Le grand jeu du temps – Fritz Leiber

Un livre de référence, des concepts très intéressants, mais…

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Ce roman est un précurseur et un livre de référence sur le concept des manipulations du cours de l’histoire et de la guerre temporelle entre deux factions cherchant à modifier les événements pour leur propre profit. Ce concept a été décliné sous de nombreux angles, dans plusieurs médias et par moult auteurs jusqu’à nos jours. Les amateurs de Star Trek Enterprise par exemple seront d’ailleurs familiers avec lui.

Eh oui, chers lecteurs, Fritz Leiber (décédé en 1992) n’a pas écrit que de la Sword & Sorcery (dont il est considéré comme un des pères -sans compter qu’il est tout simplement l’inventeur du terme-), c’est aussi un auteur de science-fiction, d’Horreur, ainsi qu’un acteur (de cinéma et de théâtre) et un poète !

Intrigue

Deux factions, nommées « Araignées » et « Serpents », se livrent une guerre s’étendant sur tout l’univers et sur au moins deux milliards d’années d’intervalle temporel, à coups de modifications de l’histoire devant favoriser leurs intérêts. Précisons d’emblée qu’on ignore la nature et l’aspect des membres des deux factions jusqu’à la toute fin du roman, où on en a un bref (et assez nébuleux) aperçu. Une troisième faction est aussi évoquée, mais en 3 lignes.
Sur Terre, les Araignées (le camp que servent les héros) favorisent les intérêts de l’Ouest (le roman a été écrit en pleine Guerre Froide, ne l’oublions pas), tandis que les Serpents favorisent l’Est. De l’antiquité à la seconde guerre mondiale, de l’enlèvement du bébé Einstein a l’utilisation d’une bombe nucléaire dans une bataille navale entre Grecs et Crétois, les opérations des deux camps sont menées par des individus, de la Terre ou d’ailleurs, arrachés à la mort. Il y en a de deux catégories : les Soldats proprement dits, et les Amuseurs. Ces derniers, le plus souvent des femmes, servent au repos du guerrier et a sa remise en état psychologique et physique entre deux opérations. Elles sont donc à la fois filles à soldats, psychologues, infirmières, et épaule maternelle sur laquelle pleurer.
L’histoire commence alors que deux groupes de soldats atteignent un des refuges d’Amuseurs. Ces Endroits sont en fait des univers de poche, de la taille d’un hangar à zeppelin, qui peuvent entièrement couper leurs liens avec l’espace-temps normal, si nécessaire. Et c’est précisément ce qui arrive quand l’appareil qui les relie par un fil ténu à notre cosmos disparaît. Commence alors une enquête « policière » classique en environnement clos, étant entendu que le voleur et l’appareil ne peuvent être qu’à l’intérieur de l’univers de poche.

Oui, mais…

A ce stade, le concept de guerre temporelle, d’individus arrachés à la mort pour changer le cours de l’histoire (bien que plus très original de nos jours, car utilisé par nombre d’autres auteurs) et la perspective d’une enquête policière devraient vous allécher, et vous devriez vous dire que ce roman a l’air diablement intéressant. Effectivement, certains concepts sont absolument fascinants, comme cette idée de l’auteur selon laquelle le cours de l’histoire, même modifié, reste globalement identique, le cosmos changeant simplement les acteurs du jeu : par exemple, si Rome tombe bien avant le cinquième siècle, sous les coups des Germains disons, c’est un Empire Germain christianisé qui prendra sa place, et l’Eglise Catholique Gothique qui prendra la place, de façon quasiment identique, de l’Eglise Catholique Romaine.

Le problème, c’est que si le concept est fascinant, sa déclinaison est assez épouvantable. Je ne sais pas trop si c’est du au style propre de l’auteur sur ce roman en particulier (je précise que pour avoir lu une partie du Cycle des épées, je n’ai aucun problème avec le style de Leiber en général, bien au contraire), à la qualité de la traduction ou à l’ancienneté de celle que j’ai lu (1978), mais ce roman est franchement pénible à lire. Entre un usage hasardeux de temps de conjugaison vieillots, des phrases à rallonge (jusqu’à six fois « et » pour des phrases-paragraphes faisant le quart de la page), l’usage assez fréquent de vers ou d’expressions étrangères (allemandes essentiellement) pas toujours explicitées, des personnages passant du coq à l’âne dans leurs dialogues (omniprésents) sans qu’on comprenne parfois de quoi ils parlent ou comment et pourquoi de telles ellipses (il m’est arrivé de me dire : « mais il manque du texte ou quoi ? »), on passe plus de temps à s’agacer qu’à apprécier. Et on a hâte d’avoir fini (heureusement, le bouquin est court). Ajoutez à cela une caractérisation des personnages floue, certains concepts de la guerre temporelle (la différence entre Démons, Fantômes, Zombies, etc) jamais correctement explicités, et une tendance marquée de l’auteur à un verbiage pseudo-littéraire desservant complètement la clarté et l’impact de l’histoire, et on se dit qu’il tenait un concept formidable mais qu’il l’a quelque peu (et c’est un euphémisme) sabordé.

En résumé

En bref, concept intéressant, histoire pas inintéressante sur le fond, mais beaucoup trop nébuleuse et assez pénible à lire sur la forme. Malgré tout, pour quelqu’un passionné par le thème de la guerre temporelle, comme moi, et qui veut tout lire à son sujet, ça reste une lecture intéressante. Pour les autres, si les histoires de police du temps, de modification ou de guerre temporelle vous intéressent, je conseille plutôt de vous tourner vers Poul Anderson et son cycle de la Patrouille du Temps. Beaucoup plus clair et facile à lire. Sans compter Robert Silverberg qui a rédigé pas mal sur le sujet lui aussi.

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    • Je me demande dans quelle mesure la traduction n’y est pas pour quelque chose. Parce que j’ai lu pas mal d’autres textes de l’auteur, et l’impression a été à chaque fois beaucoup plus positive.

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