La Terre bleue de nos souvenirs – Alastair Reynolds

Bon premier tome d’une trilogie, très bon roman de hard-SF, mais moins original que la quatrième de couverture l’affirme

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Première précision, il s’agit du premier tome d’une trilogie, mais même si ce roman pose des bases qui seront reprises dans les deux tomes suivants, il constitue aussi en lui-même une histoire complète avec un début, un milieu et une fin et peut donc se lire de façon indépendante ou quasiment (si vous décidiez de ne pas poursuivre la lecture de la trilogie avec les deux tomes suivants, vous auriez quand-même une clôture de 95 % des arcs narratifs à la fin du tome 1). D’ailleurs, d’après ce que j’en sais, il y a d’énormes écarts temporels entre les histoires des tomes 1, 2 et 3 (des siècles ou des décennies), et les personnages ne sont pas les mêmes.

Ensuite, il s’agit d’un nouvel Alastair Reynolds, spécialiste incontesté de hard-SF très connu pour son cycle des Inhibiteurs. La question que vous vous posez probablement est : est-ce que ça y ressemble, en terme de style ou d’univers ? La réponse est essentiellement non, le style d’écriture tend plus vers Kim Stanley Robinson (du moins c’est mon ressenti), tout comme l’univers d’ailleurs, qui ne comprend que quelques éléments en commun avec celui des Inhibiteurs (je ne vais pas révéler lesquels pour ne pas spoiler).

Si vous vous posez la question, à part quelques néologismes (aug, ching, intellart), il n’y a quasiment pas de vocabulaire spécifique à cet univers à assimiler (c’est moins exigeant ou déstabilisant -selon votre point de vue- que la lecture du début d’Hypérion, par exemple), et le niveau de langage scientifique présent reste totalement accessible même à ceux qui n’ont pas un doctorat scientifique et / ou qui n’ont pas un amour inconditionnel pour la hard-SF ou la science (nous ne sommes pas chez Egan ou chez Stross).

L’intrigue est très correcte, quoique assez prévisible (personnellement, j’avais deviné les grandes lignes dès le début, même si la façon dont l’auteur amène certains thèmes que j’avais devinés a pu me surprendre), et les personnages plutôt sympathiques. Par contre, petit bémol sur le rythme, les 170 premières pages sont assez plates et l’univers seulement esquissé, même si ça devient beaucoup, beaucoup plus intéressant après. Ne vous fiez donc pas forcément au premier tiers du roman, ça vaut vraiment le coup d’aller jusqu’au bout.

Univers & Influences

L’univers est de type post-singularité technologique (précisons-le tout de suite, essentiellement étouffée dans l’œuf par les humains, avec une chasse à l’IA ou des protocoles de contrôle très stricts), avec un haut degré de nanotech (là aussi sous un contrôle assez strict), de biotech (manipulations génétiques, avec extension de l’espérance de vie, et présence d’une population de transhumains dotés d’une forme adaptée à la vie sous-marine) et de cyber-technologie (tout le monde a des implants cérébraux, qui permettent à la fois le contrôle des tendances violentes par un système de surveillance global appelé le Mécanisme et des choses comme la Réalité augmentée, la téléprésence, la traduction simultanée, la communication sans utiliser d’appareils externes comme des téléphones, l’interface directe homme-animal ou homme-machine, etc) mais une exploration spatiale qui, si elle comprend tout le système solaire (jusqu’à la lointaine Ceinture de Kuiper), n’en dépasse ni les limites, ni la vitesse de la lumière (même pas une fraction significative de % d’ailleurs). En terme de nanotech et de propulsion spatiale, on est loin du niveau du cycle des Inhibiteurs, c’est à signaler.

L’univers est présenté, sur la quatrième de couverture, comme « plein d’idées originales ». Ben oui mais non, hein. Si vous êtes néophytes en matière de SF (hard ou pas), ça va vous paraître super-original, vous allez crier au génie, mais si vous êtes un vieux routard comme moi, à part à la rigueur le sphynxware et la propulsion par hydrogène métallique (et encore, quelqu’un doit bien avoir une référence que je n’ai pas…), le reste, vous l’aurez vu ailleurs. Le parfum général fait très, très Kim Stanley Robinson période trilogie martienne (cette façon de placer des multinationales existantes ou imaginaires au centre de la colonisation du système solaire, déjà, rappelle fortement cette série de romans : vous pourriez sans souci remplacer Akinya, Maersk et Hitachi par Consolidated ou Armscor chez KSR), avec ses ascenseurs spatiaux, ses grands projets d’ingénierie (Ocular et la Soletta, même combat), sa passionaria pantropiste / transhumaniste d’origine asiatique (Lin et Hiroko, même combat), etc.

Le fait de faire de la chine, de l’inde et surtout, surtout de l’Afrique les superpuissances économiques, industrielles et technologiques du 22ème siècle peut vous paraître extrêmement original (on ne parle jamais de l’europe et des USA dans le roman, même pas pour dire que ce sont des nations de deuxième plan dans cet univers, je ne me rappelle tout simplement pas une fois où ces continents / pays sont mentionnés), mais à vrai-dire ça ne l’est qu’à moitié. Un autre auteur de SF, Mike Resnick, a publié depuis un bon quart de siècle toute une série de romans ou de nouvelles se plaçant dans la perspective d’une colonisation africaine de l’espace / d’autres planètes, même si dans son univers, l’Afrique peut ne pas forcément être le leader, comme ici chez Reynolds.

