c’est largement prouvé par les notes sur Goodreads) que le cycle devient, du moins pour la plupart des gens (pas toi, visiblement) de plus en plus valable au fur et à mesure que l’on progresse dans les divers tomes, donc plaçant déjà le tome 2 au pinacle, j’ai vraiment peu de raisons de penser que les 3+ ne sont pas dignes d’éloges. D’où mon appréciation de l’ensemble du cycle.

          Pour le reste, ne publier qu’en numérique serait l’erreur la plus colossale que pourrait commettre Leha (même s’ils ne semblent heureusement pas en prendre le chemin) : si ce cycle ne veut pas se planter une troisième fois en français, il lui faut avant tout de la visibilité, donc une version physique, quelque chose à pouvoir mettre en avant sur les rayons d’une librairie ou d’une FNAC. Ce qui ne correspond d’évidence pas à un fichier numérique.

          Sur le fond, j’ai personnellement de gros doutes sur la capacité de Leha à mener ce projet à son terme (c’est du quitte ou double : soit ce projet va assurer à cette maison une croissance explosive, soit la mener au dépôt de bilan), surtout si les deux premiers tomes ne fonctionnent pas. Même si je ferais pour ma part tout pour soutenir ce cycle et le mettre en avant.

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          • Je ne doute pas que tu sois beaucoup plus visionaire que moi. C’est pour ca que je ne me suis pas permis de juger la série, juste de préciser que c’était pour moi devenu une purge. Et je ne suis pas le seul, car si effectivement pas mal de review donnent de bonnes notes, beaucoup dénoncent en meme temps un manque de travail d’editeur, des longueurs et des arcs inutiles, la note étant finalement souvent le reflet des 200 dernières pages. Mais il,faut passer les 800 premieres, et dans TtH je n’ai juste pas pu. Peut etre aussi que lisant les livres à leur sortie il etait plus difficile de se prononcer qu’avec 10 ans de recul.

            On se rejoint pour Leha, ils vont évidemment avoir une grosse promo cette année, avec une belle exposition et surement de bonnes ventes pour le T1. Du moins je l’espère, même si il risque de laisser une partie du lectorat moins averti sur la touche (la nouvelle traduction semblerait quand meme meilleure que la première, ce qui ne peut qu’aider). On verra comment ils vont gérer à terme, mais c’est effectivement un sacré pari de leur part.

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