Sinon, vous pourriez prendre tout un tas d’éléments pour des idées super-originales, alors que c’est déjà vu et revu ailleurs : par exemple, les éléphants miniatures et les pantropistes sortent tout droit de chez James Blish, les deux factions (transhumanistes orientés technologie « physique » / pantropistes orientés génétique et rejetant une partie de la cybertechnologie) pourraient sortir tout droit de chez Bruce Sterling, de chez Kim Stanley Robinson ou même de chez Peter Hamilton, l’Evolvarium ressemble à une version dans le monde réel de la genèse du Technocentre en réalité virtuelle chez Dan Simmons, les ascenseurs spatiaux sont un élément classique de la hard-SF depuis Arthur Clarke, Ocular et la centrale solaire du Sahara ont des équivalents tout à fait sérieux en termes de projets à long terme dans notre monde réel, et ainsi de suite.
La seule demi-originalité que je trouve dans l’univers est la façon de lier des tas d’éléments classiques de la SF en un tout cohérent. On peut affectivement rencontrer la téléprésence, la réalité augmentée le nanotech, les IA, les machines autoreproductrices, les recherches sur la conscience et le cerveau chez l’animal / l’homme (coucou Greg Egan ou David Brin, au passage…), les transhumains vivant sous l’eau, etc, bref tout ce qu’on voit dans ce roman dans d’autres univers de SF, mais… rarement en même temps. Le tour de force d’Alastair Reynolds, à mon sens, est d’avoir fait de tous ces éléments un tout cohérent et surtout crédible.

Pour finir, au chapitre « la quatrième de couverture est trompeuse », cette dernière, quand elle parle du Mécanisme, donne une impression très Orwellienne de la chose, alors que, pour ceux qui ont lu Iain Banks, on est en fait plus sur le monitorage par un Mental de Moyeu d’Orbitale des humains présents à la surface de celle-ci histoire de leur envoyer du secours s’ils sont en danger ou de les empêcher de se faire du mal entre eux. Donc c’est moins noir ou oppressif que le résumé au dos du bouquin n’en donne l’impression. D’ailleurs, globalement, ce roman s’inscrit au contraire dans le mouvement Solarpunk, qui veut donner une vision optimiste (et non dystopique) d’un futur proche où les thématiques écologistes et le développement durable sont au centre des préoccupations.

En conclusion

Il s’agit d’un bon roman de hard-SF (qui sait rester très compréhensible), qui peut soit poser des jalons intéressants pour le reste de la trilogie auquel il appartient, soit éventuellement être lu tout seul (les intrigues concernant les personnages principaux ont un début, un milieu et une fin). L’univers d’exploration spatiale dominée économiquement, industriellement et technologiquement par les africains est intéressant, bien que pas vraiment original. La description du 22ème siècle et de toutes les évolutions, technologiques ou autres, est assez magistrale et surtout très cohérente, bien que pas vraiment originale (c’est plus la façon dont les éléments sont associés entre eux qui est originale et intéressante que les éléments eux-mêmes). Attention, l’univers est moins noir que le passage sur le Mécanisme de la quatrième de couverture ne peut le laisser augurer.
Le rythme est bon dans les deux derniers tiers, moins dans le premier. Les personnages sont attachants et intéressants. Et surtout, on a envie de voir résolus les deux gros mystères que l’auteur laisse planer à la fin, et de lire la suite.
Bref, un roman de SF (Hard mais sans plus) très recommandable, et un bon Alastair Reynolds de facture plus « classique » / « consensuelle » que son cycle des Inhibiteurs, à mon sens plus original et au ton différent, plus personnel.

Pour aller plus loin

Si vous souhaitez lire d’autres avis sur ce roman, je vous conseille les critiques suivantes : celle de Lhisbei sur RSF Blog, celle de Lorhkan, celle de Yogo, celle de Xapur, celle de Lutin, celle de Blackwolf

Ce roman est le premier tome d’une trilogie : retrouvez sur Le Culte d’Apophis la critique du tome 2 et du tome 3.

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18 réflexions sur “La Terre bleue de nos souvenirs – Alastair Reynolds

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  3. BOn, je vais attendre sagement de dépasser les 170 pages alors. Ma liseuse m’annonce 24 % et 151 pages, lues en 4 jours. C’est dire combien jusqu’à présent je suis vraiment captivée. Habituellement en 4 jours, je plie un roman avoisinant les 500/600 pages.
    Bon, j’ai fini à côté l’IA et son double et commencé un Poul Anderson ( bientôt fini aussi).

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    • Carrément. D’abord, le Solarpunk (même si c’est encore un sous-genre en construction / dont on cherche à établir fermement les limites, les codes et la définition), c’est une SF de futur proche et surtout positive : pas de guerres, tout le monde a une conscience écologique, etc. Or, dans ce cycle, il y a des écarts de plusieurs siècles entre les tomes, premier point, et plus on avance, moins c’est folichon, jusqu’à l’apothéose du tome 3 qui est quand-même un peu nihiliste sur les bords, même si ça finit sur une note nettement moins noire (et anti-Lovecraftienne). Donc seul le tome 1 est du Solarpunk, pas les deux autres.

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